Témoignage écrit de Roger Berlinguez
(1924-1991) qui
sera après la guerre militaire dans l'Armée de l'Air
. Il était réfugié dans les carrières de
la Maladrerie.
ajout MLQ
La nuit du 5 au 6 juin 1944, fut marquée par une intensité très grande de l'aviation alliée, mais le fracas que l'on entendait continuellement ne pouvait être de la DCA ou de bombardements, c'était très au dessus de tout ce qui avait marqué le passsé.
Je
me trouvais, dans le fournil de la boulangerie Hue en compagnie d'un oncle d'Edmond qui s'appelait Norbert, bon vivant, il me faisait souvenir de Monsieur
Lesourd le plâtrier, toute la nuit il plaisanta. La nuit terminée, le travail
achevé, comme le bruit en direction de la mer était de plus en plus intense je
pris mon vélo pour rejoindre Edmond à
Buron
(3 km au Nord), de nombreux avions alliés
sillonnaient le ciel, et c'est vers la côte que cela se tenait à Buron situé
plus près de la mer que
Saint Germain la Blanche Herbe, pas d'Edmond, il était
revenu à
la Maladrerie
(quartier ouest de Caen), mais un récit
extraordinaire me fut fait : deux motocyclistes, l'un Anglais, l'autre
Allemand s'étaient croisés sur la route traversant le village, simultanément,
ils s'étaient arrêtés et chacun avait rebroussé chemin, s'évitant à nouveau.
Localisations
Je
rentrais en vélo à Saint Germain, le retour se fit dans un tonnerre d'explosions,
dans tous les sens, sur le moment je fus surpris, car je ne voyais pas d'avions
à qui imputer ces explosions, c'était le tir de navires alliés en protection de
leurs troupes qui avaient débarqué à
Courseulles, à
Saint Aubin, à
Ouistreham et
même dans la nuit à
Ranville, mais là par action de troupes parachutées ou
amenées par planeurs remorqués.
Localisations
Rentré à Saint Germain, j'entendis en effet à la T.S.F. le poste Ariane de papa, que des actions combinées groupant des forces de mer, de l'air et de terre avaient lieu sur la côte Nord-ouest de la France, c'était vague, pourtant cela se passait chez nous, dans le Calvados.
Radio Londres, le porte parole de la
France Libre, Jacques
Duchesne lit
le communiqué
n°1 du SHAEF
" 09H17 URGENT. 6 Juin 1944, : Sous le
commandement du général Eisenhower ,
des forces navales alliées, appuyées par de puissantes forces aériennes, ont
commencé le débarquement des armées alliées ce matin sur la côte du nord de la
France".
Un poste de TSF de marque Ariane.
Après, il n'y aura plus de nouvelles par suite du manque d'électricité, seuls quelques amateurs continueront à avoir quelques informations avec des postes à galène.Toujours de bouche à oreille, on avait aperçu des Anglais à l'entrée de la ville de Caen au Calvaire Saint Pierre.
Localisation: La Maladrerie et le calvaire Saint Pierre en haut de la route de la Délivrande. De nos jours.
Des Allemands on n'en voyait guère et je suis persuadé que la ville de Caen était susceptible d'être prise dans les premières quarante huit heures, chacun s'attendait à une libération imminente, on entendait le bruit de mitrailleuses alliées très proches. Plus tard je distinguerais très nettement les bruits différents des armes alliées ou allemandes.
Dans ce contexte,
l'agitation était grande, avec Gilbert
(son
frère) nous conçûmes le projet de couper les
fils de liaison des Allemands, nous en avions remarqué quelques uns sur la route
de la Folie (vers le Nord-ouest), dans les champs sur la gauche, c'était intense et dangereux, mais
il ne pouvait être question de rester inerte un pareil moment.
Localisation La Folie.
Muni d'une serpe pour l'un, d'une hachette pour l’autre, nous prîmes les vélos, c'était distant d'environ deux kilomètres, laissant les vélos sur le bord de la route nous allions à la découverte des fils, il y en avait des gros et des petits, le tout de couleur noire, ils avaient été déroulés sur des grandes distances, personne aux alentours, nous essayâmes de couper les gros, rien à faire, ils s'enfonçaient dans la terre, la serpe ou la hachette rebondissait sur le caoutchouc de protection, c'était inattendu, nous passâmes sans plus de succès au moins gros sans le moindre résultat. Conscients tout à coup de l'extrême danger encouru, nous reprîmes les vélos pour rentrer à la maison, déçus et amers il faut bien le dire.
Chaque jour, nous
attendions la libération, il n'était pas question de se rendre à
Carpiquet, mais
rien ne se passait, sauf la vue des premiers prisonniers anglais transportant
leurs blessés dans des tombereaux tirés à bras, la tristesse étreignait chacun
de nous, d'autant plus que les Allemands étaient de plus en plus nombreux, très
équipés, de chars « Tigre »
(non des
Panther),de voitures, de canons tractés anti-chars et
anti-avions, de curieuses voitures amphibies (des
Schwimmwagen), c'était des
S.S.
dont le nom de la
division était marqué près de l'épaule sur la manche de leur veste (non
au bas de la manche).
Localisation Carpiquet.
Ces SS étaient impressionnnants, jeunes, grands, forts on les présentait comme des rudes combattants, c'était des troupes d'élite, très aguerries, leur moral paraissait élevé, rien à voir avec les réservistes ou affectés spéciaux de Carpiquet.
Un blindé de
reconnaissance SdKfz
231 8 Rad schwerer Panzerspähwagen dans
Caen. Remarquer l'emblème de la
Division à gauche du capot ,
la 12.SS-Panzer-Division
"Hitlerjugend"
Les canons des chars
comportaient des cercles blancs jusqu'à sept à huit, c'était, disaient-ils, le
nombre de chars alliés détruits, Gilbert
et moi
, les camarades ne pouvaient le
croire, pourtant par la suite cela s’avérera vrai, leurs chars « Tigre »
(non des
Panther) avec
leurs énormes canons étaient très supérieurs aux
chars Sherman
des Alliés, plus tard dans la campagne les carcasses des chars détruits
vérifieront par leur nombre et leur position, leurs affirmations, de même, les
canons anti-aériens comportaient des cercles blancs, qui eux indiquaient le
nombre d'avions détruits.
Source. Cercles blancs sur le canon de ce Marder II.
Plusieurs fois,
j'essayai avec le pied de tordre les valves des voitures amphibies
(les Schwimmwagen)
, bien sûr c'était dangereux, mais encore une fois sans résultat.
Petit
à petit, les habitants de la Maladrerie fuyaient les bombardements qui
maintenant étaient le lot quotidien de la ville de Caen, et des environs, il y
avait de nombreux morts et blessés, je
descendis à pied à Caen, il y avait partout des maisons effondrées et une
atmosphère de panique.
Avec Gilbert
, nous
construisîmes une tranchée en forme de U, les ouvertures à l'opposé de la
direction du front, pour couvrir cette tranchée, après bien des hésitations, nous
utilisâmes, empilées sur sept épaisseurs, les tôles des cabanons de Papa, nous
avions bien tort car ce fut les seules tôles qui furent sauvées, les autres
furent transformées en écumoire pour les éclats d'obus
Les obus tombaient souvent, et aussi d'autres qui éclataient en l'air en projetant beaucoup d'éclats, le bruit était très sec et un petit nuage noir marquait le lieu d'explosion.
En pleine nuit, on
prenait la direction de la tranchée en emmenant les gamines sorties du lit du
premier étage, Maman qui prenait, avec inconscience, son temps était houspillée
par Gilbert
et moi
. Dans la tranchée, tous les obus, tous proches après chaque
série d’explosions, un grand silence régnait, on entendait
seulement le tic tac du réveil, que maman emmenait avec elle. Le calme revenu,
on reprenait le chemin des chambres et ainsi de suite.
