Trouvé sur Internet:

http://www.anac-fr.com/2gm/2gm_91.htm

 

Je me suis autorisé à alléger ce témoignage de toutes les parties concernant l'activité bancaire de cette succursale caennaise, pour ne retenir que les éléments concernant la vie à Caen pendant la bataille. J'ai pu également retrouver deux photos des tombes des victimes du bombardement du 7 juin, voir en fin du témoignage.

 

 EVENEMENTS TRAGIQUES A LA SUCCURSALE DE CAEN

 

 

Rapport de M. BAVAY, Directeur de la succursale de Caen

En poste à Caen depuis le 4 octobre 1941 .

 

 

 

HOTEL DE FONTENAY - Salon du directeur avant et après le bombardement

 

Mardi 6 juin 1944

    Un bombardement lointain et continu a lieu depuis minuit. Est-ce l’attaque attendue depuis si longtemps ?

    Vers 1 h 30, bombardement à proximité (incendie des Monoprix). Rue de l’Oratoire, rue des Carmélites, rue des Jacobins. Vitres brisées dans l’appartement, portes doubles de la salle arrachées.

    Vers 16 heures, au moment où les bombardiers américains lancent des projectiles sur l’Eden (Note de MLQ: un cinéma proche de la Banque de France), un officier allemand se présente à la succursale accompagné de deux hommes et me demande 20 millions.

    Vers 18 heures, sortie en ville avec M. Haillard et M. de Roincé. Bombardement du port au moment où nous rentrons. A ce moment, j’apprends par Guy Dedouvre qui m’en fait part en présence de M. de Roincé, de M. Haillard, de ma femme et des enfants, que des tracts, lancés par des avions anglo-américains auraient été recueillis à Douvres et aux environs (à 10 km au nord de Caen). Dans ces tracts, on annoncerait le bombardement de Caen et on inviterait la population à évacuer la ville immédiatement pour éviter des pertes de vies humaines. Je demande à voir un exemplaire de ce tract, mais on ne m’apporte aucune preuve.

    Néanmoins, par prudence, je propose aux personnes dont la présence n’est pas indispensable au service d’aller passer la nuit dans les carrières de Fleury (rive droite de l’Orne).

 

    Sur notre invitation, la famille du Caissier décide de passer la nuit dans notre abri (M. et Mme Haillard, leur fils Claude et la domestique). Sont en outre présents dans l’abri M. et Mme Bavay et leurs enfants Pierre et Denise, M. Guy Dedouvre, ami des enfants, M. de Roincé, Inspecteur.

    Dîner vers 8 heures. Nous nous installons pour la nuit sur des matelas nous appartenant ou appartenant aux Haillard.

    De temps à autre au cours de la nuit, nous surveillons les incendies de la rue Jean Romain, à proximité de la Banque et qui pourraient gagner l’immeuble. Le concierge m’avait prévenu dans la soirée que l’eau était coupée.

Mercredi 7 juin

    Vers 3 h 1/4 du matin, les avions anglo-saxons lancent des fusées au-dessus de la ville, dans la direction de la gare. Je les aperçois du soupirail de l’abri et j’ai, à ce moment, le pressentiment que la ville va être bombardée. Il est malheureusement trop tard pour partir.

    Quelques minutes après, le bombardement commence. Par vagues successives, les avions lancent des bombes et les éclatements vont sans cesse en se rapprochant de la Banque et de notre abri.(Note de MLQ: la Banque de France est située rue Saint-Louis entre l'église Saint-Jean et la place Foch)

    Les bombes tombent dans le jardin, sur l’immeuble, autour de nous dans un fracas épouvantable. Tout le monde est calme dans l’abri. Nous prenons cependant la précaution de nous chausser. Vers 3 h 30, des bombes crèvent le plafond de l’abri et nous recevons des plâtras. Puis une nouvelle série de projectiles tombe à proximité immédiate.

    Le souffle de l’éclatement chasse à l’intérieur de l’abri des débris de toutes sortes (bois, briques, poussières, ciment, etc.). Je suis à moitié enseveli. Pierre appelle au secours et pour l’aider, j’arrive à me dégager seul. Mais je m’apercevrai par la suite que l’effort désespéré que j’ai fait a entraîné des contusions multiples, un mal de reins très pénible.

    Avec l’aide de M. de Roincé qui est resté debout et avec Guy Dedouvre, nos dégageons Pierre dont la figure seule émerge des décombres. Denise est indemne.

