ECLABOUSSEES DE SANG...

Madame Monique DUCREUX, née Richier, sœur d'un autre témoin, Madame Claude DAVOULT, née Richier.

Comme des milliers d'autres, elle a vécu dans Saint-Etienne, sur de la paille, protégée - ce qui n'évitait pas la peur - par des voûtes neuf fois séculaires.

 

             Nous habitions une des casernes. J'avoue ne pas avoir gardé un souvenir très précis du vieux Caen : nous y sommes arrêtés au début de la guerre et j'étais pensionnaire à La Délivrande.(Note de MLQ: à 13 km au Nord de Caen)

 

 

Le soir du premier  jour, nous sommes partis tous les 6 vers le couvent de Petites Sœurs des Pauvres

 

 

Note de MLQ: rive gauche de Caen Boulevard Lyautey.

 

après avoir enjambé décombres, gravats, et parfois débris humains - mais cela a déjà été dit maintes fois.

            Nos parents ont décidé - après quelques jours - de rentrer si possible à Caen de crainte de ne pouvoir le faire plus tard et après une longue marche dans les trous de bombes en escalades de ruines avec des fumées d'incendie... Nous avons fini par aller retrouver un ménage place des Petites Boucheries (Note de MLQ: à proximité immédiate de l'îlot sanitaire) que nom connaissions un peu.

            Dans la journée, nous étions chez eux, mais allions dans la soirée nous réfugier dans l'église St-Etienne.

 

 

Je me souviens que chaque famille retrouvait son petit coin avec de la paille comme lit. Les jours passaient et je crois bien que nous étions hébétés et que ce choc brutal avec la guerre, la mort, les blessés, nous avaient plongé - nous les jeunes - dans un état de mutation, de maturité subite.

            Nous avons fini par nous installer complètement dans l'Abbaye et nous trouvions un réconfort à assister à une messe matinale dans une chapelle... et souvent à une courte cérémonie le soir où Mgr des Hameaux nous donnait l'absolution.

            Chaque jour, nous entendions le bruit des combats, en ignorant ce qui se passait. Nous avions fini par repérer le bruit des obus de marine et pouvions situer à peu près l'endroit de la chute. Je me souviens d'un jour où je faisais la queue rue St-Martin pour avoir de l'eau à la seule pompe marchant encore et nous avons été éclaboussés du sang de la malheureuse blessée grièvement par des éclats d'un obus.

            De nombreux réfugiés s'entassaient le long des murs car en dépit du dicton selon lequel la chute de St-Etienne provoquerait celle de la Monarchie Anglaise, nous n'étions guère tranquilles dans la nef.

            Une à deux fois, un Allemand en uniforme, sans doute journaliste, s'est installé dans l'église pour interviewer des volontaires pour un journal radiodiffusé en Allemagne. Les volontaires ne se pressaient pas.

            C'est en y réfléchissant cinquante ans après que je me rends mieux compte des privations de toutes sortes, des regards tristes sur les ruines fumantes de nos parents pour lesquels l'avenir s'annonçait sans espoir et sombre.

                                 Mais nous, nous nous passions de confort et essayions de nous rendre utiles en allant dans le lycée voisin aider à nous occuper des blessés et des malades. Finalement nous avons dû tous nous installer dans les caves du lycée - aux environs du 7 juillet, je pense car les attaques aériennes redoublaient d'intensité - nous avions l'impression que tout s'écroulait autour de nous, que c'était la fin du monde.

                                 Combien de jours a duré ce déluge de feu et de bruits sous lequel nous avons quitté St-Etienne pour nous terrer dans les caves du lycée ?

                                 Lorsque nous en sommes sortis pour nous trouver devant les premiers soldats Canadiens arrivant par la rue de Bayeux, nous étions encore plongés dans l'enfer de ces 45 jours. Nous les regardions défiler... et je me rappelle que l'un d'eux s'est plaint de notre accueil morne et peu chaleureux. Quelques jours après, nous étions évacués vers la côte, à l'abri des obus allemands - cette fois.

« Archives départementales du Calvados ». Evacuation des réfugiés sur le parvis de Saint-Etienne.

Film départ de réfugiés le 15 juillet

Témoignage paru en juin 1994 dans la brochure

        ECLATS DE MEMOIRE

TEMOIGNAGES INEDITS SUR LA BATAILLE DE CAEN
recueillis et présentés

par Bernard GOULEY et Estelle de COURCY
par la Paroisse Saint-Etienne-de-Caen
et l’Association des Amis de l'Abbatiale Saint-Etienne

 Reproduit avec leur aimable autorisation

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