Article d'Ouest-Eclair du 6 avril 1941

CAEN, 5 avril. — Nos lecteurs n'ont pas oublié qu'à la veille des tragiques événements, de 1940. M. Léon Degrelle, chef du mouvement rexiste en Belgique, avait été arrêté dans sa propre patrie par les autorités belges, puis, les opérations se précipitant, transféré en France et « promené » de prison en prison jusqu'à ce que les autorités al­emandes aient obtenu sa mise en liberté définitive.

La Cour Martiale allemande, siégeant dans la salle d'audience de la Cour  d’Assises a eu à connaitre hier des brutalités, dont il fut, l'objet.

Aux côtés de M. Degrelle, un autre prisonnier maltraité, M. Rothé, d'origine allemande,  dont la plainte est à l’origine des débats,  dira,  lui aussi, aux juges militaires allemands,  les mauvais  traitements qui lut furent infligés.

Ce procès est celui de trois gardiens de prison, de trois surveillants des maisons d’arrêt de Lisieux et de Caen, les nommés  Pihoreau, Laignel et Philippe, accusés de sévices et de mauvais traitements sur les prisonniers Degrelle et autres.

Georges Pihoreau est né en septembre 1891. Ancien combattant d 14-18, décoré de la Croix de Guerre,  il fut démobilisé le 5 avril 1919.

C'est à cette date qu'il fit une demande pour entrer dans l'administration, demande qui fut acceptée, aprèsexamen,  le 18 décembre 1920. Il était en service à Lisieux, il est marié et père d'un enfant. Il n'a jamais été condamné.

Pierre Laignel est né le 16 septembre 1901. Il a fréquenté l'école communale de sa commune natale,  dans la Manche. Ancien ouvrier agricole, il est entré dans l’administration pénitentiaire après son service militaire, le 9 mars 1925 et affecté à la Maison d'Arrêt de Caen.  Marié, père de trois enfante. Il n'a jamais été condamné.

Le troisième, lui aussi, Louis Philippe est marié et père de famille. Il a quatre enfants. Ancien jardinier,  Il est affecté à la Maison Centrale de Caen depuis 1929.

Les uns et les autres ont reconnu, en partie, les faits. Ils avouent avoir porté des coups avec « la main ouverte » sur des prisonniers mais nient être les auteurs de coups de poings et de coups de pieds et surtout d'avoir voulu, exercer des sévices sur M. Degrelle.

Les motifs invoqués seront les mêmes dans les trois ans : énervement causé par le surcroit de travail et par la tragique situation.

Des scènes d'horreur

Après avoir indiqué dans quelles conditions les autorités belges s’assurèrent de sa personne et l'incarcérèrent, successivement à Bruxelles et à Bruges, le témoin en arrive à son entrée en France, le 15 mai, au matin, dans les environs de Dunkerque. C’est dans cette ville, dans la cour de la caserne Jean Bart que vont commencer les sévices dont il eut à souffrir et constitueront pour lui un véritable martyre.

C'est à Abbeville que M. Degrelle situe une scène d'horreur indescriptible : 72 prisonniers ayant été entassés sous le kiosque à musique pour y passer la nuit, en furent retirés, le lendemain matin, par groupes de quatre ou cinq, et que plusieurs d'entre eux furent mis à mort à coups de baïonnette ou de fusil.

Le séjour à Evreux ne fut marqué pour M. Degrelle, d'aucune brutalité, mais, le 10 juin au soir. Il arrive à Lisieux et là recommencent les sévices.

C'est le surveillant Moreau qui s'en rend coupable.

A Caen, le témoin, sera le souffre-douleur des gardiens Laignel et Philippe qui iront jusqu'à uriner dans les brouets lui étant distribués.

Dans la nuit, du 13 au 14 Juin, il est particulièrement « soigné » par Laignel qui le laisse sans mouvement sur sa couche : il a été si bien traité que le lendemain, dans la voiture cellulaire qui l'emmène vers Nantes, Cholet, l’île de Ré, il tombera en syncope et, de ce fait, empirera encore les sarcasmes des gardiens.

