Sœur Marie-de-la-Trinité Cirou

    En service « aux contagieux » à 'hôpital de Caen (Note de MLQ: l'hôpital civil de de la route de Ouistreham),

Le pavillon des contagieux de l'hôpital Clemenceau.

ce fut seulement le 15 juin que sœur Sainte-Marthe et moi partîmes pour les contagieux de l'hôpital annexe installé à l'Ecole normale d'institutrices non loin du lycée Malherbe.

Source. Ecole Normale de Filles impasse Saint-Benoît

Repère:1= chapelle du Palais Ducal ou de l'Ecole Normale de Filles
            2= Clocher du Monastère couvent de la Visitation
            3= Chapelle du Bon Sauveur
            4= Ecole Normale de Filles, Hôpital complémentaire dirigé par le Dr Vigot
            5= Impasse St Benoît

Photo aérienne prise après après la guerre
Repère: 1= Palais ducal Hôpital des Contagieux
            2= Chapelle du Palais
            3= Passage St Benoît
            4=Cour du Petit Lycée après son transfert de la place Guillouard
            5= Impasse St Benoît
            6= Logement du Proviseur - Mairie
            7= Cour intérieure (des cuisines)
            8= Toits des baraquements du M.R.U. à l'emplacement du potager du Lycée cimetière provisoire
            9= Couloir des classes scientifiques -services nationaux
            10=Cour du Lycée

    Je fus désignée pour m'occuper des diphtéries, en réalité il y avait une seule grande malade, tous les autres, installés dans le dortoir du 2ème étage, étaient seulement des porteurs de germes découverts par le docteur Rousselot qui faisait des prélèvements dans les centres d'accueil. Il n'y avait aucun désinfectant ni tonicardiaques pour la grande malade. Le docteur Vigot venu faire sa visite avec le docteur Rousselot et le pharmacien, on me procurera le nécessaire. L'absence d'électricité ne permettait pas d'utiliser le para germe.

    Mais gargarismes et gouttes nasales permirent de négativer enfants et adultes. Sœur Marie-Camille et moi logions la nuit à la communauté de la Visitation, rue de l'Abbatiale, couchées sur des matelas dans un couloir ou à mi-sous-sol. Un éclat d'obus vint frapper une Visitandine sur le palier de l'escalier, elle fut tuée, une autre fut blessée à l'œil. Nous pouvions voir les chapelets de bombes descendre dans la nuit éclairée sur le quartier de l'Université. Après la messe matinale et un petit déjeuner pris au parloir, je regagnais le Bon-Sauveur, sœur Agnès étant venue me remplacer le 7 juillet pour que je puisse aller soigner les blessés de Carpiquet (à 6 km à l'Ouest de Caen) dans l'une des salles du pavillon Sainte-Camille (en 4 voir ci-dessous) au 1er étage (ma famille habitait Carpiquet). Maman sur un brancard réclamait ma sœur âgée de 20 ans que mon père blessé avait enterrée près de l'abri en attendant la Libération.

    Ceci se passait après le bombardement de la carrière du Pont de la route de Caumont par un obus lancé de l'intérieur d'un avion anglais circulant en rase-motte, l'Intelligence Service ayant prévenu les Anglais de la présence d'Allemands dans la carrière ; mais ce n'était pas dans celle-là mais dans la carrière des Sapinettes située à 500 mètres de la route, de l'autre côté du pont. Blessés à 20 heures le 5 juillet, ils reçurent le secours de la Croix Rouge guidée par madame de Vieil Castel, le lendemain 6 juin à 20 heures. Une estafette était partie le matin du 6 pour prévenir le service d'ambulance du Bon-Sauveur. Des éclats d'obus tombèrent sur la portière d'une des voitures de la Croix Rouge : le bombardement de la carrière avait blessé 25 personnes, 9 moururent sur le coup, deux autres ultérieurement. La sœur Franciscaine de Saint-Martin fit à chacun du sérum antitétanique, mais un blessé qui n'avait que des égratignures fut dirigé vers le grenier du deuxième et n'en reçut pas. Quelques jours après, il fut atteint du tétanos, il faut dire qu'un cheval éventré à l'entrée de la carrière était tombé sur les blessés !

    Vers le 14 juillet, un bombardement venant de l'Est ayant endommagé l'escalier du pavillon, on descendait les blessés au rez-de-chaussée à 1 heure du matin. A 8 heures, je montais rechercher les affaires de toilette restées sur la table de nuit, lorsqu'un obus sifflant emporta les murs de cette salle dans laquelle il ne resta plus que des carcasses de lits et de tuyaux de chauffage tordus. Je m'étais heureusement garée en bout du mur du palier, je tendais le dos...

    Après dissipation du nuage de poussière, je redescendis en escaladant les gravas et ne remontais plus ! L'éclat d'un autre obus fut projeté par-dessus la cour intérieure, passa par la fenêtre ouverte et atteignit au crâne un prisonnier allemand couché dans la salle d'en face au 1er étage et le tua. Il n'y eut pas d'autres blessés à Sainte-Camille. Mes parents échouèrent dans un cabanon, vers le 16 juillet, le cabanon voisin, vide heureusement, fut écrasé dans la nuit.

    C'est alors qu'on évacua les malades sur Bayeux (à 29 km au Nord-ouest de Caen, ville libérée depuis le 7 juin et non bombardée). La veilleuse Franciscaine étant partie, je la remplaçais dans une grande salle du rez-de-chaussée. Les obus tapaient tellement fort que je croyais la salle voisine écrasée, mais c'était de l'autre côté du jardin, vers Saint-Michel. L'abbé Levavasseur qui reposait à la cave avec les réfugiés venait quand le besoin s'en faisait sentir, mais la salle était en paix. Je récitais le chapelet tout haut quand cela craquait fort.

    Le 17 juillet, l'hôpital de Bayeux vint nous chercher, sœur Saint-Antoine, sœur Marie-Camille et moi, pour soigner les réfugiés qui affluaient dans cette ville épargnée par la bataille. Nous débarquâmes à l'Hôtel-Dieu qui avait gardé son énorme porte à judas avec son fronton gravé et son énorme clé. Nous étions 75 religieuses, on nous logea à deux par cellule, cellules éclairées de fenêtres du XVII è siècle, à petits carreaux. Nous eûmes d'abord à faire la cuisine aux nombreux réfugiés, ceci sur un fourneau moyenâgeux, qui fut vite remplacé par deux cuisines roulantes de caserne qui fonctionnaient à l'extérieur, par tous les temps.( pour Bayeux ville-hôpital lire ce livre)

    Mais enfin nous étions en paix, sans bombardements, nous avions du pain anglais et un peu de viande, ce que nous n'avions pas au Bon-Sauveur où la nourriture consistait essentiellement en lait caillé et en bouillon.

    Seules, sœur Sainte Madeleine et sœur Agnès partageaient les portions plus consistantes des médecins et infirmières. A ce régime, ma tension était tombée à 10 et j'étais bien fatiguée, mais la paix du couvent m'était bonne!

Sœur Marie-de-la-Trinité Cirou,
religieuse Augustine
infirmière à l'hôpital de Caen en 1944,
actuellement à l'Hôtel-Dieu de Bayeux
Bayeux, novembre 1983

Témoignage paru dans ce livre

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