    Claude Haillard a beaucoup de mal, avec notre aide, à dégager sa jambe entièrement prise sous les décombres. Mais quatre personnes sont complètement recouvertes et ne donnent aucun appel. Dans l’obscurité quasi-complète, atténuée seulement par les lueurs de l’incendie, j’aperçois une main, celle de M. Haillard. J’essaie de dégager la main, mais sans aucun résultat. Pelle et pioche sont enfouies. À l’aide des mains, je gratte briques, poussières, sans résultat.

    Entre-temps, M. de Roincé, Claude Haillard, Denise, Pierre, sont sortis pour se diriger vers la campagne, à travers la plaine (champ de courses)(Note de MLQ: dans la Prairie).

    Je reste avec Guy Dedouvre, 1/2 heure à 3/4 d’heure encore sans réussir à dégager les corps ensevelis. L’incendie continue à faire rage. Je sors de l’abri pour constater que le garage brûle et que le feu nous encercle.

    Je continue les recherches et les appels ; impossible de déterminer, dans la masse des éboulis dont la cave est remplie, où se trouvent ma femme, M. et Mme Haillard et la domestique.

"Photo collection Jean-Pierre Benamou, avec son aimable autorisation." Ruines de la Banque de France.

 

    À bout de résistance, désespérés, craignant d’être bientôt encerclés par les flammes, nous décidons, Guy Dedouvre et moi, de sortir de la ville pendant qu’il est encore temps et nous nous dirigeons vers Louvigny (Note de MLQ: à 5 km au Sud-Ouest de Caen) à travers la plaine.

    Tout brûle autour de nous et de la plaine, la vue de la ville en feu est un spectacle tragique. Il m’est bien douloureux de quitter la ville en abandonnant ma chère petite Simone... Mais qu’y faire ? sinon y rester moi-même sans autre résultat certain que de périr dans les flammes.

    Péniblement, à pas lents, les reins brisés et le cœur déchiré, j’atteins Louvigny après une heure de marche et je reste seul à l’hôtel où l’on me loue une chambre. Guy Dedouvre rentre à Caen et me dit qu’il espère retrouver la trace des enfants sans doute partis — comme je leur avais dit — chez Madame Veuve Terrée, cultivateur, à Éterville (Note de MLQ: à 7 km au Sud-ouest de Caen).

 

Vues de la succursale après les bombardements

Source. La succursale après les bombardements en arrière-plan l'église Saint Jean

Source. Vue de l'hôtel Malherbe, la succursale après les bombardements en arrière-plan à droite l'église Saint Jean

Jeudi 8 juin

    Je reste au lit. J’ai très mal aux reins. Dans la matinée, Me. Coquelin, accompagné du Dr Hauttelent d’Évrecy vient me voir. Le Docteur m’examine et ne trouve rien de grave. On me nettoie les plaies de la tête, friction des reins, aspirine.

    Comme je le supposais, les enfants se sont réfugiés chez Mme Terrée avec M. de Roincé, Claude Haillard, Guy Dedouvre, M. et Mme Richard, rencontrés en cours de route.

Vendredi 9 juin

    Visite à l’infirmerie de Louvigny ; vu le Dr Lhiromdel qui prescrit une piqûre de Pressyl et frictions à l’alcool sur les reins.

    Je décide d’aller à Caen dans l’après-midi. Visite à la Banque et à l’abri. La Banque est dans un bien triste. À première vue, l’incendie n’a pas gagné les bureaux.

    Visite à la Gendarmerie. Je demande qu’on procède le plus rapidement possible au déblaiement de l’abri pour dégager les personnes ensevelies et retirer en particulier le jeu de clés que M. Haillard porte sur lui.

Dimanche 1l juin

    Je décide de regagner Éterville pour me joindre aux enfants. J’y arrive dans le courant de l’après-midi ; j’étais allé de nouveau le matin à l’infirmerie pour me faire soigner. 

Mardi 13 juin

    De nouveaux bombardements par pièces à longue portée ont lieu sur Caen, et des obus tombent à proximité de la succursale. Les travaux de déblaiement sont interrompus, l’incendie a repris dans la succursale et dans les appartements.

Vendredi 16 juin

    M. de Roincé et moi quittons Eterville à 8 h 1/4 pour arriver à Caen vers 9 h 1/2. De nouveaux et très gros entonnoirs d’obus de gros calibre entourent la succursale. Entre la Banque et la place du Maréchal Foch, la rue Saint-Louis est encombrée de pierres et de débris de toutes sortes.

