Témoignage paru dans ce livre .

DERNIERE LIAISON

PARIS-CAEN ASSIEGE

 

    Jacques de Laheudrie est parti de Paris en vélo le 5 juillet 1944 pour rejoindre Trévières (Calvados). Le 7, il est à Bons-Tassilly à 33 km de Caen.

 

J'entre à Caen en flammes ! ...

    8 juillet. On me dit que Caen est pris, que les Canadiens sont à Fleury-sur-Orne. On m'assure que des patrouilles anglaises ont été rencontrées aux environs. Personne ne sait rien, en somme. Ce qu'il y a de sûr, c'est que, depuis ce matin, on entend une terrible canonnade. C'est, - je le saurai un peu plus tard - Caen qui saute et qui brûle ! La dernière phase de la bataille de Caen est commencée. Je pars. La demi-douzaine d'habitants me regarde avec considération. En hâte, j'écris une lettre à faire parvenir à Paris, dès que possible : il faut tout prévoir. Combien sont morts, en effet, sans laisser de trace! Cette lettre a disparu d'ailleurs, elle aussi, sans en laisser ! ...

    Je pars donc, et, tout de suite, c'est la bagarre! La route devient intenable et, bientôt, je dois avancer le long des fossés. Sans cesse, les avions tournent à la recherche des automobiles allemandes, rares d'ailleurs. Ils piquent, lâchent une rafale de mitrailleuse, dont les balles ricochent sur le macadam, ou se perdent dans les terres, Je rencontre un réfugié attardé. C'est un contremaître de la Succursale Peugeot de Caen.

Le garage Peugeot, rue du 11 novembre.

Il me dit que Caen est intenable, que les Canadiens sont aux portes et encerclent maintenant la ville, et que ce serait folie de continuer. Devant mon insistance, il m'offre sa maison à Caen, rue de Bayeux ... si j'y arrive ! ...

    J'avais encore 25 km à faire. Ce fut long. Ce fut pénible. Mais la guerre moderne est, au fond, aussi peu spectaculaire que possible. Je croyais voir des tanks s'entrechoquer, tels les chevaliers de jadis. Tout cela, c'est de la littérature. Les tanks, on ne les voit pas; ils sont abrités. Ce sont des pièces d'artillerie très mobiles, voilà tout. Où sont les charges de cuirassiers de jadis? Quelques patrouilles, par ci, par là. Des rafales de mitraillettes. Beaucoup de bruit pour rien. Beaucoup de civils tués pour peu de soldats hors de combat. Les chevaliers de jadis, ce sont les aviateurs. Les environs de Caen, sur 10 km, environ, sont bordés de terres labourées. Dans ces terres, de la D.C.A. et encore de la D.C.A.! Des centaines d'avions attaquent ces canons à la mitrailleuse. Impression d'être au milieu de ruches que l'on a renversées. Les abeilles vous poursuivent, vous environnent! Pour y échapper, j'ai passé jusqu'à une heure dans un caniveau, sous la route, essayant, comme l'autruche, de me cacher la tête pour échapper aux balles ! ...

    Cependant, mètre par mètre, j'avance. J'ai mis 10 heures à faire les 15 derniers kilomètres! J'ai vu, dans le lointain, Caen flamber! j'ai pu situer les quartiers les plus atteints. Je suis parvenu aux premières maisons des faubourgs, ayant échappé, comme par miracle, au feu des patrouilles allemandes ; enfin je me suis jeté, haletant, dans une maison, où j'ai repris mes esprits. En somme, j'étais arrivé, mais où étais-je? en Allemagne ou en France? autrement dit, où passaient les lignes en ce soir du 8 juillet ? ...

J'ai eu de la peine à trouver quelqu'un. J'ai rencontré un homme portant un brassard de la Croix Rouge , qui m'a assuré que les Allemands se repliaient de Caen, encore allemand. L'important était de franchir l'Orne avant leur passage. Je lui ai demandé quel était l'état des ponts. Ils avaient tous sauté, à l'exception de la passerelle du Decauville (Note de MLQ: il s'agit du pont ferroviaire du tortillard ou de la Mutualité entre le quai de l'amiral Hamelin et le quai de juillet).

 

Le pont double pont (ferroviaire et routier) de La Mutualité ou le pont du Tortillard.Vue de la rive droite dans le fond la caserne Hamelin.

