Deux enfants à Caen en 1944.

 

Témoignage paru (pages 25 à 28) en2004.

    En 1944, Paul et Jeannette habitent à Caen. Agés de 6 et 7 ans, ils vivent comme beaucoup d’enfants de leur âge dans l’insouciance du lendemain.

     Malgré l’époque, les jeux restent la préoccupation principale des enfants qui s’adaptent aux circonstances.

     Les souvenirs pourtant lointains vus par nos deux gamins restent aujourd’hui bien gravés dans leur mémoire. Sans avoir la précision de ceux d’un adulte, les faits et les évènements relatés reproduisent bien la réalité, même déformée ou enjolivée de façon puérile.

     Les décisions prises par leurs familles respectives de partir rive gauche ou rive droite de l’Orne le 6 juin 1944 changent le cours de leurs deux histoires.

    Jeannette restera en ville, sur la rive gauche  de l’Orne, sous les bombes. Les parents de Paul choisiront la rive droite et les carrières de Fleury sur Orne.

    Aînée  de 8 frères et sœurs, Jeannette habitant rue Caponière, dans un petit logement, avec ses parents et son grand-père paternel. Le soir le père partait faire des rondes pour la Défense passive. Il fallait cacher chaque point lumineux pour éviter les bombardements ! Le grand-père était sacristain à l’Église St Etienne (ce qui lui procurait un avantage certain, comme nous le verrons par la suite).

     Jusqu’à fin de 1943, Paul logeait avec ses parents et son jeune frère au bas de la rue de Falaise, au-dessus du magasin où travaillait son père. (Note de MLQ: en fait angle 2 rue d'Auge et 5  rue de Falaise)

La maison événtrée à gauche était celle de Paul. De nos jours.

En face, un pont de chemin de fer très convoité par l’aviation alliée.

  

                                   Le pont de Vaucelles.                                                        Localisation. De nos jours.

 Une nuit, les bombardements anglais se font plus précis, et dans la chambre où dormait ses parents, un éclat de bombe coupe les fils du lustre qui s’abat sur le lit… Il faut se résoudre à quitter cet endroit en janvier 1944. Un logement à Venoix offrira plus de sécurité. (plusieurs bombardements aériens: 13, 17, 18 et 20 avril 1943, lire ici)

    Venoix, à l’époque était une petite commune, avec son maire Monsieur Joseph Philippon (une rue devant la Foire de Caen porte son nom). Il était si gentil ce vieil homme, presque un grand-père pour Paul. Quel changement !  Le bruit des bottes allemandes descendants la rue de Falaise semble très loin. Ouf ! Pourtant il courait les écouter chantant leur « alli allo »  comme un enfant au passage d’une voiture de pompiers. Quelle naïveté !  Ce chant, il lui sonne encore dans la tête !

    Venoix, c’était presque la vie de rêve une école de deux classes avec vue sur les champs où les élèves allaient avec leurs maîtres. Ils partaient « en corvée de doryphores » dans les champs de pommes de terre et étaient aussi efficaces que les produits chimiques d’aujourd’hui. Paul remplissait sa boîte de conserve de ces petites bêtes, (complimenté par son maître lui qui en classe le menaçait de sa règle pour ses mauvaises dictées). Les petites bêtes finissaient leurs jours dans cette boîte avant d’être brulées.

    A l’école, les alertes aux bombardements existaient aussi, mais quelle différence avec la rue de Falaise ! Première étape, se cacher sous les tables. La rigolade ! Les instituteurs ne voyaient pas facilement les élèves ! Deuxième étape, courir jusqu’à l’abri qui se trouvait au milieu de la cour. Bousculades, non autorisées mais très pratiquées. Troisième étape, s’entasser dans ce boyau de béton tortueux endroit idéal pour chahuter loin de la règle de l’instituteur. Le danger réel ne souciait pas Paul.

     Le  6 juin 1944, des bruits sourds venant de la mer et de nombreux avions dans le ciel réveillent notre gamin et sa famille. Il se souvient des parachutistes largués vers Carpiquet.

(Cf  page 221 de ce livre : un extrait de l’interrogatoire du Generalleutnant  Edgar Feuchtinger , durant sa captivité, le Kommandeur de la 21. Panzer Division , PC à Saint Pierre sur Dives, je cite :

« From 0230 hours on: continued news of further airborne landings, also west and south of Caen. Later found to be erroneous. Mock landings on Carpiquet airfield and surroundings with explosive dummies. »

Soit:

A partir de  02H30 informations continuelles sur de plus en plus d’atterrissages  de troupes aéroportées, également à l'Ouest et au Sud de Caen. Informations jugées plus tard erronées. Atterrissages simulés sur aérodrome de Carpiquet et ses environs avec des mannequins explosifs. »

Les parachutistes lancés vers Carpiquet le 6 juin étaient en fait des fameuses poupées « Ruppert », immortalisées par le film « Le Jour le plus long » et qui faisaient partie de l’Opération Titanic.)

