Contre-attaque allemande l'après-midi du 9 juillet 1944

 

Dans plusieurs ouvrages, j'ai noté la présence d'Allemands à Caen dans l'après-midi du 9 juillet à "contre courant" de la retraite autorisée et organisée. En voici 4 exemples:

1- Dans ce livre  pages 95 à 97, l'auteur relate que l'abbé de Panthou de l'église Saint Pierre, après avoir rencontré des Canadiens, Bd des Alliés, venant de reconduire un ami rue de l'Engannerie eut la malchance de rencontrer rue Saint Jean une colonne allemande qui se dirigeait vers le centre-ville; fait prisonnier il ne fut libéré que rue de Vaucelles, quelques heures plus tard, après repli et traversée de l'Orne.

Plan de Caen, localisation des lieux cités

Commentaire: Pas d'indication d'heure mais pas avant la fin de la matinée, car il avait dit la messe le matin dans l'abri souterrain du Sépulcre. Il n'est pas précisé comment la rivière Orne a été traversée vu que la libération a eu lieu rue de Vaucelles sur la rive droite en face du pont de Vaucelles praticable par des piétons grâce aux rails du tamway.

Ruines du pont de Vaucelles avec les rails du tramway. Le photographe est rive droite.

2- Dans ce livre de Didier Lodieu: "Le Pz.Gren.Rgt. 192 de l'Oberst Josef Rauch (21.Pz.Div. ) qui défend la partie nord de Caen jusqu'à la cathédrale. A 6 h du matin, le 9 juillet, il a constitué un verrou défensif avec une poignée de soldats afin de protéger le pont de chemin de fer de Bellemais, ce qui lui a permis de traverser l'Orne un peu plus tard. Le Pz.Gren.Rgt. 192, qui décroche entre-temps du centre de Caen face au 1er corps britannique , l'emprunte également puis le Génie le fait sauter."

Commentaire: Il n'y a pas de cathédrale à Caen (elle est à Bayeux). Le pont de Bellemais est inconnu de toutes les personnes que j'ai pu contacter mais ce nom apparait sur les cartes d'E-M voir ci-dessous:

Source IGN. Carte d'Etat-Major: Bellemaist lieu dit de la commune de Mondeville.

De nos jours l'école de musique et de danse est dans le château de Bellemaist.

Photo GoogleMaps de Mondeville, repérages le château de Bellemaist et le pont ferroviaire sur l'Orne.

Il y a bien à proximité du château de Bellemaist un pont de chemin de fer pour la SMN appelé également pont de raccordement portuaire. On peut supposer que c'est ce pont que les Allemands appelent le pont Bellemais.

Confirmation lors de la visite de Hans Höller (voir ci-dessous) à Caen en août 2014: "Die Eisenbrücke des schlosses Bellemaist / Mondeville-Colombelles 9 juli für sie gegen angriff von Caen zentriere". soit: "J'ai pris le pont en fer, Bellemaist/Mondeville-Colombelles le 9 juillet afin de mener une contre attaque dans le centre de Caen".

3- Dans un article paru dans cette revue , Jean-Claude Perrigault indique:

 

A 15H00, la Kampfgruppe Rauch , renforcée par la 8.(schw.)./192 (21. Panzer Division ) et deux Kompanien du Il./Jager-Rgt 46 (16.Luftwaffen-Felddivision  ), retraverse l'Orne et pénètre dans Caen pour atteindre la « cathédrale ». Là, il est pris sous un très fort tir adverse qui le contraint à se retirer. Après le repli de la Kampfgruppe, le pont ferroviaire de Bellemaist est dynamité par les Pioniere.

Voici la citation exacte du livre (page 346) de Jean-Claude Perrigault, 21. Panzer Division, Editions Heimdal, 2001:

A 15h00, le Kampfgruppe Rauch, renforcé par la 8.(schw.)./192 et deux Kompanien du ll./Jäger-Rgt 46, retraverse l'Orne et pénètre dans Caen pour atteindre la « cathédrale » (vraisemblablement Saint-Pierre). Là, il est pris sous un très fort tir adverse (sans doute des Royal Ulster Rifles) qui le contraint à se retirer. Après le repli du Kampfgruppe, le pont ferroviaire de Bellemaist est dynamité par les Pioniere.

Commentaire: la « cathédrale » il s'agit vraisemblablement de l'église Saint-Pierre. Les Canadiens de la 3rd Canadian ID et les Britanniques de la 3rd (British) ID   s'étaient déjà rencontrés place Saint Pierre en début d'après-midi.

4- 9 juillet, journal des opérations (KTB) du Heeresguppe B

L'ennemi pénètre à Caen dans le secteur de la 16. Feld-Division (L). La 12.SS-Panzer-Division Hitlerjugend est refoulée par de durs combats, quelques groupes encerclés se défendent vigoureusement contre un adversaire très supérieur. Une contre-attaque de la 21. Panzer Division ne réussit pas.