 

J'ai pensé que le mieux était de m'abriter quelque part dans Caen, mais, avant tout, de passer l'Orne, comprenant bien que si les Canadiens arrivaient au centre de la Ville, ils seraient arrêtés par une résistance allemande, sur la rivière. M'abritant de maison en maison, rasant les murs, je parvins à la passerelle, que je traversai en même temps qu'un gros char allemand qui se repliait. Vision de S.S. sans casques, en bras de chemises : leur habitude, au combat. Ils me regardent, je les regarde. Nous nous croisons. Quelques minutes plus tard, un S.S. abattra d'un coup de revolver un homme qui, sur le pas de sa porte, regarde battre en retraite l'armée de Hitler , et n'a pu retenir un sourire moqueur... Il y a une chose dont je suis sûr, c'est que j'ai été le dernier civil à entrer dans Caen ce jour-là ... Caen brûlait! Caen croulait! sans relâche, l'aviation alliée pilonnait le cœur de la ville, où défilaient les colonnes allemandes en retraite. La plus belle ville de Normandie a été détruite pour que soient sauvées, dans notre pays, la liberté et la civilisation ... Cependant. d'abri en abri. j'avançais. Au passage. je contemple l'Eglise Saint-Pierre environnée de fumée.

 

L'église Saint Pierre et le quartier du Marché aux bois, en arrière plan à droite le clocher de Saint Sauveur.

 

Les avions reviennent. et j'attends au fond d'un trou. que se dissipe la poussière. Caen croule, mais le Monument aux Morts de la guerre continue à étinceler au soleil couchant. Autour de cette frêle colonne. c'est le chaos. Elle subsiste et subsistera jusqu'à la fin...

 

Le Monument aux morts de la guerre 14-18, à droite l'hôtel Malherbe le siège de la Feldkommandantur 723.

Le vacarme diminue. C'est une pause. Je passe près du Lycée Malherbe. Il semble intact. Des milliers de réfugiés sont là. depuis un mois. Impression d'ordre. Pas du tout d'affolement. Seule l'eau manque, mais il y a du vin à volonté, et, dame. il fait soif, soif ! ..

 

  

 Captures d'écran de ce film, la façade du Lycée Malherbe avec deux "Croix Rouges"

    J'ai essayé de me faire embaucher à la Croix Rouge lire en 4. Caen était toujours allemand, et je cherchais à passer les lignes. Mais la Croix Rouge est un organisme international et qui doit être neutre. Son drapeau n'est pas fait pour couvrir la clandestinité et les personnalités qui dirigeaient cet organisme et qui ont fait magnifiquement leur devoir, ont eu parfaitement raison de ne pas me couvrir. Les Allemands montraient les dents. et quand on a la responsabilité d'un service. on ne peut faire de passe-droit, devant ceux qui montrent les dents. Je garde d'ailleurs un souvenir attendri de la merveilleuse équipe de jeunes. Qui, au péril de leur vie, allaient ramasser les blessés civils ... Je garde un souvenir particulièrement reconnaissant à Mr. Soubilat (Note de MLQ: orthographié Subrenat ici) qui dirigeait, au Lycée Malherbe, les services de la main-d'œuvre. J'étais à bout, en ce soir du 8 juillet : il m'a recueilli dans son bureau, où j'ai pu dormir ...

Prise de Caen ! ...

    9 juillet. Les premiers Canadiens arrivèrent au centre de Caen le 9 juillet. J'ai entendu souvent, depuis, des soldats alliés se plaindre de la froideur des Normands. Je leur disais d'abord que les Normands sont froids par tempérament, qu'ensuite ils avaient beaucoup souffert et que, surtout, la Libération tant attendue avait été payée par bien des ruines. Je puis assurer que la population de Caen fit à ses libérateurs une ovation délirante, et pourtant, combien de familles qui applaudissaient avaient été frappées dans leurs proches  .. Les hommes de la Résistance furent magnifiques, aidant les troupes canadiennes, pourchassant les S.S. de cave en cave. J'ai vu un jeune désarmant cinq S.S. et les faisant prisonniers. J'ai vu un Résistant faire le coup de feu .... en uniforme d'officier français! Emotion de revoir un uniforme français! Il faut avoir vécu ces moments-là!...

    10 juillet. Les Allemands résistaient sur l'Orne. Ils résistèrent longtemps. Carpiquet tirait toujours et rendait très dangereuse la route de Bayeux. Les ordres les plus stricts avaient été donnés pour interdire aux civils de s'éloigner de la ville à pied, la route de Creully étant également sous le feu direct de l'ennemi. C'est cependant cette dernière route que j'ai empruntée, le 10 juillet au matin. J'avais eu la chance de rencontrer au Lycée, le lieutenant de gendarmerie de Bayeux. Il voulut bien, à mes risques et périls, m'offrir une place dans sa voiture et nous voilà partis par la route de Creully!...

Localisation des lieux cités. AGRANDISSEMENT

Jacques de LAHEUDRIE

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