Témoignage présenté dans ce livre

Le Poste de  Secours N° 1 était aménagé dans le vieux pensionnat St-Jean, 5 rue des Carmes, de l'autre côté de La Miséricorde.

Le PS N°1 au N°5 rue des Carmes est dans l'ancien pensionnat Saint-Jean

A 7 heures, le 6 juin, M Louis Asseline, son chef, se trouvait assisté de MM. Brazard et Goupil, ses adjoints. Les premiers blessés parviennent dans la matinée, venant de Lébisey (Note de MLQ: hameau au Nord de Caen)

 . Les autres n'arriveront qu'au début de l'après-midi, après le bombardement de 13 h. 30.

M. Goupil note :

« Peu de temps après le bombardement arrivent à notre poste les premiers blessés, blessés légers, ceux qui ont pu pour la plupart, se dégager eux-mêmes des immeubles touchés. Les pauvres gens mutilés sous les décombres arriveront beaucoup plus tard. Combien de malheureux agoniseront avant que l'on ne parvienne à eux ?

Quelque temps après, voici des brancards portant des corps dont on ne voit pas la face : les premiers morts amenés à notre poste. L'un des deux chefs adjoints du P. S. est chargé de les identifier. Il lui faut découvrir ces pauvres têtes tuméfiées, quelque fois affreusement mutilées, écrasées, couvertes de sang et de poussière jaunâtre. Dans quel état pitoyable, des membres ont été tordus, arrachés ! Il faut défaire l'alliance de cette femme non identifiée par les sauveteurs et voir si le nom n'y est pas gravé intérieurement. Le modeste anneau de doublé ne porte aucune inscription. Il faut se contenter de noter sur la fiche l'adresse où le corps a été découvert, le signalement des vêtements, la couleur des cheveux. Voici un cadavre de soldat Allemand, un jeune homme, d'autres femmes. Les blessés affluent dont beaucoup peuvent marcher et arrivent soutenus par des membres de leur famille ou par des voisins. Tous ces pauvres êtres qui, sans cesse, viennent se faire panser à notre poste, portent les marques de la frayeur, de la surprise hébétée, de l'anéantissement moral et physique.

Les bombardements de 16 h. 30 et de 17 heures ébranlent l'édifice. Puis de nouveau le grand silence. Vers 23 heures, nous voyons tomber dans notre cour quelques flammèches poussées par le vent et provenant des vastes incendies qui ravagent la rue Saint-Jean. Ceci n'est pas sans nous inquiéter sur le sort de notre poste et des malades et des blessés que la clinique des Oblates (ou clinique Saint Joseph au N°11 rue de l'Engannerie) a amenés dans la soirée au pensionnat, précisément dans la crainte de l'incendie. Le vent, en effet, pousse le feu dans notre direction. A quelques-uns, nous sortons de la rue Guilbert dont les premiers immeubles, côté rue Saint-­Jean, flambent. Le vent est encore assez fort. Ne risquons-nous pas à notre tour d'être menacés ? Tous ces toits crevés sont autant d'appels au feu. Nous montons tout en haut du grand bâtiment, au quatrième étage, pour juger plus aisément des progrès de l'incendie. Les médecins et le chef de poste décident alors d'évacuer nos blessés et les malades recueillis des Oblates, sur la clinique de la Miséricorde. Après le départ de ceux-ci, nous jetons, par les fenêtres, toutes les literies, pour les sauver du désastre. Le gros matériel, une grande partie de nos médicaments sont également transportés de l'autre côté de la rue des Carmes. Et nous attendons la suite des événements.

C'est enfin le bombardement de 2 heures 30.