Courant 2014, grâce à M. Max Denormandie en contact avec M. Hans Höller en 44 Leutnant, Zugführer du I. Zug s.8.Kp II./Panzer-Grenadier-Regiment 192 de la 21. Panzer Division j'ai pu obtenir des renseignements complémentaires sur cette contre-attaque à laquelle Hans Höller a participé, voici sa version:

Hans Höller et sa section se trouvent à proximité de Colombelles. Ils vont recevoir l'ordre avec la Kampfgruppe Rauch et une section de Jäger de la 16. Feld-Division (L)  de s'engager dans le centre de Caen. La section de la 16. Feld-Division (L) est déplacée depuis Cuverville / Démouville.

Conjointement une section du Génie (Pionier Bataillon 272) de la 272.ID va se joindre à eux depuis Colombelles / Mondeville.

Regroupement à Mondeville, une centaine d'hommes, départ à 14H30, traversée de l'Orne sur un pont métallique  au Nord de Mondeville (le pont de chemin de fer de Bellemaist). La Kampfgruppe longe donc l'Orne par le quai Caffarelli (rive gauche). Dans la suite de son récit Hans Höller parle du quai Vendeuvre, de la tour Leroy, des églises Saint Pierre et Saint Jean et de la rue Saint Jean. Ce qui nécessite de traverser:

- soit le canal par le pont de la Fonderie entre le canal et le Bassin Saint Pierre, ce pont qui avait été bombardé n'était plus tournant mais bloqué en position fermée, soulevé et déplacé mais encore praticable par des piétons

- soit de traverser l'Orne par le pont de l'écluse entre le Bassin Saint Pierre et l'Orne, ce pont était détruit par les bombardements, j'ignore si des piétons pouvaient passer, Hans Höller indique avoir "bidouillé"  les restes d'un pont au niveau du Bassin Saint Pierre, en poussant des traverses et des gravats à la va-vite.

voir plans ci-dessous:

Carte de 1943. localisation des communes citées et des ponts.

Plan de Caen, localisations

Le pont de la Fonderie photographié le 10 juillet 1944

Source. Le 15 juin, dans les fumées des incendies l'écluse de l'Orne.

La progression dans Caen n'ira pas plus loin que l'église Saint Pierre, les hommes se retrouvent sous un feu nourri, il leur est impossible de faire quoi que ce soit. Ils se replient très rapidement en traversent le dernier pont intact sur l'Orne au niveau du quai Hamelin, avant qu'il ne soit dynamité par une section du Pionier Bataillon 272. D'après Hans Höller , il est 15H45.

Toutes les sections se placent de l'autre côté de l'Orne, jusqu'au 11 juillet, date à laquelle Hans Höller va reprendre ses positions sur les hauteurs de Mondeville-Colombelles.

Le dernier pont intact sur l'Orne ne peut être que le pont de la Mutualité c'est un double pont métallique dont un ferroviaire utilisé par les Allemands jusqu'au 9 juillet, date à laquelle ils le dynamitent. 

"Photo Collection S. Varin". Les deux tabliers du pont de la Mutualité dans l'Orne, en arrière plan à gauche le garage Citroën et le pont Bailey Winston.

Sous réserve le parcours de la Kampfgruppe dans Caen

L’explication de cette contre-attaque est une fausse information reçue par le Panzergruppe West du General der Panzertruppen Heinrich Eberbach  concernant la présence du flanc droit de la 12.SS-Panzer-Division Hitlerjugend à La Folie et que la "hauteur 64 était toujours entre nos mains".

Alors que depuis 05H00, la section du Lt R. Wise, A Coy, 2nd Royal Ulster Rifles , 3rd (British) ID   avait dépassé la cote 64 objectif le cimetière Nord-est et le pont de Calix sur le canal.

Localisation du hameau de La Folie et de la cote 64

Ce qui c'était passé la veille 8 juillet, source :

Après une visite à l'Abbaye d'Ardenne au PC du SS-Panzergrenadier-Regiment 25, de retour à son PC, le SS-Standartenführer Kurt Meyer   Kdr de la 12.SS-Panzer-Division Hitlerjugend  téléphone au  général commandant le I SS-Panzerkorps,  le SS-Obergruppenführer Sepp Dietrich . Le général commandant le corps réalise la gravité de la situation, mais il rappelle que le Heeresgruppe B a recommandé de suivre le « Führerbefehl » enjoignant de tenir Caen à tout prix. Il ne peut lever cet ordre. Le SS-Sturmbannführer Hubert Meyer  , 1er officier d'état-major de la « HJ » , appelle le chef d'état-major du I.SS-Panzerkorps, le SS-Brigadeführer Fritz Krämer   qui lui répond:

« Si vous êtres rejetés en combattant sur la rive sud de l'Orne par un ennemi supérieur, personne ne considèrera cela comme une évacuation allant à l'encontre des ordres ».

