Témoignage paru dans ce livre .

 

JOURNAL DU SIÈGE DE CAEN

 

L'affreuse veillée commence ...

    6 juin. Hier, la ligne de Cherbourg a été coupée entre Caen et Carpiquet; les voyageurs ont été débarqués en pleine campagne (Note de MLQ: ligne ferroviaire Paris-Cherbourg).

En noir la voie ferrée entre la gare de Caen et Carpiquet

Cette nuit a été agitée, et, aux premières heures du matin, un grondement épouvantable!... Le Débarquement !... Vers 13 h 30, premier gros bombardement de la ville; le second a eu lieu vers 16 h 30. Le sol de la cave tremble. On ne voit pour ainsi dire plus d'uniformes; les services civils allemands semblent partis, eux aussi... Le soir, dans notre cave, nous nous installons sur des chaises, et l'affreuse veillée commence!... On donne le Cotentin, le Calvados, le Nord, la Belgique et Bordeaux comme lieux d'invasion... Les éclatements se succèdent toute la nuit !. ..

    7 juin ... Vers 3 heures du matin, nouveau et horrible bombardement!... Le ciel est en feu! Un grondement terrible retentit : on dirait d'énormes trains qui s'élancent dans les nues ! Dans ce bruit affreux, la chute des bombes s'entend à peine... L'un de nous remonte de la cave et nous décrit l'embrasement du ciel et la vision d'épouvante qu'offrent les avions qui le sillonnent... Les incendies donnent une épaisse fumée rougeâtre; toute la ville brûle, jusqu'à St-Pierre!... Aucun secours à attendre; les pompiers ont été parmi les premières victimes; leur caserne a été anéantie, ensevelissant environ 20 d'entr'eux sous ses ruines !...

"Photo Jean Lahousse". Source page 92 de ce livre, avec cette légende:" Un rare cliché pris le 7 juin. Les familles des pompiers se recueillent  sur les sépultures provisoires des leurs";  les croix ont été ajoutées sur le cliché. Au pied du magasin aux tuyaux, échafaudage où étaient pendus les tuyaux pour leur séchage après intervention (les tuyaux étaient confectionnés à cette époque en grosse toile de jute dont les mailles une fois mouillées avaient la particularité de gonfler et de devenir étanches,  cette tour était positionnée rue Daniel Huet à l'angle du boulevard circulaire en face les bâtiments de la caserne de l'autre côté de la rue. Derrière les ruines de la caserne (ex bains douches du temps du Maire Bertrand) et plus loin encore debout les murs de la caserne de Gendarmerie. Les murs  semblent bien noirs, conséquence des  incendies. Même si on peut douter de la date du 7 juin, cette photo a quand même était prise à une date très proche du 6 juin parce que rapidement les corps des pompiers ont été inhumés dans des cimetières provisoires. Le commandant (Capitaine Jules Foucher) et 17 Sapeurs-Pompiers sont tués. Le précieux matériel est perdu. Le lieutenant Gervaise fera face avec des moyens humains et matériels limités.

L'eau manque; l'électricité, le gaz ont été coupés et bien peu osent se risquer sous les bombes qui continuent à tomber de temps en temps... Le feu gagne, rue par rue. L'immeuble de la Feldkommandantur est détruit, et on aperçoit quelques cadavres allemands aux alentours... Le quartier de Beauséjour est anéanti, l'église St-Jean fort atteinte, tout le quartier St-Jean, les quais brûlent comme des torches! la Miséricorde est rasée...lire en 3. Les rues sont à peu près désertes; on n'y voit guère que les fugitifs du centre de la ville, qui vont chercher refuge dans la partie épargnée (quartier St-Etienne).

Place Foch, l'immeuble Beauséjour avant guerre et après.

p011905  Conseil Régional de Basse-Normandie / National Archives USA   Agrandissement
Vue aérienne de la ville de CAEN. Le quartier Saint Jean est en feu probablement le premier bombardement le 6 juin à 13h30 car le reste de la ville ne semble pas avoir encore souffert.

Le grand cauchemar ! ...

