Témoignages de Madame Yvonne Trolez, réfugiée dans la Glacière en juin et juillet 1944 et de Monsieur Trolez, membre des Équipes nationales .

Dossier rédigé par le Groupe Mémoire du Quartier MaladrerieSt Paul — St Gabriel à l'aide de photos d'archives personnelles François Robinard et Georges Edeine

 

En ce 6 juin 1944, la jeune Yvonne Marie attendait avec impatience les résultat de son baccalauréat. Le temps lui paraissait bien long , aussi décida-t-elle de s'offrir une place de théâtre qui jouait en ce moment une opérette à la mode : Véronique, dont la soirée du 6 qu'elle choisit était la dernière représentation. Les billets faisaient office d'Ausweis pour les autorités allemandes afin de pouvoir circuler après le couvre-feu fixé à 21 heures.

Elle n'utilisa jamais son billet car dans la nuit du 5 au 6 deux tableaux d'alerte s'allumèrent dans le théâtre obligeant les jeunes de la Défense Passive à le quitter. Le spectacle continua néanmoins mais le matin des grondements ininterrompus, tel un violent orage, se firent entendre à l'horizon tandis que le ciel s'embrasait de lueurs pareilles à des éclairs.

Elle conserva les billets en souvenir.

Ils marquaient le début d'une nouvelle vie faite de peurs, d'incertitudes, de tristesse et d'angoisse avec, parfois, des moments d'espérance, de solidarité, de courage mais toujours de foi en la libération

Les tickets Ausweis du Théâtre

Mais pour l'instant il fallait penser surtout à sauver sa peau. Les Allemands décidèrent de faire de l'endroit un lieu de défense et amenèrent dans les haies et les jardins du secteur toutes sortes de canons et d'engins (en particulier des Nebelwerfer, sortes de mortiers à 6 tubes qui lançaient des roquettes dans un bruit terrifiant) destinés à défendre la Ville de Caen dont ce quartier n'était alors qu'un faubourg.

Un 15cm Nebelwerfer 41

Et, en plus, ils réquisitionnèrent toutes les maisons de la rue d'Authie et des rues transversales entre elle et la rue de Bayeux pour y loger troupe et matériel dans les sous-sols.

Localisation: Rue d'Authie, Rue de Bayeux et la Glacière.

 Les civils ayant interdiction de s'y rendre en cas d'alerte. Il n'était d'ailleurs pas question de le faire eu égard au matériel entreposé.

C'est alors que les grands parents et les parents d'Yvonne suggérèrent de mettre à disposition des voisins leur "cave". C'est ainsi qu'ils appelaient alors ce qui est maintenant la Glacière dont ils étaient propriétaires depuis qu'ils avaient acheté le terrain au dessus à M. et Mme Groult au 32 rue d'Authie qui possédaient les parcelles du secteur.

Ils ne savaient pas que c'était en fait une Glacière, vaste cave souterraine creusée autrefois pour y entreposer au frais des aliments et boissons autour d'un large puits où on versait de la glace l'hiver, ce qui permettait de maintenir une température constante de 5 à 6 degrés (vous pourrez avoir une explication plus précise en descendant visiter les lieux). Monsieur Lepetit, le grand-père d'Yvonne ignorait cette destination première, mais sculpteur sur pierre, il trouvait l'endroit bien commode pour y stocker ses sculptures et surtout les ébauches et maquettes en plâtre. Il y en avait encore un certain nombre dans les années 70 jusqu'à ce que la famille Halley (Promodès) nouvelle propriétaire des lieux en autorisa l'accès à un groupe de scouts qui se révéla peu respectueux des oeuvres du sculpteur. Photos de la Glacière.

Son atelier était situé juste au dessus du souterrain qu'il appelait "cirque de pierre" dont il camoufla en bâtissant au-dessus de l'entrée un faux puits.

Le bouche à oreilles fonctionna et les voisins ne tardèrent pas à affluer vers cet abri providentiel qu'il fallait néanmoins dissimuler aux yeux des Allemands qui n'auraient pas manqué d'expulser ces encombrants civils pour prendre leur place. Un aménagement précaire fût aménagé au premier sous-sol où chacun amenait matelas sièges, couvertures et des denrées et produits de première nécessité. L'entrée était masquée par la haie du jardin et les arbustes, néanmoins la consigne était donnée de limiter les allées et venues en groupe clin de ne pas attirer l'attention.

Entrée de la glacière quand elle était masquée par la végétation.

Dès lors la vie s'organisa tant bien que mal dans cet abri providentiel comme le furent les carrières de la Maladrerie ou Kaskoreff situées un peu plus haut dans la rue de Bayeux pour des centaines, voire milliers de caennais, ou bien encore dans celles de Carpiquet, de Fleury ou bien encore dans celles des carrières Saint Julien où malheureusement périrent de nombreuses personnes lors du bombardement intensif du secteur.

Localisation des carrières

Pour les réfugiés de la Glacière un seul drame fut à déplorer. La maman d'un petit garçon de 4 ans voulut sortir pour lui préparer son repas. Elle ne revint jamais, tuée dans sa cuisine par un éclat d'obus. Les autres mamans entourèrent de tant de soins le malheureux, que celui-ci, trop jeune pour bien comprendre, ne se rendit pas compte du drame, rapporte Yvonne.

