Témoignage d'André BROSSIER, 16 ans, paru dans: Mémoires du Débarquement. Nous avons vécu le 6 juin 1944 à Bernières sur Mer.

 

 

Propos recueillis le 10 novembre 2003

 

Nous sommes le 6 juin au matin, André Brossier a quitté Bernières, la rue Montauban où il résidait étant bombardée.

        

 

            Je suis donc parti à pied vers Bény. Arrivé au croisement de la route de Courseulles à Bény, il est arrivé un camion qui avait essayé de rejoindre Courseulles mais qui avait fait demi-tour à cause des obus.

En bleu, en haut, le croisement au Nord du bourg de Bény

 

Il transportait une dizaine d'ouvriers avec leurs outils. Ils m'ont embarqué avec eux jusqu'à Caen et m'ont débarqué devant le jardin public, place Blot.

 

            J'ai poursuivi ma route à pied par: la rue Bosnières jusqu'à la rue de Geôle où se tenait la boulangerie de mon père qu'il n'exploitait plus mais dont il était toujours propriétaire ainsi que des appartements situés au-dessus. J'utilisais une pièce située tout en haut où je dormais deux jours par semaine après les cours du soir à l'Ecole Supérieure et dont je possédais la clé.

 

Localisation des rues citées

 

Vers onze heures, je me suis rendu à l'école pour voir mes professeurs, mais je n'ai pu voir que le directeur qui m'a demandé ce que je voulais. Je lui ai exposé ma situation: il a réfléchi un instant et m'a demandé ce que je comptais faire. Je lui ai dit que je n'en savais rien. Il m'a dit qu'il avait du travail pour moi. Je suis retourné à mon logement chercher mes affaires pour m'installer dans une chambre de l'école.

Source. Ecole primaire supérieure (EPS), 72 rue de Bayeux. De nos jours.

 

Mais en revenant, je me suis trouvé coincé rue des Fossés-Saint-Julien par un bombardement aérien. De chaque coté de la rue des Fossés-Saint-Julien, il y avait des abris creusés dans les trottoirs et recouverts où je me suis réfugié.

Tranchées Promenade Saint Julien  en 1939.

 

Quand j'en suis ressorti, tout le quartier était dans la fumée et la poussière. L'église Saint Julien à une trentaine de mètres n'existait plus et la plupart des maisons environnantes étaient fortement endommagées.

   

« Archives départementales du Calvados » L'église Saint Julien avant et après les destructions de 1944.

 

            Surpris et effrayé par l'ampleur des dégâts, je suis retourné à l'école. C'est là qu'un monsieur que je ne connaissais pas, en compagnie du directeur, m'a conseillé d'entrer dans la Défense passive et dès l'après-midi nous étions une bonne douzaine avec le brassard « D.P.» et le casque blanc en train de déblayer les gens bloqués dans les sous-sols, parfois grièvement blessés. Nous avons effectué ce travail pendant quelque temps mais les corps en très mauvais état que nous trouvions et l'odeur qui s'en dégageait, ont fait que quelques-uns uns d'entre nous, surtout les plus jeunes, ont abandonné. Notre patron a alors décidé de nous employer à autre chose nous a bombardé « R.G» (Ravitaillement Général).

 

C'était moins pénible mais très utile car bon nombre de gens se retrouvaient complètement démunis. Il fallait les nourrir, les habiller, les chausser et les loger. Ce n'était pas une petite affaire.

 

Plus tard

 

Le soir du 9 juillet (non le 7), la banlieue nord de Caen a subi un violent bombardement. Les quadrimoteurs arrivaient les uns après les autres, séparément et ce n'était pas rassurant car ils avaient largué leurs bombes un peu plus loin, nous ne le savions pas, et tournaient au-dessus de nos têtes pour repartir. Ce bombardement avait dû désorganiser la défense allemande car deux jours après, le dimanche 11 juillet (non le 9), les forces alliées arrivaient à Caen par la rue de Bayeux.

 

              Ceux d'entre nous qui habitaient la côte, sont partis immédiatement à pied vers le jardin des Plantes, place Blot, avec l'intention de continuer par la route de Courseulles, mais là se trouvait un convoi allemand ou plutôt les restes d'un convoi allemand écrasé par les bombes le vendredi soir: véhicules divers, armements et munitions étalés sur le sol. C'était trop dangereux; nous sommes passés par la rue de Creully afin de contourner cet endroit mal famé et rejoindre la rue de la Folie. Par cet itinéraire, jusqu'à la Folie, pas âme qui vive, personne, des chars de combat calcinés par-ci, par-là. Il est vrai que nous suivions la route par sécurité, les champs pouvant être minés.

 

La route suivie par André Brossier à partir de la place Blot.

 

            A un endroit où la route tournait, une vingtaine de soldats morts, vêtus d'uniformes qui n'étaient pas ceux des Allemands, étaient étendus sur la route, probablement exécutés par les Allemands. Il s'agissait de soldats canadiens, nous ne le savions pas à ce moment là, mais la forme de leur casque nous a été familière par la suite. Nous ne nous sommes pas approchés. Trois cents mètres plus loin, c'était le carrefour de la route de Courseulles. Toujours personne jusqu'à la sortie du village. C'est là qu'un soldat dissimulé à droite de la route nous a crié « Stop» en pointant son fusil dans notre direction. Les militaires nous ont fouillés par sécurité, chacun de nous a décliné son identité et son adresse. Par radio ils se sont renseignés à notre sujet et ensuite cela a été très vite.

 

Un camion nous a amenés jusqu'à Bény et des jeeps ont pris le relais pour nous ramener dans nos villages respectifs. J'étais le seul à venir à Bernières, le chauffeur m'a débarqué à l'entrée du village. Il est immédiatement reparti vers Bény.

 

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