Il y avait du danger partout, les Allemands minaient et piégeaient partout, on pouvait voir des tas de caissettes qui avaient contenu les mines, hauts comme le premier étage d'une maison.
Il
fallait aussi se méfier des Allemands, qui d'autorité constituaient des groupes
pour enterrer leurs morts. Gilbert
dû se plier à une de cette réquisition, mais
à la faveur d'un bombardement il pût s'échapper, après avoir enterré sommairement
un soldat allemand dont le corps était trop grand pour le trou creusé, les
genoux furent rabattus en appuyant dessus.
Témoignage de Mme Louisette Berlinguez-Gimonet en janvier 2015. Son frère lui a rapporté qu'effectivement c'était un carnage atroce et que les cadavres étaient empilés sur une hauteur d'1,50 mètre sur une vingtaine de longueur et que le premier cadavre qu'il a pris pour mettre dans le trou creusé n'avait plus de tête. C'était tous des Allemands
Comme
il restait un sac de cent kilos de farine, à la boulangerie Hue, après le départ
d'Edmond et de sa famille et avec l'aide d'un camarade nommé Henri Levêque, je
fabriquais
deux fournées de pain de quatre livres, ces pains furent vendus et je conservais
l'argent pour le remettre à Madame Hue, quand on se reverrait. Fabrication de
fortune sans électricité et peu de levain mais cela fut apprécié, il y eu plus
de clients que de pains.
La bataille continuait, les Allemands
étaient nombreux,
les ordres d'évacuation étaient transmis verbalement, je n'en
ai pas vu d'écrits par affichage, nous hésitions tous à quitter la maison
pourtant le danger était continuel, mais prendre la route, avec une brouette,
car nous n'avions rien d'autre pour transporter un minimum d'affaires, semblait
aussi dangereux, nous étions parvenus au 17 juin 1944, en fin
d'après-midi vers 17h30 seul
dans la cuisine, dont la porte extérieure était
ouverte, j'entendis marcher dans la cour, pour voir, aussitôt deux SS
allemands dans l'encadrement de l'entrée ;
que voulaient-ils ? Vingt ans environ, bottés, armés chacun d'un pistolet à la
ceinture, l'allure impérieuse, dans un mauvais français, ils me demandèrent de
suite : poulets, lapins, viande, beurre, pain, etc … J'étais étonné, mais je me
repris aussitôt, rien de tout cela, la maison n'était pas une ferme, je voyais
bien qu'ils ne me croyaient guère, et insistant, ils répétèrent leurs urgences,
ce qui entraîna de ma part les mêmes dénégations, l'atmosphère était lourde, ces
SS pillaient et je les gênais ; je n'avais pas reculé et me tenais à deux mètres
de la porte, sur le passage pour aller de l'autre côté de la cuisine, mais je
fus débordé des deux côtés et l'un d'eux, le plus rogue depuis le début, ouvrit
le buffet au-dessus vitré et s'empara aussitôt d'une livre de beurre dans une
assiette et de la moitié d'un pain de quatre livres, qui se trouvait sur la même
étagère, ils se parlèrent en allemand, je protestais vivement disant que c'était
la ration de pain de cinq personnes, qu'il n'y avait plus de beurre nulle part,
mais ils n'en avaient cure et prirent la direction de la porte de la cuisine,
sans plus se préoccuper de moi, à ce moment les évènements se précipitèrent
Gilbert
arrivait, et bien sûr du premier coup d'œil, il reconstituât ce qui
venait de se passer, très vite, il reprit le pain et le beurre des mains de
l'Allemand et remit le tout dans le buffet. Etonné, l'Allemand réagit aussitôt
et se précipitât vers mon frère qui eut le temps de se placer de l'autre côté de
la table de la cuisine, malmenée, la table servit tout de même de séparation,
chacun en faisant plusieurs fois le tour en la bousculant. De son côté, l'autre
Allemand, à un pas de moi, me considérait la main sur son étui de revolver
ouvert, je me tenais à l'angle de la cheminée, près du poste de T.S.F., je
cherchais dans ma tête un moyen pour arrêter l'Allemand dans la poursuite de
mon frère, sans crier je dis plusieurs fois en allemand: doucement,
doucement...(still, still...).
L'Allemand qui me surveillait ne changeait pas d'attitude, toujours la main sur
la crosse de son pistolet, je profitais d'un court instant d'arrêt entre le
premier allemand et mon frère pour me diriger, à mon tour vers le buffet,
l'ouvrir, prendre et remettre beurre et pain au second allemand, en lui disant
qu'ils avaient ce qu'ils voulaient, de partir puisque, tout à l'heure, ils s'en
allaient avec ce pain et ce beurre, le second allemand parla enfin à son
camarade, cependant la bagarre ne s'arrêta pas de suite, il y eu une phase de
coups de poing et même de sortie de revolver, mais enfin il quittèrent la
cuisine.
Gilbert
et moi
, étions amers, nous ne
parlâmes pas, nous avions dû dans notre maison céder, Gilbert avait fait le
maximum, mais la situation était tendue, si dangereuse que j'avais dû remettre
pain et beurre à ces deux SS
,
peut être aurais-je dû, au moment où Gilbert avait repris ces denrées, m'en
prendre au second allemand, tout avait été très vite et il avait déjà la main à
son pistolet, non, la situation était, de par leurs armes, trop inégale, ils
étaient, surtout celui de Gilbert, prêt à tirer.
Le lendemain, un autre Allemand vint me montrer un calot, tâché de sang, il me précisa que c'était celui de son camarade qui avait été tué dans la journée, ce n'était pas un SS, son attitude était humble et il paraissait effondré, "pas bon la guerre", me dit-il, bien qu'au fond de moi j'avais de la compassion pour son désespoir, il n'était pas question de lui remonter le moral, je lui dis à mon tour, qu'il n'était pas chez lui, qu'il fallait quitter la France, que d'autres Allemands se conduisaient mal.
Il n'y avait plus de notion d'alerte, les
tas d'obus, les bombardements, l'ordre impératif donné par les Allemands
d'évacuer avant minuit... le 22 juin, le danger continuel nous ont
entrainé dans l'aventure de la carrière, Papa était à
Blois (en
fait le père est gardien de
prison,
muté à
Fontevraud en 1942. Il ne reviendra à Caen qu'en 1945). Maman
dépassée par les évènements, Gilbert
et moi décidèrent de quitter la maison pour se réfugier dans une ancienne
carrière d'extraction de la pierre de Caen, dont l'entrée était située à trois
cents mètres de la maison.
Depuis le 15 juin, nous
savions que des familles de Saint Germain la Blanche Herbe y vivaient, nous
allâmes reconnaître les lieux inconnus de nous, malgré la proximité.
Extérieurement, il y avait, installée sur de très gros madriers une poulie,
c'était un puits d'extraction, profond de 27 mètres, on pouvait descendre par
une échelle en fer, fixée dans la paroi verticale, vers le bas, il manquait
quelques barreaux, aucune sécurité que celle de poser les pieds et de tenir les
montants avec les mains. (la même
carrière à la Maladrerie que pour Mme Nelly Quidot
,
Mme Lavieille et
M. Gérard
Mangnan)
Source: Collection Mme Louisette Berlinguez-Gimonet. Des civils et des Canadiens à l'entrée du puits d'accès de la carrière; juillet août 1944.
Photo François Robinard sur les indications de Louisette Berlinguez-Gimonet. On voit bien les deux piles bétonnées qui soutenaient les madriers (les deux autres sont (ou étaient) à l'intérieur du hangar. On ne peut donc les voir et l'espace entre deux est comblé par des pierres de taille de plus petites dimensions.
Source. Localisation de l'entrée de la carrière.
