Récit trouvé sur Internet forum de Marc Laurenceau.
CAEN, le MARDI 6 JUIN 1944 (histoire vraie) 19 ans en
1944.
Je dois partir très tôt le matin car le train pour M.-M
(desserte de Sainte M.) démarre vers 7 heures et il me faut traverser une grande
partie de la ville à pied. Mon père est inquiet car il y a des canonnades du
côté de la mer. Il me déconseille de partir car ce bruit ne lui dit rien qui
vaille.
Je lui rappelle qu’André va m’attendre Boulevard Bertrand
et que nous n’avons pas de téléphone pour le prévenir. Je suis donc obligé de
partir et je quitte la maison.
Au bout d une cinquantaine de mètres, je suis arrêté par
une patrouille allemande, à l’entrée de l'avenue de Creully (Note
de MLQ: avenue de Courseulles), aujourd’hui avenue
du Canada. Questionnaire classique :
« Papiers, Où allez-vous? Travail ? ».
Réponse: «Je vais à la gare pour mon travail. »
et je montre ma carte d’identité
et mon certificat de travail.
Le chef de la patrouille me dit en bon français :
« Je vous accompagne jusqu’au Tribunaux. »
Ce qu’il fait en me confiant à une autre
patrouille qui me laisse me débrouiller...
Je poursuis ma route en me dirigeant vers le Boulevard
Bertrand où je retrouve mon camarade et lui fais le récit de mes pérégrinations.
Nous continuons notre chemin par le rue Sadi Carnot en constatant à quel point
la ville paraît vide à cette heure matinale.
Au débouché de la place Foch, nous sommes arrêtés par une
patrouille assez importante, la proximité de la Kommandantur le nécessitant.
Nous sommes emmenés dans l’immeuble « B », situé rue du 11 Novembre face à «
Hôtel Malherbe », siège de la Kommandantur. (B ne peut être que
Beauséjour
immeuble d'habitation réservé aux hauts fonctionnaires à l'époque)
Place Foch, à droite avec un drapeau l'hôtel Malherbe siège de la Feldkommandantur 723, à gauche l'immeuble Beauséjour.
Nos gardiens nous conduisent dans une pièce sans fenêtre
et nous ordonnent de nous déshabiller. Il ne nous semble pas que nous puissions
refuser.. . Nous retirons coiffure, veste, chemise, et sur injonction de nos
gardiens, nous sommes obligés d’ôter pantalon, chaussettes et sous-vêtements.
Totalement nus, nous sommes enfermés dans la pièce, les Allemands ayant emporté
nos vêtements. Toutes les pensées catastrophes nous assaillent, mais
heureusement brièvement car au bout de quelques minutes, ils nous rapportent nos
effets que nous remettons avec empressement ... Sans doute, les ont-ils examinés
pour détecter une éventuelle provenance « anglaise ».
Un moment après, la porte s’ouvre et un inconnu en civil
nous demande, en excellent français, ce que nous faisons là. Je ne me souviens
pas de ce que nous avons bredouillé, mais le civil nous a ouvert les portes en
nous disant de « Foutre le camp ! », ce que nous avons compris du premier
coup...
Nous accélérons notre marche dans la rue du 11 Novembre,
puis quai de Juillet, pont de la gare et enfin la gare de Caen.
La gare de Caen
Dans le hall ne se trouvent que 5 ou 6 voyageurs dont
nous 2. Silence inquiet parmi les présents lorsqu’un employé de la gare surgit
et nous dit :
« Ne restez pas là. Il se passe des choses graves ».
Personne ne pose de questions mais pressentant un danger
s’en retourne vers son domicile.
André et moi repassons le pont de la gare mais
poursuivons notre route par la rue St Jean, évitant la place Foch qui ne nous
semble pas fréquentable, et nous nous séparons rue St Pierre.
Je me hâte de rentrer a la maison, au grand soulagement
de mes parents, car les canonnades et bombardements depuis la côte se sont
aggravés Il est environ 9 heures du matin.
En rouge le trajet aller, en bleu le trajet retour
Pouvons-nous penser au Débarquement que nous avons tant
souhaité?
Mon père, par crainte des bombardements, avait creusé avec mes frères, depuis plusieurs semaines, une tranchée dans notre jardin au 8 rue Isidore Pierre, contigu aux voies ferrées de la gare Saint Martin. Bien lui en a pris, car vers 13 heures, de grandes formations de bombardiers survolent la ville et commencent leur travail de destruction sur le centre de Caen et de là où nous nous trouvons, nous voyons les chapelets de bombes tomber.
Je suis avec mon plus jeune frère, Guy de 6 ans l/2 au
bord de la tranchée quand nous sommes fascinés par une bombe qui semble nous
être destinée. Je bouscule mon frère dans la tranchée et m’y jette à mon tour
car la bombe tombe sur les voies de chemin de fer qui se trouvent derrière la
gare, soit à un trentaine ou quarantaine de mètres de notre tranchée (ce fait
m’a d’ailleurs était confirmé par une voisine qui habitait rue du Dr Rayer que
j’ai eu l’occasion de rencontrer aux Veillées du CINQUANTIEME ANNIVERSAIRE, au
Mémorial de Caen, et qui avait éprouvé la même fascination pour cette même
bombe)
Vers 16 heures, nouveau bombardement de la même intensité
que celui de 13 heures.
Cet événement persuade mes parents de quitter la maison
pour évacuer à
BARON SUR ODON ( à 12 km à l'Ouest de Caen)
ou ils avaient acheté une petite maison, quelques mois auparavant. Nous quittons
Caen, à bicyclette, vers notre base de repli où nous nous pensons en sécurité.
Quelques jours après, nous avons la visite de Irène P. qui travaille à la
CROIX-ROUGE et qui nous apprend qu’une ambulancière (Mlle Marie-Thérèse Hérillier)
a été tuée et son
équipier JM L (Jean-Marie
Lechartier) blessé sur le pont de Vaucelles. Je retourne à Caen et m’engage
dans les Equipes d’Urgences.