    À l’arrivée à la succursale, nous constatons les ravages de l’incendie. l’appartement du Caissier est entièrement détruit. Mon Cabinet et le bureau de 1’ Inspection sont à ciel ouvert et tous les meubles et dossiers sont détruits. La porte de la caisse auxiliaire n’a pas bougé depuis ma dernière visite.

    Je parviens à ouvrir le coffre de mon Cabinet et à y prendre des papiers personnels.

    Vers 10 heures nous nous dirigeons vers la Préfecture, où nous rencontrons le Préfet, le Secrétaire Général, le Chef de Cabinet, le Maire de la ville de Caen.

    Le Préfet Michel Cacaud , nous déclare qu’il a pu se faire réapprovisionner en billets par la succursale de Lisieux. Pour le moment, il n’a besoin de rien. Il sait que je suis à Eterville et me fera prévenir s’il a besoin de moi.

    Il reste à Caen environ 15.000 personnes dont il sera difficile d’assurer la subsistance bien longtemps encore. Pour le moment, le Préfet insiste pour une évacuation de la ville sans en donner l’ordre. Éventuellement, les services publics partiraient en dernier lieu.

    Retour à Éterville sans incident vers 13 heures.

    Le Préfet nous a indiqué, au cours de la conversation, que les troupes anglaises sont à 4 km de Caen. 

Lundi 19 juin

    Pluie. On entend toujours la canonnade au loin.

Mardi 20 juin

    Voyage à Caen où j’arrive vers 10 h 30. Je suis reçu par le Préfet à qui je renouvelle ma demande précédente concernant les mesures de police à prendre pour la sécurité de l’encaisse. Le Préfet m’assure que le nécessaire est fait.

    Visite à la Banque vers la fin de la matinée. L’incendie semble avoir fait de nouveaux ravages.

    Après avoir déjeuné au Lycée, je retourne à la Banque, des serruriers ont été requis pour procéder à l’ouverture des coffres.

Lundi 26 juin

    À la Banque, les coffres ont été ouverts. La caisse courante est presque intacte. L’une des serres a été endommagée par le bombardement, mais les sacs de billets en ont été retirés et déposés dans la partie intacte.

Jeudi 29 juin

    Dans la matinée, vers 12 heures évacuation d’Éterville et retour à Caen. Installation au Lycée.

Façade du lycée Malherbe

Mercredi 5 juillet

    Nous sommes admis aux repas des officiels au Lycée. 

Vendredi 7 juillet

    Vers 21 h 30, une vague de gros bombardiers apparaît au-dessus de la ville et lance des bombes de gros calibre sur la ville et en particulier sur la Faculté qui est incendiée. J’apprends par la suite que le Crédit Lyonnais et le Crédit Industriel de Normandie sont entièrement détruits.

Crédit Industriel de Normandie 20 rue de Geôle, en ruines, près de l'Eglise Saint Pierre.

La radio anglaise annonce que 2.300 t. ont été lancées sur la ville.

    Nuit affreuse dans les abris ou dans les couloirs du rez-de-chaussée du Lycée. Blessés dans la famille Marion-Terrée.

Samedi 8 juillet

    Impossible d’aller à la Banque en raison des bombardements. Les nouvelles sont contradictoires : les uns disent que les Anglais approchent de la ville, les autres qu’il n’y a pas de changement.

    Nuit dans l’abri n° 1, accroupis et dans l’impossibilité d’allonger les jambes. Vers 5 h 1/2, je remonte à la bibliothèque et je dors enfin pendant 1 h 1/2. Nuit mauvaise mais calme.

    J’ai l’impression que des événements nouveaux et prochains vont modifier cette vie qui devient chaque jour plus pénible.

Dimanche 9 juillet

    En effet, vers 10 heures du matin, nous remarquons que les SS paraissent reculer, tout en surveillant les arrières, vers la rue de Bayeux. Les Anglais approchent certainement.

    Vers 1l h 30, une automitrailleuse s’arrête devant le Palais de Justice. Elle est pilotée par des Canadiens à la poursuite des Allemands et l’arrivée des troupes alliées continue pendant tout l’après-midi. Les sorties du Lycée sont interdites, mais je puis néanmoins vers 16 heures m’approcher de fantassins canadiens qui se dirigent vers l’Orne (Vaucelles). La réaction de l’artillerie allemande est faible.

    La nuit est assez calme jusqu’à 4 heures du matin. De 4 heures à 8 heures bombardements à quelques kilomètres de la ville.

