La protection de l'Ilot Sanitaire

Tiré de ce livre

    En accord avec la Municipalité, des tentatives sont donc entreprises dans ce sens, dès les premiers jours de la bataille, d'un côté par la Préfecture, de l'autre, par la Résistance qui réussit à toucher les Alliés le 12, et la Préfecture, le 14 juin.

L'ACTION DE LA PRÉFECTURE

Les premières démarches de M. Michel Cacaud , Préfet du Calvados, près des autorités allemandes, n'aboutissent pas. Aussi, le 13 juin, à 16 heures, au cours de l'entretien qu'il a avec le Kampfkommandant (Note de MLQ: à Caen l'officier de grade le plus élevé était  le  Generalleutnant Wilhelm Richter commandant de la 716.ID dont le QG était Avenue Bagatelle jusque dans la nuit du 5 au 6 juin et depuis transféré au PC de combat aux Coteaux Saint-Julien) pour lui souligner l'impossibilité de l'évacuation ordonnée, le Préfet sollicite-t-il l'autorisation de franchir personnellement les lignes pour parlementer avec les Alliés afin d'obtenir des deux armées combattantes le respect de l'îlot sanitaire.

Le plan ci-dessous est orienté différemment

    Cette autorisation lui est refusée. Il demande alors que M. de Clermont-Tonnerre, en qualité de délégué départemental de la Croix-Rouge, soit autorisé à faire cette démarche.

    Le soir même, à 20 heures, le Préfet retourne auprès du Kampfkommandant  en compagnie du Dr Brosch, venu l'inviter une fois de plus au nom de la Feldkommandantur à faire évacuer Caen. Le Préfet refuse à nouveau de donner l'ordre d'évacuation totale. Au cours de la discussion, le Kampfkommandant notifie au Préfet que sa demande de mission pour M. de Clermont-Tonnerre est rejetée et que celle-ci ne peut être formulée que par l'intermédiaire de la Croix-Rouge internationale en Suisse.

    M. Cacaud prévient aussitôt M. de Clermont-Tonnerre qui part immédiatement  à Paris pour alerter le Président de la Croix-Rouge Française. Le lendemain, 14 juin, M. Bernard Lecornu (1), rejoint M. Cacaud dans son abri, à la Préfecture, et se mettant à sa disposition pour une mission, lui fait part de son projet de franchir les lignes.

    De plus en plus préoccupé du sort de la population caennaise qui continue de subir des pertes, inquiet pour les blessés dans les hôpitaux, les malades, les enfants et les milliers de réfugiés affluant des alentours à Caen, le Préfet saisit immédiatement l'occasion offerte par M. Lecornu afin d'alerter les autorités alliées. Il remet un plan à ce dernier pour lui faciliter l'exposé d'une mission qui consiste à signaler la présence, à l'Hôpital du Bon Sauveur, de grands blessés, ainsi que de blessés Canadiens, et au Lycée Malherbe, d'un Hôpital complémentaire, de même que plusieurs milliers de réfugiés autour de Saint-Etienne. Un code de signaux est établi pour que le Préfet puisse recevoir, le cas échéant, une réponse au moyen de fusées éclairantes lancées par avion.

    Peu après M. Bernard Lecornu, par l'intermédiaire du docteur Cayla, directeur départemental du Service de Santé, se met en rapport avec M. Adeline, chef des Equipes d'urgence et lui demande de mettre à sa disposition une ambulance pour le conduire jusqu'aux lignes.

    Mlle Brouzet, chef de la section ambulancière, s'offre pour cette mission périlleuse. L'ancien préfet de la Corrèze, promu équipier d'urgence, l'accompagne comme brancardier. Il s'agit d'aller chercher un blessé sur la ligne de feu. On verra que pour accomplir ces missions, les ambulancières étaient toujours accompagnées de brancardiers.

    Après trois tentatives infructueuses et non sans avoir évité maints périls, l'Amilcar franchit les lignes à quelques kilomètres de Caen, au hameau de Buron et ses occupants, conduits à l'Etat-major, remplissent leur mission. Les Alliés prennent l'engagement de ne pas bombarder le secteur délimité sur le plan de la ville que leur remet M. Bernard Lecornu. Le nom donné par les alliés est : "Island of refuge".

