DEUX MOIS VECUS DANS LES CARRIERES FOUQUET DE FLEURY-SUR-ORNE

                  Mme Baille, née Simone Pernelle, domiciliée à Fleury sur Orne, élève à l'école d'auxiliaire de puériculture à la pouponnière de Caen.                                         

 

 

            Il y a bientôt 40 ans, nous attendions avec impatience ce jour dont nous ignorions la date. Le 6 juin au matin, après une nuit d'angoisse, au loin, des bombardements, un ronronnement continuel d'avions, la D. C. A. allemande.

            Quoi faire ?

- Restons-nous chez nous ?

- Où aller ?

- Dans les Carrières, nous disent les voisins.

Ah ! non ! j'aurais peur dans ce noir. Et pourtant en début d'après-midi, nous avons groupé le plus de matériel possible, couvertures, ravitaillement, et dès le 6 juin au soir, nous étions nombreux à élire domicile dans les Carrières des Docks Fouquet.

 

Lit de paille, lampes à carbure et nous voici rangés comme des sardines sur le sol humide avec un plafond gouttant l'eau sans arrêt. C'était le Débarquement.

            Le lendemain, plus question de remonter dans nos maisons, le danger était de plus en plus grand.

            L'organisation s'est faite dans les Carrières car le monde affluait sans arrêt, venant de CAEN et des alentours.

            Georges Fouquet et ses amis « Les Gars de Valognes » restés bloqués avec nous, se sont mis en action pour aider la population. Notre première installation était dans la Carrière que l'on appelle « La Tirée », celle la plus proche de l'usine Fouquet.

Réfugiés dans une tirée

 

            Devant donc entrer à l'Ecole d'Infirmières en septembre 1944,

 - Tu es infirmière, me dit-on ?

- Non, je vais entrer comme élève-infirmière.

- Tant pis, tu prends un poste et tu feras au mieux soins et piqûres.

             Me voici donc à la tête d'une pharmacie improvisée avec les moyens du bord. Pas de stérilisation possible, l'on passait tout à l'alcool. Des besoins plus importants se faisaient sentir dans les Carrières qui donnent sur les Coteaux de Fleury. Nous avons déménagé pour aller dans la Carrière 5 ou 6, je ne me souviens plus exactement.

            Maman avait descendu sa cuisinière dans le fond de la Carrière, et nous faisions la cuisine pour de nombreuses personnes. Les Gars de Valognes avec le Père Faudet et le Père Prigent allaient débiter les animaux tués dans la campagne, et au péril de leur vie les ramenaient car il fallait essayer de donner à manger à tout le monde. Des dévoués allaient traire les vaches encore en vie et le lait était distribué à ceux qui en avaient le plus besoin.

            Me voici à la tête d'une Infirmerie !!! - Quelle Infirmerie ! Placée dans une entrée pour avoir la lumière du jour. II ne fallait pas être difficile pour « l'asepsie ».

            Un soir, je me dis : « Tant pis pour la lumière »,je déménage pour m'installer plus au fond car les obus entraient dans la Carrière. Le lendemain matin, à l'emplacement de mon Infirmerie, il y avait un Allemand, tué !

            Mes malades étaient couchés en rang d'oignon sur la paille, on faisait les lits avec une fourche. Dans ce monde, il y avait un couple d'aveugles avec une nouvelle née de 15 jours, inutile de dire quel problème pour s'occuper de ce bébé. Chaque jour, la vie s'organisait avec les moyens du moment.

            Bien sûr, il y avait des personnes qui mouraient. Un jour, ce fut un pauvre homme de 70 ans, rempli de poux ; nous l'avons enseveli comme tous dans du papier blanc et sur ce papier s'enfuyaient les poux qui parait-il, ne restent pas sur les cadavres. Tous ces morts étaient enterrés dans la Carrière. Ceux qui creusaient les tombes avaient un mal inouï. 47 furent enterrés au total.

            Personne ne pouvait dire combien de temps durerait cette vie souterraine.

            Le 14 juillet, les Allemands décidèrent de faire évacuer les réfugiés civils qui restaient dans « La Tirée », pour s'y installer avec leur matériel. Pour cela, ils firent partir cette foule par la sortie principale. En même temps, ils partirent à l'attaque. La réponse des alliés a été immédiate et ces pauvres gens se sont fait massacrer.

            Nous voici partis, Georges Fouquet, un gars de VALOGNES et moi, deux au brancard, un avec la lampe, nous relayant au fur et à mesure de notre fatigue.

            Arrivés à cette sortie, quelle horreur ! Des tas de gens morts et vivants gisant tout le long du chemin. Il a fallu faire le tri : - d'abord les survivants qui se débattaient, j'ai le souvenir d'un jeune homme que nous avons eu du mal à transporter tellement il se débattait de souffrance, je crois d'ailleurs qu'il est mort peu de temps après.

            En déblayant ces pauvres victimes, je reconnus ma voisine, je voulus la lever en lui prenant la tête et ma main s'est enfoncée dans son crâne tout écrasé.

            Nous avons brancardé tout l'après-midi. Les derniers sujets étaient deux enfants dont un n'avait plus de tête. J'ai aidé à les mettre sur le brancard et à les porter, mais arrivée au but, j'ai posé le brancard et je suis partie en criant :

 - « Non je ne peux plus, non, je ne peux plus », c'était affreux.

