TEMOIGNAGE D'UN JEUNE CAENNAIS

 

Ce jeune caennais est Jacques Perret, 15 ans en 1944, auteur de ce livre dont le récit ci-dessous est extrait.

 

 

 La « Folie »(Note de MLQ: au nord-ouest de Caen) - 6 juin

            C'est en fin de matinée que je m'étais rendu dans le centre-ville. Comme tous les « Scouts » et mes sœurs qui étaient « guides » nous faisions partie des « Equipes d'Urgence ». Et il était convenu qu'à la moindre alerte importante, avec l'accord de nos parents bien entendu, nous devions nous retrouver Place Saint-Gilles, chez les Nobécourt.

 

            C'est ce que fis, mais j'arrivai sans doute trop tard : il n'y avait plus personne. Alors plus ou moins à la recherche de mes copains, je me mis à arpenter les rues au hasard. Celles-ci me faisaient penser à un marché où tout le monde aurait perdu la tête. Ce n'était qu'allées et venues dans tous les sens. Les gens s'arrêtaient, se parlaient et puis repartaient précipitamment.

 

            Boulevard des Alliés, j'ai vu « Monoprix » et les « Galeries Lafayette » en flammes.

"Photo Marie" présentée page 36 du livre: 1944, Le Calvados en images de Jeanne Grall, Sodim, 1977. Le 6 juin 13H45, les premières bombes Bd des Alliés, un pharmacien en blouse blanche blessé à la tête, un membre de la D.P. casqué avec son vélo, à droite la façade du magasin Monoprix qui sera rapidement la proie des flammes.

Certaines rues adjacentes étaient obstruées par les bombardements. La ville avait déjà l'allure d'un tremblement de terre. J'entendais dire qu'il n'y avait pas que les bombes qui étaient en cause, que les Allemands mettaient le feu à certaines maisons par les soupiraux.

 

            En remontant en direction du cimetière Saint-Gabriel pour voir si mon père ou ma sœur Marie-Madeleine étaient encore chez mon oncle Emile, avenue de Creully, j'assistais à un véritable exode. La plupart des gens étaient à pied et s'en allaient en direction de la côte avec ballots, poussettes d'enfants et sacs en tous genres. Il y avait peu d'Allemands dans la ville. Beaucoup d'hommes avaient des casques, ceux de la Défense Passive ou de leur dernière guerre...

 

Des Allemands rue Saint-Pierre, date inconnue mais dans les tous premiers jours de la bataille vu l'état des maisons intactes, sur la photo de droite des réfugiés avec un homme de la Défense passive; casque et brassard.

Vues extraites de ce film à partir de 4: 16

            « Je retourne alors vers CAEN pour chercher provisions et affaires, en vélo. Mais, je rencontre les Klein qui m'apprennent que notre maison (Note de MLQ: 15, rue Malfilâtre) est totalement effondrée, une bombe étant tombée devant le puits du jardin. Je reviens avec beurre, farine et sucre laissés chez les Paret, mais rien de possible à retirer de nos décombres. La maison représente un tas de un mètre environ. Celle des Canivet est fumante et anéantie ainsi que plusieurs autres avant la nôtre vers la rue Gaillarde. Spectacle inoubliable !... Tout n'est que ruines... Notre maison a été soufflée et déportée dans la rue et il faudrait du temps pour chercher quelque chose. Or ce ne sont que vols continus d'avions et menaces de nouveaux bombardements. Je reviens sans rien. Tout le monde a fui. Ce ne sont que gens qui quittent la ville avec le minimum de bagages. Désolation... ruines... morts et blessés... ».

 

            Après, ce fut notre propre exode. Comme tout le monde, mes parents pensaient que plus vite nous irions en direction de la mer, plus vite nous serions libérés.

 

            Mais nous montions aussi, sans plus ou moins nous en rendre compte, en première ligne avec la troupe. En allant vers La Folie (quel nom prédestiné...), nous nous trouvions avec d'autres familles escortées par des Allemands qui ne savaient pas très bien s'ils devaient nous laisser fuir ou nous refouler sur la ville.

 

            Autour de nous ce n'était que bruits d'avions et mitraillages. Et derrière nous, dominant la « cuvette » de CAEN l'on distinguait avec horreur les longues traînées de fumée qui ça et là sortaient des premières ruines.

