Jean Marie, qui vit à Trouville, se souvient du 6 juin 1944 « comme si c'était hier ». Il s'est replongé avec émotion dans ses souvenirs : notamment sa communion en l'église Saint Etienne, fin mai 1944, quelques jours avant le Débarquement.
Jean Marie était interne à Caen, pendant les quatre ans d'occupation allemande. Il a vécu le 6 juin avant de rejoindre sa famille, à Notre-Dame-d'Estrées, puis de revenir pour une rentrée scolaire pas comme les autres.
Localisation de Notre-Dame-d'Estrées à 35 km à l'Est de Caen.
Octobre
1940 : l'internat à 8 ans
Je suis né en 1932 et j'ai été interne à Saint-Jo, entre 1940 et 1948. Le
pensionnat, situé rue des Rosiers, a été réquisitionné par les Allemands au
début de l'Occupation.
Article du Journal de Normandie du 21 septembre 1940.
Nous avons été accueillis, rue de Bayeux, chez les soeurs de Saint-Vincent-de-Paul. De nos jours une résidence immobilière.Il y avait aussi des locaux rue de Bretagne salles de classe. De nos jours entrée au N°46
Notre dortoir, pendant 4 ans, a été la salle des fêtes du
Bon-Sauveur : 70 ou 80 lits alignés, le surveillant installé sur la scène
avec son lit entouré de rideaux, lavabos et toilettes dans les coulisses. Le
tout sans chauffage et à l'eau froide, hiver compris !
Les journées étaient longues et nous marchions beaucoup, car les classes
primaires étaient installées vers
la gare Saint-Martin (actuelle place du Canada) : tous les allers et retours
représentaient au moins 6 km par jour. »
Localisation de l'orphelinat Saint Vincent de Paul au 59 rue de Bayeux, de la rue de Bretagne et du Bon Sauveur.
Le 6 juin 1944
J'ai fait ma communion le 25 mai 1944 à l'église Saint-Etienne, qui allait
servir de
refuge à tant de civils quelques jours plus tard. Certains sont alors
rentrés dans leur famille mais pas moi. Le directeur, M. Le Gall, avait dit à
mes parents qu'il fallait que je revienne, contre l'avis de ma mère.
Dans la nuit du 5 au 6, on entend le bruit, certains sautent sur les lits en
criant que c'est le Débarquement. Le matin, on nous dit de rentrer chez nous si
on a un moyen de locomotion. Je me rends chez une amie de ma mère, qui habitait
rue Saint-Pierre, mais elle refuse de me laisser partir seul, à vélo. À 13 h 30,
c'est le fameux bombardement de Caen, ça tremblait de partout. À 100 m près, on
était complètement écrasés... »
Quitter Caen : la rocambolesque journée du 10 juin 44
Quelques jours passent et j'ai la chance d'être retrouvé par mon père, qui avait
monté une expédition, en voiture à cheval et avec deux vélos, pour me récupérer,
ainsi que deux autres enfants originaires du même village. Heureux hasard, il
tombe sur un prof de l'établissement, qui nous avait croisés et savait où nous
étions logés, près de la place des Petites-Boucheries.
Localisation: place Saint Marin, le BS, la rue saint Pierre et la place des Petites Boucheries
C'était le samedi 10 juin et nous avons réussi à sortir de Caen : deux adultes
et trois enfants à travers les ruines, passant chacun à notre tour sur la
dernière passerelle enjambant l'Orne (au niveau de chez
Maës, un restaurant-dancing qui faisait aussi école de natation), pour
rejoindre le quartier Vaucelles puis le boulevard Leroy pour sortir de la ville.
Partout, des trous de bombes, des ruines... Une désolation ! C'était désert, peut-être qu'on a vu dix personnes en tout dans Caen. Pas âme qui vive non plus sur la RN13 ! Et on est rentrés sains et saufs... »
Localisation: la passerelle sur l'Orne, le boulevard Leroy vers la RN 13
La rentrée « compliquée » d'octobre 1944
À l'époque, la rentrée des classes était le 1er octobre et ce fut le cas en 1944, mais dans des conditions
assez compliquées. Impossible, par exemple, de réintégrer les locaux de Saint-Jo
après quatre ans d'occupation des lieux par les Allemands. Les classes furent
maintenues chez les soeurs de Saint-Vincent-de-Paul, rue de Bayeux. Il manquait
des élèves, ceux qui avaient été tués, dont un de mes camarades de classe...
L'Institution Saint Joseph,
30 rue des Rosiers est transformée en Centre d'Accueil Départemental des
Rapatriés
J'ai repris ma vie de pensionnaire, mais nous étions répartis chez des
particuliers ou, dans mon cas, dans une pension de famille. L'établissement ne
reprit vraiment une activité normale qu'à la rentrée 1945, et les façades des
bâtiments gardèrent plusieurs années, jusqu'au début des années 50, leur tenue
de camouflage peinte par les Allemands. »
Deux photos Fonds Gérard Pigache. Saint Joseph avec peinture de camouflage allemande. Réquisitionné comme Kriegslazarett
Source et conversation téléphonique avec M. Jean Marie le 3 septembre 2017.
J