Amené en canot automobile de l’île de Ré à Bordeaux, M. Degrelle sers successivement incarcéré à Tarbes, Toulouse, Rodez et Le Puy.

Le maréchal Pétain ordonna sa mise en liberté.

M. Degrelle franchissait le portail de sa prison le 16 Juillet, à 21 heures. Mais Il avait à peine parcouru 200 mètres que, de nouveau, deux gendarmes s’assuraient de sa personne, le faisaient monter dans un « corbillard «  et l'emmenaient en direction du Val d'Andorre.

Le leader belge put à ce moment, être libéré définitivement

M. Rothé qui lui succède, fait, lui aussi, le récit des mauvais traitements dont il fut Ia victime et accuse formellement les gardiens de la prison de Caen de l'avoir frappé.

Les témoins

Le premier Introduit est M. Alfred Lefèvre, 44 ans, surveillant à la prison de Lisieux, et demeurant à Cambremer. Il affirme, de la façon la plus formelle, avoir vu Pihoreau frapper les prisonniers.

M. René Néel, 40 ans, gardien-chef à Lisieux, explique dans quelles conditions il logea des prisonniers reçus d’après les ordres qui lui furent donnée par le capitaine chef de convoi.

C’est ensuite M. Jean Abadie, 53 ans, surveillant-chef à la maison d'arrêt, de Caen. Il n'a rien vu non plus de particulier comme sévices.

Tout ce qu'il sait, c'est que Laignel lui a déclaré qu'il avait « soigné » M. Degrelle.

L'interprète fait expliquer clairement la signification du terme « soigné » et Ie tribunal ne tarde pas à être édifié,

M. Camille Marteau, 52 ans, premier surveillant à la maison d'arrêt, a lui aussi, entendu Laignel dire qu'il avait « soigné » M. Degrelle.

M. Désiré Bairriéres, 50 ans, sous-directeur de la Maison Centrale, explique les fonctions de surveillant dans l’établissement, ainsi que certains points du règlement intérieur. Il ne connait que très peu les trois accusés, mais donne sur eux de bons renseignements.

Le représentant du Gouvernement, qui soutient l'accusation, regrette que les principaux coupables, ceux qui, au début de 1940, excitèrent les populations ne soient pas poursuivis en même temps que Pihoreau, Laignel et Philippe, qui ont été, en quelque sorte, les victimes de cette excitation. C'est là une circonstance atténuante qui peut leur être accordée

 Le représentant du Gouvernement souligne, par contre, que les accusés, dont les fonctions auraient dû faire des protecteurs des prisonniers, ont agi avec une certaine brutalité et avec préméditation. Il demande une peine de 3 ans et 6 mois de prison pour Pihoreau; 2 ans et 6 mois de prison pour Laignel et Philippe.

Invités à présenter leur défense, Pihoreau et Laignel manifestent des regrets et demandent l'indulgence du Tribunal; cependant que Philippe jure, sur la photo d'une fillette qu'il a perdue, être innocent de la plupart des faits qui lui sont reprochés.

Les condamnations

Après en avoir délibéré, le président du tribunal a prononcé les peines suivantes :

Pihoreau, 3 ans de prison, Laignel, 2 ans et 6 mois ; Philippe, 2 ans de prison.

Les 3 mols de détention préventive accomplis par les accusés comptent pour la peine.

Source

Article du Journal de Normandie 6 et 7 avril 1941

  

NB Le Journal de Normandie (JdN) orthographie Pihoreau en Bihoreau.

A 9 h. et demie précises, comme nous l'avions annoncé, la cour martiale a tenu hier séance, dans la salle des Assises du Palais de justice.

Un officier supérieur de l'armée d'occupation prend place au milieu d'autres officiers.