Lundi 10 juillet

    Les soldats anglais installés rue Mélingue nous signalent que des soldats allemands isolés sont encore dans les ruines et qu’il vaut mieux attendre que les opérations de nettoyage soient terminées. 

Mardi 1l juillet

    Au cours d’une tentative faite dans la matinée pour arriver à la Banque, nous rencontrons l’abbé Pelcerf, curé de Saint-Jean, qui veut aller voir son Église en passant par la rue Saint-Louis. Nous le quittons au poste anglais de la rue Mélingue où nous allons prendre nos informations avant de continuer notre "expédition" et c’en est une ! Quelques minutes après, l’abbé Pelcerf revient sur ses pas en nous disant qu’il est impossible de passer sur le cours Sadi-Carnot : deux cadavres de civils tués par les francs-tireurs allemands sont sur la chaussée.

    Dans l’après-midi, vers 15 h 45, le Cdt de Courcelle (Note de MLQ: Geoffroy de Courcel) représentant le Commissaire Régional de la République Française (M. Coulet) convoque M. de Roincé et moi-même à la Préfecture pour nous remettre la note ci-jointe "Instructions aux Banques " datée du 16 juin 1944.

    Au cours de la conversation, il nous signale que, les billets "émis en France " par les alliés doivent être acceptés par les Caisses publiques sans réserve, bien que le Gouvernement Provisoire n’ait aucun contrôle sur leur émission. Mais des accords seront certainement passés en vue du remboursement ultérieur.

Mercredi 12 juillet

    Au cours d’une visite au bureau des Affaires Civiles, rue d’Hastings, je rencontre les autorités financières alliées représentées ici par le Major américain Biddle.

Jeudi 13 juillet

    A la réunion, sont présents, outre le Major Biddle, les Officiers suivants :

Lieutenant-Colonel Scarlett — Chief Finance Officer — Civil Affairs 2ème Armée Britannique — H.Q.,

— Major Mowat — Finance Officer — Civil Affairs 2ème Canadian Corps,

Lieutenant-Colonel Fremantle, de la section monétaire pour la France, actuellement réfugié au Crédit Lyonnais à Bayeux.

— Major Hellmuth, Cdt du Bureau de Caen des "Civil Affairs ".

    Ces Officiers sont très bien documentés. Je donne les renseignements qui me sont demandés, aussi bien sur la situation des Banques que sur notre propre situation, et nous nous mettons facilement et avec beaucoup de cordialité d’accord sur tous les points.

    Dans l’après-midi, après réunion au Lycée, MM. de Roincé, Boscheron, Rullier, Mollet et moi-même, essayons de gagner la Banque, pour voir l’état de la Galerie après les derniers bombardements. Arrivés rue Mélingue, les soldats anglais nous conseillent de voir un autre poste rue des Jacobins, avant d’aller à la Banque. Nous rencontrons une patrouille de la "Résistance" commandée par M. Jean Marin (de la radio) qui va en reconnaissance armée vers le pont de Vaucelles.

    Un soldat anglais — en armes — nous accompagne et nous précède, nous pénétrons à la Banque en passant derrière les maisons de la rue Saint-Louis pour éviter les tirs de francs-tireurs.

    La Banque (Galerie) et les sous-sols sont occupés par une section de soldats anglais.

    Les grilles donnant accès à la Cour d’Honneur et à la Galerie ont été forcées. Les cases des agents ont été visitées.            

    L’Officier qui commande le poste nous demande de lui ouvrir la porte des archives pour lui permettre de surveiller du 1er étage les abords de la Banque et d’effectuer éventuellement des tirs. Donnons satisfaction. Il nous assure qu’il ne permettra à aucun civil étranger à la Banque de pénétrer dans l’immeuble. La Caisse auxiliaire est toujours fermée. Nous rentrons au Lycée par l’arrière de la Banque et en passant à travers les décombres de la rue Jean Romain.

Vendredi 14 juillet

    La nuit de jeudi à vendredi a été infernale. Des tirs d’obus de gros calibre ont lieu sur le Lycée et dans les environs immédiats. Un obus tombe sur l’Église Saint-Etienne : deux tués, trois blessés. Au Lycée même, la famille de M. Lebot, Directeur des Services Agricoles est gravement atteinte (trois enfants tués sur six, les parents blessés). Note de MLQ: lire ici.

    La vie ici devient impossible, et je décide d’évacuer les enfants sur Creully (Note de MLQ: à 19 km au Nord-Ouest de Caen) avec la famille Debelle.