 

            « Arrivés chez M. et Mme du Manoir vers 18 heures, nous avons eu un cordial accueil. Ils désirent nous aménager dans deux grandes pièces. Mais la menace est assez sérieuse ici ce premier soir et finalement tout le monde passe la nuit à la cave. Sans pain et sans possibilité d'en avoir, nous mangeons maigrement. Juste une bouillie de froment ce mardi soir. Nous couchons sur des traverses et des chaises.

 

            Le lendemain, nous aménageons la cave et descendons matelas et couvertures, et tout le monde peut s'allonger. Impossible de songer à aller vers CAEN qui subit de nouveaux bombardements importants. Les ruines s'accumulent dit-on et la ville est en flammes... Retrouverons-nous quelque chose ? Nous n'avons plus rien que nos effets qui étaient sur nous. Tout a été si précipité et les trois premiers bombardements si rapprochés et si peu attendus surtout sur notre quartier, que nous n'avons pu rien sauver... ».

 

En attendant les Anglais

            Dans cette cave où nous étions plus d'une quinzaine, nous étions plutôt à l'étroit. Et l'espace était d'autant plus restreint qu'il n'était guère possible de circuler dans les pièces du manoir ou d'aller prendre l'air.

 

            Nous étions vraiment au milieu des positions allemandes qui se renforçaient au fur et à mesure que le temps passait. Ils étaient tout au tour de nous, avec leurs pièces d'artillerie et leurs cuisines de campagne. Ils contrôlaient d'une certaine manière nos sorties et ne voulaient pas qu'on les gène dans leurs manœuvres. C'était en effet préférable. Que pouvions-nous faire dans ce champ de bataille ?

 

            Pour tout simplifier, ils avaient décidé de nous ravitailler en partie. C'est ainsi que deux fois par jour nous allions à la popote du cantonnement prendre ce qu'ils voulaient bien nous laisser, et que nous en profitions pour avoir des nouvelles.

 

            Les Allemands qui étaient là appartenaient aux troupes de la « Wehrmacht ». Beaucoup avaient plus de 50 ans et avaient « l'air » de bons pères de famille. Quelques-uns parlaient assez bien le français et nous disaient que ce n'était rien à côté du front de Russie d'où ils revenaient.

 

            Ce qui les démoralisait, c'était de ne voir dans le ciel que des avions anglais. Pointant le doigt vers les escadrilles de la « Royal Air Force », ils juraient en allemand et affirmaient (y croyaient-ils ?) qu'on ne tarderait pas à voir en action la « Luftwaffe ».

 

            En attendant, les coups se rapprochaient. Depuis que le manoir avait été frappé par un obus, on se sentait moins en sécurité. Les Allemands devenaient plus fiévreux, ils déplaçaient souvent leurs batteries et commençaient à installer certaines pièces au rez-de-chaussée.

 

Des parachutistes !

            Les jours passaient, apportant leurs moments de calme et de nouvelles frayeurs. Nous souhaitions bien sûr l'arrivée des Anglais, être enfin « libérés », mais au prix de quelle bataille...

 

            Ce qui nous donnait le plus de régularité et d'apaisement, c'était notre vie dans la cave. Nous passions notre temps à bavarder ou somnoler, à jouer aux cartes ou à lire. Et Monsieur du Manoir ne cessait de nous étonner par son comportement. II occupait ses journées à jouer aux échecs, à tenter de nous apprendre au besoin, ou à faire des mathématiques tranquillement assis dans un coin. II était le seul à ne pas dormir dans la cave. II avait une fois pour toute décidé de passer les nuits dans sa chambre. Mais il était très attentif à chacun de nous et nous amusait souvent par ses commentaires de parfait châtelain : « Yolande, disait-il à sa fille, qu'alliez-vous faire dehors, vous n'entendez donc pas les « obus » qui sifflent »...

 

            C'est à l'aube d'un de ces deux jours, je crois, qu'un évènement bien particulier est arrivé. Des Allemands firent irruption dans la cave et demandèrent à Odile du Manoir qui avait le rôle de maîtresse de maison, de les suivre pour ouvrir une grange. J'étais parmi ceux qui l'avaient accompagnée et grande fut notre surprise en arrivant à cet endroit. Une vingtaine de parachutistes étaient là avec leur harnachement.