On fait entrer immédiatement les trois accusés, qui se rangent debout devant la barre. Derrière, les témoins seront groupés, debout également.

Les deux officiers assesseurs du président du tribunal sont invités à prêter serment.

Un lieutenant interprète se tient entre le tribunal et les accusés. Il prévient aussitôt tous les témoins qu'ils doivent dire toute la vérité. Toute fausse déclaration serait sévèrement punie.

Acte d'accusation

L'acte d'accusation est d'abord lu en allemand par un officier ; il est immédiatement traduit aux accusés par l'interprète.

Les accusés sont : Georges Laignel, Louis Philippe et Georges Bihoreau. Les deux premiers sont gardiens a la maison d'arrêt de Caen. Le dernier est gardien à la prison de Lisieux.

Voici, en substance, l'acte d'accusation

1° Laignel, Georges, surveillant à Caen, rue Damozanne, 3 ;

2° Philippe, Louis, surveillant à Caen, route de Bayeux ;

3° Bihoreau, Georges, surveillant à Lisieux, 26, rue Henry-Chéron, sont accusés pour être suffisamment suspects d'avoir maltraité, en juin 1940, à Lisieux et à Caen. Comme fonctionnaires de l'état, les prisonniers Degrelle et Rothë, se trouvant à ce moment-là dans la prison.

Appel des témoins

On procède ensuite à l'appel des témoins.

M. Degrelle, cité le premier, n'est pas encore là : il arrivera quelques instants plus tard.

Un jeune Allemand, M. Rothë, qui a également été maltraité, est appelé.

Les autres témoins sont le sous-directeur de la prison de Caen, des gardiens ou des surveillants.

On les fait sortir de la salle pour les citer un à un plus tard.

Un premier  interrogatoire

Le président, par le truchement de l'interprète, procède alors  à l’interrogatoire des trois accusés.

Ce premier interrogatoire roule suit le curriculum vitae familial, scolaire, militaire et travailleur, de Laignel, Bihoreau et Philippe.

Tous les trois sont d'origine modeste et n'ont jamais été condamnés,

Ce que dit Bihoreau

Le tribunal commence ensuite à interroger Bihoreau sur les faits mêmes qui lui sont reprochés.

L'accusé raconte dans quelles conditions, le soir du 6 juin, arriva à la prison de Lisieux, une voiture cellulaire amenant des prisonniers civils.

-  Vous avait-on dit quels étaient ces prisonniers ?

Non. On disait seulement partout :  "Ce sont des espions." On me donna l'ordre de les faire  descendre  un par un, pour qu'ils ne parlent pas entre- eux. Au sous-sol, on les fit déshabiller, comme le règlement le veut.

- Complètement ?

-  Oui. On fait cela pour savoir ce qu'ils ont sur eux.

- Et après ?

- Une fois la fouille terminée, les prisonniers se rhabillaient et étaient conduits en cellule.

- C'est à ce moment que vous avez frappé des prisonniers ?

- Oui, j'en ai frappé un, je lui ai donné une claque parce qu'il ne voulait pas se déshabiller.

- Vous avez frappé brutalement?

- Non,  avec la main à plat, sur le nez, ce qui provoqua un saignement.

- Pourquoi avez-vous frappé ? C'est une habitude chez vous ?.

 - Non, monsieur.

- Alors, pourquoi ?

-  J'étais énervé, nous avions la tête montée par les nouvelles contre les Allemands, contre les espions.

- Les témoins disent que vous avez encore donné des coups de poing, lors de leur départ ?

- Non. Nous les avons remis aux gendarmes: je ne sais pas ce qu’ils ont fait.

Les prisonniers à Caen

C'est au tour de Laignel, gardien à Caen, de se défendre. Dans le procès-verbal de la Police secrète, il avait avoué avoir donné un coup de poing à un détenu.

Il le nie maintenant: Laignel finira par dire qu'il a donné une  poussée brusque.

- Pourquoi avez-vous fait cela ?

