EVA FACE A L'« INVASION »
par Georges Bernage.
Dans l'atmosphère confinée du bunker, Eva Eifler sent tout à coup l'agitation croître autour d'elle en cette nuit du 5 au 6 juin1944. Elle sera l'une des toutes premières Allemandes à apprendre que les Alliés ont débarqué en Normandie. Peut-être la première...
Eva en 1944 et à l'été 1993 en Normandie
Eva Eifler a encore 19 ans au printemps de 1944. Elle a rejoint le corps des auxiliaires des transmissions de la Luftwaffe, c'est une « souris grise » avec son uniforme gris-bleu et son calot orné de l'aigle de l'armée de l'air. Sur sa manche, un éclair indique sa spécialité : elle est radio, et plus précisément elle reçoit des messages en morse. Cette petite jeune fille frêle et vivante est arrivée en 1943 en Normandie. En service et pour les appels, elle doit porter l'uniforme mais, en quartier libre, elle est en civil. Malgré tout, elle n'a aucun contact avec la population, ce qu'elle déplorera. Souriante et dynamique, elle est affublée d'une très forte myopie et. pour ses 19 ans, elle aura eu le plaisir d'aller à Paris pour avoir de nouvelle lunettes : c'est pour elle un hon souvenir, elle logera alors dans un hôtel près de l'Opéra.
Mais le printemps tire maintenant vers sa fin, l'été dans deux semaines... Elle loge avec ses camarades dans l'ancienne Abbaye aux Dames qui avait été fondée par la reine Mathilde (l'épouse de Guillaume le Conquérant).
Cet ancien couvent de style classique avec son abbatiale romane domine le port, au nord-est du centre de Caen. Un important centre de liaisons radio est installé là, protégé pair un épais bunker qui s'enfonce dans le sol sur plusieurs niveaux. (Note de MLQ: sous réserve, le témoin doit évoquer le grand bunker de télécommunications Wn 111 type R618 sur la place Gambetta entre la Préfecture et la Poste. Il y avait des tunnels entre la Poste et le bunker et entre la Préfecture et le bunker. Ce bunker a été rasé dans les années 50 mais pas ses galeries souterraines qui auraient juste été recouvertes par la voirie. Nous n'avons pas trouvé de bunker à proximité de l'Abbaye aux Dames)
Place Gambetta, à gauche le bunker du relais téléphonique allemand caché en immeuble, les immeubles du fond sont en partie basse l'école Gambetta (aujourd'hui dénommée collège René Lemière) et la partie haute (l'autre côté de la rue Daniel Huet) les ruines de la Gendarmerie.
"Photos collection particulière, présentées page 279 de Bataille de Caen de Jean-Pierre Benamou, Editions Heimdal, 1988 avec son aimable autorisation"
Le 9 juillet à 13h30, les Daimler des Inns of Court appuient les Glengarrians dans la chasse aux tireurs isolés, le bunker est contrôlé par les Canadiens des Glens.
C'est là qu' Eva Eifler assure son service. Ils sont quatre ou six radios dans une pièce du bunker ne travaillant que sur des appareils calés uniquement sur la réception des messages en morse. Chacun d'eux est attaché à une station émettrice qui a son mot de code, il faut noter chaque appel. Près d'eux il y a une unité de radio de la marine reliée à des unités du Mur de l'Atlantique : il est arrivé que Eva ait remplacé un marin absent pour recevoir des messages provenant de la marine.
Ce 5 juin 1944, le soleil s'est couché à l'ouest derrière les clochers de l'Abbaye aux Hommes (fondée par Guillaume le Conquérant). Eva est à son poste, elle note les lettres les unes après les autres sur de courts messages qui sont aussitôt ramassés; ainsi, elle n'a jamais de phrases complètes devant elles et ne connaît rien des messages qu'elle reçoit. En cette nuit de juin d'importantes informations ont dû lui passer entre les mains car la tension monte autour d'elle, le mot « Invasion! Invasion! » arrive même à ses oreilles sans qu'elle puisse connaître la teneur des communications qu'elle a transcrites. Elle sait bientôt que « l'Invasion » a eu lieu sur la côte mais elle ne sait pas où. Son service terminé, elle rejoint une grande pièce du bunker, à l'étage en dessous, où se trouve une immense carte sur laquelle, successivement, de nouvelles indications sont portées. Elle est ainsi une des toutes premières femmes allemandes, et européennes, à savoir que les Alliés ont débarqué en Normandie!
Fin juin, les auxiliaires féminines sont évacuées de Caen ; elle vient juste d'avoir vingt ans. Son train se dirige vers l'Allemagne en passant par Reims. Elle croisera un convoi chargé de jeunes de 16 et 17 ans qui sont envoyés sur le front de Normandie. Une attaque de chasseurs-bombardiers aura lieu contre le train et ces jeunes femmes et ces jeunes hommes se retrouveront sur le ballast, se jetant dans les bras les uns les autres, appelant leurs mères, jeunesse jetée dans la guerre. En 1993, Eva est revenue à Caen, a visité les vestiges du Mur de l'Atlantique, des souvenirs de jeunesse « qu'elle ne souhaite à personne!... »
Témoignage paru dans 39-45 Magazine, avec l’aimable autorisation du rédacteur en chef Bernard Paich.