Madame Bouchard née Marie-Rose Blanchet

    6 juin 1944, 6 h 30 - Grand branle-bas dans l'école !... (Note de MLQ: à l'hôpital civil de de la route de Ouistreham) Réveil plutôt bruyant et petit déjeuner rapide. Le jour tant attendu est arrivé !... Après une distribution (inattendue) de chocolat et de gâteaux (fantaisies disparues depuis des années !), chaque élève infirmière quitte l'école et se rend dans le service désigné en cas d'alerte.

Source. Ecole d'infirmières de l'hôpital civil de Caen

    Arrivée au Bon-Sauveur, salle Sainte-Camille, je commence à préparer les lits avec mes compagnes, Marc Foubert-Cardon et deux religieuses de la Miséricorde, sœur Saint-Gérard et sœur Saint-Dominique. Le travail à peine terminé, les premières bombes tombent rue Saint- Jean. II est environ midi. Peu après, les premiers blessés arrivent. Ils ont été opérés par les docteurs Morice et Lacroix (ces deux chirurgiens resteront dans le service de Sainte-Camille pendant toute la bataille de Caen jusqu'au 18 juillet).

    Au cours de la nuit du 17 au 18, les bombardements sont tellement intensifs qu'il est décidé de descendre les grands blessés dans la cave qui se trouve sous la salle du Sacré-Cœur. Toute la journée du 18, nous procédons au déménagement, lit, pharmacie, linge etc...

    Enfin, vers 20 h, les blessés sont installés pour la nuit dans cet abri peu confortable, mais un peu rassurant tout de même.

    Avec trois de mes camarades, nous trouvons un coin pour nous allonger, quand, tout-à-coup vers 23 heures nous devons quitter immédiatement le service.

    Qui a donné cet ordre ? Je ne l'ai jamais su...

    Je me retrouve donc 20 minutes après, dans une camionnette, au milieu de 4 ou 5 blessés de la mâchoire et du visage que je n'avais jamais vus !... Direction Bayeux...(Note de MLQ: à 29 km au Nord-ouest de Caen, ville libérée depuis le 7 juin et non bombardée)

    Après un parcours interminable, vers 3 heures du matin le 19, nous arrivons enfin à Bayeux, à l'hôpital. Mais l'établissement est tellement surchargé, personne ne veut prendre nos blessés et même pas recevoir les infirmières. J'étais tellement fatiguée que je me souviens m'être allongée sur un brancard dans un couloir, en attendant qu'il fasse jour.

    Avec mes trois compagnes, qu'allons-nous faire ? Des religieuses de l'hôpital de Bayeux nous donnent à manger et nous offrent un coin pour nous reposer, à l'intérieur de la communauté. C'était une serre immense !

    Là, nous restons une journée et une nuit. Enfin, le lendemain 20 juillet, au cours d'une sortie en ville, je rencontre par hasard une élève de l'école d'infirmières de Caen, Yvonne Després , devenue plus tard Madame Delhinger.

    Aussitôt je lui demande où elle travaille. A l'hôpital, non pas du tout ! Elle est avec le docteur Boivin de Bayeux, qui devant l'afflux des blessés arrivant de Caen et de la région, a installé en quelques jours, avec les bonnes volontés de la ville, un petit hôpital dans une école.

    Cette école Létot (Note de MLQ: aujourd'hui l'Institution "L'Espoir", rue des Cordeliers) est dotée d'un internat. Immédiatement, avec mes trois compagnes, nous proposons nos services. Bien entendu, nous sommes acceptées et le travail ne manque pas. Tout s'organise au mieux.

    Madame Anfrye, la femme du directeur de cette école, et les institutrices, se mettent aussi à la tâche.

    Le ravitaillement et la cuisine sont assurés par Madame Anfrye. Les autres dames, chaque matin, nous aident à faire les toilettes des malades et le nettoyage des salles.

    Bayeux n'ayant pas été sinistré, de nombreuses familles nous apportent du linge, des draps, des couvertures. Cette aide a été bien précieuse !...

    Il y a beaucoup de grands blessés, surtout des amputés des membres inférieurs. Tous des jeunes entre 15 et 30 ans.

    Chaque matin, le docteur Boivin vient visiter les 5 salles. Il nous aide pour les pansements les plus délicats et assure la bonne marche de l'ensemble.

    Je me souviens que, dans Bayeux, une autre école, « La Poterie » je crois, est elle aussi transformée en service hospitalier(Note de MLQ: actuellement le centre de loisirs éducatifs municipal, rue de la Poterie). Il me semble que l'interne Claude Pernot y travaille.

    Ainsi pendant plusieurs semaines tout marche bien, et peu à peu nos blessés se remettent. Leurs familles viennent les chercher pour essayer de retrouver leur ville ou leur village. Notre sympathique hôpital se vide peu à peu.(Note de MLQ: lire les pages 79 à 110 de ce livre)

    Vers le 20 septembre, je regagne Caen. Mademoiselle Vanier, notre directrice de l'école d'infirmières, me permet de prendre quelques jours de repos pour retrouver ma famille.

    Puis le 1er octobre 1944, je rentre à l'école et je reprends mes stages et les cours. Malheureusement nombreuses sont les absentes !... Elles ont été tuées au cours de cette terrible bataille de Normandie et c'est avec beaucoup de tristesse que nous avons repris le travail.

    A cette époque j'avais 20 ans. Malgré les nombreuses années qui ont défilé très vite depuis, le souvenir de ces événements ne s'est pas effacé de mon cœur.

Mme Bouchard, née Marie-Rose Blanchet.

Témoignage paru dans ce livre

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