LE DRAME DE CAEN

JUIN-JUILLET 1944

    Dans la nuit du 5 au 6 juin, vers minuit, nous sommes réveillés par un bruit incessant venant de la côte, qui dure jusqu'au matin ; nous supposons le débarquement, mais sans en être certains : c'est cependant la réalité, car nous en avons la confirmation dès le matin, en apprenant que les services allemands installés en ville déménagent ; de plus, une automobile circule dans les rues annonçant par haut-parleur que les civils ne doivent pas sortir. Je prends donc le parti de ne pas bouger. Certains disent aussi que les hommes se font ramasser par les Fritz.

    La matinée se passe très bien, on entend toujours le bruit de l'aviation et du canon venant de la côte, mais moins répété que la nuit. Des parachutistes sont descendus par endroits et sont maîtres de certains villages, nous affirment des gens arrivant de l'extérieur. Bref, nous restons sur nos positions. Le ravitaillement est assuré dans la maison pour huit jours ; nous comptons y rester, quittes à descendre au sous-sol s'il le faut, mais nous ne nous attendons pas du tout à ce qui va se passer.

    Vers 1 h. 1/2 de l'après-midi, apparition des avions anglais qui bombardent le centre de la ville en plusieurs points, les vitres dégringolent, les cloisons se disloquent, un moment d'émotion, puis on se ressaisit en prenant un cordial avec les voisins.

    Dans l'après-midi, les tanks boches (les tigres) (Note de MLQ: non pas de Tigre à Caen le 6 juin, mais les chars de la 21. Panzer Division ) arrivent, se dirigeant vers la cote, sans interruption et à pleins gaz, les hommes aussi ; ils paraissent disposés à la bataille, mais nous pensons que dans la soirée ils seront refoulés. L'aviation revient vers 4 h. 1/2, c'est un nouveau bombardement, notre quartier en prend un sérieux coup. Nous supposons que tout cela va s'arrêter là, cependant toute la maison (nous sommes sept locataires) prend le parti de descendre à la cave, qui est solide.

    Nous y sommes installés pensant y passer la nuit en attendant l'arrivée des Anglais, mais ce n'est pas précisément eux qui arrivent, mais leurs bombes, car vers 9 heures : nouveau bombardement ; le secteur en prend un coup en différents points. L'aviation n'a pour ainsi dire pas arrêté l'après-midi, et à 11 heures : re-bombardement sur la ville. Ils veulent les ponts me dit un voisin (les ponts sur l'Orne)...

    Mais le clou, c'est à 2 heures du matin : pendant près d'une heure, et sans répit, les avions descendent en piqué, lâchant leurs pruneaux qui tombent partout et particulièrement dans notre secteur. On a l'impression qu'ils veulent nous avoir. C'est infernal, tout brûle, nous sommes blottis dans la cave. On se croirait en bateau tellement tout tremble : poussière et fumée nous envahissent ; nous attendons la dernière heure. Tout tombe dans la rue : mes yeux restent fixés sur les soupiraux de la cave, qui ne sont toujours pas obstrués, car nous croyons que la maison est touchée, mais il n'en est rien.

    A 3 h. 1/2, la moitié de la ville n'est plus qu'un brasier, la clinique de la Miséricorde, tout près de notre maison, flambe, ayant été pulvérisée avec ses occupants. Les bureaux de l'Enregistrement, Hypothèques et Perception (19, rue Nationale), qui sont à côté, sont nettoyés ; ce ne sont pas précisément là des objectifs militaires. Inutile de vous dire que la Défense passive a vécu. Enfin, toute la maisonnée se décide à quitter les lieux.

    C'est l'affolement : tout le monde part. Nous essayons de partir en regagnant la rue Saint-Jean, à travers trous et débris. Des soldats allemands cherchent des hommes pour déblayer les kamarades coincés dans les décombres, mais "nicht gut !" Nous sommes obligés de rebrousser chemin ; on ne peut passer à cause du feu qui menace de nous encercler, c'est un véritable enfer.

La rue Saint Jean, la rue Nationale et la Miséricorde

    Nous retournons à la maison. Descente à la cave, et, au petit jour, c'est le départ. Le feu commence à atteindre le sommet de la maison ; nous ne pouvons emporter qu'un très léger bagage, en raison des difficultés rencontrées pour marcher, et nous laissons dans la cave le plus précieux de nos effets et objets avec l'espoir de les retrouver à bref délai, car nous pensons qu'après unc telle purge l'arrivée des Anglais doit être proche.

