Témoignage de Max Maurin

 

Et puis la période de la libération et du bombardement arriva et c'est en pensant à cette période que mes souvenirs deviennent plus dramatiques.

Dans les caves à charbon du lycée, les réfugiés du bombardement s’entassaient sur de la paille, avec de maigres falots la nuit, dans une promiscuité exempte de mondanité.

 La façade du Lycée Malherbe, à droite l'église Saint Etienne.

Bien sûr, chacun s'efforçait de retrouver quelques amis ou connaissances ; il y avait aussi une fraternisation dans le malheur dominé par l'espoir d’être libéré. Mais il y avait aussi la vermine, une tinette la nuit derrière un paravent, des disputes de quelques-uns, les ronflements sonores des autres, les piaillements des gosses, des angoisses et des appréhensions quand le bombardement s'intensifiait. Je plaignais de tout cœur ceux qui couchaient là tous les soirs.

J’y revois aussi par la pensée le dévoué Maître Tardif (un notaire, adjoint de M. Joseph Poirier  3ème adjoint au maire, directeur urbain de la Défense Passive) à son PC, essayant vainement de téléphoner dans tous les azimuts…toutes les lignes ayant été coupées.

Dans l'église Saint-Etienne, des milliers de personnes avec les enfants et les bébés s'étaient réfugiés sur de la paille, troupeau humain sous la houlette du bon Mgr des Hameaux et de ses vicaires qui remontaient le moral de leurs nouveaux «paroissiens».

Source. L'église Saint Etienne et le cloître.

Tous se sentaient rassurés du fait même qu'ils étaient dans une église, mais s'habituaient à cohabiter là, plus «qu'à la bonne franquette » sans manifester le moindre respect pour le caractère religieux de l’édifice. Le brave sacristain, débordé par le sans-gêne évident, était outré ! « Peut-on voir pareil spectacle et le permettre dans notre belle église » C'est une honte, mon pauvre monsieur ! » me confiait-il... et il se perdait en lamentations pour me relater que des mères de famille « indignes » se servaient des bénitiers comme cuvettes pour les ablutions de leurs nourrissons - (et je passe sur la crudité de ses propos à ce sujet). Comme il s'en plaignait amèrement avec véhémence à Mgr des Hameaux , celui-ci le calma et avec un bon sourira lui rétorqua : « Mon brave ami, je n'ai jamais vu mon église aussi belle que maintenant où tous les malheureux prennent asile dans la maison du Bon Dieu « .

Hélas, quelques obus tombèrent sur la tour centrale et il y eut quelques blessés, mais cela ne fut rien à côté de la multitude de réfugiés qui échappèrent là à la mort.

Dans le cloître du lycée, également, on campait en attendant la libération tandis que dans le parloir Me Tardif  dirigeait avec l'adjoint M. Poirier , et l'actif et dévoué secrétaire général de la mairie M. Marie, les services de la mairie, accueil des réfugiés et ravitaillement. Mais l’Abbaye aux Hommes connut durant ces jours des heures effroyables. En effet, avec le Bon Sauveur, le lycée avait été converti en hôpital où notamment le regrette Me Rolland, Me Paul Gransard et de nombreux docteurs se dévouaient sans arrêt.

Le centre de triage du Bon Sauveur dans le « Grand Pavillon »

De la partaient des équipes de jeunes, équipes d’urgence, où sous le bombardement, Me Girault , actuel maire de Caen, et de nombreux jeunes et courageux équipiers allaient chercher les blessés. Le grand réfectoire servait d'infirmerie et de centre de pansements.

"Photo allemande. Archives du Calvados" Dans la salle du réfectoire du Lycée Malherbe

La journée du 10 juillet 1944 qui avait fait l'objet d'une cérémonie fort émouvante, vit hisser le drapeau tricolore sur la place devant Saint-Etienne, en présence de M. Daure , Recteur nommé Préfet, Léonard Gille , chef de la Résistance, et son épouse , M. Riby , 1er Président de la Cour d’Appel, Mgr des Hameaux et de nombreux résistants.