 Les informations sont difficiles à obtenir, les combats se rapprochent. L’abri réalisé par son père dans la fosse à déchets du jardin et recouvert avec la table de la salle à manger paraît bien aléatoire. Ils quittent Venoix pour retourner rue de Falaise (au 2 rue d'Auge) plus éloigné des lieux de bataille. Ce choix de domicile décidera de leur avenir dans les mois suivants.

     Apprenant le débarquement du 6 juin, Jeannette et sa famille quittent la rue Caponière pour se réfugier dans l’église St Etienne.

Source. L'église Saint Etienne.

    Le grand-père sacristain obtient des places de faveur sous un des clochers. La protection aux bombes sera plus efficace que dans la nef. Tous les matins, Monseigneur des Hameaux disait la messe. Jeannette garde en souvenir cette messe célébrée au milieu de la nuit dans le bruit et sous les éclairs des bombes tombant sur Caen. La literie se résumait à deux vieux matelas et de la paille abritant aussi la vermine.

A gauche, source. A droite: (Photographe: Ken Bell. National Archives of Canada, PA 116290) Civils réfugiés dans Saint-Etienne, le 10 juillet 44

    Le confort des plus spartiates n’excluait pourtant pas les jeux. Des poiriers dans les jardins voisins en souffrirent. Jeannette aimait particulièrement ces fruits encore bien verts, un complément aussi aux repas trop légers. Merci pour le transit intestinal ! Les latrines lui déplaisaient fortement. Il faut dire que l’hygiène était difficile à respecter à cause du nombre important de réfugiés dans cette église.

    Des croix rouge peintes sur les toits et les façades préviennent les Alliés de la présence de nombreux civils.

Captures d'écran de ce film, la façade du Lycée Malherbe avec deux "Croix Rouges"

A gauche: source film British Movietone News. Dans les jardins du Lycée Malherbe. A droite: photo allemande, photographe Arthur Grimm, date: juin 1944,  voir la croix rouge sur le toit et le peinture d'une croix rouge dans un carré blanc sur des tôles ondulées dans la cour du Lycée Malherbe.

    Cette zone sera épargnée par les bombes (Comment l'îlot sanitaire fut-il signalé aux Alliés ?). Jeannette et sa famille quitteront dans les derniers cette église. Un camion allié les emmènera à Ste Croix Grand Tonne un peu plus loin des lieux des combats. 

 

Evacuation des réfugiés sur le parvis de Saint-Etienne. Film départ de réfugiés le 15 juillet (à partir de 02:00) voir également le début de ce film.

    Rue de Falaise, Paul y reste quelques jours. Mais la situation trop mauvaise oblige sa famille à se réfugier à Fleury sur Orne, dans les carrières très profondes qui offrent un abri providentiel contre les bombes. Tel des lapins dans un terrier, « les locataires » sortaient entre les alertes… Paul jouait sur le terrain devant l’entrée de cette « grotte ». Le père de Paul allait chercher du lait dans une ferme des environs pour le petit de frère âgé de deux ans.

"Photo Credit: Canada. Dept. of National Defence / Library and Archives Canada" Réfugiés à l’entrée d’une carrière de Fleury-sur-Orne

    A quels jeux des enfants de cette époque peuvent jouer ? À la guerre !

    Les bras  en croix, courant le plus vite possible, Paul imitait un avion (allié bien entendu). Avec trois copains, ils formaient une belle escadrille. D’autres enfants tenaient le rôle de la DCA « les canons ». Devant une carrière, les projectiles ne manquent pas. L’avion de Paul sera touché au front ! Un médecin réfugié lui posa des points de suture. L’avion n’aura plus l’autorisation de voler !

    Comme à l’église St Etienne, Paul vivait sur une litière de paille avec les mêmes petites bêtes. Un matin, son père lui dit « Aujourd’hui nous irons tous les deux à Venoix voir notre maison ». J’ai un vélo. Paul était fier de cette expédition. Il monta sur le cadre et il rejoignit après bien des péripéties la maison.

    Quelle désolation ! Bien entendu, des dégâts dus aux combats, mais aussi dus aux pillages qu’ils soient allemands, alliés ou civils…  Peu importe, dans l’immédiat, ils récupèrent quelques objets utiles. Pendant que son père se trouve dans la maison, Paul découvre dans la cour, parmi bien d’autres, ses couverts de communiant. Il les met dans sa poche. Ils repartent tous les deux, rapidement pour traverser à nouveau l’Orne vers Fleury où l’inquiétude de la maman fait place à la joie de les retrouver.