Itinéraire de M. Bernard Lecornu et Mlle Denise Brouzet les 14 et 15 juin

Quelques jours plus tard, M. Bernard Lecornu et Mlle Brouzet (décorée, pour ce fait, de la Légion d'honneur à titre posthume) réussissent à faire passer, de Bayeux, un message au docteur Cayla pour lui rendre compte de leur mission, les Alliés, pour des raisons militaires, s'étant opposés aux signaux par fusées.(L'authenticité de ces faits est établie par les témoignages du Docteur Cayla, de M. Adeline, de M. Cacaud et ceux du Capitaine Smith de l'Intelligence Service et du Colonel Usher des Civils Affairs)

    Entre temps, M. Cacaud et M. Detolle , maire de Caen, tentaient, de concert, une nouvelle démarche près du Kampfkommandant auquel M. Detolle laissait un plan de la ville, portant délimitation de l'îlot sanitaire.

...ET CELLE DE LA RESISTANCE

    Le 6 juin, le Capitaine Gille à la fois Commandant militaire de la Subdivision M1 (Manche et Calvados) des F. F. I. et Président du Comité départemental de Libération, se trouve à Paris où il est allé chercher les dernières consignes de ses chefs. Il se hâte, par ses propres moyens et souvent à pied, de revenir à Caen. Il y arrive le 9 et se préoccupe aussitôt de faire porter un message aux Alliés. Pour donner plus de poids à ce message il veille à ce qu'il soit établi par le Maire de Caen et, prend ainsi contact avec M. Poirier, maire-adjoint, chef de la Défense Passive, par l'intermédiaire du Lieutenant Poinlane.

    Cette première démarche n'aboutit pas immédiatement. Le lendemain, dans un café de la rue Caponière, le capitaine Gille réunit le lieutenant Poinlane et diverses personnalités. Au cours de cet entretien, il décide qu'une nouvelle démarche sera faite près des autorités municipales par l'intermédiaire de M. Poirier.

    A la suite de ces pourparlers, un nouveau message est rédigé en collaboration par MM. Poirier et les envoyés du capitaine Gille. Il y est demandé aux Alliés d'épargner le secteur indiqué sur un plan, comprenant le Palais de Justice, le Lycée, Saint-Etienne et le Bon Sauveur.

Ce message annonce, en outre, l'évacuation des Caennais vers Trun, Bourguébus, Saint-Sylvain et Vendeuvre et insiste auprès des Alliés pour qu'ils ne bombardent pas cette route.

Il est signé de M. Detolle, maire de Caen (témoignage de M. Caillet, secrétaire adjoint de la mairie).

    Le dimanche 11 juin, dans la soirée, le capitaine Gille va trouver Mme Himbert, sage-femme et lui propose de passer les lignes. Elle accepte.

    Le lendemain matin, le capitaine Gille lui apporte le message. Elle en prend connaissance et - par prudence -, refuse de l'emporter. Elle le transmettra verbalement aux Alliés.

    Vers 9 h. 30, elle part à bicyclette, le brassard de la Croix-Rouge au bras. Les derniers Allemands du secteur rencontrés avant Bretteville-l'Orgueilleuse (Note de MLQ: à 12 km à l'Ouest de Caen), la laissent passer sans observation. La voici dans le « no man's land », entre les lignes, désert traversé par la route de Bayeux, jonché de cadavres et de matériel anéanti. Elle entre enfin dans le village. Les Canadiens l'occupent. Le premier qui l'aborde est Français et l'interpelle dans son dialecte :

« Où vas-tu, toi ? »

    On la conduit à un officier, puis à un autre... qui la fait enfermer dans un local avec une sentinelle à sa porte. Elle est prise pour une espionne. Conséquence : deux heures de prison avec la gamelle et le reste. Puis, un troisième officier vient la chercher et l’emmène avec sa bicyclette dans une « Jeep «, la conduit à Secqueville-en-Bessin, puis à Fontaine-Henry, et enfin à Douvres, où elle est mise, vers 14 heures, en présence de l'état-major allié. Elle subit plusieurs interrogatoires et finalement, est conduite au capitaine Fitzgerald , de l'Intelligence Security, et l'un des grands chefs de l'espionnage.

    Elle lui répète le message dont elle est chargée. Le capitaine Fitzgerald lui promet qu'il fera le nécessaire pour que le quartier Saint-Etienne soit épargné. Puis, il lui remet des consignes pour le capitaine Gille. Un colonel intervient et confirme la promesse du capitaine Fitzgerald  l'îlot sera respecté.

