ON SENTAIT LA GRACE DE DIEU QUI PASSAIT...ET LA MORT QUI FAUCHAIT

Madame DENQUIN, une Caennaise comme tant d'autres qui tremble et espère.

(Témoignage déposé au Mémorial de la Paix à Caen).

8 juin               La nuit a été plus calme, nous avons pu reposer un peu assis sur les bancs, il faut se gêner et faire place à tout le monde, il y a quelques matelas pour les enfants, les vieillards sont montés au 2e étage, et l' infirmerie au 1er. Comme j'ai été bien inspirée mardi en empêchant Anne d'aller voir ses patrons, sa patronne a été tuée, leur maison démolie. Que je remercie Dieu de m'avoir inspirée et de l'avoir gardée près de moi. Presque tout ce quartier est démoli.

9 juin               Très mauvaise nuit, les obus de marine n'ont pas cessé de tirer, et le clocher de St-Pierre est démoli.

                       

Source. Le 9 juin à 02H00, l'église Saint-Pierre n'a plus de flèche. Chez Allison collection.

 Mon Dieu, on se demande si cela va finir, on attend toujours l'arrivée des Anglais. Tout brûle partout. Nous avons la permission de sortir un peu du Lycée, mais tant pis s'il nous arrive quoi que ce soit, mais j'ai hâte d'aller faire un tour à la maison, puis, je me demande aussi ce que sont devenus les LEGAL et la famille RAULT, avec qui nous étions à fêter la communion de Michel. Que sont-ils devenus ?

10 juin            Je suis sortie tantôt, sans dire à Anne, qui certainement m'en eut empêchée ; je suis allée seule boulevard des Alliés. Mon Dieu, j'ai cru me trouver mal. Quel spectacle. Jamais je n'oublierai cette vue, tout en feu partout des deux côtés, mes jambes tremblaient je me demande comment je suis rentrée au Lycée. Notre maison tient, mais aucune serrure ne ferme, entre qui veut. Cette nuit, nous avons eu l'absolution générale, notre vicaire passant dans l'abri, nous dit de nous recueillir, mais ne voulant faire pression sur personne, que nous étions tous les uns et les autres en grand danger, car les bombes pouvaient tomber sur le Lycée, malgré la Croix Rouge sur le toit et les drapeaux blancs.

Captures d'écran de ce film, la façade du Lycée Malherbe avec deux "Croix Rouges"

 

 

 

 

 

Photo allemande, photographe Arthur Grimm, date: juin 1944,  voir la croix rouge sur le toit et le peinture d'une croix rouge dans un carré blanc sur des tôles ondulées dans la cour du Lycée Malherbe.

Citation  de Joseph Poirier (document daté du 8 décembre 1944)

"Le 10 juin, On peint sur le Lycée Malherbe, sur les bâtiments du Bon-Sauveur, sur le Lycée de filles, d'immenses croix rouges. Avec des tôles peintes au minium, avec des chiffons écarlates, avec des cartes de géographie découpées, on en fait d'autres au sol."

 

 

 

 Ce fut une minute émouvante, on sentait la grâce de Dieu qui passait et aussi peut-être la mort qui faucherait quelqu'un de ceux qui étaient là, aussi avec quel recueillement on a reçu cette absolution. Pendant ce temps, les obus ne cessent de tomber sur Caen. Les uns leur chapelet autour du cou, d'autres dans leurs mains, le respect humain est mis de côté.

11 juin             Triste nuit des obus tombent sans cesse dans la cour d'honneur du Lycée, tuant plusieurs personnes et en blessant d'autres - on nous interdit de sortir, pourtant je me prépare à faire un tour à la maison, puis aujourd'hui ce doit être la Fête-Dieu. Notre Eglise est pleine de réfugiés de la rue St-Jean. La messe a été dite et notre Curé nous donne l'absolution générale et communion.

16 juin             M. le Curé de St-Etienne a voulu quand même faire une fête du Sacré-Cœur, avec quelle ferveur nous avons prié et imploré Celui qui peut tout, de nous délivrer de nos misères.

