L'arrivée des officiers des Civils Affairs à Caen le 9 juillet 1944
1-Témoignage d'André Heintz.
(extrait de
son témoignage)
Le Commandant
Gille
me
disant : « les Alliés n'arrivent pas par le nord de la ville, vas voir ce qui
s'y passe ». Mission vague évidemment, mais qui ne se révéla pas inutile. Gagner
le nord de la ville n'était pas une mince affaire puisque ce n'étaient que trous
de bombes sur plus d'un kilomètre. Il fallait contourner l'obstacle. Je me
glissai donc à travers les ruines de la rue Saint-Pierre pour gagner la route de
la Délivrande.
J'eus la joie de rencontrer, à la hauteur de l'Eglise Saint-Pierre, la première patrouille Anglaise. C'étaient des soldats de la 3e Division Britannique (et non des Canadiens). Ils arrivaient par la rue Basse. Mais il n'était pas question de leur parler, eux-mêmes avaient autre chose à faire. Après un instant d'hésitation de leur part parce que j'avais porté la main à ma poche pour sortir mon brassard à Croix de Lorraine, ils me firent le signe conventionnel, pouce levé, à la façon des gladiateurs !
Un me dit qu'il m'emmenait voir l'Officier de renseignements...Nous descendîmes cette colline qui est aujourd'hui le Campus de l'Université. Pendant l'Occupation elle était couverte de «jardins ouvriers ». Elle me faisait souvent penser à la toile de Van Gogh « Les Jardinets de Montmartre ». II ne restait plus rien de tout cela.
Une fois parvenus aux Remparts du Château, l'Officier me dit « Nous allons vous quitter mais; nous ouvrons le chemin à trois Officiers des Affaires Civiles. Vous les reconnaîtrez facilement, l'un d'eux porte un kilt. Ils vous seront reconnaissants si vous les conduisez auprès des autorités de la Ville ».
Je trouvai deux Officiers Anglais
à peu près à l'emplacement actuel du Phénix. C'étaient deux solides gaillards en
« battle dress », tous deux Commandants : le Major Helmuth et le Major Massey
, mais
j'étais déçu de ne pas voir de kilt. « Notre Colonel, me dirent-ils, est parti
devant parce qu'il parle bien le français ». ils insistaient pour se diriger
vers le Château, ce à quoi, on s'en doute, je ne tenais pas du tout, d'autant
que cela nous éloignait du chemin que j'avais repéré pour descendre sur les
Fossés Saint-Julien.
Je compris bientôt la raison de
leur insistance pour prendre cette direction ; le
Colonel Usher
avait pris
le fond des Fossés du Château pour une rue. Au milieu de ce vaste champ de
ruines, il n'y avait plus que cela, en effet, qui pouvait y ressembler. Mais à
cette époque, ces fossés ne débouchaient nulle part, si ce n'est sur un
véritable roncier, à l'arrière des maisons de la rue de Geôle. On lui fit signe
de remonter. Heureusement le nom du
Colonel Usher a été donné depuis à une vraie
rue, plus haut, près de
l'Université.
Ma conversation avec ces Officiers que j'emmenai donc vers le Parloir de l'Abbaye (à cette époque le Lycée),
fut des plus inattendues. L'un d'eux s'excusa d'être 33 jours en retard, m'expliquant qu'ils avaient prévu installer leur Etat-Major à l'Hôtel d'Angleterre, rue Saint-Jean, le 6 ou 7 juin et il ajouta : « Pouvez-vous m'y conduire » ?.
"Photos collection Delassalle" L'hôtel d'Angleterre, rue Saint Jean avant et après la bataille de Caen. Les Caennais se rappellent que dans ce lieu se réunissaient les Allemands et les collaborateurs et collaboratrices.
Je n'étais pas pressé de les mener à cette ruine qui se trouvait désormais au centre d'un no man's land peu sûr, et au milieu de décombres presque infranchissables.
J'avais envie de leur dire : « Vous auriez dû éviter de le détruire ». Mais comme l'Officier ne se montrait guère convaincu par mes arguments, prétextant qu'ils n'étaient pas difficiles et qu'ils se contenteraient de peu, je lui répliquai « Si vous insistez, je vous y conduis, mais vous jugerez vous-même de l'ironie du sort. II ne reste que le porche portant les armes d'Angleterre ; vous y lirez (Honni soit qui mal y pense !) ». En bon Anglais il se laissa convaincre davantage par ce trait d'humour. II accepta donc d'aller s'installer dans le seul quartier encore vivable de CAEN, l'îlot Saint-Etienne.
