VISION DE DESOLATION ET D'ENFER

Les Sœurs de la « Vierge Fidèle» étaient - et sont toujours - établies à Douvres-la-Délivrande et à Caen. Elles ont tenu leur journal.

En 1939, à la veille de la seconde guerre mondiale, quelques Sœurs ont ouvert à Caen, 45 rue des Carmes, un centre d'éducation familiale et ménagère...avant d'accueillir des réfugiés et d'aider, avec et comme tant d'autres, la population de Caen à survivre, jusqu'à ce 7 juin 1944 où, avec et comme tant d'autres, leur maison a été rasée. Source.

  

A Caen en 1944 au 45 rue des Carmes dans l'hôtel de la Jugannière siège de la Direction des Œuvres Diocésaines et du journal La Croix)

 

A gauche "Photo Archives Municipales de Caen. A droite "Archives départementales du Calvados" La rue des Carmes après la libération dans le fond l'église Saint Jean.

 

 

 

         Juin 1944 

     Chacun voulait se persuader que le débarquement était impossible sur les côtes du Calvados.

 Depuis les dernières semaines de mai les côtes étaient très souvent bombardées.

 Le samedi 3 juin, presque toutes nos pensionnaires avaient rejoint leur famille.

 Nous nous préoccupions, d'une manière très active, d'avoir sous la main du ravitaillement pour secourir les sinistrés dans le cas d'un bombardement et nous montions une pharmacie pour «secourir» ceux qui auraient de petites blessures et offrir des salles complémentaires à la Miséricorde qui était au n° 46 de la rue des Carmes et qui recevait les blessés.

 

 

La communauté de la Miséricorde

Source. Clinique de la Miséricorde

 

 

        Dimanche 4 juin   

 

        Journée calme - Pesante d'inquiétude vague - Ville morte.

Tous les magasins et bureaux fermés comme depuis des mois. Le lundi, atmosphère lourde. Nuit de bombardements sur les côtes.

 

Mardi 6 juin

Mardi 6 jui          Le bruit circule que le débarquement se fait sur la côte du Calvados. Tous magasins fermés. L'inquiétude et l'espoir se font jour selon les tempéraments de chacun. A midi, l'eau est coupée...Vers 1 h 1/2 des bombes sur Caen, sur le centre et place Courtonne. Vers 4 h 1/2, plusieurs bombes sur la rue des Carmes et  d'autres rues. Pendant l'après-midi les voitures d'ambulance ne cessent d'apporter de grands blessés à la Miséricorde. Dans la soirée, la clinique Saint Joseph de la rue de l'Engannerie prend feu sous les bombes incendiaires. Les malades sont également apportés à la Miséricorde. L'hôpital complémentaire n° 29 rue des Carmes tremble à son tour et les docteurs font transporter les blessés à la Miséricorde. Nous mettons des malades à l'entrée de la chapelle dans un petit corridor étroit qui donnait assez de garantie de solidité et avait deux issues - et nous étions tout près « du Bon Dieu », le R.P. Denis, franciscain (qui nous assurait le service des messes), nous ayant conseillé de garder la Sainte-Réserve ! Nuit d'anxiété et de prières - les bombes tombent très souvent sur la ville, les incendies éclairaient le ciel. Vers 3 h du matin une première vague de bombardiers commença de pilonner la ville - quartier Saint-Jean - minutes inoubliables - à chaque instant l'on se croyait appelé à mourir sous les décombres. La maison tremblait, se soulevait pour ainsi dire à chaque fois qu'une bombe s'enfonçait dans le sol. Nos prières s'intensifiaient et nous répétions avec confiance « Vierge Fidèle, nous avons confiance en vous ».

.                         Mère S. Ignace se dégage de l'étreinte du groupe - toutes nous récitons le Magnificat puisqu'aucune ne manque à l'appel et elle se dirige vers la porte d'entrée qu'elle trouve ouverte et brisée. Elle sort dans la rue des Carmes.

                       Vision de désolation et d'enfer. L'hôtel de la Hougue n° 44 (Note de MLQ : en fait l’Hôtel de l'Intendance au 44 rue des Carmes mais qui donnait également Impasse des Carmes, lire ce témoignage) et la Miséricorde n° 46 et 48 ne sont qu'un brasier.

 

 

Montage de 3 photos L'hôtel de l'Intendance. Source: Collection privée, page 167 de ce livre. Source: page 84 de ce livre; le portail, rue des Carmes, de l'Hôtel de l'Intendance.

 

 Le vent active les flammes et les dirige vers le bassin Saint Pierre.

                        La rue n'existe plus du côté Saint-Jean. Ce n'est qu'un amas de pierre des immeubles effondrés et des entonnoirs creusés par les bombes.

                        L'entrée de la Miséricorde est détruite et encombrée - on essaye d'évacuer des Sœurs et des malades par les cuisines et le quai. Plan de localisation.

     Heures inoubliables de détresse. Des Religieuses de la Miséricorde ont été tuées... 3, je crois. On amène au 49 des Sœurs de l'infirmerie de la Miséricorde. 2 vieilles paralysées. Les religieuses déposent des paquets. L'aumônier vient se faire soigner une main légèrement blessée. Il donne la sainte communion aux personnes à jeun...

 

                8 juillet         

 

 

    Un obus pénètre dans le sous-sol de la Visitation dans l'angle où reposaient la Religieuse Mère Supérieure de la Visitation, la Religieuse Mère Supérieure de la Miséricorde et une dizaine de Sœurs tant de la Miséricorde que de la Visitation.

 

 

Monastère de La Visitation, rue de l'Abbatiale.

 

 La Religieuse Mère fait l'appel. Sœur Jeanne Charlotte est la seule à ne pas répondre... La Religieuse Mère approche sa lampe électrique et trouve la Sœur râlante et elle expire dans ses bras...

        Les autres Sœurs se dégagent des pierres des décombres - c'est miraculeux qu'il n'y en ait pas plusieurs de tuées par les grosses pierres que l'on trouve sur les matelas.

        Et détail admirable et édifiant, le grand silence a été gardé par les Visitandines.

        La Religieuse Mère et les Sœurs de la Visitation ont été admirables de Foi et de calme.

Quand l'infirmière a procédé à l'ensevelissement de la Sœur victime, elle s'est rendue compte qu'un éclat d'obus l'avait traversée entrant dans le côté gauche pour ressortir du côté droit.

Lire ce témoignage à la date du 8 juillet

 

 

Témoignage paru en juin 1994 dans la brochure

                                                                                                   ECLATS DE MEMOIRE

TEMOIGNAGES INEDITS SUR LA BATAILLE DE CAEN
recueillis et présentés

par Bernard GOULEY et Estelle de COURCY
par la Paroisse Saint-Etienne-de-Caen
et l’Association des Amis de l'Abbatiale Saint-Etienne

 Reproduit avec leur aimable autorisation

 

Merci à Cadomus.

 

Bâtiments de La Vierge Fidèle, avenue de Creully. A droite, le centre d'éducation ménagère maintenant foyer d'hébergement pour étudiantes a été créé en 1955. De nos jours.

 

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