TEMOIGNAGE D'UN BOULANGER

 

 

            Au début des hostilités, j'étais boulanger artisanal installé au 108 de la rue de Bayeux (Note de MLQ: au nord du Bon-Sauveur non loin de l’embranchement avec la rue de Bretagne) à Caen. Après la démobilisation, j'ai pu regagner mon fournil...

 

De nos jours

 

            Le 6 juin 1944, vers 4 heures et demie du matin, Barroux, l'ouvrier boulanger qui commençait le travail avant moi, vint me chercher car les clients assiégeaient déjà la boulangerie pour avoir du pain, criant que c'était le débarquement. J'en eus confirmation en écoutant le poste de radio que j'avais pu dissimuler dans un tas de bois.

 

            Les jours suivants, nous avons continué la fabrication du pain, mais les difficultés étaient nombreuses : plus d'électricité pour faire tourner le pétrin et éclairer le four. Mais le plus grave était le manque d'eau. Nous avions, en effet, de la farine, récupérée dans les boulangeries sinistrées et à la minoterie Lemanissier et entreposée dans l'entrée du Lycée (Note de MLQ: le Lycée Malherbe), près de la porte qui donne Place Monseigneur des Hameaux. Paradoxalement, nous avions de la farine mais pas d'eau !

 

            Le problème fut résolu grâce à Monsieur Brisson (de l'entreprise Brisson et Lapouza) qui avait pu conserver un cheval et une voiture à deux roues. Monsieur Brisson allait chercher de l'eau dans des bidons à lait. Cette eau provenait du puits de Maître Tréhet, rue Bicoquet et du puits du bas de la rue de Bretagne.

 

            Une autre difficulté était de faire du pain pour les Caennais et non pour les troupes allemandes, car les soldats se précipitaient pour se servir dès qu'ils apercevaient une file d'attente. A cette époque, les Caennais n'avaient plus de tickets de pain mais une sorte de carte familiale qui permettait de donner 100 grammes de pain par personne. Pour éviter les files d'attente trop voyantes, je décidais donc de fixer un horaire à chaque famille, en fonction de la durée de cuisson d'une fournée (il fallait compter environ une heure et quart). Dès que le pain était cuit, on le transportait dans un petit jardin. A l'heure dite, les clients se présentaient, entraient par la boutique et sortaient par un petit couloir. En trois minutes, tout était fini. Un autre groupe de clients revenait une heure et quart plus tard. Si des Allemands se présentaient, il n'y avait jamais de pain. Comme ils étaient pressés, ils n'attendaient pas.

 

            J'avais bien un papier de la Kommandantur interdisant aux troupes allemandes de prendre du pain. Malgré cela, un officier allemand se présenta un jour pour obtenir du pain. A la différence des soldats, il n'était pas pressé et voulait bien revenir en chercher. II lui en fallait 130 kilogrammes... Je lui montre alors le papier de la Kommandantur. Toujours affable et dans un français correct, il me répond qu'il s'en moque car ses hommes se battent à six kilomètres de CAEN et qu'à la suite de la destruction de leur boulangerie de campagne par un obus, c'est à lui de se débrouiller pour les nourrir. Il a seulement accepté de me signer un ordre de réquisition.

 

            Une autre fois, un officier allemand se présente avec deux soldats. Ils voulaient faire de la pâtisserie à leur mode. Je m'empresse de leur dire que je n'ai ni matériel, ni matières premières. Mais il me répond qu'il peut me fournir du lait et du sucre et qu'il m'en laisserait à condition que je lui donne de la farine. Le marché est donc conclu. Pour nous débarrasser d'eux plus rapidement, nous les aidons à la fabrication des pâtisseries. En partant, l'officier nous a laissé un gros sac de tabac en remerciement.

 

            Peu à peu, la ville se vidait de ses habitants. Avant les bombardements, il y avait une cinquantaine de boulangers à CAEN ; désormais nous n'étions plus que quatre.

 

            Puis, nous avons subi le gros bombardement du 7 juillet 1944. Le surlendemain, les Alliés étaient enfin là, descendant la rue de Bayeux. Une jeep était en tête, précédant une file de chars, elle s'arrêta à la hauteur du calvaire de la rue de Bayeux.

 

Calvaire de la rue de Bayeux

 

Un officier me demanda alors qui étaient tous ces gens qui portaient des casques blancs. La réponse était facile à donner : il s'agissait de civils que les Allemands avaient obligés à porter des casques peints en blanc.(Note de MLQ: curieuse remarque ! les civils avec des casques blancs étaient les membres de la Défense Passive)

 

En fait dans le bas de la rue de Bayeux

 

Membres de la D.P. avec des casques Adrian peints en blanc.

Voir aussi Bd des Alliés, en arrière plan le marché couvert et l'église Saint-Pierre ici

 

            Des Allemands avaient installé une mitrailleuse au premier étage de l'épicerie située à l'intersection des rues de Bayeux et de Bretagne.

 

Intersection: rue de Bretagne à droite et rue de Bayeux à gauche.

 

L'officier allié alerta alors un des chars et des obus détruisirent la mitrailleuse, mais en même temps, ils mirent le feu à la maison. Nous eûmes beaucoup de mal à empêcher que tout le pâté de maisons compris dans le triangle des rues de Bayeux, de Bretagne et du Bourg-l'Abbé ne brûle.

 

 

Ce document est paru dans

Ville de Caen

TEMOIGNAGES

Récits de la vie caennaise 6 juin-19 juillet 1944

Brochure réalisée par l’Atelier offset de la Mairie de Caen Dépôt légal : 2e trimestre 1984

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