Quelques heures auparavant, j'étais monté au grand orgue pour jouer la Marseillaise... mais pas d'électricité ! Il y avait bien le système de jadis comportant de longues perches avec de lourdes pierres qu'on devait manœuvrer pour alimenter la soufflerie… ce qui s'avéra impossible, mes compagnons ayant déclaré forfait (et ayant d’autres chats à fouetter, je n’insistais pas) et me rabattais sur un petit harmonium avec quelques amis autour de moi… en toute simplicité !

Hélas ! la nuit nous réservait de bien pénibles et tragiques incidents dont je fus le témoin.

Comme les bombes et obus ne venaient plus de la côte… car nous étions libérés, par contre les Allemands refoulés de l'autre côté de l'Orne tiraient sur Caen des coteaux de Fleury. Les projectiles avaient tendance à éclater au ras de terre, certains ayant même percuté à travers les soupiraux des caves. Notamment dans les caves du Palais de Justice, Me Legrand, blessé, faillit être tué.

Le Palais de Justice pendant l'occupation

Nombreux dans ces conditions étaient les Caennais qui étaient réfugiés dans les dortoirs du lycée (plutôt que de rester dans les caves) au-dessus du réfectoire. J'avais préféré, malgré le peu de confortable des lieux, coucher avec ma famille de huit enfants et de nombreuses personnes, dans le grand couloir du bâtiment Ouest du lycée sur des matelas. En effet, ce bâtiment comportait de nombreux et énormes contreforts en pierre à l'extrémité et aux points de jonction avec le bâtiment Sud, au-dessus du réfectoire. Par contre, réfectoire et dortoirs au-dessus se trouvaient exposés en pleine ligne de feu des batteries allemandes tirant des carrières de Fleury.

Au milieu de la nuit, une première alerte fit déménager des occupants du dortoir dans le couloir. Je leur recommandais d'y rester. Mais ils préférèrent aller se recoucher plus confortablement dans le dortoir. Peu de temps après, hélas, ce fut la catastrophe ! Une nuée de shrapnels pulvérise les vitres du réfectoire tandis que d'autres obus éclatent au-dessus dans le dortoir. J'entendis des cris affreux et, muni de mon casque, je me précipitais pour aller au secours des blessés. C'était effroyable. Dans une atmosphère de fumée, de poudre, de poussière, c'était l'affolement général. A peine étais-je entré qu'un obus éclatait à l'autre extrémité du dortoir. Je n'eus que le temps de me précipiter à terre pour éviter les éclats... les murs en sont encore criblés... mais le dortoir est grand et j'en sortis sain et sauf. Hélas ! deux petits enfants dans un landau, la tête déchiquetée, tués avant même que j’entre, étaient à mes côtés ! Vite je descendis chercher un brancard au réfectoire où régnait la panique. A grand peine je « réquisitionnais » un agent de police se trouvant-là qui m'aida à monter le brancard et à redescendre le malheureux directeur des services agricoles, M. Lebaud (Lebot, voir ici), qui avait le poignet arraché. Ce pauvre homme me demandait d'aller chercher ses petits... hélas ! c'était ceux-là même qui étaient à côté de moi ! Bouleversé par ce que je venais de voir, par tant d’horreur, je lui camouflais la vérité et lui dis que j'allais vite m'en occuper. Il était si pâle que je ne le reconnaissais pas et le prenais pour M. Tubeuf, rédacteur sympathique du Bonhomme Libre, décédé depuis ! Ce fut aussi l'heure la plus effroyable que j'ai vécu dans ma vie, dans cette Abbaye aux Hommes, et c'est toujours avec une profonde émotion que je vois encore la trace des shrapnels, soit quand je suis dans la cour devant la salle des gardes, ou dans le réfectoire on les discerne encore !

Tout ceci est bien triste... mais est bien loin

Merci à François Robinard pour la communication de ce témoignage paru dans le bulletin annuel des Anciens du Lycée Malherbe.

 

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