LES PETITS ENNUIS D'UNE GRANDE BATAILLE

Madame CORBASSON, attentive à la grandeur de l'événement, n'en néglige pas pour autant les aspects terre-à-terre.

(Témoignage déposé au Mémorial de la Paix à Caen).

 

 

A l'Abbaye aux Hommes (Lycée Malherbe)

 

    Avec Jean-Paul, nous campons dans le couloir sur notre grand matelas. Les garçons viennent nous voir souvent.

            Question toilette, c'est précaire. On a droit à un demi-litre d'eau par jour. Les privilégiés vont faire leur toilette dans une petite pièce réservée ; moi, je me suis fait rappeler à l'ordre pour m'être montrée, oh ! scandale !, en combinaison. Dans de pareils moments, c'était grotesque. Nous étions entre femmes à part Jean-Paul (9 ans) !

            Dans la cour, la question des feuillées (atroce ! dégueulasse ! ) est due à ce qu'en six semaines, personne n'a pris l'initiative de les améliorer. Alors qu'à la Libération, ce sera fait si rapidement...

            Le matin, nous descendons à la «roulante» prendre un «jus». Je suppose que nous avons aussi un quignon de pain ?

            Madame PRIOULT règne sur sa laiterie où, avec la jeune OLIVE, elles laveront et prépareront moult biberons. Là aussi, les enfants plus grands peuvent aller boire du lait et manger du fromage blanc. Quel luxe ! - grâce aux détenus de la Maladrerie qui vont volontairement traire les vaches et aussi achever les bêtes blessées. Ainsi serons-nous gavés de viande et de pâtes des réserves, nageant dans le beurre (les Allemands ne pouvant plus l'emporter).

            On a dit que ces prisonniers avaient été libérés avant la fin de leur peine. J'espère que c'est vrai.

            C'est Jean LE HIR qui règne sur les cuisines. Il y a aussi un restaurant pour les «privilégiés». Les autres vont chercher leur assiette ou leur gamelle.

            On entend le vacarme incessant des orgues de Staline. Quelquefois, quand la bataille fera rage vers Cheux (Note de MLQ: à 13 km à l'ouest de Caen) , je pense, nous montons dans les combles et voyons en passant les Petites Sœurs des Pauvres et leurs pensionnaires réfugiés là haut ; d'où la ballade incessante des sœurs avec les seaux hygiéniques, de là haut jusqu'aux feuillées dans la cour du Lycée.

            Le réfectoire est devenu une infirmerie où se donnent les premiers soins. Nous allons faire des visites aux hospitalisés étendus sur les grandes tables de marbre du réfectoire.

            Monsieur ASSELINE* meurt d'érysipèle et est enterré dans le cimetière provisoirement organisé derrière le Petit Lycée.

 

 

*Note de MLQ: Monsieur Albert Asseline ,  ancien banquier, premier adjoint au maire de Caen.

 

Témoignage paru en juin 1994 dans la brochure

                                                                                                   ECLATS DE MEMOIRE

TEMOIGNAGES INEDITS SUR LA BATAILLE DE CAEN
recueillis et présentés

par Bernard GOULEY et Estelle de COURCY
par la Paroisse Saint-Etienne-de-Caen
et l’Association des Amis de l'Abbatiale Saint-Etienne

 Reproduit avec leur aimable autorisation

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