INTERVIEW  D'UNE DES PERSONNES QUI PASSA LES LIGNES EN JUIN 1944, POUR SIGNALER LE PERIMETRE A PROTEGER

 

Il s'agit de M. Bernard Lecornu.

Note liminaire concernant ce pseudo interview plein de complaisance, dont la lecture met mal à l'aise.

L'auteur ne peut s'empêcher d'étaler sa rancœur envers "les Français de l'autre côté de la Manche"

-"Pauvre Coulet !"

-"costumes bien taillés"

-"nous sommes ici pour aider les Anglais, non pour gêner leur action. Ne comptez pas sur nous !"

-"commissaire de la République qui se pavane sur son balcon"

Et t'étaler sa suffisance:

-" j'étais certain qu'il irait à Caen" au sujet du Secours National, quand on connait l'aide extérieure apportée à Caen par cet organisme vichyste c'est affligeant !

-"je me promets de tout faire pour donner ces renseignements aux Alliés"

"la précision et la spontanéité de mes réponses"

-"concentrer tous les Caennais dans le périmètre du Bon Sauveur et prévenir les Alliés de votre initiative" dialogue avec le préfet Cacaud le 14 juin. Comme si les Caennais qui avaient investi ce lieu dès le 6 juin après midi avaient attendu ses conseils. Comme ci Mme Himbert n'avait pas rencontré les Alliés le 12 juin à Douvres. Comme ci M. de Clermont-Tonnerre n'était pas parti le 13 juin  à Paris pour alerter le Président de la Croix-Rouge Française.

En plus le couplet sur les bienfaits de l'administration en place et la nécessité de la continuité de l'Etat:

-"les Allés qui se seraient fort bien accommodés de l'administration en place" Bien sûr ! comme à Alger en novembre 1943 avec Darlan.

Une pique envers celui qui l'a révoqué, lui le préfet qui avait prêté serment au maréchal Pétain:

"le milicien Darlan" au lieu du Secrétaire Général au Maintien de l'Ordre Joseph Darlan.

L'ami des Anglais et de Maurice Schumann:

-"conversation amicale en buvant du thé, croquant du chocolat et fumant des cigarettes anglaises"

- le couplet sur le colonel Usher "J'espère que vous êtes satisfait du résultat de la mission Lecornu"

-Maurice Schumann qui devient "Maurice"

Je passe sur les inexactitudes historiques:

-le général de Gaulle est à Bayeux le 14 juin, non le 15.

-Mlle Denise Brouzet n'était pas chef des Equipes d'Urgence mais responsable des Ambulancières.

Bernard Lecornu a été incarcéré pendant cinq mois à Fresnes, libéré, réintégré dans ses fonctions de préfet et décoré de la médaille de la Résistance avec rosette. Dont acte.

Maurice Papon était titulaire de la carte du Combattant Volontaire de la Résistance à partir du 1 janvier 1943. (Décision du Jury d'Honneur en date du 15 décembre 1981).

Question : Comment se fait-il que, Préfet de la Corrèze, vous vous soyez trouvé à CAEN le 14 juin 1944 ?

 

Réponse : J'ai en effet été Préfet de la Corrèze en 1943, mais j'ai été révoqué par le Gouvernement de Vichy en février 1944, lorsque le milicien Darnand fut nommé Secrétaire d'Etat à l'Intérieur, chargé de la police. Huit jours plus tard, j'étais recherché par les Allemands qui s'emparèrent de René Tomasini, Chef de mon Cabinet et de mon Chauffeur. Ils connaissaient jusqu'à mon pseudonyme dans la Résistance. Je me cachais donc à Paris. Lorsque j'appris le 6 juin par la radio le débarquement en Normandie, je n'eus qu'une idée : gagner CAEN où mon père exerçait la profession de médecin, pour avoir des nouvelles de toute ma famille et, si possible, rejoindre les alliés.

