Témoignage paru dans ce livre  dont l'auteur est René Streiff.

 

Mme Parey, demeurant avenue Guynemer, m'a fait à ce sujet, le récit suivant :

« Nous arrivons sur les côteaux (Note de MLQ: les côteaux de Fleury), sous une pluie fine et serrée, des ménagères préparent le repas. Deux feux sont allumés en plein air. Quelques pierres, deux barres de fer et voilà un fourneau improvisé. Des personnes amies nous indiquent la carrière 5; il doit encore y avoîr quelques places.

Source. Les coteaux de Fleury

Spectacle inoubliable ! de chaque côté de Ia carrière des familles entières sont couchées ou assises sur la paille. Une brouette ou quelques planches servent de table. Chacun s'éclaire avec une lampe Pigeon ou une lamrpe à carbure, Plus nous avançons, plus il fait sombre. Le sol est glissant, les murs ruissellent d'humiditè. Nous avons envie de partir, mais nous voulons être Iibérés au plus tôt et nous décidons de nous installer à environ 200 mètres de l'entrée.

Les hommes vont, au péril de leur vie, chercher queIques bottes de paille dans une ferme. Nous sortons en quête d'un emplacement pour faire notre feu et nous voilà installés.

Dans les cavernes nous avons une telle impression de sécurité que nous oublions notre misère.  

Les obus peuvent tomber, nous ne sentons pas la moindre secousse.      

Les duels d'artillerie étant de plus en plus violents, les Allemands interdisent toutes sorties sur Ies côteaux sous peine de mort. Ils tirent sur ceux qui n'observent pas cet ordre.  

Le ravitaillement se fait rare. Nous achetons des champignons dans la carrière voisine.

Tout le monde se précipite vers une clairière dans le fond des carrières et là de nouveaux foyers s'installent. Il faut parcourir au moins 500 mètres entre des murailles sombres et ruisselantes d'humidité, sur un sol mal nivelé.

Nous n'avons plus pour boire que de l'eau sale qu'il faut puiser au fond d'un grand trou.

Nos nuits calmes sont terminées. Les Gendarmes font des rondes. Les Allemands veulent des hommes pour aller creuser des tranchéés sur les côteaux et jusque dans la plaine d'Ifs. Les volontaices sont rares et les menaces n'y font rien ..

Aussi les Boches viennent-ils eux-mêmes faire leurs rafles. Des SS , revolver au poing, font lever les récalcitrants. Ils enlèvent les couvertures sous lesquelles nous reposons afin de trouver les hommes.

Un Allemand glisse et tombe,en descendant dans Ia carrière. Les gens rient. Furieux, il cherche une victime. Il désigne un homme qui est absolornent innocent et le force à passer deux heures dehors sous la mitraille, pour le punir !

Ayant remarqué que de nombreux curieux sortent des carrières, malgré leur défense, les Allemands ordonnent de murer les cavernes, L'ordre est exécuté, mais Ies gens sortent quand nême !

Le 14 juillet, au matin, nous assistons à la messe dans une carrière voisine, plus sombre et plus humide que les autres. Sur un rebord de pierre, un autel est improvisé. La foule, recueillie, prie pour sa libératien qu'elle sent proche, car la bataille fait rage au dehors. Nous apprenons que, depuis quelques jours, la rive gauche l'Orne est libérée.

Vers 11 heures, un officier allemand vicnt annoncer brutalement, qu'il faut que les carrières soient évacuées totalement le soir avant 6 heures. Au début de I'après-midi on apprend que seuls, peuvent rester les enfants en bas âge, nous, nous sommes obligés de partir. Mais partir c'est retarder notre 1ibération et s'éloigner des nôtres (quatre jeunes enfants partis à la campagne et dont nous sommes sans nouvelles depuis Ie débarqnement). La mort dans l'âme nous faisons nos colis. Nous n'emportons que le strict nécessaire et nous abandonnons le reste. Beaucoup s'en vont portant des matelas sur des brouettes, c'est un spectacle navrant...

Pour évacuer il faut traverser toutes les cavernes ...

Près de l'issue, les ·gens restent assis par terre, atterrés, Les enfants crient, les femmes pleurent. Les obus pleuvent sans arrêt;

Les Allemands nous forcent, sous peine de mort, à utiliser la sortie principale. Repérée par les avions, elle est pilonnée sans discontinuer, il y a déjà des tués et des blessés. Nous nous décidons à tenter notre chance, sous la rafale, pour nous éloigner avant la nuit.

Deux dessins illustrant le témoignage (pages 71 et 72)

Nous montons péniblement la « tirée » (ancien chemin de sortie des chevaux utilisés dans la carrière). Derrière nous neuf personnes. sont tuées, une vingtaine blessées.

Après avoir vécu dans cette nuit et cette humidité persistante, nous sommes éblouis par la lumière et suffoqués par la chaleur, Tout autour de nous les obus tombent, des nuages de poussière et de fumée s'élèvent, les avions tournent sans cesse au-dessus de nos têtes. Une petite voiture allemande qui vient de nous doubler vole en éclats, pulvérisée par un obus.

Nous décidons d'éviter Ifs, soumis à un bombardement intense d'artillerie ; nous nous engageons dans un petit chemin de terre.

Et tout en avançant péniblement parmi les débris nous agitons désespérément une serviette blanche. En passant à Rocquancourt un obus éclate tout près de nous. Nous l'avons échappé belle !

Après une quinzaine de kilomètres, nous quittons la ligne de feu. C'est un soulagement, mais aussi une immense tristesse : car nous nous éloignons de nos libérateurs ... ».

Localisation des lieux cités

 

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