"Source, photo Archives Municipales de Caen", le puits d'accès de la carrière de La Maladrerie.
En bas de l'échelle, un terre-plein où
trois fourneaux de cuisine avaient été installés, la fumée s'évacuant tant bien
que mal par l'unique accès de trois mètres sur trois mètres, plus loin quelques
grandes salles au plafond plus ou moins bas, le tout humide, sur la droite il y
avait même un ruisseau et des mares d'eau claire, sur la gauche les galeries se
poursuivaient, le tout dans les ténèbres, des lampes à carbure, quelques autres
à pétrole furent mises en service, de la paille, des ustensiles de cuisine, des
couvertures, des fagots de bois pour protéger de l'humidité, quelques matelas
furent descendus au moyen d'une grosse et longue corde et de la poulie remise en
service, les enfants et certaines femmes descendirent à l'aide d'un lit arrimé à
la grosse corde, ces personnes ne revirent le jour que trois semaines après. Les
hommes descendirent par l'échelle de fer, les femmes aussi, certaines encadrées,
échelon par échelon, par le mari ou un autre homme de bonne volonté, il faut
dire que la descente verticale de 27 mètres était impressionnante, toutefois
après plusieurs allers-retours je m'y habituais, il ne fallait pas regarder en
bas, très vite l'échelle de fer établit une sélection, nous étions 53 réfugiés
dans la carrière. Gilbert
et moi
, transportèrent le matériel nécessaire à notre
propre installation, Maman descendit, puis les deux sœurs, un accident mortel
survenu le premier jour, nous confirma dans le choix de la carrière comme lieu
de survie, chacun attendait la libération.
Photo collection François Robinard. La plafond rempli de stalactites de la carrière dans les années 80.
Le 23 juin en soirée, après avoir
trouvé paraît-il des fils métalliques, tendus en travers de la route, des
soldats allemands descendirent de leurs voitures armes à la main, et
poursuivirent les civils français qui se trouvaient à proximité, parmi ceux-ci
Roger Mangnan
(lire
ce témoignage) et mon frère Gilbert
se mirent à fuir en direction de
la carrière suivis des Allemands, parvenu le premier à l'entrée et voyant
l'échelle encombrée de plusieurs personnes, Gilbert empoigna la corde et
descendit, en se laissant glisser rapidement, 27 mètres c'est long, et avant que
Gilbert ne parvienne en bas, Roger Mangnan se lança à
son tour dans ce moyen de descente. Hélas, la corde après usage n'était
maintenue que par un simple nœud, sous le double poids, elle se libéra, Roger
Mangnan
tombant alors dans le vide de 27 mètres et Gilbert d'environ 8 à 9 mètres.
Je
me trouvais à une quinzaine de mètres à
l'intérieur de la carrière, bavardant avec Nelly
(son
témoignage) et son frère
, quand un gamin dit tout à coup: "Ils sont
tombés " tout d'abord, je ne compris pas, puis je réalisais que cela ne pouvait
être que de l'échelle, je bondis alors vers l'entrée pour y trouver Gilbert
et Roger Mangnan
à terre.
Je
m'occupais de Gilbert qui semblait moins
atteint, mais avait au milieu du dos, vers les reins, une importante grosseur,
il ne pouvait marcher. Pour Roger Mangnan
,
il était très mal, il avait cependant sa connaissance. Je courus à la prison,
chercher du secours, un docteur, jeune interne, vint très vite, descendit
courageusement l'échelle après hésitation, il faut conduire Roger Mangnan à
l'hôpital, il dit que Gilbert n'est pas en danger, il indique où trouver une
ambulance. Je cours la chercher, puis guide cette ambulance jusqu'à la carrière,
le docteur m'avait muni d'un bon.
Roger Mangnan
est monté à
l'aide d'un lit arrimé à la corde au jour, il apparaît comme très touché et
demande à ne pas rouler la tête en arrière, il se plaint des chocs de la route.
A 21 heures, nous arrivions à
l'hôpital du Bon Sauveur à Caen, on le couche aussitôt, il est très pâle, se
plaint d'avoir froid et tremble, il a sa connaissance, précise sa date de
naissance que je ne savais pas, je le vois perdu, les narines de son nez sont
bleues, un curé demande s'il a reçu l'extrême
onction, des infirmières apportent des bouillotes. Il me faut partir, car
l'ordre d'évacuation de la Maladrerie a été répété par les Allemands. Toujours
en courant, je cherche Monsieur Mangnan père dans la ville, à chaque agent de
police. Je demande de lui dire de se rendre d'urgence à la chambre 12 de
l'hôpital du Bon Sauveur, enfin je rentre à la carrière. J'étais très lié avec
Roger Mangnan
nous étions sortis ensemble plusieurs années avant, je le voyais souvent lui et
Micheline Lublé.
Le lendemain matin, Monsieur Mangnan du
haut de la carrière appelle, je
monte très vite, il me dit que
Roger Mangnan
est mort
qu'il avait eu une importante hémorragie
interne, foie et rate éclatés.
Le désespoir de Madame Mangnan fut immense, c'était une femme très courageuse, très digne, elle assuma la direction d'une des trois salles qui s'étaient constituées, d'abord les enfants disait-elle, ensuite ceux qui sortent, la hiérarchie pour le repas fut ainsi établie. Monsieur Mangnan fit preuve d'un grand courage, puis de beaucoup de dignité et de calme.
Après un pareil début, chacun était grave, malgré l'inégalité du courage, malgré la poltronnerie de plusieurs, la solidarité entre les familles regroupées dans la carrière ne se démentit pas. Aucune nouvelle de l'extérieur, nous avions pu voir la prison centrale brûler, cinq cent mètres plus loin vers Caen.
Localisation de la prison centrale et du puits de la carrière.
Source: Collection Mme Louisette Berlinguez-Gimonet. Incendie à la prison centrale de Caen.
Aucun commerçant, aucun ravitaillement,
bien sûr chaque famille avait amené quelques vivres mais la fin en arriva vite,
pas d'eau potable, au début les sorties furent assez nombreuses et sauf quatre
ou cinq hommes vraiment craintifs, chacun y participa, mais les tirs d'obus
alliés eurent vite raison de la plupart, à quelque pas de l'entrée de la
carrière, il y avait des jardins, tout ce qui pouvait être mangé fut arraché,
c'est ainsi qu'à quatre ou cinq dont Gilbert Mangnan et Charles Pasturel nous
fûmes pris dans un bombardement d'artillerie très intense et très précis, je
m'étais allongé dans une allée de terre,
la tête entre deux rangs de pommes de terre, les explosions me soulevaient du
sol, l'onde de choc me donnait l'impression d'être un serpentin, l'odeur de
poudre très particulière accentuait le danger. Charles Pasturel était vert de
peur, Gilbert Mangnan agenouillé dans la haie à deux pas de mois appelait sa
mère et invoquait Dieu, je lui criais de s'allonger, je profitais d'un répit
pour bondir vers l'entrée de la carrière en ouvrant je me souvins tout d'un coup
qu'il y avait des fils de fer barbelés de clôtures, je n'avais pas été arrêté
par eux, quelques autres obus me trouvèrent à l'abri supposé d'une grosse
pierre cubique. Finalement je rentrais, le lendemain nouvelle sortie de ma part,
les obus étaient tombés à 9 mètres de ma position, les fils de fer avaient
été sectionnés par les éclats, les cratères des obus étaient peu profonds mais
larges de près d'un mètre, je ramassais les pommes de terres et quelques
carottes.
Une autre sortie dans une maison bombardée
nous procura des bottes en crêpe, j'étais éberlué, comment après la pénurie de
l'occupation, il y avait des gens qui avaient des stocks, j'étais indigné.
