PAUL CONTANT Né le 15 décembre 1927

En 2005, avec mon épouse au cimetière de Colleville sur Mer. Avec la photo d'Augustine Smola, 4th US Infantry Division, 12th Infantry Regt, 1st Battalion, Company C. , débarqué à Utah le 6 juin vers midi, mort le 8 juin 1944 à Azeville. Cette photo a été envoyée à son petit neveu aux States.

Témoignage vécu les 6 et 7 juin 1944 à Caen pendant les premiers bombardements, puis les carrières de Fleury et l'exode jusqu'au Merlerault (Orne).

J'avais 16 ans et demi, j'étais apprenti et je me trouvais à Caen depuis peu ; deux ou trois jours il me semble.

J'avais pris une chambre au dernier étage, dans une mansarde de l'hôtel « Rubis Bar », rue Saint Jean. L'immeuble était situé face à la rue Saint Louis qui est aujourd'hui l'avenue de Verdun.

Document préparé à partir de plans des Archives Municipales de Caen, les rues ont été agrandies et déplacées à la reconstruction. Voir ici une photo prise à la fin des années 40 après le déblaiement et avant la reconstruction.

Le 6 au matin, je suis descendu. Je rencontrais la propriétaire et quelques clients qui discutaient. C'est alors qu'ils m'ont appris le débarquement. Effectivement, en y prêtant attention, on entendait un roulement lointain et continu qui semblait venir de la mer.

La propriétaire me fit aussitôt savoir qu'elle partait chez des parents à la campagne et qu'elle ne voulait pas rester une heure de plus à Caen. Comme à cette époque on payait les chambres à l'avance, elle me remboursa le trop payé.

Je ne me souviens pas exactement de ce que j'ai fait dans la matinée. Je ne me suis certainement pas éloigné de l'hôtel où j'avais ma chambre jusqu'au soir. Les groupes se formaient dans la rue et j'allais aux nouvelles en prêtant attention à tout ce qui se disait. Je me souviens parfaitement avoir entendu parler de tracts mais je n'en ai pas vu.

Vers 13 heures je suis remonté dans ma chambre.

C'est alors que se produisirent de fortes explosions qui ébranlèrent les murs. Je sautais sur mon sac en réunissant mes quelques affaires et je sortais précipitamment dans la rue.

J'ai croisé à cet instant un homme qui marchait rapidement en tenant un enfant ensanglanté dans les bras. J'ai alors pris conscience du danger et je me suis inquiété.

J'ai rencontré des agents de la défense passive qui m'ont alors indiqué l'emplacement d'un abri antiaérien à deux pas, rue Saint Louis, face à la Banque de France.

L'abri avait été construit dans ce qui me semble être un square, ou une pelouse ; enfin un espace ouvert. Il était en forme de U et on y accédait par quelques marches qui descendaient.

"Photo Archives Municipales de Caen"  AGRANDISSEMENT (Note de MLQ: Paul Contant qui a découvert cette photo en mai 2009 avec beaucoup d'émotion, précise que l'entrée de l'abri est à gauche, il était protégé par un monticule de terre)

Les parois étaient soutenues par des bois de mine et un banc courrait tout le long. Lorsque je suis descendu un groupe de femmes se trouvait dans le couloir de l'entrée.

C'est d'ailleurs tout de suite après être arrivé et ressorti que j'ai vu un officier Allemand sortir de la Banque et courir à vive allure, une sacoche à la main, en direction de la place du Maréchal Foch.(Note de MLQ: lire le témoignage de M. Bavay directeur de la Banque de France, au 3ème paragraphe il fixe la scène vers 16H00)

J'ai passé l'après midi dehors, devant l'abri, ce qui fait que j'ai eu tout le loisir de voir la grille d'entrée de la Banque et j'ai le souvenir bien gravé du texte « Banque de France ».

L'entrée de l'abri était très exactement où se trouve ce petit arbre. L'angle de la photo reproduit ce que je voyais puisque j'ai passé l'après midi à regarder la rue. En face le portail de la Banque de France. Mon épouse en 2005, mon premier retour à Caen depuis 1944

Vers le soir Je suis rentré a l'abri. Avant d'entrer, j'ai jeté un dernier coup d'œil pour repérer mon hôtel "Rubis Bar". Je pensais qu'ainsi je ne serais pas perdu si j'avais à y retourner. je n'avais pas idée de ce qui allait suivre. Je suis passé devant les femmes et j'ai pris ma place dans le couloir qui tournait à droite à angle droit.

 Photo, zoom de la photo aérienne: à droite l'arrière de l'immeuble où était l'abri, de l'autre côté de la rue Saint-Louis la Banque de France.

Je me suis endormi allongé sur le banc.