- On nous avait dit que ces prisonniers étaient dangereux.

- Pourquoi ?

- On nous disait que c'étaient des espions.

- N'avez-vous pas donné des  coups de poing à l'Allemand Rothë ?

- Non.

- Pourtant, M. Degrelle vous  a vu !

- Ce n'est pas possible.

- D'après les indications des témoins, vous vous êtes montré uns brute !

- J'avais la tête montée  (Les trois accusés invoqueront tous les trois cette excuse).

- Quand la voiture est arrivée à Caen, saviez-vous qui elle  contenait ? demande le tribunal à Laignel.              

- Non. On nous avait seulement dit que c'était des « suspects ».

- Des  suspects de quoi ?

- Suspects d'espionnage...

- Saviez-vous que M. Degrelle se trouvait parmi les prisonniers?

- Je ne l'ai su que par la suite

On veut savoir à ce moment si Laignel savait que c'était M. Degrelle qu'il alla frapper dans sa cellule. Laignel le nie.

- Pourquoi êtres-vous  entré dans cette cellule ?

- Parce que le prisonnier frappait sur les murs, pour téléphoner aux autres.

- Je lui ai donné deux ou trois gifles.

- M. Degrelle vous accuse de lui avoir donné des coups de pied et des coups de poing.

- C'est faux.

L'interrogatoire de Philippe

- Vous rappelez- vous de l'arrivée de Degrelle à la prison di Caen ?

- Non, il arrivait des prisonniers tous les jours.

- Comment avez-vous appris qu'il était là ?

- On en a parlé. On a dit qu'il venait d'Evreux.

- Comment savait-on qu'il était à Evreux ?

- Les journaux  l'avaient dit.

- Que savait-on ici de Degrelle ?

- Qu'il était chef d'un mouvement en Belgique, et qu'il était député

 Philipe est entré, lui aussi, dans la cellule de M. Degrelle pour le frapper.

- Je ne lui ai donné que deux ou trois claques sur le cou et sur les épaules,

- Vous avez avec la main ouverte, ou n'avez-vous pas employé une clé ?

- Non, J'avais mes clés dans ma poche.

A la suite de cela, Philippe était sorti pour se faire relever par Laignel, et lui dit : « Je crois que c'est Degrelle qui est là. »

Alors, Laignel savait

Mais Laignel nie...

Le tribunal interroge le dernier accusé sur l'état d'esprit de la prison et de la population. Philippe répète les deux autres.

La déposition de M. Degrelle

Le jeune chef rexiste est appelé et se présente simplement à la barre.

Il adopte tout de suite l'attitude familière qu'on lui connaissait dans les réunions où il prenait la parole en son Pays.

Dans un français très pur, sans nervosité, sans acrimonie. Il relate, tout au long le martyre qu'il subit depuis son arrestation.

"J'ai été arrêté le 10 mai 1940 à Bruxelles, à 6 heures 30 du matin par les autorités belges.

j'ai été transporté au Palais de Justice de Bruxelles. Incarcéré à la prison de Forêt.

J'ai été arrêté sans aucun motif, sans mandat d'arrêt. On ne m'a pas dit qu'on m'arrêtait. On m'avait seulement dit qu'on me demandait de venir me mettre à la disposition les autorités.

D'ailleurs, il était interdit  de m’arrêter puisque j'étais député belge.

De la prison de Forêt, où j'ai été mis au secret jusqu'au lundi 13 mai, on m'a conduit à la prison de Bruges. Le 15 mal, on nous a conduits en France. Nous sommes arrivés à la frontière près de Dunkerque.

C'est là que j'ai été arraché hors du camion qui nous transportait par des militaires français."

- Aviez-vous été maltraité ?

- Non, je n'avais pas été maltraité. C'est à partir de ce moment que j'ai été traité très durement. J'ai eu les pieds et les mains liés avec des cordes.