Gilbert
, Maman, Françoise, Louisette en furent équipés, l'ennui c'est que l'été
venait et ces bottes crêpe n'étaient pas de saison,
On se procura du sucre lors d'une autre sortie.
La maison au milieu de la rue du Corneau aux 3 fenêtres avec balcon orange était pendant le guerre une grange où se cachaient les frères Berlinguez et Mangnan quand ils allaient "au ravitaillement", c'est à dire, aux yeux des Allemands au pillage. Témoignage de Louisette Berlinguez-Gimonet en janvier 2015.
Photo collection François Robinard en janvier 2015. Noter la borne de l'Octroi.
Les jours passaient, souvent en haut de la
carrière, j'écoutais les bombardements, je
comptais les avions, je sortais, seul, car
la blessure de Gilbert
, me privait du seul appui sûr, les autres
étaient limités, de plus mes fréquentes sorties m'avaient donné une grande
expérience, je distinguais les bruits de départ des obus et selon ces bruits,
j'avais une idée précise de leurs destinations, pour moi l'artillerie était bien
plus redoutable que les bombes des avions, quand ceux-ci surgissaient, je
rentrais à la carrière, bien sûr il me fallait pas tarder. La guerre était
acharnée, les Allemands tuaient tous les aviateurs, quand ceux-ci descendaient
en parachute, après avoir sauté de leurs avions touchés par la D.C.A.
Il fallait manger sans pain, de la farine nous donna des crêpes mais la quantité était très limitée.
Un matin, nous remarquâmes tous que la fumée des trois cuisinières à charbon et à bois installées à l'entrée enfumait la carrière, il fallait arrêter leur fonctionnement, c'était intriguant, la fumée s'élevait bien mais ne sortait pas, devenue épaisse, elle empêchait de voir l'orifice de sortie, nous étions le 28 juin 1944.
Les fourneaux éteints, la fumée diminua,
après discussion avec Monsieur Mangnan, je
montais très rapidement l'échelle de
fer, parvenu à cinq ou six mètres du sommet, je constatais que la sortie était
fermée, les madriers avaient été replacés dans leur position d'origine, je
pestais contre les imbéciles qui avaient pu faire cela, j'étais maintenant au
sommet, un bras levé pour soulever un madrier quand à ma stupéfaction je vis,
dégoupillées quatre
grenades quadrillées, elles étaient fixées à la traverse et
chacune d'elles était reliée à un madrier, les quatre madriers, mis sur le
côté permettaient d'avoir une ouverture. Après un examen minutieux, je
redescendis rapidement, en bas, la nouvelle provoqua la consternation, outre la
liberté supprimée, on ne pouvait faire qu'un feu réduit afin de ne pas nous
enfumer.
Une grande discussion générale eu lieu, les thèmes furent les suivants :
- trouver une autre sortie pour pouvoir nous ravitailler
- faire sauter les grenades à l'aide d'une longue perche
- attendre, de crainte d'une autre réaction allemande
La recherche d'une autre sortie se fit à l'aide des lampes à carbure et de fils de magnéto très minces mais qui déroulés permettaient de revenir au point de départ, car à 27 mètres sous terre, le noir était absolu, la flamme d'une bougie restait droite. Nous vîmes beaucoup de sorties anciennes, mais elles étaient murées, au-dessus du puits d'extraction par un système de pierres biseautées en clef de voute. En admettant de parvenir près de cette clé de voute, il aurait fallu déplacer une pierre de soutien, près de la paroi, pour faire tomber le tout, c'était dangereux et sans moyens, impossible à faire. Dans ces recherches, nous eûmes un aperçu du travail effectué dans ces carrières de pierre, quelques-unes très grosses, taillées étaient restées sur place. Il y avait des chemins de charroi, on pouvait voir les traces des sabots de chevaux, nous vîmes le nom de ces chemins (rue du bord, trou de la Sainte Barbe, le trou du lavoir) très loin, nous devinâmes le remblai à l'envers de la ligne de chemin de fer Paris / Cherbourg, on aurait pu essayer de creuser une galerie à l'horizontale, sans d'ailleurs aucune idée de l'épaisseur à franchir.
Localisation de la ligne ferroviaire et de l'entrée de la carrière. Source.
Des kilomètres de galeries furent ainsi explorés mais trois jours après aucune solution n'avait été mise sur pied. Le squelette d'un chien fut retrouvé, le collier autour du cou. Je montais souvent voir les grenades, si bien que je proposais à Monsieur Mangnan de sortir en me glissant entre la pierre du puits d'extraction et la traverse de soutien, j'étais et pour cause mince, bien sûr, il fallait frôler les grenades, je ne voulais personne à côté de moi dans l'échelle, Monsieur Mangnan finit par me dire « si tu veux », je gravissais alors l'échelle de fer et après un dernier examen, je me glissais comme prévu, c'était évidemment très dangereux, en dehors du vide de 27 mètres, il y avait les quatre grenades, la marge était étroite, parvenu à l'horizontale je fus arrêté par un aléas supplémentaire que je ne pouvais voir du haut de l'échelle, le long du puits, une porte était posée à plat, par terre, et m'empêchait de prendre pied sans s'appuyer dessus. Etait-elle piégée ? Je ne voyais rien de suspect, mais pourquoi était-elle là ? Après une longue hésitation je me cabrais de mon mieux et me projetais le plus loin que possible, je touchais un peu la porte mais je bondissais vers la grosse pierre dont j'ai déjà signalé la présence, rien ne se produisit, j'examinais les alentours, il n'y avait personne le ciel était bleu, un grand calme regnait, après recherches je trouvais un fil de fer, à son extrémité je fis une boucle que je déposais autour de la poignée de la porte, revenu derrière la grosse pierre je tirais la porte, elle venait sans résistance, il n'y avait rien, pas de piège. Dans les jardins des environs, je ramassais des pommes de terre, des choux, des carottes, le tout dans un grand sac, à demi rempli pour qu'il puisse passer sous la traverse et descente directe en bas.
Par le même chemin, débarrassé de la
porte, je
rentrais, je dois dire que le vide abordé
dans les conditions de tête en avant n'était pas rassurant.
Je fis plusieurs sorties, seul, trois ou quatre fois, deux autres fois je fus accompagné. La première fois par Denise Lublé ou Castel (selon le témoignage de Gérard Mangnan : Denise Costil), jeune fille de 18-19 ans, échouée parmi nous et qui travaillait comme commis chez un des deux charcutiers de la Maladrerie, très courageuse, elle sortit sous les grenades pour aller à la ferme Navarro où se trouvaient des vêtements lui appartenant. Chez Navarro elle récupéra ses affaires qui se trouvaient au premier étage, je restais en bas, quand nous sortîmes, nous croisâmes sur le seuil de la porte d'entrée deux Allemands qui furetaient de droite à gauche, l'émotion fut grande mais rien ne se passa, nous rentrâmes rapidement, elle me fit peur au passage des grenades, elle n'avait plus la concentration du premier passage et frôlait l'une des grenades, après un arrêt, elle reprit suffisamment de calme pour se glisser sans encombre.
La seconde fois, je
fus accompagné par Gilbert Mangnan, il
m’étonnait, car il avait peur, pouvant crier de peur et même pleurer mais il
revenait se mettre en danger, je n'avais pas confiance dans ses réactions mais
tout de même il était présent. L'objectif de la sortie était sa maison
164, rue Général Moulin située à 120 mètres, mais invisible.
Photo collection François Robinard. Habitation Mangnan.
Localisation de l'habitation Mangnan et du puits d'accès de la carrière. Source.