C'est vers trois heures du matin, je crois, que s'est produit le bombardement d'une extrême violence. Je me suis bien entendu réveillé en sursaut.

C'était  une pluie de bombes, un déluge incessant.  Les murs tremblaient, la poussière avait envahi l'abri. Je me revois respirant parfois au travers de ma manche.

Les femmes s'étaient réunies et s'étaient mises à prier.

Tout naturellement je me suis rapproché d'elles et j'ai fait comme tout le monde : j'ai prié.

L'une d'elle, qui devait avoir un chapelet commandait le  groupe et dès qu'elle sentait la ferveur diminuer, elle reprenait de plus belle, fortement : « Ave Maria... »

Bien  que nous soyons tous convaincus que notre dernière heure était arrivée il n'y avait pas de panique.

Ce furent de longues minutes interminables. Et puis le calme est revenu. Quelqu'un a allumé une bougie. C'est alors que j`ai constate que le fait de m'être rapproché des femmes m'avait sauvé la vie: le couloir où je me trouvais s'était effondré.

L'entrée s'était également effondrée et nous étions bloqués des deux côtés.

Par chance, au petit matin, j'ai pu voir un point de lumière dans les éboulis de l'entrée. Je me suis dit « on va pouvoir sortir »

Je me suis mis à déblayer l'entrée, en enlevant les bois de mine que les femmes se repassaient jusqu'au fond.

Lorsque l'ouverture a été suffisante, comme j'étais maigre à l'époque,  j'ai pu me faufiler pour sortir.

Je venais à peine d'émerger lorsque je vis venir vers moi, sur ma droite, deux agents de la Défense Passive.

Ils me demandèrent s'il y avait des victimes à l'intérieur. Lorsque j'ai répondu que non, « Et là ?» me dirent-t-ils.

Malheureusement à mes pieds gisait le cadavre d'une femme décapitée Vraisemblablement cette personne avait voulu entrer dans l'abri pendant le bombardement.

Lorsque tout le monde a été sorti, ils nous ont conseillé de nous rendre aux carrières de Fleury sur Orne - Les champignonnières.

Itinéraire suivi par les réfugiés de Caen vers les carrières de Fleury-sur-Orne. Le carré marron à droite de l'hippodrome de la Prairie représente le Monument aux Morts au centre de la place Foch à droite la rue Saint-Louis.

Il m'est resté le souvenir de marcher au milieu des gravats, des tas de pierres et des fils électriques tombés à terre. Curieusement je ne me souviens pas d'une ville en flamme, mais d'une ville en ruine avec énormément de poussière et des fumées ,: mais pas de grands incendies,

Nous avons traversé la place du Maréchal Foch. Là un spectacle horrible nous attendait : beaucoup de soldats Allemands morts, des chevaux morts et éventrés, l'horreur !

"Photos collection Musée Mémorial de Bayeux, présentées page 36 de Bataille de Caen, Editions Heimdal, 1988 avec l'aimable autorisation de Jean-Pierre Benamou". La place Foch, des réfugiés quittent la ville, dans le fond l'hôtel Malherbe le siège de la Feldkommandantur 723.

Je veux dire que, contrairement à ce que j'ai lu dans certains livres, la Banque n'a pas été bombardée dans l'après midi du 6, et le quartier n'a pas été détruit. Il y a bien eu les fortes explosions vers 13 heures mais le quartier n'a été rasé que dans la nuit.

Façade de la Banque de France après les combats.

 

Deux vues de la Rue Saint-Jean avant et après la bataille de Caen.

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A gauche photo aérienne de la RAF le 12 juin, le bâtiment en croix au bout de la ligne jaune au centre l'église Saint-Jean, en rouge l'entrée de l'abri, les cercles bleus une tentative d'estimation des impacts de bombes !

A droite une vue du quartier Saint-Louis prise en haut de l'hôtel Malherbe (le point A de la photo à gauche) au premier plan à gauche l'immeuble Beauséjour, à droite les tours de Saint-Jean, au centre la façade de la Banque de France, l'abri est hors cadre à droite.

Nous sommes arrivés aux carrières de Fleury. Comme je ne suis pas de la région et que j'étais à Caen par hasard, je ne saurai pas dire dans quelle carrière je me suis retrouvé.

Ce qui m'a frappé en arrivant c'est le nombre de personnes présentes. Certains devaient être là depuis la veille car tout semblait organisé : Ils avaient apporté leur lit, leur table de nuit, la lampe à pétrole et même leur pot de chambre !

 La soupe de légumes, qui allait devenir notre alimentation quotidienne, était servie tous les jours. Il me semble que j'avais une gamelle comme en avaient tous les ouvriers du bâtiment qui mangent sur le tas.

