Inspecteur-chef Adolphe Morin

    Le 1er août 1941, la police découvre dans un hangar de la rue du Gaillon, à Caen, l'une des planques de l'agent britannique John Hopper qu'elle recherche activement depuis que celui-ci a grièvement blessé l'inspecteur Bénard quelques jours plus tôt. Sont entreposés là, des bicyclettes, des pneus, des vêtements civils et militaires, des armes, les roues de motos provenant du coup de main commis sur un parc de l'armée allemande en mai, ainsi qu'une traction avant volée, encore maculée du sang de l'inspecteur Bénard.

    Le chef de la sûreté, l'inspecteur-chef Adolphe Morin , décide de tendre une souricière. En début d'après-midi, Hopper survient. Un policier, trop nerveux, fait partir inopinément un coup de revolver. Hopper, sans se démonter, passe son chemin et allonge le pas. L'inspecteur Morin se lance à sa poursuite et lui intime bientôt l'ordre de s'arrêter et de lever les mains. Imperturbable, Hopper se retourne et tire au travers de la poche de son veston, atteignant le policier en plein ventre. Fuyant sous les balles des collègues de ce dernier, Hopper s'empare d'un vélo et parvient une fois de plus à s'échapper.

L'inspecteur-chef Morin , mortellement touché, mourra le lendemain.

L'article d'Ouest-Eclair du 2 août 1941.

L'article d'Ouest-Eclair du 3 août 1941

L'Ouest-éclair, 3-4 août 1941

Les articles du Journal de Normandie du 2-3-4 août 1941

2 août 1941

 

En l'espace de six jours deux policiers caennais, deux chefs possédant l'estime de toute la population, viennent de tomber, victimes du devoir, sous les balles du même meurtrier.

Dimanche dernier (le 27 juillet), à 8 h. 30, le brigadier de la sûreté Bénard était lâchement frappé de deux coups de revolver. Hier (le 1 août), dans l'après-midi, c'était au tour de son chef hiérarchique, l'inspecteur Morin .

La sûreté municipale de notre ville est amputée de deux de ses meilleurs policiers. Afin de ne pas nuire à l'enquête et à la demande même des services intéressés, nous nous étions imposés comme règle absolue de ne pas trop nous étendre sur cette grave affaire.

Mais aujourd'hui, alors qu'une deuxième victime a payé son tribut pour la défense de la société, nous estimons que nos lecteurs ont le droit de savoir la vérité.

Voici donc les faits tels qu'ils apparaissent à la lumière de la déposition du brigadier Bénard qui a pu être entendu :

Dans la matinée de dimanche, vers 8 h.10, écrivions-nous mardi dernier (le 29), le brigadier Bénard, qui habite chemin de Lebisey quittait son domicile pour prendre son service. Il était à bicyclette. A peine venait-il de parcourir quelques centaines de mètres qu'il aperçut une automobile venant en sens inverse.

Or, à part de très rares exceptions; la circulation de ces voitures est interdite le dimanche. Cela lui parut suspect.

Le brigadier Bénard fit stopper l’automobile pour demander des explications au conducteur et celles-ci ne l'ayant pas convaincu, il lui enjoignit de le suivre au commissariat du premier arrondissement aux fins de vérifications.

 

A ce moment, faisant mine d'acquiescer, l'automobiliste expliqua au policier qu'il était préférable qu'il montât dans la voiture, auprès de lui. C'est ce que fit le brigadier Bénard, hélas trop confiant et qui, sans s'en douter, s'offrait ainsi aux coups meurtriers d'un redoutable bandit.

 

Ils roulèrent quelques centaines de mètres durant lesquels l'automobiliste chercha à persuader le policier qu’il avait les meilleurs intentions tout en exhibant un tas de papiers dont, il faut le dire tout de suite, le brigadier Bénard ne tint aucun compte se réservant de les « éplucher » plus sérieusement au commissariat de police.

Mais, l'autre ne se tint pas pour battu. Voyant que ces explications n'avaient aucun effet sur le policier, il lui proposa de l'argent, une certaine somme, que le brigadier intègre refusa.

Le corrupteur n'insista pas, mais il prit une direction opposée à celle du commissariat de police. Etonné M. Bénard lui en demanda la cause. Je voudrais prévenir ma famille, répondit l'individu.

 

A minuit le meurtrier du chef de la sûreté n’était pas encore retrouvé

 

En réalité, ce dernier s'éloigna de toute agglomération pour se de barrasses du policier. Quelques instants après, en effet le bandit devait s'emparer de son revolver pour le décharger sur sa victime.

 

 

Le meurtrier présumé

(d’après une photo saisie parmi les papiers trouvés dans sa voiture)

 

Atteint à la tête, derrière l'oreille, le malheureux policier chercha à se défendre. Il se jeta sur son agresseur qui arrêta la voiture. Une lutte s'ensuivit. Elle se continua sur la route car M. Bénard avait réussi à y entraîner l'automobiliste. Mais à ce moment, ayant désarmé le brigadier, il tira une deuxième fois sur sa victime qui s'écroula, atteinte dans les reins.

Le bandit prit alors la ratte.

Abandonné à lui-même, le brigadier Bénard eût cependant la force de se trainer pendant deux cents mètres jusqu’aux abords d'une maison où il put, en tirant la sonnette demander du secours

On s'empressa autour de lui et bientôt les services de police alertés le transportaient à la clinique du Bon Sauveur. Il y fut examiné par le docteur Martin qui pratiqua la transfusion du sang, tout en réservant son diagnostic.

Les recherches s'organisèrent alors sous la direction de M. le commissaire central Charroy auquel s'étaient joints un commissaire et deux inspecteurs de la troisième brigade de police mobile de Rouen. La gendarmerie y participa.

Inlassablement, de jour et de nuit, les recherches continuèrent. Un grand nombre d'individus suspects furent conduits au commissariat central et minutieusement interrogés. Leurs déclarations firent l'objet de sérieuses vérifications et certains d'entre eux furent gardés à la disposition de la justice.

C'est ainsi que, peu à peu, le filet se resserrait sur le criminel, qui, à peu près identifié -disons à peu près car son identité exacte n'est pas encore connue- ne devait pas tarder à être découvert.

En effet depuis l’agression la police avait la certitude que la voiture utilisée, une 11 CV Citroën traction avant à roues jaunes, était une voiture volée. Que d'autre part le permis de circuler, le numéro d'immatriculation étaient faux et le permis de conduire au nom de Alfred Coutret né en 1910.

L'agresseur possédait d'ailleurs de nombreux états civils tous faux et n'était connu de ses compères que sous le nom d'Albert ou de « Bébert ». Mesurant environ 1 m 76, bien bâti et très souple, son visage était d'une pâleur effrayante. Il inspirait la terreur autour de lui et n'avait pas caché qu'il avait fait an mauvais coup.

L'enquête, n'était pas très facile à mener car les renseignements  étaient minces.