Dans la maison, sur une armoire
devaient se trouver : des haricots secs, de la farine,
ceci fut vite fait, malgré l'état de démolition de la maison, je lui demandais
de revenir quand je le vis s'attarder pour chercher à attraper deux poules dans
les décombres à l'arrière de la bâtisse, ces poules menaient grand tapage, mon
inquiétude était fondée quand deux S.S.
attirés par le bruit arrivèrent sur les lieux. D'autorité, nous fûmes conduits à
la grande maison appelée le château en haut de la rue Cornau
à gauche.
De nos jours la rue du Corneau au carrefour avec la rue de l'Eglise.
Localisation rue Cornau entre la rue du Général Moulin et la rue de l'Eglise à la Maladrerie.
De nos jours le château en haut à gauche de la rue Cornau (à droite sur la photo aérienne)
Après attente, sous garde armée, on nous fit pénétrer dans une
pièce qui devait tenir lieu d'infirmerie car il y avait des pansements tâchés de
sang dans un angle, l'interrogatoire par un gradé commença, les raisons de notre
présence, au cours de l'attente, j'avais
dit à Gilbert de me laisser parler en
premier et de dire la même chose. Oui, nous étions dans une zone qui devait être
évacuée, des civils mais c'était pour prendre des affaires dans la maison de mon
camarade, autrement nous venions de
Venoix (à
l'époque une commune), il y avait astuce de ma part,
Venoix, sur la carte était à deux kilomètres mais administrativement la
Maladrerie était divisé en quatre parties ; l'une sur Caen, la seconde sur
Venoix, la troisième sur St Germain la Blanche Herbe et le quatrième sur
Carpiquet.
Sur Venoix se trouvait la carrière dont je ne dis pas un mot, à cause des grenades. L'interrogatoire de l'Allemand, était brutal, croyait-on avoir affaire à des terroristes. Je cherchais à le calmer en montrant mon certificat de travail de Carpiquet, du coup il devint furieux, me bousculant, le certificat à la main et hurlant « Carpiquet Front » je restais silencieux, je n'avais pas pensé à cette réaction, Gilbert Mangnan avait les larmes aux yeux, il était très pâle, cependant l'officier me remit, calme retrouvé, mon laisser-passer et donna l'ordre de nous accompagner pour aller où ? Cela ne traîna pas, un soldat fusil à la main nous indiqua de le suivre, on remonta la rue de l'Eglise, pour tourner à gauche en face de la ferme Navarro, allions nous à Venoix pour vérifier mes dires ? J'étais décidé à aller jusqu'à Venoix, mais surtout je ne voulais par montrer la carrière, toutefois si nous allions à Venoix, ce n'était pas la route directe, on aurait du prendre la rue Cornau, parvenu à la route de Bayeux, le soldat s'arrêta et nous fit signe de continuer en direction de Caen.
Localisation des lieux cités.
Quels étaient ses ordres ? Ces Allemands connaissaient mal les lieux puisque
nous allions passer à nouveau devant le château, peut-être allait-il
tirer, après cent mètres de marche, je
dis à Gilbert Mangnan, que j'allais faire mine de relacer un de mes souliers,
afin de regarder un peu en arrière, lui devait continuer de marcher, le soldat
était assis, le fusil entre les jambes, rassuré je repris la marche pour
repasser devant la maison de Gilbert Mangnan, le plus étonnant c'est que nous
entrâmes à nouveau pour reprendre la farine et les haricots et enfin rentrer à
la carrière. Les grenades restèrent en place cinq à six jours, les enlever mais
comment faire, de plus, certains disaient que si on y touchait, cela attirerait
l'attention, je ne le pensais pas, les groupes allemands étaient très mobiles,
ceux qui avaient piégé l'entrée devaient avoir quitté le secteur, comme
finalement cela ne me gênait pas outre mesure, je restais silencieux dans les
discussions.
Gilbert
allait mieux mais ne pouvait encore marcher librement le choc avait été
rude, sa chance certaine, de plus Roger Mangnan
aurait pu chuter sur lui, mais
tombant en déséquilibre il avait fort heureusement été rejeté sur le
côté.
Certains hommes s'effondraient, n'avaient plus aucun moral c'était le cas de Messieurs Riboul, Papin, Charles Pasturel malgré la présence de sa future femme, on se laissait pousser la barbe, d'autres naviguaient près de la déprime comme Messieurs Deschamps, Guelle, les Fouchaux, assez curieusement les femmes avaient un meilleur moral, c'était peut-être leur rôle naturel que de soutenir leurs hommes. Les enfants jouaient comme ils pouvaient. Dans la carrière, il n'y avait pas de notion de jour ou de nuit, à part l'entrée où sur quelques mètres carrés, il y avait une demi-clarté
En
ce qui me
concerne, j'attendais la libération, en marge de tous, mes sorties me
maintenaient un moral élevé, je n'aimais pas les recherches d'une autre sortie,
bien sûr, je faisais partie du groupe de découverte mais sans entrain, je
n'écoutais que les avis de Monsieur Mangnan et dans une moindre nature ceux de
Monsieur Carpentier plus les jours passaient, plus je devenais indépendant.
Nelly Quidot était
la petite reine des jeunes, jolie, agréable elle habitait près de chez nous
mais, nous ne la connaissions guère ; son frère Guy
était sympathique, il
n'aimait pas sortir mais se rendait utile à l'intérieur de la carrière. Leur
mère, Madame Paris
était une femme plus élégante que les autres femmes
réfugiées, elle avait très bon moral, Gilbert
et moi
étions souvent dans son
voisinage avec ses enfants.
Les Fouchaux qui faisaient un peu bande à part. Ils avaient emmené pas mal de matériels et de vivres, ils attendaient la fin de tout cela.
Les
Carpentier, Deschamps, Riboul formaient un autre groupe, sauf Monsieur
Carpentier, les autres se confinaient dans la carrière. Grand remue-ménage à
l'entrée, on enlevait les grenades, l'enlèvement des quatre madriers remis sur
le côté ramena la clarté initiale, les Allemands descendaient l'échelle de fer,
l'émotion était intense, la majeure partie des hommes se dirigèrent vers les
galeries obscures, les femmes et les enfants restèrent sur place près de nos
installations, nous ne demeurèrent que cinq au pied de l'échelle. M. Mangnan,
son fils Gilbert, M.Fouchaux
, M.Carpentier et moi. Dès leur arrivée, les
soldats allemands, encore des S.S.
,
sortirent les pistolets, d'autres Allemands descendirent lorsqu'ils fûrent une
petite dizaine, l'ordre nous fut donné de monter, M. Mangnan essaya d'en
dispenser son fils, disant qu'il avait déjà perdu un autre fils, peine perdue,
de nouveau la tension était extrême, je
n'avais pas du tout envie de monter, je pensais qu'ils pouvaient tirer, je me
maintenais un peu en retrait et laissais le quatrième prendre beaucoup d'avance
mais sur un nouvel ordre et sur la menace d'un pistolet, je montais très
rapidement au sommet, trois ou quatre Allemands, à droite, un peu à l'écart M.
Mangnan, sur sa gauche M. Fouchaux
puis M.
Carpentier puis Gilbert Mangnan, je pris place à l'extrême gauche, un seul
Allemand nous tenait sous la menace d'un pistolet mitrailleur, les autres
descendirent dans la carrière.
Il
y avait un grand soleil, malgré quelques nuages blancs, je considérais tout cela
en me demandant un instant si tout n'allait pas finir là. L'Allemand promenait
son regard sur nous, et semblait avoir une attention particulière pour M.