Quelques images de la vie dans la Glacière

Il y a eu jusqu'à 70 personnes réfugiées dans la Glacière. Les personnes n'y descendaient qu'en cas d'alerte . Au bout de quelques jours, le vol des avions et les trajectoires des bombes devinrent familiers et l'adaptation des hommes aux pires situations faisait que la descente dans cet abri devint automatique. Très vite ils comprirent que leur libération allait prendre un certain temps, il fallut alors s'organiser partager les tâches. Des distributions de vivres étaient faites au collège rue de Bayeux qu'il fallait aller chercher à l'aide d'un chariot à bras tandis que des volontaires surveillaient l'entrée de la Glacière.

Des situations tragi-comiques, voire cocasses émaillèrent cette vie de troglodyte. Un jour la grand-mère d'Yvonne, occupée à cuisiner du civet de lapin (son dernier lapin) paniquée par les détonations se rapprochant de plus en plus pris la bouteille d'alcool à brûler au lieu de vin pour arroser le civet.

Quand il fût l'heure de le déguster après l'alerte, inutile de dire que son goût fut bizarre !

Les bruits s'estompaient la nuit dans le souterrain, parfois les pleurs d'un enfant, un vieux monsieur qui traînait les pieds en se rendant aux toilettes, une maman faisant les 100 pas entre les dormeurs, son bébé dans les bras, mais, dit Yvonne, le fait d'être ensemble dans ce refuge donnait une impression de sécurité.

Vint le 7 juillet

Le grondement des avions arrivant sur Caen grandit peu à peu pour devenir assourdissant, puis leurs chapelets de bombes commencèrent à éclater provoquant un cataclysme que Dante n'aurait pas renié pour définir l'enfer. Ceux d'entre eux qui n'étaient pas entrés se mettre à l'abri le firent en un éclair et ceux qui y étaient déjà descendirent au deuxième niveau. Le sol vibrait violemment ! Combien de temps dura ce tremblement de terre ? les secondes paraissaient des heures. Puis les bruits s'estompèrent peu à peu et ils remontèrent lentement, angoissés, vers l'extérieur.

Un nuage de poussière grise obscurcit la vision des réfugiés. Des maisons étaient touchées, certaines en ruines. Les Allemands semblaient aussi affolés que les civils. Le champ où se trouvait l'artillerie allemande était jonché de corps .

Ci-dessus les cratères (petits points blancs) dans le secteur d'Yvonne après le bombardement du 7 Juillet... Terrifiant !

Le 9 juillet au petit matin, Yvonne et ses voisins, désormais amis pour la vie, aperçurent les premiers soldats canadiens tout aussi poussiéreux qu'eux et tendus, car la bataille continuait... Derrière les Canadiens, arrivèrent des Britanniques avec les premiers reporters photographes et cameramen, et c'est ainsi que les habitants de la Glacière entrèrent en contact avec la presse anglaise.

Le sergent Mapham a immortalisé la Glacière

Jim Mapham de l'AFPU (Army Film Photographer Unit) avec une camera modèle Eyemo 35mm, fabricant Bell & Howell type-71-Q Military avec une tourelle baptisée " Spider" autrement dit «araignée» permettant une minute quinze de prise de vue avec film noir et blanc avec la contrainte de la remonter toutes les 15 secondes pour filmer.

Dès son arrivée, en compagnie de son binôme, Ernest WALTER, spécialiste cinéma.

Il se met en tête de faire jouer un rôle aux occupants de la Glacière durant la bataille. Ils leur demandèrent de répéter les gestes et postures de la vie souterraine courante des réfugiés que vous pouvez voir à la page 6 et publiées dans la revue britannique Illustrated du 5 août 1944.

Le journal fait mention d'une cave de brasseur de bière car, ait XIXème siècle, les propriétaires de la Glacière, construite vraisemblablement, à l'origine au profit de l'Abbaye aux Hommes étaient des brasseurs de bière, les frères Thienotte qui exploitaient une brasserie Rue Pailleuse (rue de Bras), et avaient trouvé en cette Glacière un endroit idéal pour maintenir au frais leurs fûts de bière.

L'organisation des reporters de l'armée britannique comprenait deux professionnels de la prise de vue munis de caméras et d'appareils photos. Ils se déplaçaient la plupart du temps en binôme, l'un muni d'une caméra et l'autre d'un appareil photo. A l'aise dans l'un ou l'autre des maniements, ils pouvaient échanger leur fonction.

Le matériel photo utilisé par Jim Mapham en Juillet 1944 pour son reportage à la Glacière en compagnie de son collègue était un Zeiss super lkonta B532/16 en dotation pour les photographes de l'AFPU. Film 120  produisant des négatifs au format 6x6 en 12 expositions.

 

Pour exemple, sur ce cliché  le sergent Midgley n°5 section de l'AFPU (la même unité que le sergent Mapham), photographié durant la bataille de Caen.

Lire un autre témoignage de Mme Yvonne Trolez

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