    Départ en camion anglais vers 12 heures pour Bayeux, d’où il sera possible de gagner Creully.

    Je reste jusqu’à nouvel ordre. Dans l‘après-midi, promenade à Épron (Note de MLQ: à 4 km au Nord de Caen) avec M. de Roincé par la Folie Saint-Contest. Retour en auto avec un sous-officier canadien (M. Dawson) appartenant à l’Intelligence Service.

Samedi 15 juillet Dimanche 16 juillet

    Nouvelle nuit infernale. Tirs constants d’obus de gros calibre sur le Lycée, l’église Saint-Étienne, les alentours immédiats.

    Vers 3 heures du matin, fusées éclairantes lancées direction Maltot (Note de MLQ: à 9 km au Sud-Ouest de Caen). Que signifie cette manifestation et faut-il s’attendre à un nouveau bombardement ?

    Incendie à 50 mètres du Lycée (dépôt du ravitaillement général, essence, bois pour gazo, pneus). L’Army Fire Service entre en action et protège le Lycée.

 

    Je suis obligé de descendre au sous-sol tant les tirs sont fréquents et violents. M. de Roincé y passe la nuit complète. Affaires Civiles (Major Biddle qui me donne rendez-vous pour 14 heures). Inscription pour le départ en camion anglais. Vers 14 heures avec M. de Roincé, nous retournons aux Affaires Civiles. Le Major Biddle n’est pas arrivé ; on nous remet des "Pass" permanents.

Une première auto nous conduit à Canilly par Bretteville l’Orgueilleuse. Une seconde nous amène à Creully où nous retrouvons les enfants, la famille Debelle, les Richard. Départ pour Bayeux vers 10 heures du soir en camionnette, après tentative infructueuse par l’intermédiaire du Service de Santé Anglais (Sainte-Croix). Arrivée à Bayeux vers 1l heures du soir. Après-midi à Longues (Note de MLQ: commune de Longues-sur-Mer à 7 km au Nord de Bayeux) avec Pierre (auto-stop à l’aller et au retour). Vu la mer et les bateaux amarrés dans le port d’Arromanches et sur toute la côte. Retour vers 20 heures par Port-en-Bessin.

Lundi 17 juillet

    J’écris ou plutôt je mets à jour ce journal dans la matinée chez Me Guillard.

Mardi 18 juillet

    Avec M. de Roincé, nous rencontrons dans la matinée à l’Hôtel de la Préfecture où est descendu M. Coulet Commissaire Régional de la R.F. : le Colonel Laroque, et le Capitaine Ricquebourg, Inspecteur des Finances, qui nous entretiennent des questions financières et qui nous confirment les termes de l’entretien que nous avons eu le 1l juillet avec le Cdt de Courcelle (Note de MLQ: Geoffroy de Courcel).

Mercredi 19 juillet

    Départ à 13 h 30 de l’Hôtel du Lion d’Or où nous déjeunons. Dès notre arrivée à Caen, nous nous rendons au Bureau des Civil Affairs et de là, à la Banque, où nous constatons de nouvelles dégradations. Il est, en particulier, tombé un obus dans la cour d’honneur (côté Galerie des recettes), qui a détruit une partie du mur.

    Ensuite, nous allons à Blainville, dans la voiture mise à notre disposition. Retour à Caen. Visite au Colonel Marchand à qui le Colonel Laroque nous avait envoyés pour obtenir une garde armée à la Banque en attendant notre réinstallation.

    Le Colonel Marchand ne dispose pas des effectifs suffisants et nous prie de voir le Cdt Bertrand à la Préfecture, qui a qualité pour faire le nécessaire. Visite à la Préfecture. Vu le Préfet, M. Daure qui nous reçoit très aimablement et qui nous demande quelques renseignements sur l’importance de l’encaisse et sur la situation monétaire dans le Calvados. Le Cdt Bertrand, arrivant sur ces entrefaites, fera le nécessaire pour la garde. Retour au Civil Affairs où nous retrouvons le Colonel Fremantle.

    Sur la route du retour, nous croisons de nombreux tanks, 50 à 60 tonnes sans doute, qui montent en ligne. Sur la route de Bayeux, circulation intense, mais parfaitement réglée.

Jeudi 20 juillet

    Quelques obus sont tombés hier à proximité de la gare de Bayeux. Visite dans la matinée à l’étude Guillard où j’écris ce journal. Ensuite, hôpital Saint-Joseph (Note de MLQ: le pavillon Saint-Joseph du Bon-Sauveur) où je vais voir des amis blessés.