J'allai voir M. Gouineau, Secrétaire Général Parisien du Secours National. Nous nous étions liés d'amitié, lorsque j'étais Sous-préfet de Saint-Nazaire, où il organisa de main de maître un service d'aide et de ravitaillement aux sinistrés des bombardements. J'étais certain qu'il irait à CAEN, et lui demandai de m'emmener. Le tout était d'obtenir l'autorisation des Allemands. II s'y employait. Pendant ce temps, j'appris d'un résistant ami, infiltré chez Déat, personnalité très proche de l'Ambassade d'Allemagne, que les Allemands avaient bien prévu le débarquement allié. Pour le repousser ils avaient massé des Panzer divisions à l'intérieur du pays mais ils avaient sous estimé la supériorité de l'aviation alliée : les Panzer divisions partaient pour le front mais étaient décimées en route.

C'est donc tout joyeux que j'annonçai la nouvelle à Gouineau le 12 juin. Il avait lui-même des raisons de se réjouir, l'autorisation d'emporter des médicaments à CAEN lui était accordée. Une réserve cependant nous fit déchanter, son convoi devait être intégré dans celui de la 21e Panzer division. Le rendez-vous était fixé à 17 heures, place Saint-Augustin, le même jour.

Homme de décision, Gouineau s'y rend seul, fait comprendre au Colonel, commandant l'Unité Allemande que la désorganisation totale des transports de la région parisienne l'a empêché de réunir sa cargaison, et lui propose de le rejoindre sur la route. Surprise ! le Colonel accepte. Mais il ne voyagera que de nuit, faisant un large détour. Déployant une carte Michelin-France, il marque au crayon à encre les deux étapes fixées pour les deux journées à venir : la première dans un bois aux environs de BROU, la seconde à un carrefour de la forêt d'ECOUVES près d'ALENÇON. Regardant cette carte, je n'en crois pas mes yeux ! Je n'ai pas de contact prévu avec les amis de mon réseau dans les 48 heures suivantes, mais je me promets de tout faire pour donner ces renseignements aux alliés.

Pour laisser du champ à la Colonne Allemande, nous attendons 21 heures et partons sur VERSAILLES et DREUX. Nous nous assurons que le laissez-passer remplit son office et nous piquons au nord sur HOUDAN, regagnons la N. 13 à PACY-SUR-EURE. Nous roulons parmi les carcasses de véhicules calcinés en un parcours jalonné de buchers. A plusieurs reprises nous quittons la route pour éviter le tir d'avions Anglais. EVREUX brûle. Court arrêt pour ravitailler la section locale du Secours National et en route pour LISIEUX. Au carrefour de MALBROUCK (Note de MLQ: entre la RN13 et la RN138) nous croisons des soldats Allemands traînant leurs fusils dans l'herbe des bas-côtés. C'est la débâcle. LISIEUX brûle aussi. Le jardin public est transformé en centre d'accueil. Nous y mangeons un morceau tandis que le reste de notre cargaison est déchargé sur place. Gouineau n'ayant plus rien à emporter à CAEN, me charge de remettre deux millions en billets de 100 francs, au Secours National de CAEN. La bicyclette que j'ai glissée dans notre camionnette est hors d'usage. Son cadre a reçu un éclat. Par chance, le Docteur Cayla, Directeur de la Santé du Calvados, passe par là ; il est en inspection et repartira à CAEN. Il m'emmènera. J'ai juste le temps d'accompagner Gouineau dans la crypte de la Basilique pour remettre à la mère supérieure une lettre que nous a confié l'archevêque de PARIS. La religieuse l'ouvre devant nous et éclate en sanglots. Elle est la sœur cadette de Thérèse de l'Enfant Jésus et nous lui apportons la nouvelle de la promotion de celle-ci, au rang de deuxième Sainte de France après Jeanne d'Arc. Ses nerfs ont craqué alors qu'ils avaient tenu sous les bombardements.

Cayla repart, faisant un détour par VIMOUTIERS pour inspecter des centres de secours. Nous voici au pont du Coudray. Une escadrille anglaise le survole. Nous attendons avant de nous y engager, mais c'est le village de VIEUX (Note de MLQ: 12 km au Sud-ouest de Caen) qui a trinqué : un rassemblement de chars allemands s'y dissimulait. II y a des morts civils. Nous ramassons 20 blessés.

Enfin, au petit matin, nous arrivons rue Caponière à CAEN, dans une annexe de l'hôpital du Bon-Sauveur. Le Docteur Adeline, Président de la Croix Rouge de CAEN, me rassure sur le sort de mes parents, et je m'étends deux heures sur le lit de M. de Clermont Tonnerre, Président Départemental de la Croix Rouge, en mission à PARIS.