Mangnan, personne ne disait mot, M. Fouchaux
semblait absent, Gilbert Mangnan se
mit à pleurer, je lui lançais rapidement « on ne pleure pas devant un
Allemand » puis je me mis à réfléchir, l'ordre viendrait d'en bas, puisqu'il
était seul, comment cela se passait-il dans la carrière ? Ils ne trouveraient
pas d'armes, cela suffisait-il à les calmer ? L'homme au pistolet mitrailleur
était impassible, on ne pouvait rien pressentir en l'observant, que peut-être
s'il tirait, ce serait en direction de M. Mangnan, placé un peu à part de nous,
à ma gauche, un petit mur de séparation de jardins, plus loin d'autres murs
guère plus haut entre l'Allemand et moi, le trou laissé par les quatre madriers,
mis sur le côté, si j'allais à gauche un buisson de ronces formerait un
paravent à survie, le vide de 27 mètres il le regarderait avant de le
franchir, il fallait jouer la chance dans cette direction, je tâtais le sol des
pieds pour assurer le premier bond, ne pas déraper au départ, l'attente se
prolongeait, ça y est, on parlait d'en bas, l'arme se baissa et les
traits de l'Allemand perdirent leur immobilisme, nous pouvions redescendre.
Version de sa sœur Mme Louisette Berlinguez-Gimonet :
Un officier allemand fera procéder à l’enlèvement des mines et grenades. Il est descendu dans la carrière, avec son ordonnance. Il parlait le français et s’est informé de quelle manière nous nous procurions de l’eau. Des adultes ont expliqué que nous avions agrandi une cuvette naturelle laquelle gardait, ainsi, l’eau de ruissellement. Cet officier a demandé à voir. Quelqu’un m’a dit de lui « faire voir », je connaissais le chemin, ma mission était de tenir « allumées » deux lampes "Pigeon". Pourquoi deux lampes : si l’une s’éteignait, je devais la rallumer aussitôt avec la flamme de celle restée allumée, cela arrivait presue à chaque fois.
Le
groupe allemand s'installa dans la carrière, de nombreux matelas des habitations
voisines furent descendus, des oreillers, des traversins dans un nuage de
plumes. Ils ne s'occupèrent nullement de nous, en laissant nos emplacements qui
étaient les meilleurs. Ces S.S.
restèrent plusieurs jours, disciplinés, impressionnants, dans leurs préparatifs
dans l'entretien de leurs armes, c'était la fine fleur de l'armée allemande,
Gilbert
vit un gradé gifler un soldat pour une question d'arme. Ils tenaient à
leur tour, des positions de défense et revenaient au repos dans la carrière,
Nous eûmes peu de contact avec eux, un échange de sucre contre du pain eu
lieu, tout à coup, je
reconnus un tir d'obus, dont je savais qu'il fallait se
méfier, d'un bond je me retrouvais dans un trou sous l'œil un peu moqueur des
SS, pas pour longtemps car ils eurent rapidement le même réflexe, les obus
éclataient tout près. Le calme revenu, nous nous regardâmes en silence mais avec
un brun de connivence.
Bien que sortant beaucoup, j'étais très prudent, ce temps d'écart entre le tir et l'arrivée des obus était très net. Quand on parvient à identifier le danger, celui-ci peut être surmonté, tout au moins la peur qu'il engendre. J'en eu l'exemple quand j'entendis pour la première fois le bruit des lances fusées allemandes Nebelwerfer, c'était un miaulement puissant, qui était fait pour créer un sentiment de panique, en un instant, je fus à terre, mais dans cette position je n'aperçus pas les traces laissées dans le ciel que ces fusées partaient du côté allemand et ne pouvaient donc être un danger pour moi.
Après quelques jours, les soldats SS quittèrent la carrière, quelques-uns nous dirent qu'il y avait beaucoup de morts, ils n'avaient plus l'allure des premiers jours de la bataille mais conservèrent toute leur discipline. Les grenades ne furent pas remises en place, nous leur devions toujours cela,
On entendait bien la bataille qui faisait rage du côté de l'aérodrome de Carpiquet, celui-ci disparaissait de la vue, sous les bombardements et tas d'obus. Les passages d'avions allemands on n'en voyait pas. Il était évident que la Maladrerie, St Germain la Blanche Herbe, allaient à leur tour être prises dans la bataille.
Nous étions maintenant en juillet et chaque jour est marqué par des opérations
militaires, d'artillerie, d'aviation, les Alliés font pleuvoir un déluge d'obus,
du côté allemand cela ripostait mais sans la même ampleur. Il faut que je voie
tout cela, sans arrêt, je monte l'échelle et reste longuement, les obus tombent
sur la Maladrerie, le jeudi 6 juillet avec M. Mangnan et M. Carpentier nous
parcourons le quartier, bien des murs sont éventrés, les meubles tombés, nous
rentrons sans encombre.
Le vendredi 7 juillet, après un violent bombardement pendant toute la nuit. La
matinée et le début de l'après-midi, sont relativement calmes, l'artillerie
reprend et le soir vers 22 heures des centaines d'avions de bombardements
sillonnent Caen (lire
ce bombardement), d'autres avions mitraillent, je
ne peux plus rester dans ce
fracas et puis je ne peux identifier tout, cela me semble dangereux. Nous
n'avons rien trouvé comme ravitaillement, la veille nous avions eu quelques
boules de pain
Le samedi 8 juillet c'est la continuation de la veille Caen brûle de partout il doit y avoir les bombes à retardement. La fumée des explosions est dans tout le quartier. Les combats terrestres doivent être très proches car on entend les mitrailleuses et des grondements de chars on croirait la bataille à St Germain la Blanche Herbe, et sur la route de Carpiquet, des voitures allemandes se replient, des chars allemands montent à l'attaque, s'il n'y a pas d'avions allemands la DCA elle est très active, une batterie allemande tire sans arrêt et toujours aussi les mitrailleuses alliées au bruit très reconnaissable se fait entendre.
L'aviation alliée est partout par groupe de 4, de 6, de 8 elle attaque à la mitrailleuse, au canon, à la bombe tout ce qui bouge dans la campagne sur Verson, sur Venoix, sur Carpiquet, sur la route de Caen à Carpiquet ; de l'aérodrome de Carpiquet on aperçoit parfois les hangars, puis plus rien que de la fumée multicolore.
Source p012150. Conseil Régional de Basse-Normandie / National Archives USA. Des hangars de l'aérodrome de Carpiquet.
Toujours la batterie allemande tire et aussi les lances fusées au miaulement si
particulier. Un tir d'artillerie se déclenche sur la Maladrerie c'est si proche
que je dois descendre de nouveau encore à l'entrée du puits, je vois des trous
d'obus très proches de cette entrée, aux environs les maisons ont beaucoup
souffert. Le soir tombe, je
suis de nouveau en bas, quand mon frère
Gilbert
signale la présence d'un troupeau de moutons dans les jardins, à une
centaine de mètres de l'entrée, je monte avec Monsieur Carpentier et mon frère
Gilbert, parvenus en haut, dans la nuit tombante, le spectacle est à la fois
grandiose et terrifiant, des balles traçantes partent et sifflent à cinq mètres
du sol, le bruit est intense, M. Carpentier nous dit qu'il a des enfants et
qu'il ne peut rester, Gilbert et moi décidons d'attraper des moutons, qui
effectivement sont dans les jardins, ils sont affolés, j'essaye de les tourner
et de les rabattre sur Gilbert, qui arrive à en saisir un, vite je lui prête la
main pour porter la bête à l'entrée du puits, nous demandons qu'on attache une
petite corde à la grosse, et d'en haut puis d'en bas avec la double longueur, on
pourra mettre en route un genre de va et vient, nous nous impatientons pour nous
entendre dire, qu'on ne peut pas aller plus vite, c'est fou, Gilbert et moi nous
nous regardons et blottis contre la paroi et la traverse de soutien des madriers
nous attendons, enfin cela marche, le premier mouton est descendu, nous en
prendrons ainsi trois autres sous ce parapluie de balles traçantes, aux
alentours les Allemands semblaient se replier, l'artillerie allemande donnait
son maximum, la journée s'achève dans un grand fracas et dans la lueur
d'incendies plus ou moins proches, vers la prison.