    Déjeuner chez Me Guillard à 12 h 30 avec les enfants et Claude Haillard. Assistait au déjeuner (excellent d’ailleurs) le Major Twist de l’Armée Britannique — chargé du bureau des réclamations et des locations. Cet Officier, qui parle couramment le français, est extrêmement intéressant et nous a donné, au cours du déjeuner et du thé de l’après-midi, une foule de détails précis sur la vie à Londres et sur l’état actuel de la ville, ainsi que sur les préparatifs faits en vue de l’invasion.

Vendredi 21 juillet

    Pluie diluvienne. Les rues sont transformées en ruisseaux.

    Le Colonel Fremantle me demande d’aller à Caen pour prélever des jetons à remettre en circulation dans la ville qui manque de monnaies divisionnaires. Départ en voiture à 13 h 30. Retour vers 19 heures. Étaient du voyage MM. de Roincé, Rullier, Garnier, Sous-Directeur de la Société Générale à Caen, Benard, Société Générale à Bayeux, le Directeur du Crédit Lyonnais à Bayeux, et moi-même.

    À notre arrivée à la Banque, nous constatons que les bureaux sont gardés par deux soldats français en armes et deux gendarmes. Nous prélevons 70 Mfrs de jetons pour les Banques de Bayeux et les autorités anglaises.

    Vu également M. Leblanc, Directeur des Indirectes, M. Tardif, adjoint au Maire, qui me dit que le Centre d’Accueil du Lycée continue à fonctionner. Il est encore tombé ce matin trois obus sur le Lycée ou aux environs immédiats.

    Croisé au retour des prisonniers allemands (mains croisées sur la tête)                                                                                                                                                                                                                                              

Lundi 31 juillet

    Nous nous installons au Lycée (M. Rullier, Mlle Perrigault et moi-même).

Mercredi 2 août

    Matinée à la Banque. Déblaiement de la serre.

Jeudi 17 août

    Faute d’avoir à y noter des indications intéressantes, je n’ai pas tenu ce journal depuis quelque temps.

    Les travaux de déblaiement de la cour sont entrepris depuis lundi dernier.

    La couverture de la Galerie va être refaite.

Dimanche 17 septembre

    Nous avons enfin trouvé un moyen de transport convenable. Denise et moi partons pour Paris, vers 14 heures avec nos bagages, dans la voiture de tourisme de M. Jouberteix fils.

    Pierre reste à Caen jusqu’au baccalauréat.

    Nous arrivons à Paris vers 20 heures après un voyage facile. Nous descendons chez M. Tondu.

Vendredi 22 septembre 1944

    Nous nous installons définitivement chez mon frère, 56 avenue Dubois à Vitry-sur-Seine.

***O***

Ainsi se termine le journal de M. BAVAY relatant cette période tragique. Afin de donner quelques détails supplémentaires à nos lecteurs, nous ajoutons quelques bribes de témoignages d’autres protagonistes

 

Lundi 12 juin

    L’après-midi le déblaiement de l’abri avance, on commence à dégager deux corps en partie. Je descends auprès avec Cavalier et nous identifions M. Haillard grâce au brillant qu’il a au doigt et que nous lui retirons.

    Les corps ne pourront être dégagés que demain.

Vendredi 23 juin

    Les corps de Mme Bavay et de M. et Mme Haillard sont enfin dégagés, mis en bière et déposés dans une fosse dans le jardin. L’équipe de déblaiement a remué tout l’abri mais n’a trouvé aucune trace du corps de la domestique de M. Haillard, seuls son sac et des papiers ont été retirés.

    Dans le jardin, M. et Mme Haillard ont d’abord été inhumés provisoirement, enveloppés de sacs de billets, faute de cercueil.

    Plus tard, le corps de M. Haillard étant presque entièrement calciné, les quelques ossements trouvés ont été mis dans le même cercueil que le corps de Mme Haillard.

Tombes provisoires de victimes dans la cour arrière de la Banque de France (Photos Archives Départementales du Calvados). Il s’agit de Mme Bavay, femme du directeur de la Banque de France et de M Haillard, caissier et son épouse. Ces personnes étaient mortes ensevelies par le bombardement du 7 juin vers 03H30.

Peu de temps après

    Monsieur Bavay, très choqué, a été muté à la Banque Centrale où il avait un frère contrôleur. Mais, de désespoir, il s’est suicidé peu de temps après.

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