 

Question : C'est donc pour fournir des renseignements aux alliés que vous avez cherché à passer les lignes ?

 

Réponse : Ce n'est pas si simple. Après avoir récupéré, je vais embrasser mes parents qui par miracle ont échappé à la mort sous les ruines de leur maison, et je rencontre Poirier, Adjoint au Maire de CAEN, sous le cloître de l'Abbaye aux Hommes. II me tient au courant de la situation désespérée des Caennais. Il y a de nombreux morts, parmi lesquels une partie de ma famille Ozanne. Beaucoup d'habitants se sont évacués par leur propres moyens. Ceux qui restent sont pour la plupart rassemblés dans l'ensemble formé par le Bon-Sauveur, l'Eglise Saint-Etienne et le Lycée Malherbe.

 Ils s'attendent à être écrasés sous les bombes d'un moment à l'autre. Pour m'informer davantage, je rends visite à mon collègue et ami Cacaud , Préfet du Calvados. Il fait face à la situation avec calme et sang froid. Tout contact avec PARIS est coupé. Son collègue de l'Orne sollicité a refusé toute aide. Et les Allemands lui enjoignent d'évacuer la population civile. L'itinéraire imposé passe par BOURGUEBUS, ne dispose plus d'aucun véhicule pour transporter les malades, vieillards, femmes et enfants qui constitueraient son pitoyable convoi.

 Je lui dis ce que j'ai vu pendant mon voyage, le carnage de VIEUX. Mettre les Caennais sur les routes dans ces conditions, c'est les envoyer à la mort.

- Mais que faire ? me dit-il ?

- Concentrer tous les Caennais dans le périmètre du Bon-Sauveur et prévenir les alliés de votre initiative.(Note de MLQ: dialogue surréaliste)

- Mais comment ? Je n'ai aucun moyen de communiquer avec les alliés. La Croix Rouge a fait une démarche dans ce sens auprès des Allemands. Elle a été rejetée. M. de Clermont Tonnerre est parti demander à la Croix Rouge Suisse d'intervenir, mais le résultat est douteux et au demeurant sera trop tardif.

- Eh bien, dis-je, je peux tenter de traverser les lignes pour transmettre votre demande. Les alliés seront d'autant plus enclins à la prendre en considération si j'ajoute que des blessés Anglais et Canadiens se trouvent au Bon-Sauveur. Cacaud me regarde avec des yeux ronds.

- Ne croyez pas qu'il s'agisse d'une simple ligne de démarcation. C'est un front continu. On vous tirera dessus des deux côtés:

- Bah ! C'est bien le diable si je ne passe pas. J'ai confiance en mon étoile.

- Dans ces conditions, je vais dire à Adeline de vous aider avec ses équipes d'urgence. De toute manière, vous ne pouvez rester ici : les Allemands vous y ont recherché.

Je me précipite chez Adeline. Il va au-delà de mes désirs: Il demande à Mademoiselle Brouzet, Chef des Equipes d'Urgence (Note de MLQ: non c'est M. Adeline, Mlle Brouzet est responsables des Ambulancières) , de trouver un volontaire pour me conduire à proximité, et, si possible au delà des lignes. Mademoiselle Brouzet se désigne elle-même.

Sitôt décidé, sitôt réalisé. Au volant d'une Amilcar banalisée, Mademoiselle Brouzet m'emmène vers Couvrechef (Note de MLQ: 3 km au Nord de Caen).

 

Question : Le voyage n'a pas du être une partie de plaisir ?

 

Réponse : Moins difficile que je n'imaginais. Notre stratégie consiste à suivre l'Orne par la route de OUISTREHAM. Très rapidement, sous la menace convaincante de mitraillettes, nous sommes détournés vers la route de La Délivrande, puis celle de Courseulles. Nous tournons en rond. Le clocher de SAINT­CONTEST apparaît à moitié démoli: J'escalade l'escalier en colimaçon encombré de gravats, dans la poussière des pierres fraîchement éboulées. Je peux m'orienter. Vers CAIRON, trois chars allemands sont tournés en direction du nord ; mais en regardant attentivement, je distingue dans un bois du côté de VILLONS-LES­BUISSONS un mur en partie écroulé d'où dépassent des pièces d'artillerie dirigées vers nous : c'est là que passe le front.