A
notre descente, Guy Quidot
avait fait du bon travail, les moutons
avaient été sacrifiés, nous étions ravitaillés en viande pour plusieurs jours.
Pour Gilbert
et moi
,
cette sortie, entièrement volontaire, se situait dans parmi les plus difficiles,
seuls, tous les deux, nous l'avions effectuée. Monsieur Carpentier avait
abandonné, mais il n'y avait rien à dire c'était un homme courageux qui assumait
ses responsabilités familiales.
Le
dimanche 9 juillet 1944, n'a pas la même intensité, cependant on sent que
les Alliés sont proches, les Allemands se replient et semblent en petit nombre,
je vois une moto Daimler (les motos
Daimler étaient fabriquées en 40-45 sous la marque
DKW) de
l'armée allemande, le long d'un pan de mur et si je la déplaçais, si je la
camouflais, son possesseur n'aurait peut-être pas le temps de la chercher, même
dilemme avec une mitrailleuse allemande placée en poste de repli, mais sans
personne autour je
n'ose pas, Gilbert
est plus tenté, mais finalement la crainte
de représailles l'emportera, la bataille a repris en intensité toujours les
obus, les attaques des avions mais au milieu de l'après midi, nombreux, équipés
de jeeps, de chenillettes, apparaissent les soldats alliés, pas des Anglais
comme nous le pensions tous, mais des Canadiens, dont la plupart parlent
français, le moment est inoubliable, enfin la libération, enfin c'est fini, ces
Canadiens ont belle allure, ils distribuent cigarettes et chocolats, ils
ont l'air surpris de trouver des civils dans les ruines des quartiers. Les
premiers prisonniers allemands passent. Non, rien n'est fini, toute prudence
oubliée, nous sommes sur la route de Bayeux, quand l'artillerie allemande prend
cette route sous son tir, Canadiens, civils, nous voilà tous dans les maisons à
demi abattues, pour chercher un refuge, voilà le fameux 88 allemand, il est terrible, le
bruit du tir
de départ et
l'arrivée de l'obus sont quasi simultanés à peine un instant d'écart,
ce canon me surprendra toujours, il faut s'aplatir immédiatement, pour le moment
avec deux Canadiens, je suis sous une grosse table, je maudis mon imprudence,
bien sûr, ils vont bombarder cette route qui conduit à Caen, ce n'est pas le
moment d'être blessé ou tué, ce serait
trop bête, le tir s'espace, chacun est pâle, je quitte le refuge pour aller à Saint
Germain voir notre maison, mais finalement je rebrousse chemin, au sortir d'un
pan de mur, un Canadien surpris se retourne sur moi, mitraillette à la main, il
me dit que des Allemands sont à moins de 300 mètres dans une bâtisse, j'en suis
très surpris mais à la guerre il y a des choses étonnantes, c'est ainsi que je
verrai au loin de nombreux chars allemands sans aucune attaque alliée. Si la
joie est générale, la vue des destructions indique le prix de la libération,
cette fois les compagnons de la carrière sortent pour se rendre compte, chacun
va voir sa maison, certaines, comme celle de Madame Paris
, des Mangnan, des gens
de la cour passante sont entièrement effondrées, avec Gilbert
nous allons voir la
nôtre, notre joie est grande elle semble intacte, bien sûr le toit à souffert,
les murs portent la trace de nombreux éclats, un projectile est entré dans la
petite chambre en défonçant le mur près de la fenêtre, assez curieusement, il n'y
a pas de trace de sortie, les Alliés avaient établi un refuge sous les marches
de l'escalier extérieur, elle est habitable ; pendant 2 à 3 jours, peut-être un
peu plus, nous continuons à coucher dans la carrière, nous ramenons nos
affaires, toujours la grosse corde en service, mais les obus allemands tombent
toujours, l'un d'eux me surprend dans la cour passante je n'ai que le temps de
sauter dans l'entrée de cave de la maison effondrée de Madame Jamet, je suis
toujours pris de court pour ce canon de 88 allemand.
En
haut de la rue Cornau, un groupe de civils armés menait grand tapage,
surprise six avions allemands sont dans le ciel, la DCA alliée, se met
de la partie et les avions allemands sont dispersés, je
crois en compter cinq
qui tombent, quelle efficacité, mais mon attention revient au groupe de civils
armés de mitraillettes et de pistolets, avec force gesticulations et cris, ils
tirent en direction des avions, avec leurs petites armes, c'est dérisoire, je le
précise à l'un d'eux, un peu plus calme, il me dit que ce sont des
FFI, qui ne
peuvent pas voir les Allemands, ah bon, comment ont-ils fait pendant quatre ans,
et pendant la bataille où étaient-ils ? Je n'en ai jamais vu, de près ou de
loin, le groupe disparaît ils ne sont pas du quartier, Gilbert
et moi
sommes
incrédules, en fait, c'est la première manifestation de toute une époque de
justice expéditive et d'exactions.
Les Alliés sont là, mais la bataille n'est pas finie, il faut plus que jamais se méfier de tout, des pièges avec mines, des obus non explosés, chez Lavieille (lire le témoignage de Mme Lavieille), ouvrant une porte avec précaution j'en découvre un énorme soit du 380 soit du 420 de marine, à peu près de 1m50 de long, de très larges stries sur ses parties cuivrées, je me retire bien vite et signale le cas, ceci dans une dépendance de la ferme Lavieille.
Source. Un obus non éclaté.
Rue de l'Eglise, le cidre sort des tonneaux troués par des éclats d'obus et coule dans le caniveau de la rue, nous en récupérons comme d'ailleurs beaucoup de gens, plus tard les propriétaires engageront des poursuites ridicules.
Pour le moment, en ce mois de juillet c'est la grande fraternité avec les
Canadiens français et dans une mesure moins grande avec les Canadiens anglais,
il n'y a pas de doute les Canadiens français sont des cousins, leur français est
plein de tournures anciennes, en gens de la terre ils apprécient la campagne
trouvant les blés ou ce qui reste, très beaux et surtout très hauts, avec les
Canadiens anglais, la conversation est plus difficile, malgré tout l'anglais
scolaire appelé à la rescousse. Ils sont très étonnés de notre
dénuement, ni biscuits, ni beurre, ni savon, ni café, ni huile,
ni pain. Ils craignent l'artillerie allemande. Oui ils sont du
Québec, de
Montréal, de
Toronto, de
Vancouver et expriment en
miles la distance de leur
pays. Ils sont du
Regina Rifle
(en fait The Regina Rifles Regiment, 1st
Battalion
). Oui, ils ont pris Courseulles, Saint
Aubin sur Mer, Ryes,
Bernières, Un motocycliste me donne son nom ; Georges
SARTAON,
Hamilton- Ontario / Canada. Plus tard, j'apprendrais qu'il est mort
écrasé par un char, alors qu'il se reposait sur un bas-côté de route.
Maurice Bellegarde d'Abernethy, Saskatchewan, Canada. Il y a confusion dans les noms c'est Maurice Bellegarde qui est mort, voir ci-dessous.
Source. Cimetière d'Adegem à Oost-Vlaanderen entre Brugge (17 km) et Gent (26 km) Belgique
Il
y a des distributions de cigarettes, de chocolat, de biscuits. Les Allemands
sont toujours proches, les Alliés creusent des trous individuels, l'artillerie
tire sur les positions allemandes, rangés sur plusieurs niveaux, les canons
anglais ont à côté d'eux d'impressionnantes quantités de munitions et aussi des
tas de douilles vides. Le Regina Rifle
est relevé par le Royal Regiment Canadian (sous
réserve
1st Bn The Canadian Scottish Regiment
),
ceci le mardi 12 juillet 1944, c'est ce mardi que se situe le raid
des tirs des avions allemands. A la maison sous l'escalier se trouve quelques soldats du
Royal Régiment Canadian.
