Mme J. PERNELLE

LES CAENNAIS SE RUENT VERS LES TRANCHEES

 

 

Caen, le 6 juin il est 13h20 (Note de MLQ: lire à 13H30). Une escadrille approche. Des bombes sifflent et éclatent tout près de nous. Je me colle le long du mur. Cela tombe de tous les côtés, nous sommes bousculés. Une bombe place Lamare, d’autres rue de Geôle, trois maisons plus haut, d’autres derrière nous. Nous sommes encadrés. Un instant d’accalmie, puis tous les matériaux retombent, des éclats labourent les façades des maisons, et c’est la ruée soudaine des habitants vers les tranchées des fossés Saint Julien.

 

Chacun emporte ce qui lui est tombé sous la main, valises manteaux de fourrure, hommes et femmes portent dans leurs bras des enfants qui crient. Une petite voisine hurle : ils vont casser ma maison ! et une clameur s’élève couvrant tout : aux abris, aux abris !

Nous gagnons une tranchée à dix mètres de la maison. Nous y restons debout, longtemps, au milieu d’immondices de toute sorte.

Les nouvelles arrivent et se propagent comme une traînée de poudre. Il y a de nombreux blessés et des morts, particulièrement autour du château, rue Basse, rue du Gaillon,

 

Source ce forum

 

rue de la Délivrande, rue du Vaugueux, place Courtonne. Il arrive des réfugiés de tous ces quartiers et les tranchées sont pleines en un rien de temps.

Nous gagnons une tranchée moins sale, située un peu plus haut.

Les habitants des quartiers bombardés affluent toujours.

 

Nous sommes vingt dans la nôtre, dont un bébé mignon, tout frisé, ses parents, M. et Mme A…, et leur vieille mère dont ils ne s’occupent pas. La pauvre femme crie et gémit à chaque bruit. Une jeune femme dont le mari est prisonnier en Allemagne crie : « Maman ! » et hurle à chaque bombe, même lointaine. On la sent menacée par une crise de nerfs -  Robert, mon mari, lui dit : - Finissez de gueuler ou je vous fous une paire de claques. Elle se calme instantanément .

 

Vers trois heures du matin, nous subissons un bombardement de vingt cinq minutes. Nous apprenons que quantité de gens s’étaient réfugiés dans d’étroites tranchées qui entourent le square de la place de la République. Ils ont vu les fusées rouges délimitant l’objectif les encadrer, puis les bombes se détacher des avions. D’immenses clameurs d’épouvante ont annoncé leur arrivée. Certaines tranchées présentaient, parait-il, un enchevêtrement de corps, de  membres épars, de débris des chaises du kiosque à musique.

 

On raconte qu’un buste de femme était empalé sur les grilles.

Dans la journée, le bruit court que les Anglais sont « tout près » Des avions de reconnaissance volent sans cesse au-dessus de la ville.

 

Les Allemands ont camouflé une quantité de camions sous les arbres autour de nous et des sentinelles montent la garde, mitraillette en main. Ils tirent sans raison de temps en temps, sans doute pour faire savoir qu’ils sont là.

Entre deux rafales, chacun court chez soi chercher de quoi améliorer la situation. J’apporte des assiettes et des couverts et nous partageons le potage et les haricots cuits la veille. La journée passe, puis une seconde nuit.

Les scènes qui se déroulent sont parfois pénibles, parfois grotesques. Une dame âgée demande asile avec son petit chien blanc, elle est refoulée sans pitié à cause du chien ; j’en ai les larmes aux yeux. Un homme pris de coliques veut sortir de la tranchée alors qu’il fait nuit. Les Allemands lui crient Raus ! et le forcent à rentrer. Il finit par se soulager dans un coin, malgré les cris de protestations.

Le bébé frisé se gratte la tête à deux mains et se plaint qu’il a des poux.

Un vieil homme épuisé s’est endormi, accroupi par terre ; il a perdu son dentier et ne le retrouve pas, il veut faire de la lumière. Cris des Allemands, protestations des Français : - vous allez nous faire tuer !.....

Des équipiers de la Croix-Rouge sont venus apporter à boire. Ils m’ont pansé les genoux qui me font très mal. L’un d’eux me raconte que le Dr. L….., (Note de MLQ: le docteur Le Rasle) est terriblement éprouvé. Il a perdu sa mère, une petite fille de trois  ans et tous ses autres enfants sont terriblement blessés par des éclats de verre.

 

Source article de presse

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