Hier matin la police savait que le numéro de la voiture 4217 C. T. 4 avait été modifié depuis dimanche en 8877 C. T. 4 et qu'elle était garée rue du Gaillon.

On savait qu'à sa dernière sortie il manquait à la voiture la banquette arrière.

Or en examinant les divers garages de la rue du Gallion les policiers aperçurent une voiture dont la banquette était sur le toit, tandis qu'à côté un abondant matériel, une grande quantité de marchandises volées sans aucun doute, jonchait le sol.

Ils trouvèrent également la cote bleue et la casquette à carreaux portées par l'agresseur dimanche dernier.

Un journal daté du 31 juillet attestait que le bandit avait passé la nuit dans le garage.

Une surveillance fut immédiatement établie et deux inspecteurs restèrent dans le garage tandis que le chef de la sûreté Morin et le commissaire Prigent se tenaient au dehors en compagnie d'un inspecteur.

C'est le commissaire Prigent, qui, le premier, aperçut le bandit qui venait à pied en rasant les murs mais ce dernier éventant le piège s'enfuit, M. Morin se lança à sa poursuite, le dépassa et lui cria « Haut les mains ». C'est à ce moment que déchargeant son revolver à quelques mètres, le gangster abattit le chef de la sûreté.

M.M. Prigent et Bourin tirèrent à leur tour mais déjà l'individu prenant une bicyclette qui se trouvait là l'avait enfourchée et filait sans se retourner.

Ce fut alors une véritable chasse à l'homme, d'abord à travers la ville pour se continuer ensuite sur nos routes.

Sommes-nous en présence d'une affaire de marché noir ? S'agit-il plutôt d'une vengeance ou bien encore d'une affaire d'ordre politique ? Toutes les hypothèses sont à l'heure actuelle permises.

Seule l'arrestation du meurtrier pourra le préciser.

Au début de la soirée, le criminel n'avait encore pu être rejoint. Ajoutons que l'inspecteur Morin a été transporté d'urgence à la clini­que Saint-Martin. A 23 h. hier soir, on ne pouvait encore se prononcer sur son état.         

Toute personne possédant des renseignements qui pourraient aider la police dans ses recherches est priée de bien vouloir les communiquer au commissariat central. La plus grande discrétion est assurée.

Le 3 et 4 août 1941

 

La bicyclette sur laquelle avait lui le bandit est retrouvée rue Cauvigny

 

Nos lecteurs savent qu’après avoir abattu l'inspecteur Morin , Jean Hopper s'était enfui sur une bicyclette.

Or, celle-ci, qui appartient à M. Lemaire, demeurant rue des Marguerites, à qui elle avait été volée, a été découverte dans la soirée d'hier, rue Cauvigny, où elle se trouvait, parait-il, depuis le soir même du crime. Ceci laisserait supposer que le meurtrier n'est pas allé très loin.

 

M. Adolphe Morin

Nous avons relaté hier, les circonstances dans lesquelles le chef de la Sûreté caennaise, l’inspecteur Morin, était tombé victime du devoir, sous les balles du meurtrier du brigadier Bénard . Ainsi qu'il fallait s’y attendre, il est décédé dans la matinée, vers 9 Il. 30, à la clinique Saint Martin où il avait été transporté.

 

 

La police municipale de Caen est en deuil.

Elle vient de perdre un chef dans toute l’acception du terme ; un chef valeureux qui possédait l’estime de toute la population.

Né le 16 février 1890, à Littry, Adolphe Morin était entré au service de la police municipale de notre ville, comme agent stagiaire, le 16 novembre 1913.

Très rapidement il gravit les divers échelons pour accéder, six ans plus tard, au grade de sous-brigadier. Brigadier trois ans après, il passait brigadier-chef de la sûreté le 1er août 1930 et inspecteur-chef de 1ère classe le 1er janvier 1938.

C'était un chef valeureux, avons-nous dit plus haut. Certes. Il nous suffira de rappeler quelques-unes de ses citations.

Dès le 19 août 1921, c’est-à-dire presque à ses débuts et alors qu'il n’était, qu'un modeste sous-brigadier, il se signalait déjà à l'attention de ses chefs par l'arrestation, sur le Cours Caffarelli, de deux repris de justice dangereux, les nommés Luttenschlager et Mary qui avaient agressé un ouvrier marocain.

Le 8 janvier 1922, il se distinguait avec l'agent Dominé, au cours d'une opération, à bord du cargo "Le Bûcheron", en n'hésitant pas à  descendre, seul dans la soute pour y arrêter  le chauffeur Souder qui s'y était barricadé et que l'on recherchait pour tentative de meurtre de son capitaine.

Le 8 février 1923, c'était l’arrestation difficile de deux interdits de séjour des plus dangereux qui voulaient obliger, sous la menace, une jeune fille à se livrer à la prostitution.

Le 1er octobre 1931, l'arrestation du bandit Rothmund, dont il put obtenir des renseignements qui permirent d'arrêter toute une bande de redoutables cambrioleurs, lui valait d'être cité au Tableau d'honneur.

Enfin, le 20 octobre 1932, assisté du sous-brigadier Bénard, Morin donnait la mesure de ses qualités professionnelles en procédant à l’arrestation des deux auteurs principaux d'un cambriolage important et en identifiant les deux autres  comparses qui furent arrêtés par la suite.

Continuellement félicité par ses chefs pour son activité, Morin a été inscrit quatre fois au Tableau d'honneur.

Ajoutons que mobilisé le 15 septembre 1914, il avait fait toute la campagne 1914-18 au cours de laquelle il fut cité à l'ordre de son régiment ce qui lui valut d'être décoré de la Croix de guerre.

Il était, depuis 1931, titulaire de la Médaille d'honneur de la police et nous croyons savoir qu'à la suite de son bel acte de courage de vendredi, M. le Préfet du Calvados a demandé pour lui la Médaille de vermeil.

L'inspecteur .Morin laisse une veuve et une fille, aujourd'hui mariée et dont le mari et prisonnier de guerre en Allemagne.

Nous nous inclinons devant leur douleur et leur demandons de bien vouloir accepter l'hommage de notre sympathie.

M. Graux , préfet du Calvados, accompagné de M. Charroy commissaire central, est allé s'incliner, hier après-midi, devant la dépouille de M. Morin.

Le drame de la rue de l’Aurore

L’enquête

Nous avions annoncé hier qu’au cours de leurs recherches les enquétcurs avaient appris que l'agresseur du brigadier Bénard et de l'Inspecteur Morin possédait de nombreux états civils. tous faux, et qu'il n'était connu de ses complices que sous le prénom d'Albert ou encore du diminutif « Bèbert ».

Ce qui pouvait donner à cela un certain caractère de vraisemblance :c'était le permis de conduire au nom de Albert Couteret découvert dans d'une des poches de la voitures automobile trouvée dans le garage de la rue du Gaillon. Vendredi soir encore, à 20 heures, M. Charroy, commissaire central avait réuni les représentants de la presse auquel il a déclaré, en substance, que le meurtrier n'était toujours pas identifié.

