Témoignage paru dans ce site.

 

Le 6 juin 1944 vécu par un jeune de 13 ans.

Nous étions huit enfants. Notre père était décédé en mars 1944, notre mère veuve à 36 ans, s'occupait bien de nous dans notre demeure à Mézidon à 30 km de Caen. Sentant que le débarquement des Alliés était proche (pour libérer notre pays de l'occupation allemande) car tout le monde en parlait à mi-voix, notre mère fit rentrer à la maison ses enfants alors pensionnaires au Mans ou en région parisienne. Scolarisé alors à Caen, au petit séminaire, ma mère m'y laisse, se disant qu'elle pourrait me récupérer facilement.

Le petit séminaire, 2 rue du Général Moulin.

 Mon établissement scolaire à l'ouest de Caen, n'était pas loin à vol d'oiseau, du champ d'aviation de Carpiquet.

Localisation sur carte alliée1943

Nous allions souvent voir, sur un monticule dans le parc, les avions alliés bombarder la base aérienne. Nos cours de création étaient encombrées de camions allemands entretenus par des personnes russes pauvres, mal nourries, vêtues misérablement (nous les gâtions en cachette de l'occupant). Dans la salle de théâtre était aménagé un atelier de soudure et des militaires allemands occupaient une partie du bâtiment. Souvent, nous étions réveillés la nuit par les bombardements sur Carpiquet. J'ai vu un officier allemand tirer au revolver, lors d'une alerte signalée par une sirène assourdissante sur un chasseur qui osait survoler trop bas. C'était donc une ambiance et une décade de guerre que nous connaissions à Mézidon d'ailleurs, où la gare était souvent bombardée et, lors de promenades en campagne, nous devions nos coucher dans les fossés lorsque la chasse anglaise piquait sur des véhicules allemands pour les mitrailler.

 

Dans la nuit du 5 au 6 juin, nous avons été réveillés au petit matin par de violents bombardements du côté de la mer.
Nous ne pouvions imaginer ce qui se passait. Comme il faisait jour très tôt (en juin) je me souviens, en bon élève de 5éme, avoir essayé d'apprendre, avant le réveil officiel, ma leçon sur les aventures de Télémaque. Un peu avant l'horaire officiel, notre Préfet de division est entré dans le dortoir (cinquante lits !) a claqué dans ses mains pour réveiller ceux qui étaient encore endormis et d'une voix tremblante, très émue, nous a demandé de nous habiller vite, de prendre nos valises pour quitter l'établissement après le déjeuner car les Allemands nous expulsaient.

 Pour nous, les élèves, c'était une bonne nouvelle qui nous réjouissait, pas de classe! Ceux qui habitaient non loin sont retournés chez eux et les autres gagnèrent le centre-ville pour se réfugier au collège Sainte-Marie, lui-même déjà évacué de ses élèves ou presque, ne restant que les pensionnaires habitants trop loin, comme le petit groupe que nous formions chassé par les Allemands.

 

Institution (Collège) Sainte Marie, rue de l'Oratoire.

Nous avions assisté à la messe dans la chapelle du collège (ce fut la dernière célébration en ce lieu car un maudit incendie devait tout détruire dans la soirée).

Après le repas, nous avons joué au basket dans la cour.

Peu après 13h, la sirène déclenche l'alerte et nous percevons très haut dans le ciel une nuée de bombardiers. Un surveillant nous fit entrer dans la salle d'études, et les autres élèves se mirent sous un préau. Dans la salle d'études (étions-nous une dizaine d'élèves?), le surveillant nous dit de nous allonger par terre, les baies vitrées ne protégeant guère. Il me souvient d'avoir entendu le sifflement de bombes. Notre père ancien artilleur de la guerre de 14-18 nous avait dit : " si vous entendez des sifflements, ce n'est pas pour vous !". En fait, il parlait d'obus! Car j'ai entendu le sifflement et ce fut pour nous!. N'ayant pas obéi, j'ai dû courir autour de la salle d'étude et grimper sur les grosses pierres de Caen qui s'écroulaient. De fait, enfoui jusqu'à la taille, j'étais dans la position qu'on prend pour monter ou grimper.