Un premier journal anglais nous donne des nouvelles. En Italie, les Alliés ont pris Florence, ils ont avancé de 320 kilomètres en trois semaines, de notre côté, ils ont pris Maltot, Baron sur Odon, Eterville, les Allemands occupent Vaucelles, c'est-à-dire le quartier de Caen, de l'autre côté de l'Orne.
Localisation des lieux cités
Dans le Cotentin, les Alliés seraient à 5 km de Saint Lô. J'ai en main le Daily Mirror du 7 juillet 1944.
De nouveau, en soirée l'artillerie allemande tire sur la Maladrerie, nouvelles séances de plat ventre, leurs obus font de gros cratères.
Nous pouvons voir d'autres troupes canadiennes comme le
Régiment de la Chaudière .
Le
14 juillet est célébré dans la joie, le drapeau tricolore est déployé, tenu
fièrement par Nelly
radieuse.
Photo présentée dans ce livre page 104.
Le ravitaillement est toujours bien aléatoire, heureusement que nous recevons quelques boîtes de conserve, du pâté par les Canadiens, on en trouve aussi abandonnées dans une position ou un abri, quelques unes seulement.
Il faut se déplacer avec précaution, quand on quitte la route, dans la campagne je prends soin de marcher dans les traces des chars, il y a de temps à autre de très mauvaises odeurs causées le plus souvent par des animaux morts, depuis plusieurs jours. Le bruit court que, certains de ces cadavres d'animaux sont piégés avec des grenades et qu'une explosion a lieu quand on bascule l'animal dans le trou creusé à côté.
Animaux morts durant la bataille de Normandie. A gauche, 4 vaches mortes à la ferme des dunes à Saint Martin de Varreville. source. A droite, un cheval mort le long de la route de Baupte vers Carentan, source.
Vers le 19 juillet 1944, après une intense préparation d'artillerie et d'aviation, les Alliés canadiens et anglais passent l'Orne, et libèrent Vaucelles, le spectacle des colonnes de soldats marchant sur le côté gauche de la route, en file indienne est inoubliable, visages camouflés, noircis, l'arme à la main, ils marchent vers Vaucelles en silence, graves, tous les cinquante à cent mètres, un soldat joue de la cornemuse, les sons tirés de cet instrument sont poignants, le joueur de cornemuse est un Ecossais en kilt, ce qui ajoute au spectacle, une note pittoresque mais toujours grave. Nous sommes saisis par l'émotion, j'admire ces hommes qui sont à l'attaque des Allemands dominés, mais toujours redoutables car la progression alliée sera stoppée après Vaucelles.
Quelques personnes viennent dormir encore à la carrière, tel M. Papin, aidé
plusieurs fois par Gilbert
pour descendre son jeune fils.
Voir la photo ci-dessous Mme Papin avec son bébé dans les bras avec la famille Magnan:
Source: Collection Mme Louisette Berlinguez-Gimonet. Coupure de presse canadienne. Devant leur maison au N°164 rue du Général Moulin, M. Mangnan et en retrait sur le pas de la porte à gauche Mme Mangnan derrière Mme Papin qui a accouché dans la carrière du bébé qu’elle tient dans ses bras. La jeune fille qui distribue des cerises aux Canadiens est Mlle Denise Costil, servante de la ferme Navarro.
Source Life Collection, photographe George Rodger. Noter PEN sur la borne à essence (de marque SATAM) de la station "Relais de Caen", Société française des Pétroles Essences Naphtes
Nous sommes tous rentrés à la maison, certes, rien n'est simple mais le grand air est préférable à cette vie de troglodytes. Les sœurs et Maman qui ne sont pas sorties depuis leur descente du 23 juin sont pâles, de plus la nourriture n'est pas abondante, quelques lapins et poules qui erraient dans la nature sont repris et forment une petite basse-cour. Maman s'occupe même d'une vache et distribue le lait aux gens du quartier.
Pas
de nouvelles de Papa, il est à Blois
non gardien à la prison de Fontevraud
(Maine et Loire), mais bien sûr il n'y a aucun courrier,
pas d'argent non plus ou peu, Gilbert
et moi
sommes devenus des familiers de Mme
Paris
, de ses enfants Guy
, Nelly
et Odette, leur maison a été détruite.
Photos collection Louisette Berlinguez-Gimonet. La maison de Mme Paris en ruines. A droite au second plan Gilbert Berlinguez.
La mairie réquisitionne les appartements vides et c'est ainsi que la famille Paris Quidot se retrouve rue Jean Marot dans un appartement cossu dont les occupants sont partis, nous leur rendons souvent visite.
Photo collectionFrançois Robinard. Le bas de la rue Jean Marot vu de la rue Guillaume le Conquérant, à droite la rue Saint Manvieu. Localisation.
La vie recommence, on se baigne dans l'Orne surtout chez Gehanne, un peu chez Maës il n'y a personne où guère de monde, nous sommes maintenant au mois d'août. Gehanne et Maës, deux clubs nautiques.
Localisation des deux clubs nautiques
Deux cartes postales du club nautique Gehanne de part et d'autre de l'Orne
Le passeur avec une barque le long d'un câble tendu entre les deux berges de la rvière Orne
Sur cette carte postale la villa en haut permet une parfaite localisation quasiment au niveau de la passerelle actuelle.
Un peu plus en amont l'école de natation d'Eugène Maës sur la rive gauche
Ecole de natation après guerre.
Gilbert
et moi
voulons nous engager dans l'armée,
quartier
Lorge, rue Caponière,
la Gendarmerie reçoit notre engagement, chose extraordinaire nous n'en
entendrons jamais parler.
Nous faisons connaissance des Américains, cigarettes, chocolats noirs et blancs réunis, quel matériel, quelles tenues impeccables, cependant ma préférence va aux Canadiens, aux Anglais, ces Américains me semblent quelque peu condescendants à notre égard, il m'arrive même de leur trouver une allure d'occupant.
Nous entendons dire qu'à l'Institution Sainte Marie (de nos jours Institution Saint Paul) se constituent des stocks de vivres, destinés :
- à la France
- à la Belgique
- à la Hollande
- à l'Allemagne
Source. Collège Sainte Marie à la Maladrerie
Cela alors, c'est le comble, ils sont fous ces Américains, je
ne suis pas comme
les
F.F.I. prêts à en découdre avec des Allemands vaincus, mais de là à prévoir
sur un pied d'égalité leur ravitaillement, cela me dépasse.
Edmond Hue et sa famille sont rentrés, je remets à Madame Hue, l'argent du pain que j'ai fabriqué. La boulangerie reprend son fonctionnement, j'y participe. Avec Edmond, nous parlons de ces stocks, hauts disait les témoins, comme des maisons, une expédition est décidée par nous deux, elle aura lieu un soir, oui c'est vrai, empilées sur une grande hauteur des caissettes, il y a bien quatre lots, nous prenons chacun deux caissettes, avec difficultés car le poids des caissettes du dessus en bloque la majeure partie. Au retour, nous constatons que c'est un excellent pâté en petites boîtes.
Expédition punitive ? Peut-être pas, mais l'injustice est ressentie au maximum à 20 ans, l'opération sera renouvelée une seconde fois, dans des conditions difficiles, les vivres sont gardées et puis le cœur n'y était pas.
Je
cherchais du travail, mais il n'y en avait pas, toutefois après une demande, je
posais ma
candidature comme gardien de la paix, finalement je me
suis engagé dans l'Armée de l'Air
.
Remerciements:
à François Robinard pour la remise de ce témoignage manuscrit, écrit dans les années 60.
à Mme Louisette Berlinguez-Gimonet pour ses photos et ses renseignements.