    Du 10 au 24 juin, on a casé des réfugiés au Lycée Malherbe lire en 2-3 et au Bon-Sauveur lire en 2-4. Un service de secours aux blessés y est organisé lire en 3-6; les médecins, tous sinistrés - sauf trois ou quatre - sont venus offrir leur aide. Tous les magasins sont fermés, à part quelques boulangeries, boucheries et crèmeries; il faut organiser la distribution de l'eau; certaines maisons qui possèdent une pompe sont réquisitionnées... On vit comme dans un cauchemar; la liste des victimes s'allonge et il faut renoncer, faute de moyens, à sauver ceux des ensevelis qui seraient encore vivants... Les rares troupes de la Wehrmacht ont cédé la place aux S.S ... Autre épouvante, des canons de marine anglais envoient des obus énormes sur la ville!... Le superbe clocher de St-Pierre a été abattu, plusieurs maisons du quartier St-Sauveur sont éventrées, l'église St-Sauveur est touchée, une partie des Bénédictines détruite !... Le Château, surtout, est le point de mire des Anglais, de jour comme de nuit, et les rues voisines en souffrent de plus en plus; la Rue de Geôle a commencé à flamber, les quartiers St-Julien et St-Pierre ont leurs victimes ...

Un obus de 406 mm (16 pouces)  du HMS Rodney  emporte la flèche du clocher de l’Eglise Saint-Pierre qui s’abat dans la nef.

 

L'intérieur de l'église Saint-Pierre après la chute du clocher. Rue et église Saint-Pierre

Le couvent des Bénédictines était situé entre la promenade Saint-Julien et la rue de Geôle. Ces religieuses occupaient depuis 1816 l'ancien couvent des Cordeliers. La chapelle avait été rénovée en 1867, recevant de nouveaux vitraux. En juin 1944, l'ensemble est écrasé sous les bombes et seuls des vestiges de la chapelle demeurent aujourd'hui dans la cour de la clinique de la Miséricorde.

 Le ravitaillement s'est organisé par secteurs lire en 6, dans le quartier épargné; les Equipes d'Urgence lire en 4-1 ont commencé leur service et la famine est conjurée... On ne sait plus où mettre les réfugiés, qui augmentent de jour en jour. St-Etienne est transformée en dortoir lire en 2-5; des tonneaux d'eau sont placés à l'entrée. Le chœur seul reste réservé au culte... Chaque soir, un salut groupe les fidèles, et le spectacle est incroyable : cette foule, avec les enfants qui crient, et, dans le chœur, ces fidèles qui récitent le chapelet!... La loi canonique, en cas de péril de mort, permet la communion en viatique, à toutes les heures du jour : beaucoup en profitent et des prêtres sont à la disposition des fidèles dans la Sacristie ...

Source film British Movietone News. Des réfugiés devant un portail (FERME APRES MIDI), corvée d'eau (EAU NON POTABLE)


  

     

Les réfugiés dans l'Eglise Saint-Etienne. Quatre photos tirées du site de la ville de Caen

 

Source. Des réfugiés dans une chapelle latérale de Saint Etienne. Source. Des réfugiéd dans la nef centrale de Saint Etienne

La bataille continue... Chaque matin, on espère la fin du cauchemar; hélas! il faut recommencer les longues nuits coupées de bruits de bombes, de passages d'avions et de terreur !... Les Anglais continuent à s'acharner maintenant sur le Château et les obus, mal réglés, tombent sur tous les quartiers!... Beaucoup de gens ont quitté la ville, à pied naturellement! on apprend, chaque jour, la mort de quelques personnes de connaissance... Les cimetières sont sous le feu, et il ne faut pas songer à y transporter les morts : on enterre au Lycée Malherbe, dans la Prairie, sur la Place du Sépulcre !...lire en 10 Une seule église reste ouverte au culte, St-Etienne, et une seule chapelle, celle de la Visitation; les autres sont détruites ou dans les quartiers menacés. La jolie place du Parc est trouée d'entonnoirs, et le vieux St-Etienne n'a plus que la moitié de sa nef côté nord et son clocher. L'Hôtel-de-Ville a perdu la partie gauche de sa façade, le square est bouleversé, les arbres déracinés, les grilles arrachées et quelques immeubles de la place détruits.