            La vie continuait malgré toutes ces horreurs. Nous soignions au mieux les malades sur la paille. La nourriture était vraiment insuffisante, surtout pour tenir nuit et jour.

            Un jour, un de nos amis qui se dévouait au maximum me dit :

« - C'est tout ce que vous avez à manger ? »

- Eh ! bien, oui.

 Le lendemain, il arrive avec une grosse boîte de gâteaux, du chocolat et puis quelques petites provisions dont j'ai oublié le détail et me dit :

-« cachez cela et mangez ».

Je suis allé cambrioler les Bonnes Sœurs.

            Oui, dans les Carrières 1 - 2 et 3, il y avait les Sœurs de Saint-Louis. Ces Carrières étaient équipées de lits et de matériel de l'Hôpital pour les plus grands malades et le travail, sans être facile, n'avait pas de comparaison avec le nôtre. Elles avaient des réserves. Cet ami dont je veux taire le nom, rencontre la Religieuse principale qui lui dit :

 - « nous avons été cambriolés »!

 - Ah, lui répondit notre ami, c'est quand même trop fort...

            Nous finissions par circuler aisément dans ces Carrières, comme dans une ville connue depuis toujours.

La dernière semaine, quelques-uns de notre équipe faisaient de la Résistance, et ils avaient caché des leurs parmi mes malades en me disant :

- « Trouvez-leur des maladies » !

Une nuit, vers 2 heures, j'étais toujours de garde, arrivent deux gendarmes de la Feldgendarmerie. II a fallu que je dise à chaque personne allongée ce qu'elle avait comme maladie. Certains gaillards ne semblaient pas bien malades évidemment. Sans hésiter, je disais :

 - « Celui-là a la jambe paralysée »

- « celui-là a fait une chute »

 - « celui-là a des rhumatismes »

 - etc... et chacun faisait sa petite comédie selon la maladie imaginée. Ouf ! les voilà partis ! nos cœurs ont battu bien fort quand même !

Certains de notre équipe avaient dû fuir, ils se sont cachés dans un trou dans le fond des Carrières et à 3 mètres de hauteur environ. Nous allions les ravitailler une fois par jour, le mot de passe était :« Roméo ». Ils y sont restés 4 jours sans bouger, sans faire de bruit, pour faire pipi, il fallait imiter les gouttes qui tombaient du plafond. Un jour, les Allemands les cherchaient, ils sont passés au pied de leur trou en disant :

-« C'est un français et une française qui les ont cachés, ce doit être par ici ».

Heureusement, ils ne les ont pas trouvés.

Je pourrais donner de nombreux détails sur ces 2 mois de vie souterraine, mais ce serait beaucoup trop long.

Un matin, un cri général :

-« Les Canadiens sont là » !

Quelle joie dans ces Carrières, dans cette misère et cette angoisse. Nous voici partis délivrer nos isolés, en arrivant nous crions :

-« Roméo - Roméo »

si fort qu'ils nous disent :

 - « Taisez-vous ! vous êtes fou, vous allez nous faire prendre ».

 « - Non ! les Canadiens sont là. Venez ».

Ouf ! Fini ce calvaire d'être sous le joug allemand. Tout le monde chantait de joie.

Enfin pouvoir sortir ! prendre l'air ! Lorsque nous nous sommes vus à la lumière du jour, nos visages pâles étaient drôles à voir, mais nous étions sales à faire peur car la toilette était réduite.

Nous sommes restés encore quelques jours, le temps qu'une organisation se fasse pour évacuer tout ce monde.

Pour nous, habitants de FLEURY-SUR-ORNE, plus question de rentrer chez nous, la maison n'était plus qu'un tas de ruines. Evacués sur le Lycée Malherbe, actuellement Mairie de Caen, nous sommes restés une nuit dans les dortoirs. Ensuite, dirigés vers le camp canadien de DUCY près de BAYEUX, nous avons été accueillis par ces militaires et nous avions une petite tente pour 7, ils nous donnaient des repas à leur cantine.

          Un matin, l'on vient nous dire :

- « Préparez-vous, vous partez vers La DELIVRANDE où l'on attend un camion de sinistrés réfugiés ».

 Nous sommes arrivés un après-midi, le 9 août si j'ai bonne mémoire et personne ne nous attendait. Nous nous sommes installés dans une maison en partie détruite par un obus et qui n'avait presque plus de toiture. Tombée malade, j'ai été hospitalisée chez les Missionnaires qui avaient transformé leur Communauté en Hôpital. Quelques jours après, rétablie par le sommeil dans un lit qui m'a semblé si bon, j'ai repris du service pour aider à soigner les blessés.

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En septembre, Simone fait tout de même son entrée à l'école d'infirmières.

Elle n'est jamais repartie de Douvres-la-Délivrande où elle s'est installée comme sage-femme libérale et où elle a été élue première adjointe au maire. Source page 238 de ce livre.

 

Ce document est paru dans

Ville de Caen

TEMOIGNAGES

Récits de la vie caennaise 6 juin-19 juillet 1944

Brochure réalisée par l’Atelier offset de la Mairie de Caen Dépôt légal : 2e trimestre 1984

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