Témoignage paru dans la revue « Eglise de Bayeux et Lisieux » N°7, 3 avril 1994.

 

IL Y A 50 ANS…1940-1945

SOUVENIRS DES ANNÉES SOMBRES

L'ABBÉ MICHEL POIRIER VICAIRE A ST-PIERRE DE CAEN

PENDANT LA BATAILLE DE CAEN: JUIN-JUILLET 1944

 

Michel POIRIER, mon cousin, avait 30 ans en 1944 ; son curé, le Père Pierre RUEL en avait 52, et l'abbé Olivier de PANTHOU, 34.

Né à Caen, Michel fit ses études secondaires à Ste-Marie (alors rue de l’Oratoire).

Localisation de l'Institution Sainte Marie, rue de l'Oratoire sur plan topographique.

A 18 ans, il entre au Grand Séminaire de Bayeux. Après son service militaire, il est envoyé par Mgr PICAUD au Séminaire français à Rome pour trois années de théologie. Ordonné prêtre le 7 octobre 1937 en la chapelle du Séminaire de Bayeux, il retourne une dernière année à Rome pour y achever sa licence de théologie. En 1938, il arrive à St-Pierre de Caen.

Je ne crois pas qu'il ait jamais eu d'activités de résistance, mais à partir du 6 juin, il va donner dans sa paroisse et sa ville éprouvées le maximum de sa mesure.

Deux témoins m'ont raconté ... Jean-Jacques BARBIÉ, engagé dès le 7 juin dans les Equipes d'Urgence , a mis par écrit ses souvenirs en 1946.

 « 9 juin. Je vois l'abbé POIRIER qui attend des brancardiers pour enlever des corps étendus sur le trottoir. On parle déjà beaucoup de lui en ville, et plus tard, j'ai souvent entendu dire par des jeunes ou des adultes: "Ah ! S'il y en avait beaucoup comme lui, il y aurait bien plus d'monde pour la religion !". C'est le plus bel éloge qu'on ait jamais fait d'un prêtre ».

« 10 juin ( ... ) Au moment de partir (d'une maison en flammes) on aperçoit l'abbé POIRIER marchant à grands pas et traînant derrière lui vingt-cinq ou trente mètres de tuyau de pompier. Il avait récupéré ça à la caserne et nous le portait pour nous en servir. Nous parlons quelque peu avec lui et tout d'un coup, brandissant une bouteille de champagne sortie de je ne sais où : "Allons, les gars, on va boire un coup. Il fait soif à ce métier-là !". Et la bouteille de faire le tour de bouche en bouche, chaque lampée suivie d'un claquement de langue significatif. Après ça, il avise un piano tout bancal qui est venu échouer sur le trottoir, il le redresse, s'assied sur une pierre et tape dessus à grands coups de poing. J'ai l'impression que la musique n'était pas son fort. Puis, peu après, il nous quitte sur un bon mot. .. C'est un type extraordinaire. Partout où il passe, non seulement il apporte une aide matérielle mais encore une aide spirituelle, rien que par le courage et la joie qui sont sur ses traits. Pendant le débarquement, je l'ai toujours vu avec le sourire ... ".

Et la sœur de Michel, Anne-Marie, de sept ans sa cadette : étudiante à Paris en 1944, elle a pu revenir à Caen le 3 juillet, heureuse de retrouver ses parents et son frère, quatre jours avant le bombardement du 7 qui fera encore tant de victimes. C'est elle qui va apprendre d'une passante la mort de Michel , enfoui avec 70 personnes dans une cave du Vaugueux. Les corps ne seront dégagés des ruines que le 13 juillet. Anne-Marie aura réussi à trouver un cercueil de fortune pour son frère et à lui éviter la fosse commune. Le 14 juillet, Michel reposera dans le cimetière provisoire établi dans la cour du Lycée Malherbe, avant qu'une messe ne soit dite à St-Etienne pour toutes les victimes du bombardement. C'était la Libération de Caen, chèrement payée ...

Source film British Movietone News. Des tombes dans les jardins du Lycée Malherbe.

François CASSIGNEUL

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