J'ai donc été arraché hors du camion par un capitaine français. On avait fait venir diverses personnalités, notamment le sous-préfet, dans la cour de la caserne.

A ce moment déjà, j’ai été traité très durement par les Français, insulté, menacé de mort.

Lorsque j'ai été arraché de ce camion, j'ai été conduit dans un petit bureau de la caserne. Un capitaine français s'est jeté sur moi pour me battre, en m'annonçant qu’il voulait me tuer.

Il a arraché à un gendarme belge un revolver et me l'a placé sur la poitrine. Puis il a jeté le revolver par terre en criant : "Je ne veux pas salir mon bureau avec un salaud comme toi". Il a donc dit qu’on allait me fusiller.

On m'a fait sortir avec un peloton et on m'avait lié les mains derrière le corps, on avait ouvert ma chemise et on m'a fait sortir, je croyais que j'allais être fusillé tout de suite.

- Pour, quelle raison étiez-vous traité ainsi ?

- Comme « 5e colonne «. Il n'y a jamais eu d'autre motif, pour l'excellente raison qu'il ne pouvait pas y en avoir.

J'ai demandé à écrire un petit mot pour mes enfants.           

 L'officier m’a répondu : « Si tes quatre gosses étaient là, je les tuerais tous les quatre. »

Cet officier m'a frappé avec une telle violence, qu'il s'est fait sauter  le poignet. Quand, à Lille, je suis passé devant le Conseil de guerre il avait le bras en écharpe.

Je suis donc sorti, m'attendant à être fusillé. Je suis passé devant mes camarades de prison de Bruges, qui étaient restés dans les trois camions. De tous les côtés, les soldats me jetaient des coups.

J'ai été conduit de l'autre côté d'une grande muraille, où des soldats tiraient des coups de fusil. C'est comme cela qu'on a cru à ce moment que j'étais fusillé, mais on devait m'enfermer dans un petit cachot. J'avais toujours les mains liées derrière le dos et on m'avait également attaché les pieds. Je ne pouvais donc plus bouger.

On a fermé le cachot à clef. Un moment après, des soldats ont essayé d'enfoncer la cloison pour venir me chercher. J'étais arc-bouté contre celle-ci, afin qu'elle ne casse pas.

Tous les soldats étaient particulièrement furieux, parce que la Hollande venait de capituler.

Puis le capitaine et des soldats sont venus me chercher, pour me faire monter dans un camion, à ce moment un soldat a crié : "Il faut lui tirer une balle dans la panse."  Le capitaine a répondu  « C’est douze balles qu'il devrait avoir dans la panse. »

Là encore. J'ai cru de nouveau qu'on allait me fusiller : en effet, lorsque nous sommes arrivés hors de la ville, on m'a fait descendre, le capitaine lui-même m'a bandé les yeux.

Je suis resté pendant une heure, attendant toujours être fusillé. On m'a fait remonter, toujours avec les veux bandés, les soldats avaient leur fusil en bandoulière.

Après un certain temps, on m'a fait descendre de nouveau, j'avais toujours les yeux bandés, je croyais toujours que j'allais y rester, et c'est alors qu'on m'a retiré le bandeau.  Il y avait en face de moi un officier supérieur français.

- C'était dans quelle ville ?

- Je ne savais pas à ce moment. J'ai eu après que c'était la citadelle de Lille.

Cet officier a dit : « On ne va pas te tuer comme cela, il faut d'abord que tu vides ton sac. »

De Lille à Rouen et à Evreux

M. Degrelle développe ensuite le récit de son départ de la citadelle de Lille pour le cachot de Loos, d'où il rapporte le souvenir de tortures inimaginables infligées aux prisonniers (cachot, coups, mauvais traitements les plus sauvages).

Puis ce fut la grande débandade. Il reprit la route dans une voiture cellulaire : comme on disait partout qu'il s'y trouvait, les soldats et les fuyards, poussaient partout des cris hostiles, voulaient renverser la voiture, y mettre le feu.