    A 5 heures, la caravane déambule, les gosses suivent : on a bien l'air de cc que l'on est ; nous trouvons un passage en longeant le port, nous atteignons la rue où sont mes bureaux, et nous faisons escale. Le quartier n'est pas touché. Comme il n'y a pas de raison que les bombardements s'arrêtent, nous estimons bon de quitter la ville et nous dirigeons nos pas vers le sud. Nous pensons aller à la campagne, à 7 ou 8 kilomètres, où nous avons des connaissances, mais la pluie qui tombe depuis un moment nous fait arrêter dans une ferme, à la sortie de la ville.

    Il y a là de grands herbages, le cadre verdoyant est sympathique, nous entrons, et comme beaucoup de gens, nous nous installons sous un hangar. Tout le monde y est reçu, la maison et tous les bâtiments sont pleins de réfugiés dans la journée: Nous y resterons jusqu'au 27 juin.

    C'est le camping très rudimentaire, ça me rappelle un peu 1940, moins folichon, car il y a toute la smalah, et il faudra s'occuper de tout. Nous nous croyons en sécurité, ce n'est peut-être qu'une illusion, mais le fait de ne plus être en ville nous le fait supposer.

    La nuit du 6 au 7, aviation, fusées éclairantes et... patatras ! la ville en reprend un coup, mais bien moins dur que la veille. Les jours passent, on s'habitue tant bien que mal au bruit des canons et des tanks qui se livrent bataille à quelques kilomètres de Caen, durant des heures entières dans le vacarme. On a l'impression qu'ils arrivent.. puis : relâche, reprise et relâche. Les obus sifflent au passage, ils tombent un peu partout, mais notre ferme est épargnée. La mitraille crépite dans tous les coins.

    Dans la journée, nous allons et venons de la ville à la ferme pour les courses, le ravitaillement surtout,  mais ce que nous-craignons, c'est surtout le bombardement aérien. La Wehrmacht circule par tous les moyens, les voitures civiles sont toutes raflées par « eux », et, comme ces Messieurs se payent la fantaisie de prendre les hommes pour faire leurs corvées, il faut à tout prix les éviter. On se planquera au besoin, et pour mon compte j'aurai passé à travers.

    Nous arrivons au 27 juin. La soirée est belle, la bataille s'est calmée ; à la ferme, tout le monde se concerte : les Anglais ne sont toujours pas là, « ça piétine !», dit-on, « c'est une guerre de position !», « ils rembarqueraient bien !» disent les autres, quand, tout à coup, sortant des haies, arrivent une dizaine de boches. Ce sont des S.S. , mitraillette en mains, nous intimant l'ordre d'entrer dans les tranchées, puis presqu'aussitôt d'en sortir et : rassemblement ! Celui qui tentera de s'enfuir sera fusillé sur-le-champ ! Que se passe-t-il ? Nous l'ignorons...

    Une bonne femme me dit : vous allez voir qu'on va aller au « champ de consécration » (elle voulait dire "camp de concentration"). Tout était possible.

    C'est une perquisition. Il y a dans la ferme un groupe de résistance armé. "Ils"  fouillent tout, jusqu'aux bagages des réfugiés ; ils emportent les couteaux du charcutier (et aussi le chocolat du pâtissier...). L'opération a duré une heure. On n'a rien trouvé, seulement un revolver boche qui se trouvait dans une tranchée, on ne sait comment. Mais cela suffit à l'officier pour nous annoncer : "Si dans cinq minutes le coupable n'est pas découvert, nous vous fusillons" !

    Nous sommes environ 250 là, encadrés par les S.S. qui, à 10 mètres, nous mettent en joue et attendent l'ordre de faire feu. Le moment est critique... Inutile de vous décrire la scène. Quelques personnes se détachent du groupe et vont vers l'officier, le supplient de ne pas tirer. Elles invoquent toutes sortes de raisons notamment que ce qu'il va faire n'est pas digne d'hommes du Grand Reich, etc., etc... Une femme, qui fait partie de la Résistance, renforce la dose : elle joue très bien la pièce ; elle, arrive à attendrir cet officier qui, après bien des récriminations, donne l'ordre à ses guerriers de se retirer et, à nous, de rentrer, dans nos cantonnements.

