Témoignage présenté dans ce livre

Mr Lucien Motte, à l'abri de la ferme De Cooman.

    « L'immeuble où je suis, rue Saint-Pierre, oscille sur ses bases. Un déluge de fer et de feu ravage la ville... Rester davantage, serait pure folie. Quelqu'un auprès de moi parle des carrières Saint-Julien. Elles évoquent aussitôt à mon esprit, un abri profond et sûr en bordure de la ville. Sans plus réfléchir, muni d'un léger bagage, je n'y achemine, poursuivi par le grondement des bombes qui continuent de tomber.

    La rue de Geôle, le Jardin des Plantes. Me voici en pleine campagne, à la limite même de la ville. Une allée, barrée par une lourde porte : La ferme De Cooman installée au fond d'une ancienne carrière. (Note de MLQ: au bout de la rue des Jardins) La cour est bordée sur trois côtés d'une muraille calcaire de 10 à 12 mètres de haut. A chaque angle, existait un abri que les prévoyants fermiers ont amélioré.

    Quelques Caennais, les jours suivants, s'y réfugieront dans l'espoir d'y trouver un peu de calme, sans s'éloigner trop de ce qui leur tient à cœur. Leur nombre, au bout de huit jours, atteindra prés de cent cinquante.

    La vie en commun s'organise grâce à l'hospitalité des fermiers et au dévouement de quelques bonnes volontés. Une cuisine est installée, des corvées vont chercher le ravitaillement en ville, un service de garde nocturne est organisé.

    Les alertes ne sont point terminées en effet. Dans la semaine, une attaque aérienne de nuit a lieu sur Caen, éclairée par des fusées. Vu des carrières le spectacle est terrifiant. La ville flambe. Les avions, volant très bas, se découpent sinistrement noirs du fond rouge. L'air est rempli d'un tumulte assourdissant. C'est à nouveau la grande peur. Au fond des abris, les femmes prient à voix haute.

    Bientôt les Allemands, refoulés par les Britanniques, creusent aux abords mêmes des carrières des trous individuels, hérissent des barbelés.

    La sortie des carrières devient difficile, l'artillerie prenant comme point de mire cette jonction de deux routes importantes vers la mer : la route de Creully et la route de La Folie par où se fait, chaque nuit, la relève des chars allemands.

Quartier Nord-ouest de Caen

    Divers incidents rompent notre vie de troglodytes : c'est une conduite d'eau coupée sur la falaise par un obus. L'eau doit être dérivée pour éviter l'inondation des abris. C'est un avion abattu par la D.C.A. tombant en flammes. Un autre obus, un jour suivant, blesse dans la cour de la ferme une femme et un enfant qui doivent être évacués.

    Il semble que cette vie d'alertes continuelles ne cessera plus. Les récits les plus sombres sont faits par ceux qui reviennent de la ville. On en vient à douter que les Alliés n’arrivent jamais. Ils sont cependant bien-prés de nous.

    Cette alternative d'espoir et de doute dure depuis huit jours et huit nuits quand, à la suite d'une visite de la ferme par un officier allemand, ordre nous est donné d'évacuer sous 24 heures. Les Allemands, trouvant sans doute les abris à leur convenance, ont décidé de les occuper.

    Quelques-uns partent en exode, au risque d'être mitraillés sur les routes, beaucoup rentrent en ville où plusieurs trouveront la mort, au cours des bombardements du 7 juillet. »

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