Le long du chemin, il me demanda encore si on pouvait prendre des bains. Je lui dis qu'hélas il n'y avait plus d'eau courante et que bien peu de gens s'étaient lavés depuis un mois ; que j'étais peut-être le seul à m'être baigné dans l'Orne, mais que je ne le lui recommandais pas car les écluses, à la sortie de la ville, étant sautées, la rivière était basse la plupart du temps et l'eau vraiment infecte. A quoi il me rétorqua : « Ça ne fait rien, on retournera à BAYEUX prendre nos bains ». J'étais bien avec un Anglais ! Je devais rester interprète cinq mois à cet Etat Major.
"Photo collection particulière, présentée page 337 de Bataille de Caen de Jean-Pierre Benamou, Editions Heimdal, 1988"
André Heintz avec un brassard "INTERPRETRE " s'entretient avec le major Massey, rue d'Hastings siège des Civil Affairs
Pendant que le Major Helmuth, qui savait le français, réglait les premières affaires avec Monsieur Poirier, Maire Adjoint, au parloir de l'Abbaye, le Colonel Usher, une ordonnance, le Major Massey et moi-même allâmes rechercher quelles pouvaient être, parmi les maisons abandonnées par les Allemands, celles qui conviendraient pour y installer leur bureau et leur cantonnement.
Les immeubles occupés par l'Etat Major de la 716e Division, avenue de Bagatelle et rue Leverrier, ne leur convenaient pas, je ne sais plus pourquoi, et pas davantage ceux où est installée aujourd'hui la Maison du Bâtiment.
Continuant leurs investigations, les deux Officiers tombèrent en arrêt devant le premier immeuble qui est à gauche dans la rue d'Hastings. Ils décidèrent de le visiter car c'était un immeuble neuf qui n'avait pas trop souffert de la bataille. Au moment d'y rentrer on entendit du bruit et, dans un garage, on trouva deux tout jeunes S. S. qui étaient cachés derrière un monceau de bouteilles de Saint-Galmier. Ils venaient du jardin que nous avions quitté. A ce moment, le Commandant Gille arrivait avec deux garçons qui revenaient d'une patrouille dans le quartier Saint-Jean. Les deux Allemands n'opposèrent aucune résistance pour se rendre et les deux Résistants furent tout fiers de remettre les deux prisonniers aux Canadiens qui étaient rue de Bayeux.
2-Témoignage de Joseph Poirier.
(extrait de son témoignage)
9 juillet
Je rejoins mon parloir-mairie et
revêts mon écharpe tricolore, car les premiers officiers britanniques ne vont
pas tarder à se présenter à moi. Mon émotion est à son comble. Aujourd'hui,
l'homme qui dans quelques instants va se présenter à moi est l'Allié, le
Britannique opiniâtre qui n'a jamais douté de la victoire et qui nous apporte le
droit de sortir nos drapeaux et de chanter La Marseillaise. J'entends des
acclamations. On se bouscule, on fait la haie, et brusquement le major H. (Note
de MLQ: Helmuth des Civil Affairs) est
devant moi. Un long serrement de mains. J'ai les larmes aux yeux. Lui aussi, je
crois. Une longue conversation s'engage. II parle un français très correct et se
préoccupe avant tout de nos besoins. Hélas ! ils sont immenses, mais le
nécessaire sera fait avec un maximum de célérité pour que nous recevions tout ce
que nous avons désiré. A l'issue de notre conversation, il me demande de lui
indiquer dans CAEN un bon hôtel où l'on puisse lui préparer de suite un bain
chaud. Brave major Helmuth ! II ignore l'état de notre ville et quand je lui
aurai expliqué que les trois quarts de la cité, et notamment tous les quartiers
centraux, sont rasés, qu'il n'existe plus un seul hôtel, que notre mairie, notre
université, nos églises sont détruites, il n'en reviendra pas. Quelques instants
après, je reçois la visite du nouveau Préfet, mon excellent ami, M.D.(Note
de MLQ: Pierre Daure),
ancien recteur de l'Université, révoqué par Vichy et clandestin depuis deux ans.
II est accompagné des
F. F. I., des hommes de la Résistance à la tête desquels
se trouve le capitaine G.
(Note
de MLQ: Léonard Gille), Président du
Comité de
Libération. Trois autres officiers britanniques et américains arrivent. C'est la
joie qui éclaire tous les visages. Shake-hands, accolades, congratulations et
sans plus tarder on se met au travail, car il faut avant tout se préoccuper de
la population caennaise. Des 18.000 durs à cuire qui tiennent depuis 33 jours...