 A 19H15, le GFM Erwin Rommel  autorisee  le retrait des armes lourdes de Caen et un regroupement en profondeur (KTB du Panzergruppe West).

Kurt Meyer  organise aussitôt le repli par échelons, d'abord de ses armes lourdes, les Panzern, puis ses Grenadiers, par le pont du Tortillard à Caen, au bout de la rue Neuve du Port qui a été dégagée et mise à sens unique sur Vaucelles. 

Dans la soirée, le Panzergruppe West donne l'ordre suivant par télétype (il ne peut donc pas être capté par « Ultra ») au LXXXVI.A.K., au I.SS-Panzerkorps et au II.SS-Panzerkorps: « Le gros des armes lourdes doit être évacué du saillant de Caen dans la nuit du 8 au 9 juillet. Un nombre suffisant de forces d'infanterie, renforcées par des sapeurs et divers observateurs avancés, restent en arrière et forment une ligne de résistance suivant le tracé suivant: Calix/cote 64 (au nord de Caen) / limite Nord de Saint-Germain / aérodrome à 300 mètres au sud de la limite est de Carpiquet. Ne se replier sur la ligne: rive Est de l'Orne / limite Nord de Venoix / limite Nord de Bretteville que face à l'attaque d'un adversaire largement supérieur».

Cet ordre du Panzergruppe entérine les mesures que la Division « HJ » a déjà prises. Le lendemain, le Heeresgruppe B et l'Ob. West ne pourront se décider à émettre un ordre aussi clair et à en référer à l'OKW.

Le 9 entre 3 et 4 heures du matin, le PC de la Division « HJ » traverse l'Orne, transféré de la caserne Lorge à Vaucelles puis au château de Garclles à Garcelles.

§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§

11H45: Le General der Infanterie Hans von Obstfelder  , Kdr du  LXXXVI.A.K. informe le Panzergruppe West que la Kampfgruppe Rauch va passer l'Orne suite à une forte pression de l'ennemi.

11H50 : Le Chef d'Etat-Major de la Panzergruppe West le Generalleutnant Alfred Gause  informe le General der Panzertruppen Heinrich Eberbach  , qui à ce moment se trouve au PC du I.SS.Pz.Korps, que le Feldmarschall Rommel a donné l'ordre de tenir Caen à tout prix, mais que la Kampfgruppe Rauch s'est retirée derrière l'Orne. Eberbach  est d’avis, que la Kgr. Rauch peut tenir plus longtemps à Caen et donne l'ordre que l'unité doit retraverser l'Orne pour tenir le secteur Nord de Caen. Il justifie par le fait, qu'un recul de la Kgr. ouvre le flanc droit de la 12.SS.Pz.Div et obligera celle-ci à reculer également.

L'ordre de repasser l'Orne vers le Nord est donné à 12H00 par Gause  à von Obstfelder  , Kdr du 86.AK.

L'ordre a été transmis immédiatement par le Chef d'Etat-Major du 86.AK l'Oberst i.G. Hellmuth von Wissmann vers le I(a) de la 21.Panzer-Division l’Oberstleutnant i.G. Wolf-Götz Freiherr von Berlichingen-Jagsthausen.

14H30 départ de la Kampfgruppe selon Hans Höller

A 15H10, le chef de la Panzergruppe West informe le 86.AK : "I.SS.Pz Korps se trouve toujours sur une ligne La Folie-Bitot-Cussy. L'attaque ennemie vers Carpiquet a été repoussée. La 21.Pz.Div. doit continuer sa progression vers le Nord afin d'éviter une attaque dans le dos des SS".

Le I(a) de la 21.Pz.Div  est informé en conséquence.

15H45  Le I(a) du I.SS.Pz.Korps informe le Panzergruppe West que les dernières unités de la 12.SS. Pz.Div. ont dû se retirer de Caen à 15H30.

15H45 la Kampfgruppe repsse l'Orne, fin de la contre-attaque selon Hans Höller

Le soir, la visite sur place du Generalleutnant Edgar Feuchtinger , Kdr de la 21.Pz.Div  et de l'Oberst Rauch suivi d'une communication avec la 12.SS.Pz.Div. ont amené à la conclusion, que la 12.SS.Pz.Div. avait passé l'Orne dès 13 heures et se trouvait déjà dans ses nouvelles positions de défense

Pour ceux qui veulent aller plus loin (en allemand):

Rapport de la 21. Pz. Div. concernant les évènements du 09.07.44 écrit le même jour et adressé au 86.AK avec copie au I.SS. Pz.Korps.

KTB Heeresgruppe West du 09.07.44

Réponse du 86.AK au rapport de la 21.Pz.Div. Datant du 11.07 vers la Panzer Gruppe West

 

Remerciements:

- à Max Denormandie

- à RoCo

RETOUR SOMMAIRE