RESISTANCE

 

 

Témoignage de M. Georges Gallet, lieutenant de réserve, ingénieur électromécanicien

 

 

Georges Gallet, 35 ans en 1940, chef d'atelier - Organisation : Armée des Volontaires ; OCM - Domicile : Caen.

Avril 1941 - Ayant demandé à plusieurs reprises à être affecté à un groupe de résistance, demande que j'ai formulée par l'intermédiaire de M. Dauty, chirurgien-dentiste, place Saint-Sauveur à Caen, chez qui se réunissaient plusieurs chefs de la Résistance, il m'a été répondu, à cette époque, qu'étant ingénieur électromécanicien et chef des ateliers Lavalette-Bosch à Caen, j'étais bien placé pour organiser le sabotage du matériel allemand, et que l'on me confiait cette tâche.

 

Mai 1941 - J'ai constitué un groupe de sabotage aux ateliers électromécaniques Lavalette-Bosch de Caen, puis j'ai étendu notre groupe aux établissements Renault et Citroën, et à divers ateliers, tels que ceux du parc d'aviation de Carpiquet.

 

Source, photo de gauche, photo de droite. A gauche le garage Renault, place du 36e RI; le garage Citroën est à droite hors cadre.

 

Le sabotage s'est étendu par la suite aux moteurs électriques des bétonneuses de la côte; or, la réparation de celles-ci nous étant confiée, le sabotage s'effectua de telle façon que les moteurs fonctionnaient à vide (essais en atelier), mais les rotors de ceux-ci étant rectifiés avec des passes au tour allant jusqu'à 5 mm, les moteurs n'avaient aucune puissance en charge par suite du glissement rotorique.

 

Le groupe électrogène de Carpiquet servant au balisage du terrain pour les vols de nuit a été détérioré par moi-même et M. Maho. Ce groupe de 120 cv a été entièrement grillé par court-circuitage en atelier, puis remonté, puis redémonté devant un officier allemand pour lui faire constater les dégâts. J'ai pu faire accepter par l'ingénieur allemand qu'il s'agissait d'une mauvaise surveillance et non d'un sabotage (car je crois que j'avais été un peu loin pour la sécurité de mon groupe). Pour ce fait, l'adjudant et quatre soldats de surveillance au groupe électrogène ont été envoyés en Russie par punition. Le résultat fut que pendant près de deux mois, le terrain d'aviation de Carpiquet a dû interrompre ses vols de nuit par manque de balisage. Je ne puis d'ailleurs rapporter ici tous les ennuis que ce groupe électrogène m'a créés.

 

La répartition des pompes d'injection (Diesel) de tout le département nous était confiée par l'intermédiaire de la H.K.P.(1), sise rue du 11 novembre à Caen.

 

Source. Place du 36e RI. Voir la pancarte Heeeres Kraftfahr Park 50? (peut être 503) Aussenstelle (Antenne, succursale), la rue du 11 novembre est derrière avec le Monument aux morts de la guerre 14-18 en arrière plan.

 

Ces pompes d'injection étaient systématiquement réparées avec de vieilles pièces et les caractéristiques changées à tel point qu'à la livraison, elles fonctionnaient au banc d'essai pour un type de véhicule donné, mais qui ne correspondait jamais au véhicule auquel cette pompe était destinée; et, comme presque toutes les mises au point des véhicules se faisaient à notre établissement, c'est donc de deux à trois mois d'immobilisation que nous provoquions avant de donner une satisfaction bien médiocre, et le cycle recommençait par un autre garage.

 

Les pièces neuves commandées par l'armée allemande avec des bons de la H.K.P. allaient aux civils et les vieilles, celles des civils, aux Allemands. J'ai pu opérer de cette façon, car je tenais moi-même la comptabilité des ateliers, ce qui était indispensable. Nous avons pu, entre autres, immobiliser à Caen, au moment du coup de main sur Dieppe(2), un groupe de chars Tigre, qui nous avait remis ses pompes d'injection pour vérification, par l'intermédiaire des établissements Citroën à Caen. Or, j'ai personnellement démonté les plaques de caractéristiques de ces pompes pour les remplacer par des plaques appartenant à des pompes de camions de chez Renault. Le résultat fut qu'il y eut un tel mélange dans ·les pompes que les chars ne fonctionnaient plus, de même que les camions de chez Renault. De tels procédés étaient très dangereux pour mon groupe et j'en prenais la seule responsabilité. En résumé, je ne peux rendre compte de tous les dégâts qui ont été exécutés par notre groupe, mais ils furent considérables pendant quatre ans.

 

Ils peuvent s'évaluer de 5 000 à 6 000 machines, dynamos, démarreurs, pompes d'injection et divers appareils; 150 à 200 moteurs électriques; 8 groupes électrogènes de différents types; 600 à 800 moteurs de véhicules.

 

Notre but était de détériorer le plus possible pour provoquer l'immobilisation par long délai, car il fallait malgré tout réparer un jour ou l'autre, ou bien remplacer les machines détruites.

 

Le groupe était composé comme suit :

Lieutenant Georges Gallet, chef de sabotage à Caen. Etablissements Lavalette-Bosch à Caen: MM. Ringenback, Maho, Madec, Roberge, Boucrel, Mellenne (Roger Mellenne, 23 ans en 1940, ouvrier (aux établissements Bosch Lavalette) - Organisation : Isolé - Domicile : Bayeux. Il est arrêté le 8 avril 1943 pour détention d'armes et propagande gaulliste. Interné à Caen, puis à  Compiègne, il est déporté à  Buchenwald le 17 septembre 1943. Il est transféré à Dora puis évacué vers Ravensbrück. Emmené à  nouveau sur les routes, il s'évade le 20 avril 1945 à  Wittenberg.), Hébert, Leseigneur.

Établissements Citroën: M. Marie, électricien, et plusieurs ouvriers.

Établissements Renault: M. Blot, électricien, et plusieurs ouvriers.

Garage Morel : M. Cornet.

Ateliers de Carpiquet: MM. Baila et Lahorgue et plusieurs ouvriers.

Travaux de la Côte: Un Alsacien du nom de ? disparu.

1. Heeres-Kraftfahr-Park: Unités techniques allemandes, dont le travail consistait à réparer les véhicules militaires endommagés sur le front.

2. Le débarquement de Dieppe eut lieu le 19 at 1942 et fut un échec.

 

Note du correspondant départemental de la Commission d'histoire de l'Occupation et de la Libération relative au témoignage de M. Gallet

On sera peut-être incrédule devant l'ampleur du travail de sabotage dont M. Gallet revendique la paternité.

Je n'ai aucun moyen de contrôler la véracité de ce témoignage. Toutefois, j'ai rencontré à plusieurs reprises le Lieutenant Gallet, en 1945, à l'EASM de Caen, où il était alors affecté. Il n'a rien d'un hâbleur et ne faisait pas volontiers état de ces actes de résistance.

La commission départementale d'homologation FFI qui, dans le Calvados, a fait preuve de beaucoup de sagesse, a homologué les services du lieutenant Gallet. Celui-ci a, par ailleurs, été l'objet d'une citation à l'ordre de la division, en date du 18 mars 1947, signée du général Préaud, commandant la IIIe gion militaire.

 

Source: pages 134 à 136 de ce livre .

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