François Ledoyen, 25 ans, soldat québécois de la 3rd Cdn ID écrit à son père le 10 juillet 1944.

lettre extraite de ce site:

http://pfq-2gm-correspondance1944.ifrance.com/histoire.htm

François Ledoyen
3° Division d’Infanterie Canadienne

                                                                                                                        Carpiquet, Normandie, France
                                                                                                                         Le 10 juillet 1944

Cher père,

    Je vous écris pour vous signaler notre victoire sur les Allemands à Caen et vous raconter une histoire incroyable.

    Après deux essais manqués nous avons enfin réussi à nous emparer de Caen pas plus tard qu’hier. Notre objectif du Débarquement a enfin été atteint après plus d’un mois de batailles ininterrompues et sanglantes.


    Ce paysage magnifique de la France décrit dans les livres et qu’ont connu nos lointains ancêtres ne montre plus aujourd’hui que tristesse et désolation.


    Si vous voyiez, cher père, toutes ces ruines et ces sols détruits par les bombes ! Caen n’est plus qu’une ville fantôme aux ruines fumantes. C’est dans ce décor sinistre que nous progressons, jour après jour, heure après heure en espérant que les balles qui sifflent à nos oreilles et les obus qui tombent ne seront pas pour nous.

    Contrairement à l’accueil souvent délirant des habitants des petits villages que nous avons délivrés, j’ai rencontré depuis notre arrivée près de Caen beaucoup de visages hagards. Nous découvrons quelquefois dans certaines maisons, ou ce qu’il en reste, des habitants traumatisés et muets. Le plus difficile à supporter, outre la peur d’être tué à chaque instant, c’est le grand nombre de cadavres atrocement brûlés ou mutilés que plus personne ne vient chercher.

    Au milieu de tout ce chaos, j’ai entendu des pleurs d’enfant. Je suis allé voir ce que c’était et j’ai trouvé une fillette en larmes au milieu de ce qui avait dû être autrefois une maison. Elle semblait abandonnée et complètement désorientée. Naturellement je l’ai prise dans mes bras pour l’emmener dans un endroit plus sûr que cette maison des environs de la gare. Le fait que je porte une enfant dans les bras n’a pas arrêté un tireur embusqué.

    J’ai été touché à l’épaule par une balle et je n’ai pas réussi à garder mon équilibre. Je serais sûrement mort, et la petite fille aussi, si un résistant n’était venu à notre secours. Nous sommes donc retournés tous les trois à l’arrière où après avoir donner la petite à une infirmière j’ai dû attendre quatre heures avec mon sauveur, blessé lui aussi. Nos blessures étant jugées superficielles, nos cas n’ont pas été traités en urgence, les brûlés et les grands mutilés passant en priorité.

    Mon sauveur se prénomme Pierre Dehail comme nos voisins. Il m’a dit avoir eu des ancêtres qui ont émigré au Québec en 1804. Peut-être est-il cousin avec nos voisins et cette coïncidence nous a rapprochés encore plus au cours de cette après-midi passée dans les pleurs et les gémissements. Il est jeune comme moi mais toute sa famille a disparue dans les bombardements.

    Il faut que j’écrive à Angela pour la rassurer sur moi.

    Affectueusement.                                                                                                                     Votre fils : François

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La photo qui sert à imager le récit de la lettre a été prise Bd des Alliés à Caen et montre deux soldats Irlandais du  2nd Royal Ulster Rifles/9th Brigade/3rd British ID, commandant Lt-col Harris.

Photo IWM présentée page 271 de ce livre.

La fillette en gros plan, "Photo Ouest-France" en 1994, j'ignore la suite !

 

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