Il semble cependant que dès ce moment on avait des raisons de croire qu'il s'agissait en réalité d'un nommé Jean Hopper , 29 ans, sujet britannique, né le 25 mai 1912, à King's Lynn, fils de John et d’Henriette Cying, artisan peintre.

On se doute bien que l'ardeur des policiers à poursuivre leurs investigations ne s'est pas ralentie. Loin de les décourager, le nouveau drame qui a couté la vie au malheureux inspecteur Morin n'a fait qu'affermir davantage leur volonté d'arriver au succès final.

Sans trêve ni repos ils multiplient investigations sur investigations.

Tandis que la chasse à l'homme continue jour et nuit en ce qui concerne le bandit en fuite, tous les individus suspects sont conduits aa commissariat central où on les interroge longuement pour ensuite vérifier scrupuleusement leurs déclarations. Hier matin encore on parlait d'une nouvelle arrestation. Renseignements pris, il s'agirait de vérifications.

D'autre part on s'occupe de chercher la provenance des marchandises découvertes dans le garage, qui, on le sait, proviennent de vols et dont il est impossible de faire l’énumération, telles que accessoires de bicyclettes, vêtements de cuir, sucre, bas de soie, parures, roues de motocyclettes, etc..

Bref, l’enquête continue activement. Mais on ne cache pas, dans les milieux autorisés, que l'on se trouve en présence d'une très grave affaire. D'une affaire qui pourrait même amener des surprises !

 

Le 5 août 1941

SUR LA TRACE DU BANDIT HOPPER

Une femme est arrêtée au cours d'une perquisition au 33 de la rue Saint-Jean

 

 

Comme cela ce produit généralement en pareille circonstance, la publication, après le meurtre de l'inspecteur Morin , de la photographie de Jean Hopper , son meurtrier a provoqué parmi la population caennaise cette espèce de psychose qui fait que chacun croit se rappeler avoir vu le criminel à tel ou tel endroit sans toutefois pouvoir donner de précisions.

Cependant, cette fois la plupart sont dans le vrai car le bandit se trouvait dans notre région depuis plusieurs années.

C'est ainsi qu'il y a cinq ans, il habitait Cabourg et travaillait en qualité d'interprète au garage Favata. Il vivait avec sa mère. On le connaissait surtout sous son prénom de Jean. Il vint ensuite vers 1934 s'établir a Caen, dans le quartier de Vaucelles où il s’occupait de vente d'accessoires pour vélos. Déjà ses fréquentations étaient suspectes. Enfin plus près de nous et jusqu’au mois de septembre 1939, il s’occupait de vente d’appareils de TSF au n° 60, de la rue de Geôle.         

Dès la déclaration de guerre, il disparut. Son magasin, qui contenait une certaine quantité de marchandises, demeura fermé durant de longs mois. Il devait être en partie la proie des flammes le 26 février dernier, vers 15 h., Jamais on ne sut la cause du sinistre.

Par la suite, on le retrouve de nouveau dans la région, à Mouen, où habitent ses beaux-parents, les  époux Le Guillou et à Verson, chez une fermière, qui l'employait pour conduire la camionnette avec laquelle elle transportait le lait à Caen.

Jean Hopper connait donc parfaitement les environs de Caen, et notre ville où il fit ses études au Lycée.

Il y possède des amis sûrs qui, le cas échéant, ont pu être ses complices. Ce ne sont pas des inconnus pour la police avec laquelle la plupart ont eu des démêlés et qui, très certainement ne manquera pas de rechercher à quel genre d'activité ils se sont employés ces temps derniers. On dit même qu'il en aurait dans le bâtiment ! ...

Où en est l'enquête?

Mais où se trouve-t-il actuellement ? C'est la question que se peosent les enquêteurs.

Il semble cependant, qu'en raison des amitiés qu'il compte à Caen, le bandit ne se soit pas éloigné de notre ville. En effet, ainsi que le Journal de Normandie a été le seul à l'annoncer dimanche matin, la bicyclette avec laquelle il a pris la fuite après son crime a été retrouvée rue Cauvigny. Elle s'y trouvait, depuis la veille.

Est-ce lui qui l'a abandonnée là ?

Nous en sommes persuadés : Hopper n'ignore pas qu'il est traqué. Il sait que son nom, sa photographie et son signalement ont été diffusés non seulement dans la région mais encore dans toute la France, de sorte qu'à l'heure actuelle tous les services intéressés sont alertés. Quel refuge lui donnerait la sécurité, du moins pour l'instant, mieux qu'à Caen ?

C*est pourquoi les enquêteurs, dont l'activité n'a pas diminué depuis le début, nc perdent pas l'espoir de le découvrir, terré, dans quelque coin de notre ville.

Cela ne veut pas dire que les recherches ne se poursuivent pas par ailleurs.

C'est ainsi que les enquêteurs se sont rendus à Mouen, au hameau de Colleville, où est situé le domicile de la femme de Hopper. Ils n'ont trouvé personne. Mais une perquisition fit découvrir une grande quantité de marchandises, provenant sans nul doute de cambriolages, commis soit à Caen, soit dans la région.

Là encore, vêtements, vivres, objets divers, furent trouvés qui nécessitèrent quinze sacs et deux camions pour les transporter.

De toute évidence, la femme du bandit que l'on croyait séparée de son mari, ne pouvait ignorer le genre d'activité de celui-ci et on pouvait la considérer tout au moins comme complice par recel. Malheureusement elle n'était plus là pour fournir des explications. Elle avait quitté la commune depuis une semaine.

Néanmoins, les policiers parvinrent à établir qu'elle pourrait bien se trouver du côté de Villers-Bocage et ils s'y rendirent, dimanche, au début de la matinée.

Les renseignements qu'ils avaient recueillis, à ce sujet étaient exacts. En effet, dans une ferme de Maisoncelles-Pelvey, ils apprirent qu’une femme dont le signalement, correspondait à celui de la femme Hopper, était arrivée samedi soir, vers 22 heures, à bicyclette, chez les fermiers disant être l'épouse de « M. Aubert » qui leur avait vendu un poste de T. S. F.

Très fatiguée, elle demandait à passer la nuit dans un coin de l'étable. On accéda à ce désir. Mais un moment après une autre femme, également à bicyclette, se présentait comme sa sœur et la rejoignait.

Les fermiers ne les revirent plus, car l'une et l'autre avaient quitté la ferme au petit jour et nul ne sut la direction qu'elles avaient prise.

Qui était cette deuxième femme ?

Les enquêteurs se trouvaient donc en présence de deux femmes dont ils  savaient que l'une ne pouvait être que la femme Hopper.

Qui était la deuxième ?             

Là encore et d'après le signalement, ils ne tardèrent pas à avoir la certitude qu'il s'agissait de la jeune épouse d'un nommé Roger Mouchet, âgé de 22 ans, celui-là même qui était aux côtés de Hopper lors de l'attentat contre le brigadier Bénard.