    Noms avons eu chaud. Ils enlèvent cependant un déserteur de l'armée allemande en civil qui se trouvait avec nous à la ferme. C'est un Russe. Ils l'ont sans doute reconnu ; il n'aura probablement pas voulu parler ; ils le tuent à la sortie de la ferme. Son corps est retrouvé quelques jouis plus tard dans la petite rivière qui passe là...

    Au cours de cette perquisition, je signale un fait qui mérite de retenir l'attention. Dans une chambre de la maison se trouvait un lit ; dans ce lit étaient camouflées des armes de la Résistance. Une femme a sauvé la situation, elle a fait le simulacre de se trouver mal; s'est couchée sur le lit semblant évanouie, se plaignant et gémissant, demandant de l'eau... L'officier allemand s'est inquiété de son sort et est allé lui chercher un verre d'eau, la laissant ainsi sur soit lit aux soins d'un pharmacien des nôtres qu'il fit appeler en hâte.

    Cette scène terminée, et craignant que l'affaire se corse, nous décidons de partir le lendemain matin. Il en sera ainsi pour tous, jusqu'au fermier : les uns retournent en ville, où il n'y a pas eu de bombardement depuis huit jours ; nous partons un peu plus loin, à environ 500 mètres, où nous retrouvons des amis dans une remise.

    La guerre est toujours là, aux environs immédiats de Caen : les tanks vont et viennent, puis démarrent ; on dirait des bêtes féroces traquées. C'est un vacarme, continuel, mélangé aux bruits d'engins, notamment un espèce, de lance-grenades allemand qui, chaque fois qu'il lance sa charge, domine les autres bruits.

    Tout se passe cependant à peu près normalement dans notre nouvelle résidence, malgré les chutes d'obus qui s'amplifient journellement. Mais voilà l'artillerie allemande repliée dans nos rangs ! Nous sommes entourés de pièces de tous calibres, camouflées dans la verdure, et qui donnent à qui mieux mieux, et naturellement la réplique ne tarde pas.

    Puis, les premiers jours de juillet, c'est un détachement de S.S. assurant le ravitaillement des lignes qui s'installe dans notre cantonnement et qui, finalement, installe sans nous demander avis des véhicules dans notre remise.

    Ils sont là 25 à 30 gars archi-vannés, noircis par la bataille et la fatigue ; ils n'ont pas connu le repos depuis bientôt un mois et ils marchent quand même ; ils ne se démontent pas malgré le carnage qu'ils rencontrent dans les allées et venues, mais ils s'alcoolisent : ils se saoulent comme des Polonais avec les caves qu'ils ont mis au pillage.

    Redoutant que leur présence nous soit néfaste, et craignant aussi que les alliés n'attaquent notre faubourg, nous décidons d'aller chez des amis, en ville, qui sont toujours restés chez eux dans un quartier resté intact.

    Nous couchons à la cave, La ville est quelque peu déserte :1a municipalité a fait évacuer en juin une partie de la population (les vieux, les femmes et les enfants), tous en direction de l'Orne.

l’ordre d’évacuation du 29 juin,  :

« Le général commandant la place de Caen nous a transmis un avis d’évacuation totale de la ville de Caen, pour éviter à la population les graves dangers que comportent les opérations militaires.

Les habitants de La Maladrerie et des quartiers situés au nord des rues de Bayeux, de Saint-Martin, des Fossés Saint-Julien, de Geôle… sont invités à quitter Caen aujourd’hui même. Au cours de la journée de demain, tous les habitants de la ville devront évacuer.

Les habitants devront se diriger sur les carrières de Fleury pour de là gagner la zone d’évacuation prévue, par Bourguébus, Saint-Sylvain, Barou-en-Auge et Trun. »

 Nous n'avons jamais voulu partir, comme beaucoup d'ailleurs ; il fallait s'en aller à pied, et nous craignions de nous retrouver un jour ou autre dans la bagarre, plus loin, et aussi de nous faire mitrailler sur la route.