    A Ste Croix Grand Tonne, Jeannette et ses parents logent dans une laiterie avec de nombreux réfugiés. Cette laiterie possède une grande verrière encore correcte mais la vue sur le ciel, surtout la nuit, avec le passage incessant des avions terrorise Jeannette autant que les bombes qui tombaient sur Caen.

Source. La laiterie de Sainte Croix Grand Tonne.

     Le jour, les jeux retrouvent leur place. Un camp américain (en fait un camp britannique ou canadien, cette zone étant en secteur britannique, le camp le plus proche est l'ALG B-6) tout proche y contribue avec la découverte des premiers chewing-gums inconnus de Jeannette.

Source.

    Sa Mère donne à la petite famille des biscuits vitaminés offerts par les libérateurs. Jeannette n’apprécie pas beaucoup ces biscuits sans goût, un peu durs. Son Père fume enfin des cigarettes oubliées depuis bien longtemps. Son Grand-père reçoit même un vrai cigare !

    Dans un ruisseau proche, elle trouve des tranches de pain blanc jetées par un soldat. Quelle découverte ! Et quel délice !

    La vie s’organise loin des champs de bataille, même si les bruits des combats ne manquent pas. Jeannette retrouve l’hygiène oublié depuis déjà longtemps. Dans un dispensaire de campagne, elle est badigeonnée, nue… contre la galle. "Pouah !" dira-t-elle.

    Pour Jeannette, sa guerre d’enfant se termine là… Après la libération de Caen elle habitera dans un des baraquements de La Maladrerie.

    Pour Paul, le choix des carrières de Fleury était tout autre. Cette rive de l’Orne n’était pas libérée. Les troupes allemandes, sous les bombes et sous la pression des libérateurs occupaient progressivement les carrières. Les réfugiés devaient évacuer chaque galerie réquisitionnée. Les familles étaient de plus en plus tassées et l’évacuation devint inéluctable. Des ambulances de la Croix Rouge éloignèrent Paul et ses parents de ces lieux pour les emmener sur la route de Falaise. Ces quelques kilomètres se déroulèrent, sans encombre pour eux mais l’ambulance les précédant, mitraillée par un avion, n’arriva jamais. Lire l'exode des Caennais.

     Là commence un long voyage à pied, à cheval, à bicyclette et même pour quelques kilomètres en voiture. Sa famille se trouvait en Bretagne, et qui plus est dans le Finistère. Le plus urgent était de s’éloigner des lieux de combats. Mais les aléas des moyens de transport les font passer  par Trun où se déroule une bataille importante… Plus tard, au calme, Paul se souvient des côtes d’Ambrières. Quelle route ! Il poussait un landau chargé du petit frère et de quelques bagages. Son Père et sa Mère étaient chargés comme des bourriquots…

 

Un convoi américain de carburant traverse la Varenne à Ambrières (Mayenne)

 

     Ce long voyage se terminera chez la grand-mère bretonne à Lannéanou petit village comme un Anguerny mais bien loin des combats de Normandie. L’occupation nazie était encore bien présente.  Paul se souvient de ce camion bâché allemand qui resta une nuit devant une maison réquisitionnée. Sa présence suscita l’inquiétude des villageois. Le camion reparti très tôt le lendemain. En portant du linge à sécher dans le champ tout  proche, la Maman de Paul découvrit le corps défiguré d’un partisan inconnu. Le village en larmes lui donna une sépulture où figure le drapeau national (la croix de Lorraine). Mais cet homme restera inconnu ses parents, sa famille, ses amis ne le sauront jamais.

 

La tombe en 2013, date: 4 août 1944

 

     Ces journées… (de vacances pour Paul) étaient partagées entre les travaux dans les fermes voisines et les jeux avec les nouveaux copains rencontrés.

    Longtemps après le jour J, le bruit sourd des chars se fit plus proche la libération arrivait (le 5 août 1944).

 

Localisation de Lannéanou sur cette carte

 

Des colonnes impressionnantes de véhicules divers traversaient Lannéanou. Des drapeaux tricolores sortis d’on ne sait où flottaient aux fenêtres. Les Américains avaient aussi les chewing-gums et Paul mangera sa première banane.

Paul et Jeannette Rivoalen

  

Localisation: Caen, Fleury sur Orne au Sud de Caen et Sainte Croix Grand Tonne au Nord-ouest de Caen.

Localisation de Trun (Orne), Ambrières (Mayenne) et Lannéanou (Finistère).

  Ils se retrouvèrent des années plus tard sur le même chemin de la vie.

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