 

                                            La façade de l'hôtel de ville.                              Le vieux Saint Etienne

Les jours se suivent et ne se ressemblent pas tous. Les uns jouissent d'un calme relatif, les autres sont agrémentés de tirs de barrage, de combats de chars, dans la campagne environnante. On passe bien des heures dans les caves; ceux qui n'en ont pas vont dans les. tranchées... Il faut, malgré tout, sortir, pour le ravitaillement; on se hâte en rasant les murs; si le canon tonne trop fort, on se réfugie sous les portes. Les queues sont interminables. Les réfugiés sont obligés d'aller à l'unique magasin de notre quartier : de là cette affluence... Les obus ont commencé à pleuvoir par ici, dans la partie jusque-là, épargnée ...

Tragique bilan ...

    27 juin. Hier, la canonnade a duré 4 heures, avec une violence qui empêchait tout travail, depuis 7 h 30 jusqu'à midi environ, Des obus sont tombés sur le Bon Sauveur : cinq tués et une quinzaine de blessés !. .. La lutte a réduit en cendres les villages voisins; églises, fermes sont anéanties. La belle église de St-Contest, joyau de la Plaine, est touchée. Evrecy a subi un terrible bombardement qui a fait 2 ou 300 victimes 115 morts, dit-on. Aunay est détruit... Tout le département a été bombardé par les avions anglais. Falaise n'a plus beaucoup de maisons debout; Lisieux, très éprouvé, y compris deux églises, St-Jacques et St-Désir; tous les couvents, sauf le Carmel, comptent des tués. Cependant, les immeubles de la Place Thiers seraient encore debout, avec la Cathédrale et le Palais Episcopal. .. Vire a durement souffert; Condé-sur-Noireau a été dévasté. Les paysans ont perdu leurs bestiaux, leurs biens et souvent la vie : la Normandie est ravagée pour longtemps !. ..

L'incendie a achevé ce que le bombardement avait commencé. Les jours qui ont suivi le 6 Juin ont vu flamber les principaux magasins de la ville et le Théâtre. De ce côté-ci de l'Orne, il ne reste que la partie comprise entre la Place St-Pierre et la rue de Bayeux, ainsi que le quartier de la rue Caponière, et encore, beaucoup de rues adjacentes sont dévastées... Le quartier du Stade est en partie détruit, la Maison des Etudiants brûlée, la Poste abîmée; le magnifique Hôtel d'Escoville, siège de la Chambre de Commerce, est détruit en partie ...

"Photo Marie" présentée page 36 du livre: 1944, Le Calvados en images de Jeanne Grall, Sodim, 1977. Le 6 juin 13H45, les premières bombes Bd des Alliés, un pharmacien en blouse blanche, M. Husson, blessé à la tête, un membre de la D.P. casqué avec son vélo, à droite la façade du magasin Monoprix ouvert en 1936, sera rapidement la proie des flammes.

Si l'immeuble des Galeries Lafayette est encore debout malgré ses profondes destructions, l'hôtel Moderne situé au numéro 116 est en ruine. Les traces de l'incendie sont encore visibles sur la façade. Quelques arbres ont survécu aux bombardements et au feu.

Les Nouvelles Galeries entrée du passage Démogé rue de Bernières

Le théâtre

"Source". La Poste,  on voit ici le côté bordant la place de la République et les ruines en premier plan sont celles de l'Hôtel de Ville (partie Commissariat de Police). La partie abîmée et qui a donc été reconstruite à l'identique est à l'angle de la rue Auber (place de la République) et de la rue Georges Lebret qui rejoint la rue Sadi Carnot. Photo intéressante et rare qui infirme une vérité reçue. Version annotée. Aujourd'hui.

 

L'Hôtel d'Escoville, place Saint Pierre.