Cet individu pouvait fournir d'utiles renseignements et il fut recherché. Hélas, lui aussi avait pris le large.

Serait-ce parce qu'il n'a pas la conscience tranquille ? C’est à présumer.

Quoi qu'il en soit, nous l'avons dit, l'enquête se poursuit inlassablement.

Elle pourrait même entrer dans une phase nouvelle, à la suite de l'arrivée à Caen, dimanche après-midi de M. Dargent, commissaire divisionnaire, chef de la 3e brigade de police mobile, dont on connaît l'habileté et la compétence.

Dès son arrivée, MM. Dargent et Charroy, commissaire central ont eu un long entretien au cours duquel ce dernier a mis son collègue au courant de l'affaire. Il est hors de doute qu’un plan d'action commun a été établi.

Souhaitons qu'il aboutisse rapidement à l'arrestation du criminel, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il mérite un châtiment exemplaire.

Une perquisition rue Saint-Jean

Ajoutons qu'hier, en fin d'après-midi, les services intéressés ont procédé à une perquisition, 33, rue Saint-Jean, et qu'au cours de cette opération une femme a été arrêtée pour être conduite devant M. le Juge d'instruction Jacobsen, chargé de l'affaire. On ne connaît pas encore le résultat de l’interrogatoire.

Enfin, parmi les marchandises trouvées tant au garage de la rue du Gaillon, qu'à la maison de Mouen certaines proviennent de vols commis aux établissements Abel Gautier, quai de Juillet (10.000 kilos de sucre), chez Mme Hébert, rue Montoir-Poissonnerie (20.000 francs de marchandises diverses) et dans un garage de la cité Gardin, appartenant à M. Jules  Zélos, marchand forain, place Saint-Sauveur (250.000 francs de vêtements et articles de bonneterie.)

Nous reviendrons d'ailleurs sur ces détails.

Paul GIBERT.

 

A son restaurant habituel rue Ecuyère ... Trois quarts d'heure avant le meurtre de M. Morin. Hopper jouait aux dominos

Non seulement la Presse locale, régionale et parisienne a publié la photographie de M. Morin , le chef de La Sûreté caennaise, tombé victime du devoir, sous les balles d'un redoutable bandit, mais encore de  nombreux photographes ont placé à leur devanture, dans des halls et salons d'exposition, un grand portrait du malheureux et combien regretté policier : devant s'arrêtent, comme devant les placards des journaux affichés, des groupes nombreux et ininterrompus de gens à l'affut des nouvelles, de personnes désireuses de regarder l'image de celui qui n'est plus, qui fut pourtant pendant si longtemps une « figure caennaise »..

L'émotion suscitée par l'attentat contre le sous-chef Bénard avait atteint son paroxysme, vendredi dernier, lorsqu'en plein après-midi, à 15 heures, M. Morin était blessé mortellement rue de l'Aurore,

Cette émotion qui avait tendu les esprits n'a guère diminué d'intensité depuis, et il en serait autrement qu'elle serait revivifiée à chaque instant par des faits nouveaux, qui n'ont pas toujours une grande importance en eux-mêmes, mais qui cependant -comme celui d'hier, que nous relations plus loin- suffisent à provoquer le remous de l'opinion publique.

Pendant qu'on « en » parle en effet dans la rue, au café, au restaurant, dans le car, dans le train ou à la table familiale, la police, la gendarmerie, la police mobile de Rouen joignent leurs efforts sur une échelle fort étendue d'enquêtes, de vérifications, de perquisitions, d'interrogatoires, pour arriver à l'arrestation du dangereux criminel Hopper .

Tâche peu facile, et qui peut réserver des surprises, avons-nous écrit ces jours-ci.

Le déploiement des recherches qui s'élargissent toujours le prouverait assez.

Pendant que les journalistes régionaux et parisiens sont sur les dents pour essayer, eux aussi, d'accomplir leur tâche, qui est de renseigner exactement le  public, « les langues vont leur train ». Non  pas toujours dans le sens péjoratif de ce terme, car, s'il se rencontre, comme dans toute affaire à sensation, des «bien renseignés» qui propagent bobard sur bobard, il en est d'autres, et ils sont nombreux, qui connaissaient, qui connaissent Hopper, pour l'avoir rencontré, pour l'avoir vu, pour avoir traité des affaires avec lui.

 

Ex-marchand de postes de T. S. F. ex-laitier, soi-disant mécanicien

HOPPER, au restaurant était souvent sale et parlait peu

 

Il n'en faut pas plus pour littéralement « tomber » au milieu d'une foule de renseignements, d'avis, de jugements contradictoires, où il convient d'opérer un choix méticuleux, en les prenant aux sources les plus certaines, en s'adressant aux personnes les plus dignes de foi, parlant sans acrimonie, sans parti-pris, sans passion.

Le plus simple, le plus sûr en même temps, en l'occurrence, est de s'adresser là où s'extériorise le plus facilement, le plus spontanément dans la vie courante, un individu quel qu'il soit : aux restaurants où cet individu acquiert des habitudes, « lâche » quelques mots, quelques réflexions, avec les gens qu'il voit tous les jours, où restaurateurs et convives s'adaptent avec la force irrésistible de la routine quotidienne aux allées et venues, à l'attitude, à l'humeur du personnage.

C'est ainsi qu'il nous a été permis d'établir un curriculum vitae de Hopper, depuis la guerre

Hopper n'avait pas de restaurant attitré, bien qu'il en fréquentait deux ou trois assidûment, dans les environs de la rue St-Pierre et de la place Saint-Sauveur.

Il suffit d'y entendre, dans ceux-là, les convives du midi et du soir, à qui, depuis le début  de la guerre se joignait Hopper, pour tout d'un coup avoir une idée précise sur la profession imprécise du meurtrier du sous-chef Bénard et de M, Morin.

On sait dans tout Caen que, en février dernier, un incendie éclatant au n° 60 de la rue de Geôle détruisait un petit magasin de postes de T. S. F. Or ce petit magasin avait été tenu, dans les mois antérieurs, par Hopper, qui semblait avoir abandonné son affaire, tout au moins momentanément, pour s'en aller à Verson.         

Jusqu’à quelle date exactement; fut-il à Verson, s'il y fut long­temps ? Toujours est-il que, dans « ses » restaurants, on se souvient de lui depuis le début de la guerre.

Et on se souvient de lui, d'abord comme laitier. Il faisait le transport du lait.

Si bien qu'il n'arrivait jamais à une heure très fixe, quelquefois à midi, midi et demi, d'autres fois à 1 heure, 1 heure et demie...

 « Il ne parlait pas beaucoup, nous dit la patronne d'un restaurant... C'était rare qu'il fut bien habillé, et bien rasé.. Il donnait une impression telle de saleté que j'hésitais parfois à le placer à côté de mes autres clients... »

Et se mêlant à la conversation générale, on entend :

"Mais, depuis quelques mois, il était ne faisait plus le laitier, il était mécanicien.."