Nous traversons un hameau. Je suis occupé à dégager la route des décombres qui bloquent le passage lorsque j'entends des accords de piano. Quand je me redresse, je me trouve en face d'un Oberleutenant qui m'interpelle. Comme je l'ai déjà raconté à différentes reprises, je dis que je vais chercher un blessé.

- Unmöglich ! Raus ! Zurück !(Impossible, dehors, en arrière) .Comme j'insiste, il m'envoie à BURON (Note de MLQ: hameau de SAINT-CONTEST), voir son supérieur. Je connais par avance le résultat de cette nouvelle démarche. Nous faisons donc semblant de nous rendre à l'invitation de l'officier, mais nous empruntons bientôt un chemin de terre qui semble se diriger vers le front. Deux champs de blé l'encadrent et, en ce mois de juin, les tiges sont suffisamment hautes pour nous dérober à la vue des observateurs. Nous sommes maintenant tout proches de la propriété dont j'ai observé les murs du haut de mon clocher. Mais le champ de blé se transforme en terrain en jachère légèrement vallonné. Au sommet de la faible pente, à notre droite, quatre soldats allemands dans la position du tireur couché, observent la plaine. A tout hasard, je leur fais un signe amical de la main. A ma grande surprise, ils me répondent par le même geste ! Je cesse alors de les regarder et dis à Mademoiselle Brouzet :

- Vite, continuons !

Imperturbablement, elle avance à la même allure. C'est seulement lorsque nous arrivons à proximité de notre objectif que les soldats ouvrent le feu sur nous. Sans doute hésitaient-ils à la faire pour ne pas signaler leur présence : mais puisque nous les avions vus, ils n'avaient plus le choix.

Nous descendons précipitamment de voiture, et avec la complicité d'un nouveau champ de céréales, nous avançons en courant. Nous levons les bras, car des armes sont pointées dans notre direction. Le bois est la propriété du Général d'Escrienne et de ses enfants, M. et Mme de Paix de Cœur, au lieu-dit actuellement Hell's Corner. II est rempli de Canadiens.

J'ai l'agréable surprise de constater que Mademoiselle Brouzet parle aussi bien anglais que français. Décidément, elle aura été durant toute la durée de notre périple d'une très grande efficacité. A aucun moment, pendant les diverses péripéties du parcours, ma conductrice n'a manifesté la moindre hésitation, la moindre peur, la moindre tentation de me laisser continuer seul. Malheureusement, quelques semaines plus tard, elle voudra profiter de la percée D'AVRANCHES pour regagner son poste et elle sera portée disparue. J'en éprouve à la fois beaucoup de peine et un peu de remords. C'était une femme de devoir.

Mais ce 14 juin, nous sommes immédiatement emmenés à DOUVRES-LA­DELIVRANDE, où le Capitaine Fitzpelt nous interroge. Il se montre surpris de notre traversée des lignes en voiture, et stupéfait de voir la Carte Michelin avec des annotations allemandes ! Après une longue conversation téléphonique, il la fera porter sans délai à l'Etat Major. Et mon premier interrogatoire commence.

- Qui êtes-vous ? Pourquoi et comment avez-vous traversé les lignes ?

J'explique l'objet de ma mission. Je tire argument de notre passage en voiture pour montrer la faiblesse des effectifs allemands devant CAEN. Tout ce que j'ai vu, indique que la ville est à la merci des troupes alliées. Nous discutons pendant une partie de la nuit. Ce n'est plus un interrogatoire, mais une conversation amicale en buvant du thé, croquant du chocolat et fumant des cigarettes anglaises.

    Au petit matin, on m'emmène sur un char léger à TIERCEVILLE l'Intelligence Service et l'Etat Major me réclament. Le parcours de DOUVRES à TIERCEVILLE me remplit de joie. Du haut de ma tourelle je domine la mer, noire de bateaux, dans un port artificiel, protégé des bombardements en piqué par de nombreuses saucisses au bout de leur câble. Aucune parcelle de terrain ne paraît inoccupée. Tout autour de moi, c'est une véritable fourmilière, des files ininterrompues de véhicules dans les deux sens. La route est trop étroite. Déjà une autre voie est en construction pour la doubler. D'impressionnantes machines inconnues nivellent le terrain : ce sont des bulldozers. Partout des parcs à munitions, à voitures. On aménage des hôpitaux, des baraquements. C'est un contraste inouï avec le territoire contrôlé par les Allemands.