Il n'est pas encore possible d'évaluer le nombre des victimes : des familles entières ont disparu, au cours des bombardements, d'autres ont été mitraillées, sur les routes, ou dans les villages où elles s'étaient réfugiées et où des combats ont eu lieu. Qui pourrait dire où tous ces malheureux ont été enterrés? et tous ceux qui ont été écrasés ou déchiquetés! quant à ceux qui gisent sous trois ou quatre mètres de pierres, pourra-t-on les compter tous? par ailleurs, les maisons intactes sont pillées, si leurs habitants veulent chercher des lieux moins exposés ... en fait 1967 caennais morts

Centres d'accueil. ..

    28 juin. Depuis que la bataille s'est intensifiée, on voit les voitures des S.S. sillonner les rues; il y en a souvent un de juché sur le capot.

Un blindé de reconnaissance SdKfz 231 8 Rad schwerer Panzerspähwagen dans les ruines du quartier du Marché au Bois (il n'en reste rien de nos jours) entre l’église Saint-Pierre en arrière plan  et le Château de Caen. Remarquer l'emblème de la Division à gauche du capot .

Ici, beaucoup de maisons ont reçu leur visite; ils prétendent chercher des autos et parfois des francs-tireurs! depuis lundi, le duel d'artillerie a repris. Les nuits sont pleines du fracas des éclatements; avec cela et la D.C.A. Défense Contre les Avions, on ne dort plus; pendant le jour, sortir est un danger, et les gens doivent parfois s'aplatir sur le sol !... de nouvelles maisons sont détruites, et les victimes, si elles sont moins nombreuses qu'au grand bombardement, continuent cependant à allonger la funèbre liste ... L'absence de nouvelles est également très pénible; plus de T.S.F. depuis trois mois, et les faux bruits sont multiples et absurdes. On espère, chaque jour, la fin du cauchemar et, chaque soir, on est déçu... La vie est purement végétative; l'obligation de courir aux abris empêche tout travail suivi...

Depuis le 31 mars 1944, interdiction de la possession de postes de TSF, les Caennais doivent les déposer à l'Hôtel de ville

Le plus étrange est l'aspect des costumes : la plupart des gens ne possèdent plus que ceux qu'ils ont sur le dos! les chapeaux ont disparu; les femmes ne portent plus que des foulards ou turbans, et souvent rien du tout, même à l'église. La toilette est devenue le dernier des soucis; plus de coiffeurs, plus de fards !... Les chaussures sont aussi étranges que les coiffures. Les pantoufles, les espadrilles sont en nombre considérable : beaucoup de gens se sont sauvés au milieu de la nuit, donc en pantoufles. Les familles les plus fortunées sont devenues pauvres et sans abri en quelques minutes! le linge fait défaut, et la garde-robe des non-sinistrés ne peut suffire à des besoins aussi nombreux ...

Au Lycée, dans les superbes caves voûtées de l'Abbaye aux Hommes, il y a des milliers de réfugiés. Les vastes salles servent d'infirmerie et de dortoirs. Au pied de l'escalier monumental, des coiffeurs se sont installés, et c'est un spectacle curieux que ces Figaros, opérant là, au milieu d'une foule grouillante !...

Photo tirée du site de la ville de Caen

Dans le jardin du Cloître, les mères surveillent leurs enfants en reprisant les effets qui leur restent...

Une réfugiée dans le cloître

Les Administrations ont établi des permanences dans le parloir, et l'entrée est encombrée par les Equipes d'Urgence lire en4-1, qui attendent le moment d'être utilisées... Le Palais de Justice est également le siège de différents services lire en 2-6; on couche aussi dans ses abris. Le Lycée de jeunes filles sert à la répartition des effets aux sinistrés lire en 2-7, les locaux du Secours National  ayant été détruits lire en 8.

La ville n'est qu'un amas de ruines et la vie y a à peu près complètement disparu; pour retrouver un peu de mouvement, il faut arriver aux Places Malherbe et St-Sauveur. Toute la circulation est concentrée vers le Lycée et le Bon Sauveur. Aux pompes et puits, jadis peu utilisés, c'est un pittoresque défilé de gens munis des récipients les plus divers et en quête du rare et précieux liquide ...

La lessive dans la chapelle ...

