Témoignage paru dans ce livre
Jean-Marie Girault, aujourd'hui sénateur maire de Caen. Pendant le terrible été 1944, âgé alors de 18 ans, il était Equipier d'Urgence de la Croix-Rouge.
J'apporterai ici quelques détails. Tout d'abord, remarque préalable : Jeannot est un âne anglais pour la raison pure et simple qu'il va toujours sur la gauche. Et nous sommes sous régime allemand. Les Germains marchent et conduisent à droite. Résultat : collision ou presque. Nous sommes mal vus, l'âne et moi, quelquefois confondus. J'espère ne pas vous choquer. Dire que cet âne était rapide serait trop dire. En vérité, il ne fut jamais pressé. Il faisait quelque chose comme du 3 kilomètres/heure. Mettons quatre ; accélérant dans les côtes, freinant en plat, s'arrêtant dans les descentes. Signalons que ce fut une bête de grand sang-froid, et d'intelligence vive.
Et son « maître » provisoire, de lui décerner cette citation « à l'Ordre des Vertébrés » :
Animal d'un remarquable sang-froid, particulièrement doué pour assurer le ravitaillement de ses semblables, n'a jamais modifié sa route, malgré les tirs intenses d'artillerie. D'une endurance consommée, il accepta tous les coups qui lui furent portés, sans « jamais braire ». D'une mémoire prodigieuse, il préféra apprendre par cœur son chemin, plutôt que de renseigner l'ennemi sur la route qu'il empruntait journellement. S'est toujours arrêté au même endroit pour manger sa pitance, face au Vieux Saint-Gilles. A littéralement déconcerté ses « supérieurs ». Jamais blessé. Toujours vivant.
Le 6 juillet dans la Prairie chargé de traire deux vaches:
J'essaie de savoir où les obus éclatent. Un homme, passant par là, me conseille : « Vous devriez aller vous abriter aux tribunes ». Je le sais bien, mais il y a mes vaches !
Le vacher occasionnel suivit néanmoins ce conseil, mais « tout à coup, j'entends des zzzzzz... qui se rapprochent. Un fracas épouvantable et en levant les yeux j'aperçois, venant vers le champ de courses un essaim d'avions de bombardement bimoteurs passant au-dessus de la passerelle.
Cette fois, je ne réfléchis pas longtemps. Mais je ne m'affole pas. La pluie d'acier est une réalité. Je prends ma channe et mon seau, et sans plus tarder, je gagne le dos des tribunes, en oubliant mes vaches cependant !
9 h 30 :je rentre au P.C. Je marque « rentré », sur le registre des corvées. Il paraît que j'étais tout pâle. Je raconte mon aventure. Un verre de cognac et l'aventure n'y paraît plus.... Et je repris ma routine de tous les jours. Quand je retournai voir, dans l'après-midi, la passerelle, maintenant disparue aux trois-quarts sous l'eau, je ne retrouvai plus mes vaches... Disparues ! Un équipier les retrouvera deux jours après, derrière l'École de Natation, 1500 mètres plus loin.
Le 7 juillet:
Je mets le nez dehors. Il est environ 21 h 30. Je vais au P.C. où Jean Boucey donne déjà des ordres. A peine a-t-il commencé que d'autres avions arrivent. Cette ,fois, je me mets à l'entrée d'un couloir et contemple ce spectacle formidable de mes deux yeux.Les « Liberator » (Note de MLQ: non des Lancaster et des Halifax) laissaient tomber l'un après l'autre, environ six bombes de 500 kg. Nous les apercevions faire le voyage du ciel à la terre, et les entendions tomber sur les quartiers inhabités par les Français de la Maladrerie. Plusieurs fois, des bombes tombèrent à proximité du Lycée. Les gens demeurèrent à peu près calmes, il faut le reconnaître. Enfin, cette armada aérienne se trouva épuisée vers 21 h 50. Depuis longtemps, épuisée elle aussi, la D.C.A. allemande qui avait tant donné, s'était définitivement tue, sans doute à bout de munitions. Immédiatement après le bombardement, la ville était recouverte de nouveau par un immense voile de fumée épaisse et bientôt, le ciel de la cité devint embrasé par les incendies allumés çà et là en ville.
Il est maintenant 3 h 45 : La femme blessée est emmenée dans une charrette à bras, conduite par des équipiers dépendant du Bon Sauveur. Avec Gilles, nous rentrons exténués, abrutis même. Avec un camarade, je tire une poussette contenant le matériel de sauvetage : pelles, pioches, brancards, cordes, pharmacie, eau-de-vie, etc... Nous marchons tous d'un pas pesant. De gros camions allemands nous dépassent. Nos gestes deviennent instinctifs. A 4 h 30, nous sommes rentrés au P.C.