19 juin             Hier, Anne, Fernand et Paul sont partis pour Louvigny (Note de MLQ: à 5 km au Sud-ouest de Caen) que j'ai été inquiète tout l'après-midi, ils ont du faire une tombe pour un Boche, étant pris d'office, et il n'y a rien à dire, il faut le faire. Nous sommes toujours nourris au lycée, le pain manque, nous sommes paraît-il 20 000 à nourrir et coucher, comment nous avons réussi à trouver quelques matelas bien sales, mais nous les gardons quand même ; car toujours assis sur nos bancs, nous avons les reins brisés. Papa travaille toujours un des premiers, ne prenant pas de repos ; il veut coucher dans la cave chez nous, s'il arrive une bombe qui démolit la maison où le chercher. Que je suis ennuyée de le savoir parti.

20 juin            Anne et Fernand font les démarches pour se marier, pauvres enfants ; ils méritaient mieux que cela, mais c'est plus prudent; nous pouvons nous perdre en évacuant, puisqu'il va falloir le faire, le préfet devient méchant paraît-il, et va obliger à quitter le lycée. Dans quel état nous sommes; je crois que nous n'avons plus de figures humaines, on se regarde les uns et les autres.

9 juillet           2 h après-midi - dimanche: 1'Eglise est pleine de monde, tous plus recueillis on sentait notre libération approcher, on disait que les Anglais étaient rue Caponière ; on n'y croyait plus. Enfin, défense de sortir depuis ce matin ; la dernière vision que j'ai des Allemands ils sont sous les marronniers en face du lycée avec leurs canons. Je revenais de la maison quand un chef d'abri me crie : "Rentrez de suite, défense de sortir". Je me demande pourquoi cet ordre il n'y a plus personne non plus sur la place. Je cours donc à l'abri et un moment après on entend des crépitements, des balles sifflaient ; enfin, vers 1 h on crie les voilà, on ne tient plus en place, les plus jeunes, malgré la défense faite de ne pas sortir, passent par dessus les grilles pour pouvoir arriver plus vite pourvoir nos libérateurs de plus près. Je cherche Paul, en vain autour de moi, le demande, personne le connaît, tout d'un coup on entend retentir des cris clamant la Marseillaise, sur la place du Lycée on hissait le drapeau tricolore.

 

Photo collection Jean-Pierre Benamou avec son aimable autorisation

Préparation de la cérémonie du 9 juillet vers 18H00 sur la place du Lycée, à gauche le portail d'entrée de Saint-Etienne

Photos prises du balcon du Parloir du Lycée Malherbe (voir photo ci-dessous) A droite photo Roger Tesnière.

Photo collection Jean-Pierre Benamou avec son aimable autorisation  Remarquez le drapeau à mi mât

Voir à la fin de ce film la cérémonie

 Paul y était et vient me raconter que comme ses camarades, il était parti à la rencontre des Canadiens, et que ce fut émouvant, les couvrant de fleurs sur leurs chars. Après, nous sommes allés à l'église, un salut fut donné pour remercier Dieu de nous avoir rendu la liberté. Nous avons eu ensuite la visite dans les abris de Jean MARIN , (celui qui s'appelle Yves MORVAN) il nous a serré la main et nous a dit quelques mots. Après, nous voyons des Canadiens qui sont heureux de nous avoir délivrés. Nous pensons maintenant être tranquilles.

 

 

Témoignage paru en juin 1994 dans la brochure

                                                                        ECLATS DE MEMOIRE

TEMOIGNAGES INEDITS SUR LA BATAILLE DE CAEN
recueillis et présentés

par Bernard GOULEY et Estelle de COURCY
par la Paroisse Saint-Etienne-de-Caen
et l’Association des Amis de l'Abbatiale Saint-Etienne

 Reproduit avec leur aimable autorisation

RETOUR LISTE DES TEMOIGNAGES