    1er juillet. Il y a deux jours, .gros émoi! on parlait d'une évacuation totale de la ville; les malades et les vieillards du Lycée ont commencé à partir, dans les ambulances lire en 9. De nouveaux réfugiés des environs arrivent ici; nous faisons des préparatifs, mais seulement pour le cas où l'on nous forcerait absolument à partir, car les routes sont sous le feu de l'artillerie et le danger y est encore plus grand qu'en ville, bien qu'on n'ait, ici, que quelques heures de calme dans la journée; le soir, le bruit infernal reprend; les nerfs sont à bout et l'heure de la délivrance n'a pas encore sonné !. .. Cette nuit-ci fut très mauvaise, avec bataille de tanks pas très loin; le grondement ne cesse que vers le matin; on dort quelques heures d'un sommeil de brutes, et la longue journée recommence! corvées insipides d'eau, nettoyage de la cave-chambrée, etc... Le temps passe quand même, et l'on espère toujours du nouveau qui, hélas, se fait bien attendre!... L'Eglise St-Etienne offre un spectacle de plus en plus extraordinaire! il n'y a plus de chaises, sauf dans le chœur; il y a des bicyclettes et des remorques; les couvertures et le linge sont étalés un peu partout; des casseroles sont accrochées là-bas; les chapelles du déambulatoire sont devenues des logements ! Dans l'une d'elles, une lessive est en train de sécher, cependant qu'un homme, ayant accroché une glace à la porte du confessionnal, se rase tranquillement !... Les enfants trainent des jouets sur les dalles; les femmes cousent ou refont les lits! ici, on joue aux cartes ! on se croirait dans un campement de bohémiens !. ..

Le Lycée offre un spectacle analogue... Les Sœurs de la Miséricorde, si durement éprouvées par le bombardement, ont repris leur tâche auprès des malades. Dans l'ancien potager de l'Abbaye, on a fait un cimetière ; 16 tombes sont déjà alignées et fleuries...

Source film British Movietone News. Des tombes dans les jardins du Lycée Malherbe.

Le canon tonne presque continuellement; on ne sait rien de ce qui se passe, sinon que la lutte est finie, à Cherbourg exact libération le 26 juin. La chaleur est fatigante; il faut redouter les épidémies étant donné ie manque d'eau et l'affluence de tant de gens, au Lycée et au Bon Sauveur. La nourriture est peu variée et les légumes secs rendent beaucoup de gens malades. On a évacué un grand nombre de sinistrés depuis quelques jours ; c'est surtout pour éviter la disette, mais combien est triste le sort de ces pauvres gens, ballottés de refuge en refuge ! ...

Nuit atroce !. ..

    Du 5 au 8 juillet. Le 4 à 4 h 30 du matin, réveil en fanfare! la bataille d'artillerie - la plus violente depuis le début du siège - a fait rage jusqu'à 11 h 30. Des maisons ont encore été détruites. Le ravitaillement devient rare, en raison des risques que courent les conducteurs de voitures. De nouvelles communes environnantes ont été évacuées, car l'avance anglaise se poursuit... Le 5 au matin, l'aviation a recommencé à chercher les objectifs offrant encore un intérêt militaire : ponts, etc... Des bombes sont tombées... Et les bombardements continuent, la nuit et le jour; les obus tombent un peu partout Le 6, ce fut près du Palais de Justice et au milieu de la Cour d'Honneur du Lycée de nos jours: Espnanade Jean-Marie Louvel.

Le palais de justice. De nos jours.

 De nouvelles batteries allemandes sont installées dans le quartier, ce qui nous vaut un redoublement de vacarme. Des maisons, jusqu'ici indemnes, sont réquisitionnées pour les troupes qui viennent en renfort... La nuit dernière (7 au 8), nuit atroce de bombardement aérien; ce qui restait du centre de la ville a été détruit. Durant· trois quarts d'heure, le sol de la cave tremblait; les Facultés, l'Hôtel-de-Ville (ce qui en restait) ont flambé. Les Bénédictines brûlent, mais les sœurs sont sauvées. Nous n'avons guère quitté la cave de la journée; chacun est à bout de résistance; à quand la fin? L’église St-Julien est détruite !.