Il rapporte d'auprès d'Abbeville le récit d'une bataille et d'une tuerie à coups de baïonnette, de 30 autres détenus : hommes, femmes et vieillards. qui avaient été arrêtés pour des motifs inexistants : parce que ne parlant pas très bien le français, par exemple.

Enfin, j'arrivai à Rouen, sans manger, toujours insulté et maltraité, moi et mes compagnons. A Rouen, on me fit descendre pour m'insulter devant tout le monde, et je fus ensuite mis au secret pendant dix jours.

Le 20 mai, je, fus de nouveau remis en voiture cellulaire et emmené à Evreux, où l'on me mit en cellule à côté d'une autre où il y avait trois condamnés à mort, je devais rester à Evreux jusqu'au 10 juin.

A Evreux, je n'ai jamais été battu. Il y a eu une visite du directeur. Rien d'autre.

J'étais au secret complet, je n'ai jamais vu personne.

Seulement, à Evreux, j'ai demandé à pouvoir jouir des droits de l'accusé, à pouvoir demander un avocat: on n'a pas voulu ; à pouvoir écrire parce que je ne savais pas où pouvaient être ma femme et mes enfants : on n'a pas voulu ; j'ai demandé à écrire au ministre de la Justice français : on n'a pas voulu. « Toute la guerre, j'ai été enterré ».

Le vendredi 7 juin, les avions allemands sont arrivés. C'était pour nous le signal de l'arrivée des troupes allemandes. On savait que deux jours après on partait. Pendant ces deux jours, ça a été un bombardement terrible de la ville. Tout sautait autour de la prison. Les gardiens disaient qu'il n'y aurait pas de bombes sur la prison, parce qu'Hitler savait que je m'y trouvais.

Le lundi 10 juin, il n'y avait plus d'eau, et on nous a dit que le morceau de pain que nous avions était le dernier, qu'il n'y en aurait plus.

Vers midi, quand je me disais que les Allemands allaient arriver les gendarmes ont enfoncé la porte ; on m’a emmené ficelé et mis dans un camion où déjà 15 ou 16 autres prisonniers se trouvaient. J'avais reconnu parmi ceux-ci un ancien député rexiste de Belgique. M. Woins (je ne savais pas pourquoi on l'avait arrêté). En partant d'Evreux, on n'a pas voulu nous redonner ce qu'on nous avait pris en effet, en arrivant dans cette ville, on m'avait arraché mes vêtements. Il ne me restait plus qu'une culotte et même pas de chaussures. C'est vêtu de cette culotte qu'on m'a emmené en camion.

Sur la route, nous avons été bombardés. Les gendarmes se sauvaient dans les champs, mais nous autres qui étions attachés, nous ne pouvions bouger.

Arrivée à Lisieux

Nous sommes arrivés à la prison de Lisieux. C'était le 10 juin au soir, vers 7 ou 8 heures. Il y avait ce qu'on appelle en France, je crois, le surveillant-chef, deux surveillants et une femme.

On nous a alignés le long du mur. Tous criaient contre nous. Un des gardiens cria : «  Ceux là c'est un obus qu'Il leur faut ».

- Est-cc que vous étiez connu?

- Chaque fois qu'on m'a amena dans une prison, c'était comme un petit coup de théâtre.

- Est-ce que votre nom était toujours mentionné ?   

- On appelait le convoi "la bande à Degrelle". Tous les gendarmes venaient me regarder.

On nous a tous fait descendre l’un après l'autre dans une espèce de grande cave. Je suis descendu là le dernier. On nous arrachait nos vêtements. Il y avait parterre une mare de sang, le gardien m'a dit : « Jette tes affaires là-dedans, c'est du sang de boche.»

- Avez-vous vu frapper un prisonnier ?