    Bref, ça ne va pas pire, quand, le vendredi 7 juillet, vers 9 heures du soir : visite des bombardiers anglo-américains. Ils sont 450 qui, pendant plus d'une heure, bombardent intensément la ville, l'Hôtel de Ville, les Facultés, etc., etc., et tout un quartier au nord, qui est complètement ravagé, et ce, à 100 mètres de nous. Une bombe est trouvée dans le jardin de la maison où nous sommes, mais elle n'a pas éclaté. Blottis dans la cave, nous avons eu la sueur froide...

    Enfin, l'orage passé, nous sortons de la cave, et c'est le feu qui fait rage dans les différents points bombardés : la tragédie continue... On a l'impression que le restant de la ville va y passer d'un moment à l'autre. Il n'y a plus de raison que les fantaisies de l'aviation s'arrêtent là. Il n'est plus question de partir de Caen, car les routes sont constamment mitraillées, et c'est aller au devant du danger que de fuir ; cependant, des familles, qui ont tenu le coup jusque là, se décident à l'exode le samedi 8 juillet ; elles s'en repentiront !

    Personnellement, je décide que si, le 14 juillet, les Anglais ne sont pas arrivés, nous partirons - si nous ne sommes pas morts, bien entendu. Le samedi 8 juillet, les automitrailleuses et les tanks s'installent dans notre quartier, aux coins de rues principalement et dans les jardins. Je crains la bataille de rues, mais, dans la nuit du samedi au dimanche tous ces engins disparaissent.

    On entend dire, le dimanche, matin, que les unités qui avaient pris position dans la ville avaient plié bagages, que c'était un ordre. On s'attend au mieux comme au pire.

    Enfin, tout à coup, dans la matinée du dimanche 9 juillet, vers 11 heures, étant sur le pas de la grille du jardinet de la maison où nous sommes, afin de voir un peu ce qui se passait, j'aperçois arriver dans la rue.., des Tommies ! Ils sont six, armés de mitraillettes, à pied ; ils avancent en patrouilleurs.

    Au même moment, des boches passent au bout de la rue. Ils n'ont pas l'air fiers, ils paraissent vouloir se défiler... Je crains un coup dur pour les Tommies au carrefour. Mais il n'en sera rien : les civils qui habitent au coin les ont prévenus qu'ils pouvaient y aller. Pourtant, il y en aura deux qui tomberont plus loin, car des boches restent embusqués dans certains coins.

    Peu après, c'est l'arrivée des tanks anglais. On a l'impression que ce sont des touristes : ils débouchent de tous les coins de rues et, flegmatiques, les occupants stoppent et sortent. Cigarettes, explications - Good-bye !- Good-day !- il en sera ainsi toute la journée. On respire ! La Résistance sort de sa carapace et se met à l'œuvre.

    Nous pensons tout fini, tout au moins pour nous. Mais non ! Les boches se sont retranchés sur la rive gauche (non la droite) de l'Orne, rivière- qui traverse la ville. Ils y resteront encore une quinzaine de jours, et ce ne sera pas très marrant. Ce sont des duels d'artillerie, particulièrement la nuit. Des pièces anglaises sont installées dans le Jardin des Plantes, à 100 mètres de nous, elles tirent sans cesse, c'est étourdissant ; zic-zic ! ging-bing ! fusants et percutants éclatent partout, la maison contiguë à la nôtre en prend un coup, alors que nous mangeons la soupe, un soir. Ça nous coupe le sifilet. Personne n'est blessé, dégâts à la façade de la maison.

Caen, le Jardin des Plantes.

    Il en sera ainsi jusqu'au 17 juillet, date à laquelle nous quittons Caen, car les alliés évacuent par camions le reste de la population qui le désire, et qu'ils dirigent vers la côte sur les zones épargnées par la bataille, où des centres d'accueil sont organisés.

    Après un après-midi à travers la campagne, qui est inondée de matériel (c'est incroyable, formidable tout ce qu'il peut y avoir), notre convoi s'arrête à 2 kilomètres de Bayeux. Nous sommes 1.500 Caennais qui débarquons ainsi dans un camp préparé par les Anglais, bien installé dans les prairies.

    La cuisine est à l'œuvre et l'odeur du thé et du chocolat monte jusqu'à nous. Dans un moment, la distribution sera faite, et on grillera encore quelques cigarettes avant de se coucher. La nuit est bonne sous la tente, malgré la bataille qui fait rage à une dizaine de kilomètres, vers Tilly-sur-Seulles. Ça barde ! Nous sommes prévenus que nous entendrons beaucoup de bruit (car c'est l'attaque), mais qu'il n'y aura pas de danger.