Tout de même, vers 3 heures, le silence revient complètement, silence d'autant plus impressionnant que l'on imagine l'ampleur des ruines autour de nous, le nombre des pauvres êtres écrasés ou agonisant sous leurs maisons écroulées. Nous sortons immédiatement pour nous rendre compte de l'état de nos bâtiments et de ceux qui nous entourent. L'extrémité du pensionnat, opposée à notre poste, est très gravement atteinte. Il s'agit, sans doute, de l'engin dont la chute nous a plus particulièrement effrayé. Notre cour est jonchée de matériaux, d'éclats de toutes sortes, le mur de séparation avec la propriété voisine est écroulé en partie sur les bicyclettes que nous avions garées là,. De l'autre côté, l'abri aménagé dans le fond de la cour a tenu, mais l'immeuble est en bas. Quel triste spectacle nous offre alors la rue des Carmes lorsque nous débouchons de l'allée ! Il ne reste que quelques façades debout. Nous nous rendons compte cette fois par quelle chance inouïe nous avons échappé nous-mêmes à la mort au milieu d’un tel champ de ruines.

Dans de telles conditions l'action de notre poste de secours ne peut évidemment continuer de s'exercer. Aucune ambulance ne pourrait parvenir jusqu'à nous, pas même le moindre brancard. Selon les consignes prévues, le chef du poste donne l'ordre de repli sur le poste de secours N° 2 de la place Blot, où nous pourrions sans doute être utiles.

Une équipe toutefois restera rue des Carmes en cas de besoin.

Il s'agit pour les autres, maintenant, de sortir des ruines de ce quartier. Là-bas, vers la rue Saint-Jean, les incendies déploient leurs flammes. Ne pourrait-on pas se diriger vers le port ? En groupe, nous essayons de gagner les quais par la sortie de la rue Guilbert, mais l'amoncellement des matériaux des immeubles écroulés est tel qu'il faut renoncer à passer par là. Nous regagnons le pensionnat pour nous diriger du côté de la rue des Carmes.

Dans la direction du port, ce n'est guère plus facile que rue Guilbert. En dépit de l'incendie de la rue Saint-­Jean, il semble que l'on passera plus aisément de ce côté, la chaussée paraissant moins obstruée. Nous nous séparons alors dans les deux directions. Quelques-uns sont encombrés de leur bicyclette et ce « cross » imprévu constitue une rude épreuve. L'un d'entre nous à qui une infirmière a confié une mallette renfermant toute sa fortune, après l'incendie de son appartement, tient sa bécane à l'autre main. L'équilibre est impossible à tenir et il doit sacrifier la bicyclette à la mallette.

Le parcours

Au passage, nous pouvons remarquer que l'Hôtel de Tilly­-Blaru, au N° 38, est entièrement effondré derrière la façade.

Source: à gauche: crédit Gérard Pigache, à droite: dessin de Gabriel Loire. L'hôtel de Tilly-Blaru, 38 rue des Carmes.

Plus loin, le presbytère Saint-Jean n'existe plus, touché d'ailleurs dans l'après-midi. Les dentelures des tours de l'église Saint-Jean se profilent sur les lueurs de l'incendie. Le feu est même à l'intérieur de la magnifique église.

Arrivés dans la rue Saint-Jean, nous voyons des immeubles brûler à droite et à gauche, notamment en face de la rue Saint-­Louis par où nous pensions passer. Par le portail arraché d'une maison de droite et au travers de jardins constellés de cratères, quelque part du côté de la Banque de France, nous retrouvons la rue Saint-Louis. Mais on a l'impression d'être cernés par le feu. La place Maréchal-Foch, l'Hôtel Malherbe qui parait très touché, sont brillamment éclairés par les flammes. Il y a beaucoup d'entonnoirs sur le cours Sadi-Carnot. Des gens fuient vers la prairie dans la crainte du retour des avions.

Passant dans la rue Sadi-Carnot, on nous demande du secours pour de graves blessés rue Choron. A notre arrivée au P. S. N° 2 des brancardiers partiront immédiatement.

Gagnant la place Gambetta, on trouve un quartier plus calme que les bombes ne semblent pas avoir atteint.

Par le boulevard Bertrand, certains de notre poste gagnent les Tribunaux, la place Saint-Martin, les fossés Saint-Julien, la rue Desmoueux et enfin la place Blot où le P. S. N° 2, sous l'autorité de Rolland, travaille dans un silence impressionnant qui contraste avec l'agitation que nous vécûmes cette nuit, rue des Carmes.

Merci à Jean Secardin pour la carte.

Lire un autre témoignage plus complet de M. Bernard Goupil

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