- Où ?

- Ah ça !... En tout cas, c'est sûr, puisqu'il était toujours plein de graisse et d'huile.

« Souvent encore, il arrivait en retard : il nous disait qu'il venait de « terminer » une voiture, ou qu'il avait été retardé par un client. 

- Quand l'avez-vous vu la dernière fois ? demandons-nous dans une pension de famille-restaurant où il était fort connu.

- Mais, vendredi dernier, il était là, à déjeuner. Il était gai, il sifflotait. Il a même fait une partie de dominos, avant de partir, vers 2 h., avec un autre pensionnaire...

Au cours du repas, on lui avait proposé, pour la lui remettre, une carte pour une réunion du P. P. F., le soir. Il avait accepté en principe quoiqu'il ait à plusieurs reprises, nous dit-on, manifesté des opinions « gaullistes ».

On ne peut pas encore croire que ce soit lui...

Restaurateurs et convives que fréquentait depuis des années Hopper ne peuvent pas encore se faire à l'idée que cet individu à la taille athlétique, au visage long et extrêmement pâle, est le meurtrier du chef de la Sûreté caennaise...

« Quand on est venu me dire cela, peu après 3 h., me déclare en levant les bras au ciel la restauratrice qui avait servi le bandit quelques dizaines de minutes auparavant.

- Quelle était son attitude habituelle ?

- Il parlait peu... il n'avait pas l'air méchant du tout. C'est un garçon qui me paraissait souvent ne pas être très intelligent. Oui je lui trouvais plutôt « l'air bébête ».

- Depuis quelque temps, rien ne nous laissait présumer que cet homme cambriolait. Il ne s'habillait; pas mieux par exemple ?

- Je ne l’ai pas remarqué. Il était quelquefois  propre…Mais je dois vous dire qu'en ces derniers temps, il venait plus rarement.

- L'avez-vous vu avec sa voiture ?

- Mais oui il la laissait en stationnement devant la porte, pen­dant le repas (plusieurs autres per­sonnes sont d'accord avec la restau­ratrice).

- C'était bien une traction avant 11 C. V. avec roues jaunes

- Oui,  c'était bien cela

Imberbe sur la photo publiée, Hopper porte maintenant la moustache

Enfin, avec un ensemble parfait, toutes les nombreuses personnes que nous avons vues et dont nous ne donnerons pas évidemment les noms, nous assurent :

« Nous ne pouvons encore croire que ce soit lui qui ait fait  « cela ».

- Vous l'avez cependant reconnu d'après la photo publiée sur les journaux ?

- Oui, malgré quelques doutes au début, sur des détails. Les uns disaient qu' « il » a n'avait pas le front si haut. D'autres disaient ceci, cela.

« Et surtout, nous les connaissions, avec une moustache. Sans doute, la photo, date-t-elle de quelques années...

- Enfin, vous êtes bien sûr que c'est lui ?

- Oui. Absolument...

Encore une question, le connaissiez-vous per son nom ?

- Ah ça ? Non. Nous n'avons jamais su comment il s'appelait... au moins exactement, On l'appelait Jean, je crois...

 

Jean HOPPER, est-il un agent gaulliste?

Mais du concert cacophonique de tous les bruits qui courent sur le compte du criminel, il en est un plus fort que tous les autres, qui s'élève, grandit, s'amplifie...

Avec raison ? La fin de l’histoire le dira. « On » dit que Jean Hopper, sujet britannique, est un espion gaulliste. Ni plus, ni moins !...

Et, à l'appui de cette rumeur — car ce n'est encore qu'une rumeur — deux faits assez surprenants, c'est le moins que l'on puisse dire...

Le 14 juillet, après la cérémonie, du Monument aux morts, deux étranges personnages venus en automobile déposaient au pied de la colonne une gerbe portant une inscription d'inspiration gaulliste. Or, la voiture était celle dont se servait Hopper et c'est lui qui conduisait, dit-on...

Nous ne savons pas jusqu'à quel point cette histoire qui fait le tour de Caen est fondée, et si les autorités en sont saisies...

On sait que dans l'important butin trouvé dans le garage et l'automobile de Hopper, se trouvaient trois énormes paquets d'un numéro récent d'une revue hebdomadaire.

Or, le numéro en question a été précisément saisi et la parution de la revue a été suspendue depuis.

Quelle corrélation peut-il y avoir entre ces faits, évidemment troublants au premier abord, et les bruits lancés ?...

Encore des points nébuleux dans cette affaire, qui chaque jour s'éclaire par ci, s'obscurcit par là...

En attendant, espérons-le, une prompte percée lumineuse qui apportera le grand jour et surtout le calme dans la population.

Qu'il soit espion, agent gaulliste, on ne voit pas très bien, en effet, à première vue, un tel Jean Hopper doubler un homme à trente-six métiers, et dont l'activité dernière lui permettait de collectionner pour plusieurs centaines de mille francs de marchandises diverses cambriolées par lui-même.

Qu'il soit encore ce que l'on voudra, pour tous désormais c'est un individu traqué, cynique qui vient de faire ses preuves avec une froide inhumanité et de qui plane sur tous la terrible menace: « si tu me donnes ou si tu es devant moi, je te descendrai : je n’en suis pas à un près…»

Emile RELANDEAU

 Le 6 août 1941

 

 

Trompant la vigilance des policiers lancés à sa poursuite, Hopper a réussi à leur échapper hier après-midi à Trouville.

On comprendra que nous ne puissions donner aujourd'hui d'autres détails. La chasse à l'homme continue plus âpre que jamais, chaque poursuivant étant animé du plus vif désir de capturer le bandit.

 Au dernier moment, nous croyons savoir qu'elle se poursuit dans la région de Pont-l’Evêque.

L’ENQUETE

Même au milieu des pires difficultés, l'enquête semble s'avancer vers le succès final. D'ailleurs, répétons-le, les enquêteurs ne cachent, pas leur confiance et si nous en croyons l'un d'eux, il faudrait s'attendre à une nouvelle sensationnelle d'ici peu. Ils suivent actuellement une piste sérieuse dans la région de Trouville. Que réserve-t-elle ? Hopper, grâce au réseau de complicité dont il dispose, veut profiter de la moindre imprudence et échapper encore une fois aux policiers. Cependant, il semble bien que l'étreinte se resserre de plus en plus.

Prospectant dans la région de Bayeux les enquêteurs ont déniché les beau-père et belle-sœur du bandit qui ont été arrêtés. Mais les services intéressés gardent le mutisme le plus complet sur cette opération et nous ne pouvons malheureusement nous étendre davantage à ce sujet, du moins pour l'instant.

