Source: pages 142 à 147 du livre:  1944 30 Normands témoignent

 

ajout MLQ

 

 

 

Nicole, avec ses parents et son frère, juste avant l'Occupation.

 

 

Mon frère était derrière moi et m'aidait à monter l'échelle à laquelle il manquait des barreaux. Avec mes petites jambes, ce n'était pas facile. Quand on a bouché à l'air libre, j'ai dû fermer les yeux tant la lumière était intense. Puis j'ai mis les mains sur mes  yeux et j'ai écarté les doigts progressivement pour m'habituer. Je me suis assise dans l'herbe. C'était bon. Je suis restée comme ça, quelques minutes, en haut du trou, avec mon frère. Puis, il nous a fallu redescendre. » C'est la seule fois où Nicole se souvient d'être remone des carrières, où elle avait trouvé refuge avec ses parents et les habitants de son quartier de Saint-Germain-Ia-Blanche-Herbe. « En dessous, il n'y avait que la nuit. On n'avait aucune notion de l'heure, du jour ... » La petite fille de 8 ans était bien pâle, et souffrait du manque de lumière. Ses parents avaient décidé de la faire remonter prendre l'air.

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Lorsque les bombardements commencent, c'est un voisin qui leur propose de descendre dans les carrières de la Maladrerie pour se mettre à l'abri. Ces carrières, qui s'étendent sur plusieurs dizaines d'hectares sous Caen, étaient exploitées autrefois. « Je me souviens parfaitement du jour où nous sommes descendus. L'ente unique était à une centaine de mètres de la prison. C'était un trou vertical de 24 mètres. Une corde avait été installée sur une poulie. Au bout, mon père avait attaché un lit d'enfant. Je suis descendue dedans avec ma chienne Dora et mon petit voisin Bernard. Les hommes, eux, descendaient par une échelle rouillée à laquelle il manquait des barreaux. »

"Source, photo Archives Municipales de Caen", le puits d'accès de la carrière de La Maladrerie.

Ils sont 52 à avoir trouvé refuge dans ce coin des carrières de Caen. « On n'avait pas idée qu'on serait là, bloqués pendant trois semaines. En descendant, je pensais qu'on allait juste y passer une nuit. À 8 ans, on n'a pas peur, on prend ça pour un jeu ... » À l'intérieur, il faut s'organiser. « Chaque famille a trouvé son petit coin. On s'est installé avec nos voisins. C'était très humide. Il faisait froid et noir. On s'éclairait avec des lampes à carbure. Les adultes avaient mis de la paille par terre. On dormait dessus. Plus tard, ils sont allés chercher des matelas et les ont jetés par le trou d'entrée. »

Il faut aussi se nourrir. « Les hommes sortaient ramasser des légumes dans les jardins qui avaient été abandonnés. Parmi eux, il y avait un boucher de métier. Il allait découper des morceaux de viande sur les vaches tuées par les bombardements. Il y avait une dame qui travaillait dans une ferme. Elle avait attaché une vache à un piquet et sortait chaque jour pour la traire. On a toujours eu à manger, mais pas de tout !»

La petite fille de l'époque se souvient d'avoir demandé des crêpes à ses parents. Elle avait l'habitude d'en manger chaque semaine. « J'ai vraiment insisté. Mon père a eu envie de me faire plaisir, mais ne savait pas trouver de la farine. Alors il est allé dans les champs ramasser des épis de blé. Ma mère a moulu les grains et en a fait une grosse galette! L'eau provient du ruissellement des stalactites. « En dessous, les parents avaient façonné une espèce de grande jarre. Ils récuraient l'eau en surface et la faisaient bouillir. C'était la débrouille.  Pour faire ses besoins, il faut se rendre au fond d'une galerie réservée à cet effet. « Les hommes avaient installé une corde qu'il fallait suivre dans le noir. La première fois, mon père m'y a emmenée. Ensuite, je devais y aller seule. Je n'étais pas rassurée.'. »

Le temps est long pour une petite fille. « On était partis avec ce qu'on avait sur le dos. Je n'avais pas de jouet ! Les garçons, eux, ils s'amusaient à la guerre. Mon grand frère pouvait sortir avec ses copains. » Puis un jour, c'est le drame. « Ils ont voulu prendre des armes dans un dépôt allemand. Ils se sont fait poursuivre par les soldats. Ils sont descendus en catastrophe, mon frère par l'échelle et ses deux copains par la corde. Elle a cédé sous leur poids. Le premier était presque arrivé en bas, mais le second était à plus de 10 mètres du sol. Il s'est tué sous les yeux de sa mère qui cuisinait à cet endroit. J'entends encore son cri qui a déchiré le silence. Je l'entendrai toute ma vie ... »

Ce drame évoque la chute de Gilbert Berlinguez et la mort de Roger Mangnan   dans la carrière de la Maladrerie, située à l'angle des rues Général Moulin et Maréchal Gallieni, lire le témoignage de Roger Berlinguez frère de Gilbert et celui de Gérard Mangnan frère de Roger.