- Non, lorsque j'étais encore en haut, j'entendais les cris, mais je ne voyais pas. Ce n'est que le lendemain que j'ai vu Bihoreau battre Rothë. La seule chose que j'aie vue, c'était cette tache de sang par terre. On nous a enfermés dans des cellules. J'étais toujours le dernier. Nous avons été enfermés sans avoir rien à manger. Nous étions donc sans nourriture depuis le matin.  Le cachot était infecte, on n'avait pas vidé les excréments.

Le mardi 11, tous les prisonniers avaient très faim. A 5 heures du matin, on nous a fait descendre dans la cave. J'avais Rothë à ma droite. Je l'avais vu en venant d'Evreux à Lisieux. Il m'avait enthousiasmé par son courage. Car de temps à autre, on demandait notre nationalité et Rothë répondait: "Je suis Allemand"

Dans la prison, les gendarmes lui avaient demandé sa nationalité et c'est à ce moment que ce monsieur s'est lancé sur Rothë. (Il désigne Bihoreau). C'était le deuxième jour, dans la cave, vers 5 heures.

Et enfin, Caen

Puis nous sommes arrivés à Caen, c'était le mardi 11 juin. On nous a conduits à la prison, une prison avec un grand mur circulaire (Maison d'arrêt). 

Là encore, mon nom avait fait scandale, on m'a fait rester le dernier. On m'a emmené devant la porte d'une cellule. Là, le gardien m'a fait complètement déshabiller dans un corridor. Il a fait venir tous les gendarmes pour me voir.

- C'était quel gardien ?

- Il suffit de savoir qui était de service le mardi 11 juin.

(On demande alors à Léon De­grelle s'il reconnaît ce gardien en la personne de Laignel ou Philippe). Il répond  "je ne le reconnais pas".

Devant tous les gendarmes, il m'obligeait à me tourner. C'était un vrai spectacle.

Quand il a estimé que c'était fini, il m'a poussé à l'intérieur d'un cachot, toujours complétement nu.

Je suis resté du mardi 11 juin jusqu'au vendredi 14 juin au matin.

- Vous rappelez-vous le numéro de votre cellule ?

-  Non c'était au rez-de-chaussée gauche, peut-être la 6e ou la 7e porte.

Les gardiens de la prison de Caen, sont les brutes les plus énormes que j'aie vues de tout mon séjour dans les prisons. Ils étaient d'une sévérité terrible pour les Français comme pour tout le monde, parce qu'il y avait des soldats français. C'était un spectacle très pénible. C'étaient tous des soldats en déroute qu'on arrêtait parce qu'ils se sauvaient.

Dans la nuit du 13 au 14, c'est cette nuit-là que j'ai été battu par Laignel vers 11 heures du soir, j'ai entendu de gros sabots descendre l'escalier. A 1'autre interrogatoire l'accusé a prétendu qu'il n'avait pas de sabots, je maintiens qu'il avait des sabots. J'ai été réveillé par le bruit des sabots et s'il n'en avait pas eu, je ne me serais jamais réveillé. Il est arrivé tout droit à ma cellule, il n'a cherché  nulle part ailleurs. Il a ouvert, il est arrivé prés de l'endroit où j'étais étendu, tandis qu'un deuxième homme restait à la porte.

Il a commencé à crier :

- "Tu fais du téléphone."

- Je ne savais même pas ce que cela voulait dire. (Cela voulait dire frapper pour avertir un autre prisonnier). Je ne fais rien, je dors.

- Répète encore que tu ne faisais rien.

Alors, on a commencé à me frapper de coups fantastiques de tous les côtés. Il avait les manches de sa chemise relevées. Il avait, je crois, un petit gilet qui permettait de voir sa chemise, comme s'il avait été couché et venait de se lever.

Ce qui m'a prouvé qu'il me voulait quelque chose, c'est qu'il m'a dit : « Tu ne sortiras pas d'ici vi­vant ».

Il me frappait tellement fort, que je ne bougeais pas, afin de ne recevoir que d'un seul côté, et c'est comme cela que tous les coups, je les ai eus du côté gauche.