Par ailleurs, les recherches, perquisitions, interrogatoires se poursuivent sans repos. Le Journal de Normandie a annoncé hier qu'une descente de police a eu lieu au 33 de la rue Saint-Jean. Intriguée, la foule vite rassemblée devant l'immeuble se demandait si l'un n'allait pas assister à un nouveau drame. En réalité, il s'agissait d'une femme que les enquêteurs supposaient être en compagnie d'un complice de Hopper. Mais là encore, il n'y eut aucun résultat positif. La personne dont il est question, n'en fut pas moins conduite devant M. Jacobsen, juge d'instruction qui, après interrogatoire, la laissa en liberté.

Hier matin, les policiers ont procédé à des vérifications du côté de Mézidon, à Canon, et dans l'après-midi, semblable opération a eu lieu à Lébisey, au domicile d'un individu qui est gardé à la disposition de la Justice depuis déjà quelques jours.

D'autre part, l'inventaire des marchandises découvertes tant au garage de la rue du Gaillon qu'au domicile de Hopper, à Mouen, se poursuit. Dès à présent, on sait que les nombreuses roues de motocyclettes qui y furent trouvées provenaient du sabotage commis dans un garage occupé par l'armée d'occupation, boulevard Maréchal-Lyautey. Ainsi le gangster, dans son esprit de lucre, n'avait pas craint de se livrer à un acte néfaste pour la ville de Caen. Mais ce n'est pas tout ! On a trouvé un uniforme de gendarme français et une capote de sous-officier allemand ! Pour quel usage Hopper réservait-il ces vêtements ?...

Etait-il un espion, comme certains s'accordent à le dire ? Qui sait... En tout cas, c'était un dangereux cambrioleur ayant à son actif de nombreux pillages de magasins et d'entrepôts de la région

Souhaitons donc avec toute la population que le bandit ne tarde pas à tomber dans les mailles du filet tendu par les policiers et qu'il n'échappe pas à la peine qu'il encourt.

 

La journée d'hier a été vécue dans la même attente anxieuse qui s'est emparée du public depuis le drame de la rue de l’Aurore.

Pendant que les recherches de la police mobile, de la gendarmerie et  de la police local continuent avec la fièvre que nous dépeignions hier matin, la foule caennaise s'est rendue, cour du Musée, s'incliner devant la dépouille mortelle de M. Morin, tombé au champ d'honneur de la police.

C'est une foule aux flots sans cesse renouvelés, extrêmement variée, ou prenaient place hommes, femmes, enfants et vieillards, de toutes les classes, de toutes les conditions, qui, à partir de deux heures de l'après-midi, se recueillit devant la chapel­e ardente dressée dans le vestibule du Musée de peinture.

De grandes tentures noires, brodées d'argent tombent en lourdes draperies de chaque côté du cercueil, qu'éclairent dans la pénombre silencieuse les flammes tremblotantes des cierges.

De grands palmiers verts rafraîchissent l'air, qu'embaument d'autre part de magnifiques couronnes et gerbes de fleurs naturelles, déposées déjà par des groupes d'amis du policier.

Au pied du catafalque, deux agents en grande tenue, sont au garde-à‑vous, avec un masque qui voudrait être impassible, mais où perce lai tristesse. Tout à côté, derrière les tentures spécialement disposées, deux femmes en grand deuil et en larmes : l'épouse et la fille du disparu.

Photo présentée dans l'article sans aucune autre remarque !

Vers 15 heures, M. Graux, préfet du Calvados, accompagné de M. Detolle, maire de la ville de Caen, et de MM. Asseline, Perrotte, Legrix et Patry adjoints ; Renard, secrétaire général de la maire ; Spriet, conseiller municipal ; Charroy, commissaire central se dirigent lentement vers la chapelle ardente. La foule a interrompu son défilé, pendant quelques instants et regarde du milieu de la cour du Musée. Les personnalités s’arrêtent en haut des marches.

Seul M. le Préfet s’en détache et s'avance vers le corps, s'incline et se recueille. Puis il épingle sur le coussin qui porte déjà les décorations de M. Morin la médaille d'or des belles actions, avec la rosette, que le gouvernement a décernée à M. Morin. Quand toutes les personnalités se furent inclinées devant le corps, M. Graux, accompagné de M. le Maire et de M. le Commissaire central Charroy, se rendit à la clinique du Son-Sauveur où il décerna au sous-chef de la Sûreté Bénard, la médaille de vermeil des belles actions, que le gouvernement lui décerne également pour son attitude courageuse lorsqu’il fut attaqué par le bandit Hopper. MM.  Graux, Détolle et Charroy présentèrent au blessé leurs vœux de prompt rétablissement: son état, quoique toujours sérieux, est aussi satisfaisant que possible.

Rappelons que les obsèques de M. Maurin auront lieu ce matin à 10 heures. Le cortège ira de la mairie à l'église Saint-Jean, puis au cimetière de la route d’Ouistreham où aura lieu l'inhumation. Des discours seront prononcés.

 

P. GIBERT.

 

Les personnes qui hébergent Hopper peuvent être traduites en Cour martiale

Les Services de Police portent une fois de plus à la connaissance du public, qu'en vertu des instructions des autorités allemandes, l'hébergement des sujets britanniques est punissable de peines très graves, pouvant aller jusqu'à la peine de mort. La police tient à rappeler à la population que le meurtrier du chef de la Sûreté est anglais et que quiconque l'héberge, facilite sa fuite, ou lui prête même indirectement aide et assistance, est justiciable des peines édictées par le Code militaire allemand.

Le commissaire central.

 

Le  7 août 1941

 

Sous un temps incertain, avec éclaircies passagères, une foule compacte se rassemble, dès 9 h. 30, dans la cour du Musée et aux abords de l'Hôtel de Ville. C'est la très nombreuse assistance des grandes obsèques, que compose l'unanimité des représentants d'une ville, du haut en bas.

C'est, si l'on peut dire, la délégation d'une masse populaire qui assemble dans son sein les éléments les plus divers pours en former un tout homogène, désireux de rendre les derniers devoirs à son défenseur, victime de son devoir. Car s'il eut -dans une profession comme la sienne, c'est presque « obligatoire »- des ennemis. M. Morin, chef de la Sûreté caennaise, tombé au champ d'honneur de la police, eut aussi des amis, de très nombreux amis. Il avait l'estime d'une population entière. De ses ennemis même, il n'en est certainement guère qui, au fond de leur cœur, ne reconnaissent sa loyauté et son habileté professionnelles. Aussi toute cette foule éprouvait-elle hier le même sentiment de consternation qui a frappé la ville de Caen et toute la région à la nouvelle de la mort du chef de la Sûreté Morin, tombé sous les balles du bandit qui avait déjà abattu le sous‑chef Bénard.

