SŒUR MARIE-PAUL FORTINEAU

 

 

            En 1940, lors de l'invasion allemande, l'hôpital de CAEN fut occupé par les services de santé allemands, à l'exception du pavillon des contagieux, de la Communauté, et de l'Ecole d'Infirmières.

 

 

Source. La communauté des Augustines à l'hôpital de l'avenue Georges Clemenceau

 

 

"Source Collection Résistance et Mémoire " Inhumation des soldats décédés dans le deuxième sabotage d'Airan. Photos prises début mai 1943 à l'entrée de l'hôpital civil Clemenceau transformé en hôpital militaire par les Allemands voir la banderole au-dessus du portail d'entrée KRIEGSLAZARETT.
 

             Le Directeur de l'hôpital ayant demandé aux religieuses d'assurer une certaine surveillance dans les pavillons occupés, je fus envoyée au Pavillon 9, service de médecine ; mon travail y fut très limité, car la confiance ne régnait pas. J'avais à faire 2 fois par jour les lits, les glaces, les bouillottes et à prendre les températures.

 

             Les 5-6 juin 1944 : les bombardements s'intensifient, le débarquement n'est pas loin !

 

            Rapidement, les Allemands quittent leurs abris, mettant dans des charrettes remplies de foin et de paille, leurs blessés de la Côte (Note de MLQ: les plages du débarquement). Ils n'omettent pas d'emporter le stock de cercueils vides qu'ils remplissent de matériel : linge, planches de température, ampoules électriques, glaces, etc... Ils raflent tout. L'hôpital sera complètement vide après leur départ.

 

            Les abris qu'ils avaient installés sous le bloc chirurgical sont alors nettoyés et les châlits qu'ils ont laissés seront occupés immédiatement par les 40 malades contagieux qui ne peuvent rester sans danger dans cette verrière qu'est le Pavillon 6. Quelques jours plus tard, Madame Saule, Directrice de l'Ecole d'Infirmières, et grande cardiaque, sera elle aussi transportée dans cet abri où elle mourra le 14 juillet au milieu des contagieux.

 

 

Source. L'école d'Infirmières dans l'hôpital Clemenceau

 

            Une autre partie de ces abris (Note de MLQ: voir la note en bas de page) servira de refuge la nuit au personnel administratif et aux équipiers nationaux et d'urgence quand ils pouvaient se reposer.

 

            Une partie des religieuses a été envoyée dès la première heure dans différents postes : Bon-Sauveur, Lycée Malherbe, Ecole Normale (une annexe pour les contagieux, 111 malades reçus du 18 juin au 9 juillet: diphtéries, angines, scarlatines, rougeoles, affections broncho-pulmonaires et gastro-intestinales dont 2 typhoïdes (docteur Vigot) établie de l’autre côté de l’impasse Saint-Benoît dans les locaux de l’Ecole Normale d’Institutrices.), etc...

 

Localisation

 

Source. Ecole Normale de Filles impasse Saint-Benoît

 

            Un grand nombre de sinistrés et de familles du quartier Saint-Jean-Eudes (le quartier contigu à l'hôpital) viennent se réfugier à l'hôpital et logeront dans les sous-sols des pavillons. II faut compter 6 à 700 réfugiés. Les premiers jours, certains ont essayé d'aller chez eux cueillir fruits et légumes dans leurs jardins, mais cela n'a pu continuer à cause des bombardements.

 

            Sœur Saint-Louis de Gonzague, avec beaucoup de courage, faisait la cuisine en plein air. Sous la direction de Monsieur Bauduin (voir la note en bas de page), l'économe de l'hôpital, des hommes sont entraînés à ramasser le bétail tué au cours des bombardements. Des « tueurs » font un abattage sommaire auprès de l'abri afin de débiter cette viande (Note de MLQ: voir la note en bas de page). L'eau nécessaire à la cuisson provenait d'un puits remis à jour à l'Hospice Saint-Louis. Un brave homme de corvée (voir la note en bas de page) l'apportait dans un tonneau, sur une carriole tirée par un cheval ou un âne.

(M. Trouvay (Lucien Trouvay, ancien ingénieur de la Marine et ingénieur des Hospices Civils de Caen) avait remis en service un vieux puits situé dans le parc, près de la place Saint-Gilles. On pouvait facilement descendre dans ce puits en suivant un escalier en spirale, et on en avait profité pour placer à 20 mètres de profondeur un moteur Bernard. L'eau ainsi amenée à la surface, il fallait la transporter à l'hôpital et ce transport ne se faisait pas sans difficultés et sans risques, le parc étant souvent arrosé d'obus. Le brave Voley (dit "patte de pie", il portait un pilon !), qui se chargea, de cette « corvée» des semaines durant, avec son tonneau et son cheval, mérite bien d'être cité. Ajoutons que la mise en route et l'entretien du moteur de pompage exigeaient de nombreuses descentes dans le puits. M. Trouvay et quelques-uns de ses ouvriers subirent un commencement d'asphyxie par les gaz d'échappement accumulés dans les profondeurs.)

 

            Un jour, hélas, le tonneau fut éventré par un obus, lors de la traversée du parc.

 

 

Aux moments les plus durs, le vicaire de Saint Jean Eudes, le Père Perdrel, venait donner une absolution générale, mais il me semble que nous acceptions la mort.

 

            Mère Marie-Emmanuel Mabin, prieure, essayait de faire la liaison avec les sueurs dispersées dans d'autres postes ; mademoiselle Vanier, monitrice, faisait de même pour les infirmières, bravant les mêmes dangers dans une ville quasi-détruite et bombardée. Dès juillet, certaines religieuses furent dirigées vers Bayeux. Pour ma part, je restais 52 jours et 52 nuits dans les abris de l'hôpital. Je me souviens spécialement de l'attaque des Hauts-Fourneaux où se trouvaient encore des Allemands par des forteresses volantes alliées, c'était effrayant.(Note de MLQ: Opération Atlantic)

 

            L'arrivée des Alliés dans la ville, le 7 juillet (le 9 !), soutint notre espoir, mais hélas, le quartier de Vaucelles et la rive droite de l'Orne étaient encore occupés par les Allemands, et jusqu'aux environs du 15 août, des duels d'artillerie continuèrent à semer le trouble, et des obus tombèrent dans l'hôpital.

 

            Heureusement, la prière pleine de confiance et d'abandon nous donnait l'énergie nécessaire.

 

            En octobre 1944, les religieuses Augustines furent réparties dans différentes communautés de la Fédération de Malestroit, à Bayeux en particulier, et remplacées à l'hôpital de Caen par les sœurs de la Miséricorde qui avaient perdu leurs biens et leurs établissements de soins au cours de la bataille de la Libération.

 

Sœur Marie-Paul Fortineau,
religieuse Augustine,
infirmière à l'hôpital civil de Caen

 

Témoignage paru dans ce livre

Source:

Remerciements à M. Serge Lemière

 Note Mr Philippe Bauduin, m'écrit le 30 janvier 2009:

 "C'est presque le même témoignage mais un ou deux jours avant notre arrivée. Après quelques jours tout le monde a été évacué et nous sommes arrivés. L'économe de l'hôpital Mr. Bauduin était mon oncle.  "L'homme de corvée" d'eau a été moi quelques fois !!!!!! L'abattage entre deux arbres, je l'ai vécu. Il n'y avait cependant qu'un seul bloc souterrain"

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