Je suis accueilli à TIERCEVILLE par le Capitaine Smith. Son interrogatoire est précis. Il fouille les moindres détails de mon curriculum-vitae : La Résistance en Corrèze, la vie à PARIS, notre voyage. Je le sens maintenant en confiance. Nous mangeons ensemble corned beef, légumes de conserve et l'inévitable chocolat. Puis le Colonel Pirie prend le relai. Sa religion est faite en ce qui me concerne, et la Carte Michelin que j'ai remis à ses services alors que les panzers étaient encore tapis dans la forêt D'ECOUVES, paraît avoir fait quelque sensation.

Je plaide à nouveau la cause des Caennais. II faut à tout prix ménager le périmètre « Lycée, Saint-Etienne, Bon-Sauveur ». Mais je vais plus loin : je fais observer au colonel, que je comprends la conjoncture : CAEN est considérée comme une forteresse allemande qu'il faut détruire avant d'y pénétrer le jour J-X. Mais les renseignements que je lui apporte et que doivent confirmer les aviateurs d'observation concordent. Il n'y a aucun préparatif de défense, dans ni autour de CAEN. Le faible réseau de troupes échelonnées au nord de la ville ne peut être destiné qu'à faire illusion aux alliés. Dans ces conditions, achever de détruire la ville où ne se trouvent guère que des civils, des malades, des blessés (Français, Allemands, mais aussi Canadiens et Anglais) serait un crime.

Notre entretien terminé, le colonel me propose de me conduire à BAYEUX, où une chambre me sera réservée à l'hôtel du Lion d'Or.

Itinéraire de M. Bernard Lecornu et Mlle Denise Brouzet les 14 et 15 juin

Question : Je suppose que vous avez reçu à BAYEUX un accueil chaleureux ? N'est-ce pas ce même jour que le Général de Gaulle y a fait une visite éclair ?

 

Réponse : Détrompez-vous ! A peine ai-je déposé mon maigre balluchon à l'hôtel, je sors pour profiter du spectacle de la ville animée comme jamais, car des centaines de soldats déambulent au milieu de nombreux civils. Parmi ceux-ci, j'aperçois quatre messieurs vêtus de costumes bien taillés, arborant à la boutonnière des Croix de Lorraine en émail. De toute évidence, ils débarquent de LONDRES. Je vais à eux. Ils confirment mon impression, mais quand je leur demande de joindre leurs efforts aux miens pour obtenir que CAEN ne soit pas détruit, je me fais répondre :

« Nous sommes ici pour aider les Anglais, non pour gêner leur action. Ne comptez pas sur nous »!

J'apprends que le Général de Gaulle venu la veille, a laissé derrière lui un Commissaire de la République, François Coulet, et quelques militaires dont le Colonel de Chevigné qui doit, semble-t-il constituer un embryon d'armée. Je tiens à me présenter aux autorités mises en place par de Gaulle. Ma présence à BAYEUX ne doit pas être clandestine. Je me rends à la Sous-préfecture. Le Colonel de Chevigné s'y trouve mais ne m'écoute pas : il est pressé. Et quand j'évoque la possibilité d'être reçu par le Commissaire de la République :

« C'est une démarche inutile » me dit-il.

Les représentants du Général de Gaulle ne connaissent de moi que ce que je leur ai dit : je suis un Préfet du Maréchal Pétain, révoqué qui a passé les lignes. Or, lorsque je regagne mon hôtel, j'y trouve un planton de la Sous-préfecture. II me fait savoir que je suis astreint à résidence à l'Hôtel du Lion d'Or. Charmantes retrouvailles avec les Français de l'autre côté de la Manche !

