Témoignages parus dans ce livre dont l'auteur est René Streiff.

 

   

Le poste sanitaire N°2 de la place Blot est évacué sur le Lycée. J'y retrouve mon ami Moreau qui me raconte la façon dont iI a passé la nuit :

« Je creuse, avec quelques camarades, une tranchée dans le Jardin des Plantes. Je m'allonge sur Ie sol près de cet abri. Dès qu'un avion semble approcher, je saute
dans un trou. Vers une heure du matin, nous entendons passer des soldats rue Desmoueux. Un camion arrive et on entend un choc suivi de cris 'proférés en Allemand, puis un deuxième choc. Et par dessus le mur qui sépare le Jardin botanique de la rue Desmoueux, nous voyons soudain jaillir des flammes. Une sorte de pétarade suit, c'est un camion de munitions qui brûle. Les flammes montent et le feu se communique à des garages voisins. Voulant me rendre compte de ce qui se passe, je quitte Ia tranchée. J'aperçois un autre incendie, à côté de la gare St-Martin. Au-dessus de la ville, le ciel est rouge, partout Caen brille. Je m'approche du foyer d'incendie voisin. Mais je suis arrêté par une mitraillette qui apparait tout à coup à 50 cm. de mon visage. Je crie: « Luftschutzdienst » (Service de la Défense passive) et je reviens sur mes pas. Enfin Ie jour paraît. Soudain un groupe de soldats allemands pénètre dans le Jardin botanique et prend position dans les arbres derrière Ies fourrés. Est-ce la bataille qui est proche? Avec mon père nous allons parler au sergent qui le dirige :   

- « Est-ce qu'on va se battre-ci ? »

- « Ce n'est pas impossible, les Anglais. nous sont signaés comme étant à un kilomètre, »

- "Et les civils ? Il y a des femmes et des enfants"

- « Cela- ne me regarde pas. »

Une demi-heure après nous devons évacuer Ie jardin. Nous échouons ici... »

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J'aperçois Moreau, un de mes camarades de Faculté:


    « Tu sais, je croyais bien ne plus te revoir. Ecoute plutôt ce qui m'est arrivé: on me signale des blessés, sous une maison, à l'extrêmité de la rue Gaillarde, au pied des carrières Saint-Julien, que domine la rue du Magasin-à-Poudre. Je prends ausâtôt une pioche au P. C. de l'îlot 205.

    "Qui vient avec moi!"

    Nous partons à cinq. Nous arrivons, au bout de la rue Gaillarde, au fond d'un jardin. Nous déposons notre brancard et nos outils quand ... nous entendons les bombardiers et des chutes de bombes non loin de nous. C'est le sauve-qui-peut. Je cours au pied du front de taille de l'ancienne carrière qui était à moins de vingt mètres de moi. Pour y accéder, je pénètre dans un clapier installé là. A peine étais-je arrivé qu'un choc formidable se produit, je n'y vois plus rien, je n'entends plus rien, la terre de la carrière, les pierres tombent sur moi. Je sens mes jambes prisonnières, je ne peux plus bouger. Une grosse pierre appuie sur ma poitrine, de la terre entre dans ma bouche et dans mes yeux ... je suis enterré vivant. Je suffoque, ne peux plus respirer ...

    Tout à coup le soleil reparaît, mes yeux sont éblouis. Je vois à mes côtés deux de mes collègues aussi étonnés que moi, mais les deux autres ont disparu.               .

    Comment expliquer ce qui m'est arrivé?

Dessin page 17 du livre illustrant le témoignage.

    Je crois m'être évanoui ; un quart d'heure après notre ensevelissement, des gens de l'extérieur disent qu'il y a eu un nouveau bombardement du quartier. Nous ne nous eu sommes pas rendu compte, Une bombe, tombant près de nous, a dû nous déterrer. En effet, en sortant, nous nous sommes retrouvés tous les trois sur le bord d'un vaste entonnoir. Autour de nous ce n'est plus que ruines, partout des cratères de bombes ...

     Un de mes camarades de la Faculté des Sciences, Moreau,nous raconte :

    « Un obus vient de tomber rue Froide, près de la boucherie Jumel. Je me précipite en même temps que trois hommes de la D. P. L'un avait apporté une civière, moi des pansements, à tout hasard. Nous avançons près des décombres et dans un couloir voisin j'entends des cris. J'accours et je trouve une femme se roulant sur le pavé en hurlant de douleur. Nous la maîtrisons. Je fais un pansement sommaire à une jambe atteinte par un éclat. La tête est pleine de petites blessures, des dents sont brisées dans la bouche ensanglantée. La respiration paraît difficile. Nous couchons cette femme sur le brancard; elle crie et appelle ses enfants. Nous la conduisons à l'infirmerie du Lycée de Jeunes Filles. Elle a un poumon perforé. Elle meurt quelques heures plus tard ... »

 

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