 

            La grange ouverte, les Allemands firent comprendre aux prisonniers qu'il fallait les aider à enlever les bottes de paille pour faire de la place. Ils avaient, sans nul doute, l'intention de les enfermer là en attendant la suite des opérations. Faisant ce travail avec eux, on pouvait voir sur les épaulettes de leur blouson : « Canada Régiment de la Chaudière ».Note de MLQ: s’agit d’une confusion ce régiment de la 3ème Division d'Infanterie Canadienne , débarqué le 6 juin à JUNO Bernières sur Mer, ne comportait pas de parachutistes mais des fantassins.

 

        Pour nous, c'était incroyable : ils parlaient un français proche de celui de nos campagnes, mais avec des mots curieux. Certains d'entre eux avaient encore le visage plein de noir (pour mieux se camoufler, on l'apprit par la suite) et nous étions de toute évidence les premiers français qu'ils rencontraient tellement leurs questions étaient pressantes. Mais les Allemands ne tardèrent pas à se rendre compte de nos échanges. Es nous demandèrent de quitter la grange. Revenus dans notre cave on apprit à tous la nouvelle. Des Canadiens-Français sur notre sol, des parachutistes, parlant presque notre langue, c'était vraiment pour les plus jeunes d'entre nous une véritable découverte.

 

 Source: page 68 de ce livre.

 

« A la guerre comme à la guerre »

            Cette nuit du 13 juin fut particulièrement mémorable et éprouvante pour chacun de nous. Qu'allions-nous devenir cette fois ? Un jeune officier S. S. fait en effet irruption au milieu de la nuit, suivi de quelques hommes de troupe. Excité, pressé, criant, il nous dit de partir immédiatement. Nous avons du mal à saisir ce qui se passe. Nous étions en « bons termes » si l'on peut dire jusqu'à ce jour avec les Allemands. Mon père essaie de parlementer, fait voir sa jambe artificielle à côté de lui, parle de ses enfants et de toutes les personnes qui sont avec nous dans cette cave. Mais rien n'y fait. Le ton monte. L'officier S. S. se fâche et crie

« Monsieur, j'ai dit tout de suite partir ou je tire, à la guerre comme à la guerre ».

II a sorti son révolver. Le drame est à son comble. On connaît bien notre père, son entêtement habituel quand il s'oppose à quelque chose.

« Papa, papa tais-toi, ne dit plus rien, on s'en va ».

 Pour la première fois, nous sommes vraiment «paniqués », apeurés, effrayés. Que va-t-il se passer ?... Enfin mon père n'insiste plus, il a compris qu'il n'y avait plus qu'à obéir aux ordres. Nous nous habillons à la hâte, oubliant le peu d'affaires que nous avions, et en moins d'un quart d'heure nous voici tous dehors.

 

            Tout autour de nous et en particulier dans la grande allée d'arbres qui mène à l'entrée du château, il y a beaucoup d'agitation. Des troupes arrivent, d'autres ont l'air de partir, ce ne sont plus les mêmes Allemands, c'est là que nous comprenons que les S. S. viennent de relever la Wehrmacht. Des cris, des ordres militaires fusent de toute part, se mêlant à nos propres interpellations, par crainte de nous perdre. Tout près de nous, un Allemand vient d'être décapité par un obus, des avions sillonnent le ciel lourdement chargés et nous fuyons tous aussi vite que nous le pouvons.

 

            Quelques instants après, enfin un peu au calme, et dégagés des mouvements de troupes, nous nous trouvons en direction de CAEN, rassemblés sous un porche en attendant de poursuivre notre route. Et c'est de là, assistant progressivement au lever du jour, que nous voyons en flammes notre belle ville « aux cent clochers » subissant les attaques successives des bombardiers. Dominique (3 ans et demi), le plus jeune d'entre nous, pleurait, il avait perdu une chaussure et répétait « petit Jésus protège nous ».

 

A Saint-Etienne... sous le signe de la « Croix-Rouge »

            Profitant d'une légère accalmie, mon père nous fait reprendre la direction de CAEN. Mais ce calme ne dure guère. Au petit matin, sur cette route nous sommes nombreux. Et pour nous les civils, c'est d'autant plus dangereux que des convois allemands vont et viennent en tous sens. II y a aussi des troupes à pied. Je me souviens entre autres, avoir vu monter en ligne de jeunes S. S. à peine plus âgés que moi, avec des casques si grand qu'on ne distinguait que le bas de leur visage. Ainsi nous progressions vers CAEN. Essuyant de temps à autres des mitraillages, chacun de nous avançait le long des talus, prêt à disparaître dans les champs au moindre danger. C'était l'été heureusement et nous pouvions rapidement nous cacher sous les arbres, dans les hautes herbes ou les blés.