    Mais au moment où Mme Himbert s'apprête à prendre le chemin du retour, les Anglais ne veulent plus la laisser partir. Elle sait trop de choses et, malgré tout, ils se méfient d'elle. Elle se résigne à son sort. A 18 h. 45, contre-ordre, elle est autorisée à prendre le chemin du retour. Des coups de téléphone sont donnés ici et là, pour faciliter son passage. Une « Jeep » la reconduit avec son vélo à Bretteville. Elle essuie le tir des mitrailleuses, près de Fontaine-Henry, où les Allemands tiennent encore un bois.

    A Bretteville, où les obus tombant dru, Mme Himbert attend une accalmie pour franchir le « no man's land ».Elle se lance sur la route de Caen où elle ne tarde pas à retrouver les Allemands qui la laissent passer après quelques délibérations.

    Elle file alors sur Cagny où se trouve le capitaine Gille et lui rend compte de sa mission. Il est 21 heures.

Trajet de Mme Himbert le 12 juin 1944.

    Le 13 septembre 1944, Mme Himbert a été citée par le général Kœnig , commandant des F. F. L:

"Agent de liaison de grand courage. A traversé les lignes à deux reprises dans la journée du 12 juin. A pleinement réussi, assurant le contact entre les F. F. I, et les troupes alliées du débarquement. Cette citation comporte l'attribution de la croix de guerre avec étoile de bronze "

Lire ici ce périple romancé dans ce livre .

    Le Capitaine Gille remit copie du message de M. Detolle à d'autres personnes. Une d'elles, au moins réussit à passer vers la mi-juin, mais à une date que l'on n'a pu nous préciser. Il s'agit d'une jeune fille, alors âgée de 16 ans, de la région d'Argences - sans autre précision - connue dans la Résistance sous le nom de Mlle Haricot. Elle aurait franchi le canal près d'Hérouville, après s'être dissimulée toute une nuit dans les roseaux. Elle aurait rejoint les Anglais à la maternité. Elle ne revint à Caen qu'après la Libération de la rive gauche et suivit les Alliés par la suite en Hollande. Nous ne pouvons jeter aucune autre lumière sur cet épisode, l'intéressée étant absente.(Note de MLQ: livre écrit en 1945)

    Les Alliés ont promis d'épargner Saint-Etienne et ils tiennent leur parole. Les rares bombes qui tomberont maintenant sur le quartier seront « placées » - comme celles de la rue de Bayeux et de la rue de Bretagne par exemple, qui étaient destinées à barrer la route aux troupes en retraite ; assurément des obus viendront mais en nombre limité et ne causeront à l'îlot - au regard de ceux qui furent provoqués ailleurs - que des dégâts relativement peu élevés. Pour apprécier à sa juste valeur la manière dont les Britanniques tinrent leur parole, il ne faut pas voir ce qu'ils firent, il faut voir ce qu'ils auraient pu faire.

(1) Fils de notre concitoyen M. le Docteur Lecornu, M. Bernard Lecornu, ancien préfet de la Corrèze, révoqué sur l'ordre de Darnand et traqué par  la Gestapo qui l'avait condamné à mort, se cachait à Paris. Il avait joué, en effet, un rôle fort actif dans la Résistance, d'abord à Saint-Nazaire où il avait livré à, l'Intelligence Service les plans du mur de l'Atlantique de la Loire à la Vilaine et quantité d'autres renseignements militaires, et ensuite à Tulle où il tenait le maquis au courant, au jour le jour des opérations que la Milice, de concert avec la Gestapo, projetait contre lui, sauvant ainsi la vie à de nombreux patriotes. Le jour du débarquement, M. Bernard Lecornu était allé trouver le Secrétaire Général du Secours National qu'il connaissait de longue date et lui avait demandé de l'aider à gagner Caen. C'est ainsi qu'il était arrivé à Lisieux dans un camion de cet organisme et qu'il avait pris en charge les millions que réclamait le préfet du Calvados depuis le début de la bataille pour faire face aux paiements des salaires, traitements, allocations ainsi qu'au fonctionnement de tous les services vitaux.

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Dans ce livre la démarche de Mlle Haricot, vers la mi juin:

    Une toute jeune fille de 16 ans, Marcelle Haricot, de Blonville-sur-Mer (Note de MLQ : à 38 km au Nord-est de Caen) , accompagna en direction d'Argences (Note de MLQ : à 33 km au Sud-ouest de Blonville) , dix-neuf parachutistes alliés qui s'étaient égarés et avaient été hébergés provisoirement à la ferme de ses parents, à Blonville. Le Capitaine Poinlane la reçut à Brocottes (Note de MLQ: à 13 km au Nord-est d'Argences) avec ses dix-neuf encombrants compagnons, puis avec elle, rejoignit Caen, où il la proposa à Léonard Gille, qui cherchait quelqu'un pour faire passer un autre message de protection de l'Îlot Sanitaire ainsi que des demandes de renseignements.