J'ai dû être choqué car je n'ai repris connaissance qu'après la tombée de poussière et gravats.

Hélas ! Le spectacle ressemblait à l'enfer ! Tout s'était écroulé, des bras sortaient des ruines, des cris perçaient sur le silence macabre. Un jeune dégagea le bras du prêtre qui donna alors absolution générale. Je compris alors la gravité de la situation. Très vite un grand vint me dégager, essuyer mon visage couvert de sang et de poussière. Mais je n'avais rien de cassé, avec d'autres camarades on nous conduisit dans un abri (tranchées recouvertes) sur la place de la République toute proche.

Ajout MLQ: Je n'ai pas de photos des tranchées de la place de la République, ci-dessous des tranchées dans d'autre quartiers de Caen.

 

Source et source. Tranchées à la Foire exposition en octobre 1939.

Source et source. Tranchées à la Foire exposition en octobre 1939.

Source et source. Tranchées Promenade Saint Julien en novembre 1939.

 

 J'ai vu le grand magasin Monoprix en flammes et d'autres maisons incendiées.

 

 

A gauche: Photo Marie. Le 6 juin 13H45, les premières bombes Bd des Alliés, un pharmacien en blouse blanche, M. Husson, blessé à la tête, un membre de la D.P. casqué avec son vélo. A droite la façade du magasin Monoprix, ouvert en 1936, sera rapidement la proie des flammes.

 

De là, on nous mena dans un autre abri, rue de Bayeux, chez les Sœurs de Saint Vincent de Paul. La nuit fut agitée.

 

59 rue de Bayeux

 

Nous n’étions pas nombreux et nous nous demandions si quelques-uns étaient sous les décombres. On nous a appris alors que six de nos camarades avaient été tués. Nous étions abasourdis. Dans la journée du 7 juin nous avons marché vers le Sud de Caen et avons trouvé refuge à Éterville sous un hangar, nous ne voulions plus entrer dans une maison de pierres, cette crainte d'être ensevelis dura plusieurs mois.

 

Localisation sur carte alliée1943

 

Ma mère vint me chercher le 7 juin au début de soirée. Elle était venue à bicyclette avec le père de deux camarades. En repartant, alors que nous traversions deux ponts (l'Orne et le chemin de fer) entre des mitraillages aériens, je reçus une balle de fusil dans une jambe. Ce n'est pas agréable, elle est ressortie sans toucher l'os. Mes frères m'ont demandé si je l'avais ramassée .. Je fus bien soigné par un chirurgien allemand dans un poste de secours. Les soldats allemands étaient cachés dans des trous individuels pour défendre le pont et affolés par la mitraille, tiraient partout. En passant à Saint Martin de Fontenay, je me souviens de gros chars allemands qui montaient au front: ils étaient presque aussi larges que la rue et leurs chenilles faisaient tomber les poteaux électriques comme des asperges.

Nous sommes rentrés le lendemain à côté de Mézidon, loin de la gare, donc loin des bombardements. Nous étions heureux de nous retrouver en famille.

Quelques semaines après nous avons fui les combats et avons rejoint Vimoutiers dans l'Orne, petit coin que nous espérions tranquille.

 

Localisation des villes citées

 

En fait ce fut tout près de "la poche de Falaise", du "Stalingrad en Normandie" où les combats firent rage.

C'est une autre histoire…

 

Voir d'autres témoignages d'élèves du Petit Séminaire:

http://sgmcaen.free.fr/temoignage-seminaristes.htm

http://sgmcaen.free.fr/temoignage-antoine-magonette.htm

http://sgmcaen.free.fr/temoignage-lefevre.htm

 

 

                                                                                                                                                                                                                                                 Dominique Létondot

 

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