A 10 heures, l'assemblée déjà immense se grossit encore, quand le convoi funèbre s’organise. La famille, en grand deuil, se tient aux abords de la chapelle ardente. Les personnalités officielles se sont groupées à proximité des chars funèbres, que l'on recouvre d'un épais monceau d'immenses et nombreuses couronnes et gerbes splendides. Au hasard, on note sur les banderoles qui ceignent ces amas de fleurs : « Les commissaires, gradés, et agents de la police municipale »; « le personnel de la 3° brigade de police judiciaire » ; « les services municipaux » ; « les forains du marché Saint-Pierre » ; « l'Union nationale des combattants »; « la police municipale, la mairie et les amis de Ouistreham ».Il y en avait de nombreuses autres, apportées par des groupes d'amis. Enfin, celle de la ville de Caen, était portée à la main par des membres du personnel municipal, amis du policier.

Le cortège

Le convoi funèbre s'ébranla à 10 heures précises, au pas des chevaux harnachés.

Quand le corps fut placé sous la voûte de couronnes du dernier des chars, les cordons du poêle furent pris par MM. Lemonnier, secrétaire du commissariat ; Gautier, officier de Paix ; Demolles, secrétaire de la Sûreté ; Julien, sous-brigadier de la Sûreté ; Déméautis, brigadier de police ; Julien, adjudant de gendarmerie ; Regnier, officier de Paix en retraite ; Harrivel, ami personnel du défunt. La famille, en un long groupe compact, suivait.

M. Graux, préfet du Calvados, en grande tenue, venait ensuite en tête des personnalités, puis M. Detolle, maire de Caen et M. Charroy, commissaire central. Un nombreux groupe d'adjoints au maire et de conseillers municipaux précédait une délégation des membres de la magistrature et du barreau. Enfin, suivaient M.M. les commissaires de police et MM. les officiers de gendarmerie, une délégation de la Feldkommandantur et de la Kreiskommandantur, conduite par M. le lieutenant Ruolz; une délégation de la Sûreté; une nombreuse délégation de la police; des délégations des services municipaux ; de l'octroi; de la gendarmerie; des pompiers, etc...

Les personnalités

Au hasard, nous avons noté, outre les personnalités, déjà mentionnées, les noms de : MM. Dargent, commissaire divisionnaire, chef de la 3e brigade mobile de po1ice, Demangeot, procureur général ; Bernay premier président à la Cour d'appel ; Mangin, avocat gènéra1; Le Gall, conseiller à la Cour; Leroy, président du tribunal civil; Pêrés, procureur de la République ; Asseline, Perrotte, Patry, Legrix, adjoints ; le docteur Collin; MM. Dupont, Dyvrande, Fouque, Garnier, Grégoire, Lamy, Spriet conseillers municipaux.

M.M. Max Maurin, délégué général à la Famille, Coussy président du Conseil de préfecture interdépartemental ; Maurice-Charles Renard, secrétaire général de la mairie ; Féret de Longbois, ancien adjoint au maire de Caen ; R. G. Nobécourt, directeur du Journal de Normandie ; Garrido, conservateur du Musée ; Tiberty, directeur du théâtre municipal ;  MM. Les capitaines de gendarmerie Gaubert et Questaux ; M. le commissaire spécial  divisionnaire Radiguet avec ses services ; MM. les commissaires de police Lenoir, Prigent et Desvignes; M. le commissaire spécial divisionnaire honoraire Hennett ;  M. Pruède, commissaire de police en retraite, etc..., etc...

La cérémonie religieuse

Le convoi funèbre s'avança par le boulevard des Alliés, puis s'engagea dans la rue de Bernières, entre la haie serrée et ininterrompue de l'assistance, pour arriver à l'église Saint-Jean.

La vaste et belle église Saint-Jean, parée comme au jour du plus grand deuil, était quasi illuminée d'une multitude de cierges. Près du catafalque flottait, cravaté de crêpe le drapeau de l’U. N C., qu'y avait déposé la délégation conduite par M. Aze, président ; Poret et d'autres membres de la société. La messe, suivie dans le plus profond recueillement, fut célébrée par le R. P. Poughéol, missionnaire diocésain, remplaçant M. le chanoi­ne Pelcerf. L'absoute fut donnée par M. l'abbé Trilleste, curé de Bény sur Mer.

L'inhumation

Il était environ 11 heures quand le cortège reprit la rue Saint-Jean, en direction de la place Saint-Pierre, pour monter vers Saint-Gilles et se rendre au cimetière de la route d’Ouistreham.

Malgré l'éloignement du cimetière, le cortège était toujours nombreux pour accompagner M. Morin jusqu'à sa dernière demeure. La douloureuse cérémonie de la descente du corps fut rapide : la délégation de la police s'était développée en un large demi-cercle, cependant que le drapeau de l’U. N. C. s'inclinait toujours sur le cercueil, qui fut bientôt recouvert des couronnes mortuaires.

Les discours

Le clergé s'éloigna après une dernière prière et une dernière bénédiction. M. Charroy, commissaire central, prit le premier la parole pour retracer la carrière de Son excellent collaborateur.

En termes émus, il rappela le palmarès de ses belles actions, que le Journal de Normandie publiait l'autre jour. Puis il retraça les diverses péripéties du drame, dans lequel s'était jeté M. Morin, d'abord par devoir, en « mission commandée », puis aussi par dévouement à la cause publique et par courage dans l'exercice de sa profession. M. Charroy montra en lui le  collaborateur inestimable, puis l’homme aimable avec tous, excellent camarade avec ses collègues..

Il termina en promettant à la famille, à la police et à la population que tout serait mis en œuvre pour venger le chef regretté de la Sûreté caennaise.

M. Detolle, maire de Caen, parlant au nom de toute la ville, dit sa désolation de voir disparaître ce défenseur zélé de la société et de l'ordre public. Comme M. Charroy, il retraça quelques-unes des belles pages du livre d'or du policier caennais, au service des concitoyens depuis vingt-cinq ans. Il s’adressa avec émotion à la famille pour lui dire la part douloureuse que la ville entière prenait à son immense peine.

Enfin, M. Graux, préfet du Calvados, prononça un discours dont voici quelques passages :

« En cette heure triste, où le silence de l'éternel repos va succéder à la manifestation douloureuse d'une foule pieusement recueillie, le préfet représentant du Gouvernement, se doit d’apporter un hommage particulier à la mémoire d'Adolphe Morin, chef de la Sûreté de la ville de Caen, mort en service commandé, dans des circonstances tragiques venant d’être rappelées et qui ont si profondément ému la population.

 La carrière de M. Morin, que les orateurs précédents ont si exactement rappelée, se caractérise par la mise en pratique de deux vertus maitresses : dévouement et courage. Cc sont presque des vertus cardinales qui suffisent à magnifier un visage humain. Le chef que nous pleurons les possédait chacune à un degré très élevé. Si, dans sa lutte contre les forces du Mal. Il est tombé victime de son dévouement, il est tombé aussi victime de son courage.

Et c’est la raison pour laquelle le Ministre Secrétaire d’Etat à l’Intérieur, adhérant à ma proposition, a tenu à lui décerner, à titre posthume, la Médaille d’Or des Belles Actions, la Médaille de Vermeil étant accordée au sous-chef de la Sûreté Bénard, un brave lui aussi.