 

            Notre arrivée à CAEN fut pour nous tous un grand choc. Pour les plus jeunes d'entre nous, nos repères d'écoliers n'existaient plus. Il y avait des rues dont nous avions du mal à retrouver le tracé, tellement elles étaient pleines de ruines. Quant à notre quartier, là où nous avions bien failli disparaître tous, on ne pouvait plus y accéder normalement. Que se passait-il dans nos têtes ? Peut-être rien sur le moment. C'est un peu comme des automates que nous avancions dans cette ville fantôme où toutes nos images quotidiennes avaient basculé en si peu de temps.

 

            A Saint-Etienne, au Lycée Malherbe, c'était le rassemblement des survivants, des égarés, des sinistrés, des réfugiés.

 

La façade du Lycée Malherbe et l'église Saint-Etienne

 

 Dans la salle d'hôte du Lycée, des pères et mères de famille, des enfants de tous âges venaient aux nouvelles. Des amis se retrouvaient avec émotion et tristesse. Et surtout on découvrait l'ampleur du désastre. Le grand chapitre des morts et des blessés était ouvert. Des camarades de classe n'étaient plus, d'autres étaient gravement atteints, aveugles ou mutilés pour le reste de leur vie.

 

Sur l'Eglise Saint-Etienne et le Lycée Malherbe, il y avait de grandes croix rouges.

 

Photo allemande, photographe Arthur Grimm, date: juin 1944,  voir la croix rouge sur le toit et le peinture d'une croix rouge dans un carré blanc sur des tôles ondulées dans la cour du Lycée Malherbe. Citation  de Joseph Poirier (document daté du 8 décembre 1944) "Le 10 juin, On peint sur le Lycée Malherbe, sur les bâtiments du Bon-Sauveur, sur le Lycée de filles, d'immenses croix rouges. Avec des tôles peintes au minium, avec des chiffons écarlates, avec des cartes de géographie découpées, on en fait d'autres au sol."

On disait que les Anglais étaient au courant, qu'ils savaient que ces endroits étaient le grand refuge de la population.

Pendant que nos parents s'occupaient de notre hébergement, et de savoir comment nous pourrions quitter CAEN, mes frères et sœurs, comme d'autres enfants, essayaient de se rendre utiles en aidant aux cuisines, à la distribution des couvertures et des vêtements. Ces activités nous faisaient oublier. Et 1e groupe redonnait à chacun un peu de sécurité.

 

            Le soir, nous nous sommes installés dans une des chapelles latérales de l'« Abbaye aux Hommes ». C'était la grande solidarité. L'important était de faire une place pour chaque famille. L'église était pleine de réfugiés qui se préparaient à veiller plutôt qu'à dormir. Les bombardements continuaient sur la ville. Nous écoutions les conversations des grandes personnes. Chacun s'en remettait à Dieu ou au destin.

 

            Ce soir là, ma sœur Marie-Madeleine avait été dirigée vers l'Hôpital du « Bon Sauveur ». Elle était très fatiguée. Sa maladie pulmonaire ne pouvait qu'empirer, faute de soins. Elle se posait beaucoup de questions. Physiquement affaiblie, elle se sentait une charge. Que de gravité il y avait dans son regard. Elle nous impressionnait toujours par sa lucidité et sa fermeté de caractère.

 

            Le lendemain, chacun de nous avait repris ses activités de réfugiés. Mes parents étudiaient les plans d'évacuation. Et nous, nous apportions notre aide là où on le pouvait, les plus grands offrant leur service aux « équipes d'urgence ». C'est ainsi qu'avec mon frère Michel, nous avons participé rue Saint-Pierre à l'action entreprise pour tenter d'arrêter l'incendie qui gagnait les maisons en direction du Cinéma Normandie.

 

14 juin 1944

            Départ pour TRUN, lieu désigné pour les réfugiés de CAEN.