 Je dormais sur de la paille que la défense civile nous avait procurée. J'avais juste mon sac avec le strict nécessaire et il me servait de taie d'oreiller;

 Une scène particulière m'est restée de mon séjour : c'était une femme qui parlait à d'autres et qui avait dû aller faire une reconnaissance en ville. Elle se lamentait, elle pleurait même, car elle venait tout juste de monter un bar tout neuf : « Dites, vous vous souvenez de mon bar ? - Il ne reste plus rien. C'est tout détruit ! » J'ai entendu des personnes dire que les premiers bombardements avaient fait 10 000 morts dans la ville, la plupart bloqués dans les abris ou dans les caves après l'effondrement des structures supérieures. A ce jour je ne connais toujours pas le nombre exact, mais on parle d'environ 3000 morts. (Note de MLQ: 1967 au dernier recensement)

 Je pensais en moi-même que j'avais eu beaucoup de chance. Car une chose est sure : j'avais même eu une double chance : D'abord la Défense Passive m'avait conseillé un bon abri mais également je m'étais déplacé juste à temps pour me rapprocher des femmes qui priaient et ce petit déplacement de deux mètres m'avait sauvé la vie.

 Le 14 au matin, la Défense Passive a organisé un convoi pour l'évacuation. Je connais la date par les livres, ce qui voudrait dire que je suis resté une semaine dans les champignonnières, mais dans ma mémoire il m'avait semblé que c'était moins.

 Nous fumes dirigés vers Trun (Orne). Combien ? je ne sais pas, mais sûrement plusieurs milliers. Tout le monde s'entraidait, et je transportais parfois les bagages de quelqu'un.

 Rapidement le convoi s'est étiré et s'est formé en groupes, selon la vitesse de chacun. Petit à petit il a diminué d'importance. Certains restaient dans des bourgs, chez des parents ou des amis. Comme je marchais vite je dépassais les gens qui étaient chargés ou les personnes âgées qui s'arrêtaient pour se reposer.

 J'ai fini par me retrouver parmi un groupe d'hommes un peu plus âgés que moi. Pour vous dire mon état d'esprit, j'étais tout jeune à l'époque et je ne peux pas dire que j'ai gardé un mauvais souvenir de cette marche. C'était comme une aventure.

 Nous n'avons pas eu à nous plaindre de la faim. Ici où là on trouvait une bonne soupe de légumes. J'étais toujours à l'affût des nouvelles des adultes. De temps en temps des convois militaires allemands nous croisaient ou nous dépassaient. Nous savions que nous n'avions rien à craindre de l'aviation. Elle était toujours notre alliée. J'ai ainsi gardé le souvenir de deux avions américains qui passèrent sur nos têtes, longeant la route.

En arrivant à Trun on nous a dit que la ville ne pouvait pas nous recevoir car elle était déjà remplie de réfugiés, et nous avons été envoyés au Merlerault. (29 km plus loin)

 Je me souviens particulièrement de l'arrivée. Ils avaient préparé de la soupe dans d'énormes faitouts et il y avait de la viande. Pour moi qui n'en n'avait pas mangé depuis longtemps ce fût une fête.

 Avec quelques camarades de route j'ai appris que le Maire de Lignères avait besoin de quelqu'un pour du travail. Il était très âgé, presque impotent. Ses fils possédaient une ferme au Ménil-Vicomte (6 km avant Le Merlerault) et nous étions à l'époque des foins. Comme de plus on nous promettait un salaire, j'ai accepté immédiatement.

Nous étions logés dans la ferme et dans la journée nous faisions les travaux normaux des foins : couper, faner, faire les bottes, du lever au coucher du soleil.

Puis le front s'est avancé jusqu'à arriver au Ménil-Vicomte. Du matin jusqu'au soir un avion américain survolait la ligne lentement, à moyenne altitude.

J'entendais de temps en temps des tirs d'artillerie. La campagne était couverte d'animaux morts, des vaches ou des chevaux, qu'il fallait enterrer dans des trous.

C'est là que j'ai vu les premiers Américains (Note de MLQ: libération le 21 août). Une compagnie longeait la route. Je leur ai fait un petit signe de la main, mais il n'ont pas répondu, trop occupés à la recherches des Allemands.

 Dans les premiers jours les Allemands étaient assez amicaux avec nous. Cependant, au fur et à mesure de l'avancée des troupes et comprenant que les Français étaient pour les alliés ils devinrent franchement inamicaux.

Un jour il y a eu une escarmouche au Ménil Vicomte. J'ai entendu le bruit des mitraillettes, et je revois deux Allemands transportant une civière. Ils passèrent à quelques mètres de moi, mais je n'ai pas cherché à faire le curieux.

