Jean Lange, devenu Sarthois, 60 ans après.

En 1944, Jean Lange vivait à Caen avec sa mère, veuve de guerre. I1 avait seize ans, il était lycéen. Ils habitaient une maison individuelle, typiquement normande, au « Clos Herbert », un pâté de maisons qui allait bientôt être rasé.

« Le soir du 5 juin, ma mère est rentrée tard. Elle faisait la comptabilité du théâtre de Caen. Nous avons entendu des détonations provenant de la mer et vu quelques éclairs. Nous ne nous  sommes pas  posés de question. On était ignorant de tout. Nous sommes allés nous coucher. »

Dernière nuit d'un calme relatif, avant la tempête

Au petit matin, Jean et sa mère, réveillés par des - bruits impressionnants », se précipitent à l'extérieur.

"Les voisins étaient déjà dehors. Des vagues d'avions successives passaient sans arrêt au-dessus de nous. Les B-26 arrivaient par centaines. Alors on a vu les premières bombes tomber, par grappes. Là, on a compris que c'était le débarquement! "

Couché au sol par le souffle d'une explosion, l'adolescent s'en sort indemne. Sa mère l'agrippe par le bras. Ils se réfugient dans des tranchées creusées au fond du « Clos » dans un champ.

 « Nous avons pris le plus d'affaires possible. Effets personnels et papiers. Je portais plusieurs pull-overs et manteaux.  Beaucoup de gens étaient restés chez eux, cachés dans des tranchées de fortune. Beaucoup étaient morts. Les gens criaient - Les Anglais ont débarqué !»

Pendant six jours, Jean et sa mère assisteront, impuissants, aux bombardements de la ville et de sa banlieue. Au fond de sa tranchée, Jean Lange manque être enseveli par l'explosion d'une bombe. Recouvert de poussière et de terre, il s'en sort encore.

"Un voisin s'est relevé tout estourbi à tel point qu'il nous a marché dessus. Alors ma mère a voulu partir, nous n'étions plus à l'abri ici."

Après une nouvelle nuit, ils retraversent le "Clos Herbert ". Constat d'horreur :

"Les trous béants de bombes se chevauchaient. Notre maison avait été rasée. Des voisins étaient morts dans leurs caves, dans les tranchées. Nous sommes partis avec un couple en direction de la communauté des Sœurs de Saint-Louis auprès de l'abbaye aux Dames. Des tranchées couvertes abritaient des centaines de personnes."

 Alors que les tirs des cuirassés et des canons s'abattent toujours sur Caen, ils parviennent à une galerie du monastère.

"On a trouvé une place près des piliers. Ma mère m'a mis un matelas qui se trouvait là sur la tête. Les bombardements étaient incessants. Nous voyions les piliers s'affaisser sur eux-mêmes. Les gens étaient écrasés. A croire que nous avons eux de la chance."

Jean et sa mère finiront par se réfugier en campagne.

"Nous avons traversé Caen. C'était terrifiant. Je voyais la ville qui brûlait, et j'ai pensé à Rome qui brûlait devant Néron"

Avec un ami garagiste, Jean et sa mère ont pris la route de Feuguerolles-sur-Orne (Note de MLQ: 11 km au Sud de Caen), dans la campagne environnante, où une tante est directrice d'école.

"On a mis du temps, on marchait mal à cause des gravats ».

Choqué et  fasciné à la fois, l'adolescent regarde brûler l'église Saint-Gilles. Spectacle dantesque d'une ville rasée par les bombes.

Ruines de l'église Saint-Gilles, en arrière plan l'église de la Trinité de l'Abbaye aux Dames.

 « Traumatisé, notre ami garagiste en avait oublié son bébé et sa grand-mère. Tous les deux, nous avons fait demi-tour pour aller les chercher ».

Abasourdie, sa mère le regarde partir. Sauvée au milieu des décombres, la vieille femme est transportée dans une poussette, le bébé dans les bras.

"Photo ECPA Coll. Musée mémorial de Bayeux"

Photo prise par un correspondant de guerre allemand, le 7 ou 8 juin, Bd des Alliés

"A Feuguerolles, grande surprise : rien ne s'y était passé. C'était calme, mon oncle avait creusé une tranchée."

 Un calme éphémère, car le 8 juin, le village est bombardé.

"Alors nous nous sommes dirigés vers Fleury où il y a des champignonnières."(Note de MLQ: entre Feuguerolles et Caen)

 Dans cette cache qui surplombe l'Orne, de nombreux habitants sont déjà entassés.

"Mais là, nous étions à l'abri. Nous y sommes restés pendant près d'un mois. Nous sortions pour aller au ravitaillement, glaner des pommes de terre et autres légumes. Ma mère, qui par ailleurs était employée à La Poste, continuait à travailler. Tous les jours, elle traversait les lignes allemandes."

Le 7 juillet enfin, Caen vit les alliés arriver.(Note de MLQ: non le 9, quant aux carrières de Fleury ce fut le 19)

"Les premiers soldats que je vis furent des Canadiens".

Epilogue d'un mois de cauchemar. Jean Lange affirme pourtant n'avoir pas eu peur.

"Mais ce n'était pas du courage, plutôt de l'ignorance, ou de l'innocence."

Source: Article de presse paru en 2004.

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