 La douloureuse et terrible épreuve que traverse notre pays veut que  ses serviteurs se donnent entièrement à lui. Morin s’était donné de toute sa force et de toute sa volonté. Il ne suffit pas, dans la période cruciale que nous vivons, de se replier, sur le passé et dc maudire, dans le présent, les choses et les gens. Il faut s'élever à la hauteur de son devoir.       

Morin fut un homme de devoir, esclave de sa tâche. Il s’y sacrifia intégralement. Il avait une mission à remplir dont il ne méconnaissait ni les difficultés ni le danger, accrus par le désordre des esprits. Hélas ! en cette atroce aventure qui ne se terminera que par le châtiment du coupable, il alla sans hésitation et sans mesure du risque jusqu’à l’accomplissement total,  jusqu’au suprême sacrifice. De ce sacrifice nous lui devons tous une immense gratitude. Et l’exemple que lègue le vaillant chef de la Sûreté, aujourd’hui disparu, nous nous devrons de le suivre et nous saurons le partager. Ce sera une manière, la meilleure, d’honorer sa mémoire.

C’est pénétré d’une grande mélancolie et d’une émotion infinie que je m’incline devant ce cercueil, et que j’adresse l'expression de ma sympathie douloureuse à sa veuve, à ses enfants, à ses collègues si péniblement éprouvés, à son chef de la police municipale aussi, dont je connais la peine si sincère et profonde, à la foule innombrable de ses amis dont les cœurs s’angoissent dans le silence, mais dont les esprits se tendent vers l’espérance d’une société devenue mieux maitresse d’elle-même et dont Adolphe Morin était l’un des courageux défenseurs d’une humanité délivrée de ses épreuves et de ses malheurs, éprise de plus de justice et de plus de bonté. »

A la suite de ces discours, l'assistance fit part de sa sympathie à la famille, à laquelle nous renouvelons nous-mêmes nos plus sincères condoléances.

E.R.

ENQUETE

Il n'était bruit, hier matin en ville, que de l'arrestation par la gendarmerie allemande du bandit Hopper dans la région trouvillaise où ainsi que l'a relaté le Journal de Normandie. celui-ci était traqué.

Après tout, la chose était possible et l'on se félicitait déjà de cette opération qui mettait hors d'état de nuire un malfaiteur des plus dangereux. D'autant plus qu'elle se produisait quelques heures avant les obsèques de sa victime, l'inspecteur Morin.

Hélas, la nouvelle était fausse malheureusement. Un démenti de l'autorité intéressée ne devait pas tarder à nous l'apprendre. Hopper est toujours en fuite !         

Sera-ce pour longtemps ? Nous, ne le pensons pas. En effet, nous avons signalé hier l'admirable ardeur des poursuivants et leur ferme volonté d'arriver à le rejoindre pour le capturer. Ils sont sur sa trace et quelles que soient les difficultés à surmonter, ils veulent arriver au succès final. Il s'en est fallu de bien peu, mardi après-midi, pour qu'ils atteignent ce but. Ils savaient que Hopper avait passé la nuit à Villerville, la station balnéaire voisine de Trouville. Le bandit y était arrivé en compagnie d'une femme, son épouse probablement.

Les policiers (brigade mobile, inspecteurs de la sûreté municipale et gendarmes) se précipitaient vers l'endroit désigné. Mais quelque rapide qu'ait été leur intervention, lorsqu'ils arrivèrent, le couple avait disparu. Une fois de plus, ils jouaient de malheur. Néanmoins, plus acharnés que jamais à la poursuite, ils reprirent la route vers des points différents tout en se rabattant afin de rétrécir le cercle de leurs investigations.

A l'heure où nous ècrivons, la chasse à l'homme continue, cependant que, dans le silence de son cabinet, M. le juge d'instruction Jacobsen continue son enquête.

Nos lecteurs comprendront que, nous ne puissions pas -du moins  pour l'instant- donner de plus amples détails à ce sujet. L'affaire, est grave, il ne faut pas l'oublier, et le cabinet d'instruction est clos, hermétiquement clos. Nous ne manquerons pas, d'ailleurs, de les tenir informés aussitôt que possible.

Enfin, nous mentionnions dans notre numéro d'hier l'arrestation de proches parents de Hopper, à la suite d'une visite au domicile de ces derniers situé dans la région de Bayeux, à Livry. Il s'agissait du beau-frère et de la belle-sœur du meurtrier, M. et Mme Thomas. Malheureusement, et nous le regrettons, une erreur d'ordre typographique nous a fait dire le « beau-père »  au lieu de beau-frère.

Deux mots encore sur la fausse identité de Hopper.

On sait qu'au cours de la perquisition faite au garage de la rue du Gaillon, les enquêteurs avaient découvert un permis de conduire dans l'une des poches de l'automobile que conduisait le meurtrier lorsqu'il abattit le brigadier Bénard, route de Lebisey. Cette pièce était établie au nom de Albert Couteret et il l'avait présentée à sa victime après que le policier l’ait interpellé.

Or, ce permis de conduire qui appartenait à un honorable commerçant de Dives-sur-Mer, où il gérait un fonds de boucherie appartenant à sa belle-mère, provenait d'un cambriolage.

En effet, il y a quelques années en 1934, M. Albert Couteret, un matin en prenant son travail, s'était aperçu qu’un malfaiteur avait pénétré pendant la nuit dans son magasin. Après avoir fracturé le tiroir-caisse qui ne contenait que peu d'argent du reste, il avait dérobé. une motocyclette et emporté un paletot de cuir dans la poche duquel se trouvait le permis de conduire, dont il s’agit en même temps que divers papiers et une somme de 350 francs.

La plainte déposée à l'époque par M. Couteret n'eut aucun résultat et depuis, Hopper détenait le permis. On conçoit l'émotion de son véritable propriétaire en apprenant au début de l'affaire, qu'il était recherché pour le meurtre du sous-chef de la Sûreté de notre ville.

P. GIBERT

Une prime de 5.000 francs a qui fera découvrir Hopper

Le Commissariat central communique :

Une prime de 5.000 francs (cinq mille) est offerte à toute personne dont les indications permettront de faire découvrir HOPPER. Discrétion assurée.

S'adresser au commissaire

Article du Journal de Normandie du 13 août 1941

 

Au Conseil municipal du 12 août 1941.

Se faisant l'interprète de l'édilité et de toute la population. M. Detolle fait l'éloge de l'inspecteur­chef de la Sûreté Morin , tombé, le 1er août, sous les balles d'un malfaiteur, et salue la mémoire de cette victime du devoir. Sur rapport de M. Dyvrande , le conseil décide que les frais de l'inhumation de l'infortuné policier et de l'achat d’une concession seront supportés par la ville, un crédit de 7.000 francs est voté à cet effet.

 

Sources

Archives de Jean Quellien

Article de Claude Doktor dans le N°192 de 39-45 Magazine, Heimdal Editions.

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