    Le lendemain, on annonce qu'on embauche des hommes pour des travaux. J'enfourche un vélo qu'une Caennaise a emporté, je vais en reconnaissance chez des fermiers que je connais auprès de Bayeux, à Martragny, afin de leur demander asile.

    Ils habitent un vieux château, qui est resté intact comme tout le pays. L'hospitalité m'est accordée d'emblée pour ma famille et la famille amie chez qui nous étions à Caen.

Le château de Martragny près des deux pistes de l'aérodrome B-7

    Je retourne au camp, j'organise un vieux client chez un autre fermier (j'ai encore mordu la poussière ce jour-là), et le 10 juillet, ce dernier prendra la carriole et "hue cocote !" pour Martragny, à travers les convois et tout le bazar.

    Là, c'est le rêve, c'est surtout d'abord un repos bien mérité, pour la première fois. On se déshabille, on se couche dans des lits, avec des draps, s'il vous plaît !on se demande si c'est réel.

    Nous resterons jusqu'au début de septembre à Martragny, où nous passerons un séjour des plus, agréables. La propriété est transformée en véritable village, la R.A.F. est installée à deux pas, dans un camp d'aviation anglais de 1940, puis allemand et redevenu anglais (ALG B-7).

Carte "Fonds François Robinard". L'ALG B-7

    Les tentes des pilotes viennent jusqu'au château, ceux-ci nous rendent compte de leurs exploits de «Typhoons », qui vont bombarder journellement au delà de Caen, spécialement la région de Falaise, la « poche », puis la Seine. Nous avons aussi, dans le parc et sous les pommiers, la "Royal Army Medical Corps" , installée sous les tentes, et qui reçoit les blessés du front, qui sont opérés et soignés puis, dès qu'ils sont transportables, dirigés sur l'Angleterre, sauf, naturellement, ceux qui resteront dans le cimetière. Il y en aura environ 200 à la fin du mois d'août, époque à laquelle nos toubibs, pilotes, mécanos et tout le Tout-Tim, partiront pour se rapprocher du front. Mais ce qu'on en aura fumé des cigarettes !

    Septembre : c'est le retour à Caen, où je suis allé précédemment à plusieurs reprises en reconnaissance, retrouvant mes bureaux (ni vol, ni casse, c'est une veine !). La vie parait renaître. Je retrouve amis et clients.

    Le retour il va falloir prendre le taureau par les cornes pour la réorganisation, mais nous avons une chance : nous devions aller habiter chez les amis qui étaient avec nous, mais le père de la dame qui habitait un gentil pavillon décède, l'aïeule âgée se décide à aller habiter avec ses enfants et nous loue le pavillon tout meublé, en sorte que la question logement se trouve résolue.

    Ceux qui sont partis loin ne rentreront qu'en septembre, octobre et encore en novembre, et éprouveront les plus grandes difficultés, car sur 60.000 habitants, plus de 40.000 sont rentrés et sont décidés à reprendre la vie à Caen.

    Il leur faudra beaucoup de courage, car, à l'heure actuelle, on laisse les gens se dépêtrer par leurs propres moyens, qui sont hélas bien réduits. La plupart sont déçus et il faut vraiment qu'ils tiennent an pays pour y vivre dans les conditions présentes.

    Caen est détruit aux trois quarts. Le quart épargné est surpeuplé, la vie a repris, le commerce et le "noir" aussi, de concert avec Paris. La plaine de Caen est dévastée, la plupart des villages sont broyés. Seul, le littoral a été moins blessé, sur une profondeur vers les terres variant de 6 à 10 kilomètres, suivant les endroits, et Bayeux est la seule ville du Calvados restée intacte.

    On compte approximativement 20.000 civils tués dans le Calvados, dont environ 6.000 à Caen.(en fait 7 557 et 1 972 selon les derniers travaux)

    Personnellement, j'ai perdu toute mon habitation sans pouvoir absolument rien sauver, l'auto est grillée et le petit pavillon qui se trouvait dans mon jardin a été pulvérisé. Mais tous sains et saufs; c'est beau.

Source: édition de 1945

Remerciements:

- à François Robinard

- à Gérard Pigache

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