Coulet vit dans une tour d'ivoire. II n'a qu'un but : asseoir son autorité coûte que coûte, car il n'est-pas encore reconnu officiellement par les alliés qui se seraient fort bien accommodés de l'administration en place. Or, voilà un ancien Préfet de Vichy qui débarque et les Anglais l'installent à l'Hôtel du Lion d'Or. II faut le déconsidérer. Le plus simple pour Coulet, aurait été d'accepter ma demande d'engagement dans les Forces Françaises Libres. Mais non ! Elle m'est refusée en application d'un décret visant "les individus dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique ».

Pauvre Coulet !

Heureusement il y a Desprairies. C'est le fils d'un médecin de BAYEUX apparenté à ma famille par alliance. Coulet l'a désigné comme chef de son cabinet. Je lui raconte ma carrière : il m'écoute et il me croit. Contrairement aux ordres de Coulet qui l'a mis en demeure de rompre toutes relations avec moi, au risque de perdre son poste, il m'invite à dîner avec Maurice Schumann.

Car il y a aussi Maurice Schumann, reconnu dans le hall de l'Hôtel du Lion d'Or, au son de sa voix si souvent entendue à la radio de LONDRES. J'avais déjà de l'admiration pour le porte parole de la France Libre, mais son personnage dégage la sympathie. Nous échangeons nos impressions, lui sur les Français libérés, moi sur le réconfort que nous apportait sa voix. Je n'oublie pas cependant de lui dire qu'au moment du commando sur Saint-Nazaire, il aurait pu se dispenser d'annoncer que les civils avaient pris les armes aux côtés des Anglais. Sans doute, cela remontait le moral des Français occupés, mais m'obligea à des tours de force pour éviter des représailles.

Très vite, nous sommes au même diapason.

Le soir même de mon arrivée, il s'apprête à aller écouter la radio de LONDRES, diffusée par haut-parleurs sur la place de la Sous-préfecture, car faute d'électricité, les Bayeusains sont privés de radio. Maurice Schumann me prend par le bras, et malgré l'interdiction formelle de Coulet, m'entraîne avec lui. Nous sommes au premier rang des auditeurs, au nez et à la barbe du Commissaire de la République qui se pavane sur son balcon.

Ma sympathie pour Maurice se transformera rapidement en amitié, et, plus tard, en affectueuse reconnaissance.

    Je ne puis résister au plaisir de raconter une anecdote le concernant : A son arrivée à BAYEUX, persuadé de l'état de famine de la population, il s'astreignit à ne manger que des conserves de l'armée, pour ne pas contribuer à la disette des civils, jusqu'au jour ou, invité par le Docteur Desprairies, il se vit servir un poulet Vallée d'Auge flambé au calvados et nageant dans la crème ! II avait oublié que le Bessin, coupé du reste de la France regorgeait de viande et de laitages.

Mais, en ce mi juin 1944, ce qui compte pour moi avant tout, ce sont mes tractations avec les Anglais. La précision et la spontanéité de mes réponses, l'exactitude de mes renseignements qu'ils ont contrôlés, les a convaincus. Le 17, on me fait savoir que l'Etat Major tient le plus grand compte de la démarche de Cacaud. C'est bien là l'essentiel.

 

Lorsque le Colonel Usher prendra possession de CAEN le 7 juillet et rendra visite au Préfet Cacaud, encore en place pour quelques heures, une des premières phrases qu'il adressera à Cacaud en présence de Cayla et d'Adeline, dont je conserve précieusement les trois témoignages écrits sera : « J'espère que vous êtes satisfait du résultat de la mission LECORNU ».

Extraits du livre « Un Préfet sous l'occupation »
aux Editions France Empire

Avec l'aimable autorisation de l'Editeur.

Ce document est paru dans

Ville de Caen

TEMOIGNAGES

Récits de la vie caennaise 6 juin-19 juillet 1944

Brochure réalisée par l’Atelier offset de la Mairie de Caen Dépôt légal : 2e trimestre 1984

Pour les villes citées lien avec le site de Philippe Corvé:

ALENCON, BAYEUX, BOURGUEBUS, BURON, CAEN, CAIRON, COURSEULLES SUR MER, FORET D'ECOUVES, LA DELIVRANDE, OUISTREHAM, SAINT-CONTEST, TIERCEVILLE , VIEUX, VILLONS LES BUISSONS,

VIMOUTIERS.

 

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