C'est le lendemain matin que j'ai vu le corps d'un soldat Américain. Autant que je me souvienne c'était dans un chemin creux avec une forte végétation. Il fallait savoir qu'il y était pour le retrouver. J'ai eu l'occasion de voir un officier Américain à Lignères (Note de MLQ: libération le 21 août), et je lui ai communiqué l'emplacement sur sa carte. J'ai compris qu'ils étaient au courant de la disparition d'un des leurs dans le secteur.

Nos relations avec les soldats Américains étaient excellentes. Ils nous prenaient très facilement en stop lorsque nous nous déplacions. D'ailleurs c'est grâce à eux que j'ai redécouvert les oranges. Il n'y en avait plus en France depuis longtemps.

On voyait des Jeep et des Dodge circuler dans tous les sens. Il suffisait de leur faire un signe et ils nous prenaient. Ils étaient d'ailleurs heureux de le faire. C'est ainsi que je suis allé à Falaise ; triste spectacle. Les prisonniers Allemands retiraient les corps de leurs camarades, la ville était en ruine. J'ai cru revoir la Place du Maréchal Foch à Caen. Mais j'étais comme vacciné et on s'habitue à tout.

Il faut bien le dire : on m'a même proposé des bottes pour « pas cher ». Non, j'aurais préféré marcher nu-pieds. Mais la guerre c'est comme ça.

Un beau matin, le 18 septembre, nous avons reçu la visite de la gendarmerie dans la ferme. Tous les hommes valides disponibles étaient réquisitionnés par le préfet pour aller aider au Merlerault. Effectivement un drame venait de se produire. J'ai reçu la nouvelle comme quoi « le Merlerault venait d'être entièrement détruit par une explosion ». Cette nouvelle m'impressionna...

Article de presse

Note de MLQ: Dans ce livre un récit de ce drame narré par le curé doyen, chanoine Auvray:

"Juste un mois après notre libération, le 18 Septembre nous eûmes à subir la plus triste aventure de la guerre, une catastrophe dans toute l’amplitude du mot, voici « le Lundi 18 septembre, à 7heures du matin, trois camions, chargés de bombes viennent de s’arrêter en plein bourg. 

Des noirs américains les conduisent et les accompagnent. C’est l’heure du  déjeuner ;  ils s’avisent les malheureux, de faire chauffer le café près du moteur. Le feu gagne l’un des camions sans qu’on puisse l’arrêter. Dix minutes après explosion terrible dont le bruit est entendu, dit-on, à plus de 50 kilomètres, dont les effets se font sentir bien loin à la ronde, et qui détruit en un clin d’œil, tout le centre de la bourgade, et couche  dans la mort  vingt sept des nôtres. La place a tout l’aspect d’un champ de bataille, partout des débris, ici et là, quelques pauvres soldats, aux corps tout déchiquetés ; dans leurs maisons, des hommes des femmes, des enfants, écrasés, étouffés sous les décombres, et dans la rue quantité de blessés.

Le 22 septembre,  dans une prairie, tout à côté du cimetière, 25 cercueils sont alignés face à un autel, appuyé à une houverie . M. Le Préfet,  Mgr l’Evêque, entourés de nombreuses autorités sont là. Vis-à-vis d’eux, les familles de toutes nos chères victimes. Dans la prairie, 3 000 personnes. Oh ! cette messe de Requiem !  ce «  Dies Irae » ce « Libera » cette absoute solennelle !

Le Merlerault a bien payé sa part de la rançon de la Patrie.

Puisse-t-il se relever de ses ruines !"

 En fait ce furent des habitations du centre ville. En faisant chauffer son café au petit matin un soldat Américain avait malencontreusement mis le feu à son camion transportant de l'essence, et qui a ensuite fait exploser un camion de munitions.

 L'explosion fut terrible et détruisit les maisons autour de la place. On a nous a donné des seaux, des pelles et nous nous sommes mis à déblayer et à chercher d'éventuelles victimes. On se passait des seaux à la chaîne. Je me souviens avoir vu une petite main au milieu des décombres d'une maison. Un habitant s'exclama « C'est la petite untel » Je n'ai pas idée du nombre de civils tués mais ils ont certainement été nombreux à se retrouver pris, comme elle, dans leur sommeil.

 

Le Merlerault en mars 1945

 Ainsi se terminent mes souvenirs de cette période qui fut une aventure en deux temps. Premier temps, inquiétant, pénible et tragique car je pense aux victimes de la ville de Caen. Deuxième temps, les Américains sont arrivés, ce fut la joie et l'espoir de jours meilleurs.

 

Merci à Dominique Contant pour la communication de ce témoignage rédigé par son père Paul Contant.

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