 

Les Allemands descendent et font aligner les réfugiés contre le mur. « Ils ont fouillé la carrière et se sont vite rendus compte que nous n'étions pas des résistants. Mais ils ont quand même bouché l'orifice de sortie avec des planches. Au-dessus, ils ont posé des grenades pour nous dissuader de sortir. On était prisonniers. Il n'y avait pas d'autre issue! Heureusement, un gars et une fille sont parvenus à se faufiler jusqu'en haut. Ils sont allés voir les Allemands et les ont convaincus d'enlever leur piège. »

Au-dessus, la bataille fait rage. « On sentait les vibrations des bombes. Un soir, des Allemands sont descendus dormir avec nous. Ils étaient épuisés. Mais, je me souviens qu'ils ont beaucoup bu et chanté, toute la nuit. Le lendemain matin, ils sont repartis au combat. Quelques jours après, l'un d'entre eux est revenu. Il avait une balle dans la cuisse. Tous ses camarades avaient été tués. Mon voisin lui a retiré la balle et l'a soigné. Puis il est reparti au combat. L'un d'eux m'avait donné un baigneur en celluloïd. Je l'ai gardé très longtemps. Il avait parlé à ma mère de ses enfants qui l'attendaient en Allemagne. Ils ne l'ont jamais revu ... »

En 1944, Nicole a gravé ce graffiti sur les murs des carrières de la Maladrerie. Il est encore visible aujourd'hui.

Puis un jour, en allant faire le ravitaillement, un des garçons a vu les Canadiens. Caen était libérée. « Nous sommes sortis. Enfin la lumière. On devait se cacher les yeux. On était sales, couverts de poux, galeux, mais on était en vie.

Source: Collection Mme Louisette Berlinguez-Gimonet. Tête de puits de la carrière de la Maladrerie, à Caen, vue de, face et de profil, prise après la Libération, juillet-août 1944.

Ce n'était pas forcément le cas de ceux qui étaient restés chez eux. Mon oncle, ma tante, mon cousin et ma cousine, qui habitaient à Buron, avaient tous été tués. Lorsqu'on l'a su, on est parti là-bas, à travers champs. On les a trouvés étendus sur le sol. Ils avaient été blessés par des éclats d'obus en voulant rejoindre la tranchée recouverte de tôles, qui leur servait d'abri en cas de bombardement. C'était dérisoire face aux bombes. J'ai su plus tard, qu'ils avaient été achevés par les Allemands. »

 

Nicole reste cachée derrière un arbre pendant que ses parents et son grand frère ramassent les corps et les couvrent avec des draps. « Ma cousine était décapitée. Mon frère a dû aller chercher la tête. Ils avaient tous les deux 6 ans. Quand je pense à lui, je me rends compte de tout le courage qu'il lui a fallu. Son meilleur copain était déjà mort sous ses yeux à la carrière. Il a porté cela toute sa vie ... »

Source: Collection Mme Louisette Berlinguez-Gimonet. Des civils devant un bovin mort avec un Canadien près de l'entrée du puits d'accès de la carrière à gauche en arrière-plan; juillet août 1944. Nicole Deschamps est repérée à gauche. Photo présentée dans le témoignage de Mme Nelly Quidot

Aujourd'hui, à 78 ans, Nicole vit dans une maison à Bretteville-sur-Odon, pas très loin d'où tout cela s'est passé. La claustrophobie dont elle souffre lui remémore régulièrement ce passé. « Un enfant s'adapte à tout. Mais, on ne m'avait pas dit ce qu'était la guerre. Lorsque je suis sortie des carrières, j'ai su. Les ruines, la destruction, les morts. Il fallait reconstruire les villes, mais aussi les individus. On était vivants alors que tant d'autres étaient morts. Je suis choquée lorsque je vois de la violence. J'ai du mal à comprendre que des gens prennent des armes pour un bout de clôture. La tolérance, c'est un bien précieux. Il faut savoir profiter. Pas besoin d'argent pour être heureux. Juste la paix, la sérénité, les bonheurs simples comme la vie en famille. C'est quand il y a le malheur qu'on se rend compte qu'on était heureux ... »

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