Ruines de l'église Saint Julien.

Les premières voitures canadiennes ...

 

    9 juillet. On s'attendait aux combats de rues; ils n'ont duré qu'une demi-heure dans notre quartier; les mitrailleuses ont crépité et le mur des voisins a été criblé de balles. Les rares S.S. qui restent encore errent le long des rues. Leur fatigue est telle qu'ils titubent sous leur équipement trop lourd; leurs cirés, avec les zébrures de camouflage, les font ressembler à des panthères épuisées... A 2 h 15, les premières voitures canadiennes ont fait leur apparition. Nous ignorons la position des adversaires; le canon tonne encore et les obus sifflent de temps en temps... En prenant possession des immeubles occupés auparavant, les Alliés redoutent les mines et les pièges ... Leur arrivée a donné lieu à des manifestations d'enthousiasme dans la partie non sinistrée de la ville; des fleurs garnissaient les voitures et, des fenêtres, les applaudissements éclataient. La joie, cependant, n'est pas générale : trop de morts gisent encore sous les décombres, et ceux qui ont tout perdu n'ont pas le courage de se réjouir... La lutte n'est pas finie non plus; le faubourg de Vaucelles est toujours aux mains de l'ennemi. ..lire la libération de la rive gauche

Dans Caen libéré ...

    Du 11 au 12 juillet. Un nouveau Préfet a été nommé; une proclamation du général anglais est affichée à St-Etienne et au Lycée. On se risque à visiter les ruines de la ville... Les Facultés n'ont plus que des murs calcinés; le clocher des Bénédictines se dresse encore, au milieu des décombres; l'Eglise St-Julien n'est plus qu'un tas de pierres ! l'eau va nous être redonnée; il est temps car la saleté des abris est grande. Dans l'Eglise St-Etienne, il y a maintenant des matelas et des voitures d'enfant jusque dans les stalles du chœur ! Ce n'est plus qu'une vaste halle remplie de paille et de meubles de toutes espèces, et où flotte une odeur d'écurie !

Baron, Maltot sont aux mains des Anglais, mais les batteries allemandes de Fleury arrosent la région de Venoix. Nous sommes désormais coupés du reste de la France; les messages sont suspendus. On n'ose faire creuser des tombes dans la Prairie, trop exposée au feu des deux armées; 40 morts attendent d'être inhumés et les victimes du dernier bombardement sont encore, pour la plupart, sous les décombres... A l'église, durant la prière, le bruit des obus qui passent donne de fortes émotions. Le tir est plus intense encore pendant la nuit et les batteries canadiennes, placées derrière le cimetière St-Gabriel, envoient leurs salves, elles aussi. Les seuls moments de répit relatif
se placent entre 6 et 11 heures du matin, et encore pas toujours ! la tête est vide, les oreilles bourdonnent !...

    15 juillet. La journée d'hier a été fort pénible; la nuit précédente avait été dure. L'Eglise St-Etienne, elle-même, a reçu des obus et il y a eu des morts, ainsi qu'au Lycée. Beaucoup de gens évacuent maintenant Caen et les camions anglais les emportent; la cohue, au départ, Place du Lycée, est indescriptible...

 

 

« Archives départementales du Calvados ». Evacuation des réfugiés sur le parvis de Saint-Etienne.

Film départ de réfugiés le 15 juillet (à partir de 02:00) voir également le début de ce film.

Source film British Movietone News. Des camions de réfugiés devant le 74 rue de Bayeux. De nos jours. Noter à droite le camion au gazogène.

 

 La nuit a été affreuse; les obus n'ont cessé de tomber et, ce matin, le nombre des nouvelles maisons détruites est considérable. La Gare St-Martin a souffert et St-Etienne a encore reçu des coups. On marche au milieu des décombres; les gens sont atterrés; on ne se plaint même plus; la fatigue et la peur ont brisé le ressort des plus courageux! néanmoins, le plus dur est passé, pour nous, mais quel sera le sort de la France, s'il faut payer le même prix pour la conquête de tout le territoire !...

Une Caennaise

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