    Considérant la jeunesse de la petite Marcelle, Léonard Gille eût un moment d'hésitation, mais finalement se laissa fléchir.

    Et c'est ainsi que, munie de sa carte d'identité habilement maquillé et avec les messages cousus dans sa ceinture, Marcelle Haricot fut prête à tenter l'exploit de passer les lignes... à pied !

    La jeune fille suivit tout d'abord le canal de Caen à la mer, où elle avait plus de facilités pour se dissimuler dans les hautes herbes et les broussailles au bord de l'eau. L'opération s'effectua lentement mais sûrement.

    Dans Bénouville (Note de MLQ : à 9 km au Nord-est de Caen, à proximité de Pegasus Bridge) libérée, Marcelle Haricot se fit connaître de Mme Vion , Directrice de la Maternité - et grande résistance - auxquels de nombreux aviateurs alliés, ainsi que des réfractaires et résistants durent de ne pas tomber aux mains de la Gestapo.

Itinéraire de Mlle Marcelle Haricot

    « Maman » Vion mit immédiatement la petite Marcelle en contact avec le Capitaine Fitzgerald , lequel prit connaissance des messages et donna à nouveau l'assurance que le secteur de Saint-Étienne Bon Sauveur, serait protégé. Ce qui fut fait, d'ailleurs.

    Marcelle Haricot ne revint à Caen que le 9 juillet avec les premiers libérateurs. Elle reçut également par la suite la Croix de Guerre et accompagna les troupes alliées, dans les services de l'U.N.R.R.A., jusqu'en Hollande.

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Dans ce livre (pages 126 et 127) un autre récit de la démarche de Mlle Haricot:

    L'histoire de Marcelle Haricot est vraiment particulière.

    Alors qu'elle se trouve en pension dans un couvent à Lisieux, elle apprend que les libérateurs approchent. Avec beaucoup de détermination, elle arrive à convaincre la supérieure de la laisser rejoindre sa famille à Blonville-sur-Mer. En arrivant chez ses parents, elle les trouve en compagnie de 19 parachutistes anglais, ils sont hébergés plusieurs jours à son domicile. L'ennemi n'est pas loin et il est plus prudent de leur faire passer les lignes pour les remettre entre les mains de la Résistance. Il leur faut un guide. Aussitôt, elle se propose, ses parents finissent par accepter

    Ancienne scoute, elle sait lire une carte et connaît bien la région, elle les mène vers Argences où elle sait trouver le capitaine Poinlane . Après une expédition de cinq jours, la jonction se fait à Brocottes où tout le monde arrive sain et sauf.

    Marcelle , qui veut continuer à servir, demande à voir le chef. Le commandant Léonard Gille cherche quelqu'un pour passer les lignes et porter un message aux Anglais, mentionnant un îlot sanitaire sur Caen, qui doit être préservé de tout bombardement.

    Plusieurs agents de liaison ont essayé de passer, mais en vain. Le commandant Gille l'interroge, désabusé, puis, intéressé, pense qu'il faut essayer malgré tout. L'on découd sa ceinture, les messages sont « planqués» à l'intérieur. Marcelle , après un peu de repos, se déclare prête à partir.

    Dans son parcours, il lui faut longer le canal de Caen à la mer, dans les ajoncs, afin de se soustraire à la vue des Allemands, pour parvenir au château de Bénouville et y rencontrer Léa Vion qui la conduira près du capitaine Fitzgerald chargé des renseignements. « En juin 1944, Marcelle Haricot m'apporta, à travers les lignes allemandes, un message de Léonard Gille ( ... ) me disant de regrouper la Résistance de mon côté, de prévenir les chefs britanniques que les quartiers Bon Sauveur, Palais de Justice, Saint-Étienne ne contenaient que des civils, des réfugiés, des blessés français ( ... ). L'avertissement fut transmis au capitaine Wildblood de l'Intelligence Service, alors à Tailleville. » (témoignage de Léa Vion, archives des Anciens Combattants, dossier n°648)

     Le message comporte aussi la demande, « si la mission est réussie, d'envoyer par avion deux fusées vertes et une rouge ». L'avion est bien venu mais n'a pu lancer ses fusées, suite à un incident technique. Après l'angoissante attente, la confirmation arrive, l'îlot sanitaire est épargné.

Un article de Janine Boitard paru dans Liberté de Normandie du 24-25 novembre 1946.

 

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