 

 

Nous quittons; la ville vers 16 h 30 par la passerelle de la rue de l'Arquette

 

 

avec trois personnes d'une famille Rossi-Guillaume et les Canivet. Nous touchons 750 francs par personnes et deux repas de vivres.

 

            Nous retrouvons Joseph Grégoire et Henri Pouchin, rue de l'Arquette où la maison est en feu... et Adrienne et toute sa famille et les Pouchin aux «Petites Sœurs des Pauvres »(Note de MLQ: centre d’accueil Bd Lyautey). Tous sains et saufs.

Nous allons à pied avec en plus deux bicyclettes et quelques petits ballots. Nous couchons à BOURGUEBUS chez les Mével. Tout se passe bien à part une batterie anglaise qui tire sur SOLIERS.(Note de MLQ: village à 2 km au nord de Bourguébus)

 

Nous avons appris hier que notre maison du boulevard est toujours debout.

 

 Un bruit d'enfer

            Dès le début de notre retour sur CAEN, (car les Allemands ne nous avaient pas laissé le choix après nous avoir brutalement chassés en pleine nuit) mes parents, s'étaient préoccupés de savoir où nous pourrions aller pour échapper à de nouveaux périls. C'est ainsi que mon père avait accepté de prendre la tête d'une colonne de réfugiés, une vingtaine de personnes environ. II avait l'habitude des responsabilités. Et puis que faire dans cette ville sans cesse bombardée avec une famille nombreuse !

 

            Notre petite colonne de réfugiés était en train de traverser la ville en bordure de « la prairie ». Nous allions en direction de la rue de l'Arquette, de l'autre côté de l'Orne. Ma mère avait hâte de savoir ce qu'était devenu son frère, notre oncle Grégoire, avec toute sa famille.

 

            Cette traversée fut très éprouvante. Les bombardements avaient repris avec une grande intensité. Et cet endroit était l'un des plus visés à cause des ponts. Puis dans ce vacarme effroyable, notre groupe s'était rapidement disloqué, chacun essaya d'avancer au plus vite, de fuir ou de se protéger. Tel fut entre autres le cas de ma sœur Agnès dont voici le récit :

            « C'est là que je me suis perdue. J'ai vu des personnes qui brûlaient, des véritables torches vivantes, des corps épars. Les bombes, les obus, la mitraille, tout cela faisait un bruit d'enfer. Tout à coup, j'ai vu un petit chemin tranquille, tellement je voulais fuir cet enfer.

 

            Après avoir passé le pont, le fameux pont de l'Orne, un monsieur heureusement qui arrivait me dit :« vite à terre ma petite demoiselle ». II se jette sur moi dans le fossé, en effet des avions descendaient en piqué pour mitrailler. Ce monsieur me dit « où allez-vous ? » Je lui réponds, « je ne sais pas, j'ai perdu ma famille ». II me dit « je vais vous laisser à FLEURY-SUR-ORNE, moi il faut que j'aille retrouver les miens plus loin ».

 

            A FLEURY-SUR-ORNE, j'arrive à la mairie, j'explique mon cas. Je rencontre des gens de connaissance, notamment un professeur de St-Pierre. Seulement mon problème, c'était de retrouver ma famille.

 

            Heureusement mon père était organisé, c'est-à-dire, je pense que du Lycée Malherbe on avait du lui donner un plan et des étapes à suivre... Tout à coup, je me souviens que la première étape devait se faire à BOURGUEBUS.

 

            Enfin une ambulance arrive, on demande s'il y a des gens à emmener. Le maire dit : « Oui, oui, il y a cette jeune fille, elle a perdu sa famille, elle veut aller à BOURGUEBUS ». Je monte dans l'ambulance, près du chauffeur. Derrière il y a aussi plusieurs personnes. En cours de route nous avons été mitraillés plusieurs fois. J'arrive à BOURGUEBUS, à la mairie, et là je retrouve ma famille...

 

            Nous reprenons la route le lendemain. Cette fois je marche devant tout le monde, Papa me l'ordonne ».

 

 

Ce document est paru dans

Ville de Caen

TEMOIGNAGES

Récits de la vie caennaise 6 juin-19 juillet 1944

Brochure réalisée par l’Atelier offset de la Mairie de Caen Dépôt légal : 2e trimestre 1984

RETOUR LISTE DES TEMOIGNAGES