Il s'est mis à me donner des coups de sabots. L'autre gardien n'avait pas bougé, Il restait à la porte. Mais Laignel voulait absolument que je me lève pour que je me batte. Il me criait : « Lève-toi donc si tu es un homme ». L'autre, évidemment, n'attendait que pour taper si j'avais bougé. Je n'ai pas bougé, je n'ai rien dit. Et au bout d'un moment, il a bien vu que je ne bougerais pas, il est parti. Pendant toute la nuit, il est revenu. J'avais la tête complète­ment assommée, le côté gauche tout bleu ; même à la fin de la guerre, j'avais encore les traces.

Lorsque j'ai été libéré, je souffrais des dents, on a dû me soigner, on m'a enlevé les nerfs.

- Est-ce que c'était dû aux mauvais traitements que vous avez reçus à Caen ?

- Oui, mais tout de même, je ne veux pas trop accuser cet homme, j'ai aussi été beaucoup frappé à Dunkerque. Je crois que tous les, deux ont collaboré.

Pendant toute la nuit, il est revenu me voir ; à l'interrogatoire, l'accusé l'a nié, mais je le maintiens de la façon la plus absolue. J'étais comme mort. J'ai fait toute la nuit comme si j'étais évanoui ; quand il venait voir au-dessus de ma tête, je ne bougeais pas : il est évident qu'il aurait recommencé.

Au cours de sa déposition, M. Degrelle est contredit par Bihoreau, quand il assure avoir vu le gardien frapper Rothë, à Lisieux. Mais le témoin est formel dans le maintien de son accusation, sur la­quelle il donne d'ailleurs de grandes précisions.

Le témoignage de M. Rothë

Le leader rexiste est remplacé à la barre par M. Rothë. Celui-ci s'exprime en allemand. Il relate toute sa lamentable odyssée. On sait que son témoignage concorde avec celui de M. Degrelle. Sa déposition demande beaucoup moins de temps car le tribunal, n'a pas besoin d'interprète.         

Les autres témoins

L'audience, suspendue à 13 h. 50 reprend à 15 heures, peur l'audition des derniers témoins.

Celle-ci est rapide. On entend tour à tour M. René Néel, surveillant-chef à Lisieux ; M. Lion, surveillant-chef à Caen ; M. Marteau gardien ; M. Abadie, surveillant-chef ; M. Bessière, sous-directeur.

Ces témoins permettent au tribunal de se faire une certitude sur l'affaire.

Le réquisitoire   

L'officier chargé du réquisitoire le fera avec sévérité. Mais celle-ci sera tempérée par l'évocation de circonstances atténuantes.

Il présentera, en effet, les trois hommes à juger comme ayant certes agi en criminels,  mais aussi comme étant les victimes de gens beaucoup plus coupables, qui, depuis des années et des années ont précipité la France dans un précipice horrible, dont on a vu le fond pendant ces périodes terribles du mois de Juin.

Le verdict

Le tribunal fait connaitre le réquisitoire aux accusés et leur demande ce qu'ils ont à ajouter pour leur défense.

Tous les trois expriment des regrets et exposent leur situation de famille.

Puis le tribunal se retire une heure pour délibérer. Il reviendra à 18 heures, avec le verdict suivant :

 Bihoreau, ayant été le plus brutal fera 3 ans de prison.

Laignel fera deux ans et demi

et Philippe, deux ans.

Leurs quatre mois de détention préventive seront à déduire.

A la fin de cet article, il nous faut rendre hommage à la clarté, à la précision et à la rapidité avec laquelle le lieutenant Hisschmann, interprète officiel, membre de la Feldkommandantur traduisit les débats. Parlant plusieurs langues avec une facilité qui tient du  prodige, jl rendit un service immense au tribunal et à l'auditoire en présentant questions et réponses avec une compréhension totale de leur sens, dans les nuances les plus délicates.

 

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