Témoignage paru dans la revue « Eglise de Bayeux et Lisieux » N°15 du 24 juillet 1994.

 

 

 

PENDANT LA BATAILLE DE CAEN EN 1944 CHEZ LES  PETITES  SŒURS  DES  PAUVRES  (CENTRE D'ACCUEIL N°1)

 

 

 

            Sur les hauteurs de Vaucelles, à l'angle du Boulevard Lyautey et de la rue Porte Millet, se trouve la communauté des Petites Sœurs des Pauvres. Leur domaine se compose d'un bâtiment principal à étages avec deux ailes en retour à chaque extrémité de la façade sud. Au centre, la chapelle des religieuses.

 

 

Les Petites  Sœurs des Pauvres à Caen, source.

 

            La disposition de ces vastes locaux entourés d'un grand jardin donnait une relative impression de sécurité pendant la bataille. Là, fut installé le Centre d'Accueil N°1 ; et ce fut vraiment le centre de vie de ce quartier de la rive droite. Un refuge où vinrent s'abriter sinistrés et blessés, un relais pour ceux qui prenaient la route d'évacuation vers BOURGUEBUS et TRUN. Enfin un hôpital, lorsque CAEN libéré, la rive droite étant toujours occupée par les S.S. , les blessés graves affluèrent aux Petites Sœurs des Pauvres.

 

            La direction du Centre d'Accueil avait été confiée à M. Dupont, vétérinaire, conseiller municipal, assisté de Jacques Laberthe de la Maison du Paysan. Le 6 juin, dès les premiers bombardements, nous rejoignons, mon mari et moi, M. Dupont aux Petites Sœurs des Pauvres.

 

mardi 6 juin

            Le matin sur Vaucelles, puis à partir de 13 heures, les forteresses volantes (Note de MLQ: terme générique pour désigner des bombardiers lourds quadrimoteurs) arrivant par le Sud, lâchent les premiers chapelets de bombes sur la ville. Vers 16 h 30, un nouveau bombardement écrase une tranchée abri rue de Falaise, à proximité de l'avenue Guynemer, tuant 24 personnes et un peu plus loin 5 personnes dans une cave abri. (Note de MLQ: Société Française de Corsets et de Ceintures élastiques au n° 138 de la rue de Falaise). Nous les connaissions au moins de vue, nous sommes dès maintenant dans la tragique réalité de la guerre.

 

            L'organisation du centre, préparée depuis plusieurs semaines ne résista pas aux premiers bombardements de la journée. Au soir, il fallut constater l'absence d'un grand nombre de ceux qui étaient inscrits.

 

            Gilbert Detolle (Note de MLQ: le fils aîné du maire de Caen), aidé d'Yves Bourgin, constitue alors une nouvelle équipe de jeunes dont le courage et le dévouement furent exemplaires pendant ces longues semaines. L'équipe comprend: Guignon, Queudeville, Ferté et Louis Grégoire que rejoindront plus tard Guérin et Fontaine venus du Lycée Malherbe.

 

            Cinq religieuses dont la Supérieure Mère Marie-Bernard, âgée, mais très agissante et son assistante Sœur Marie-Dominique vont se dépenser avec une grande générosité, mettant leurs locaux et toutes les ressources de la maison au service des réfugiés et des blessés. Heureusement, depuis l'évacuation prudemment imposée par les pouvoirs publics, elles n'avaient gardé qu'un petit nombre de vieillards, ceux qui participaient à l'entretien du domaine.

 

            Enfin, la liaison est immédiatement établie avec le chef du secteur de la Défense Passive, M. Joseph Grégoire , M. Joseph Houdan, M. Person. Ce dernier devint rapidement l'indispensable « permanent administratif » du Centre.

 

            Dans les jours qui suivirent, M. Ferté, garagiste rue de Falaise vint se joindre à nous avec son ambulance que conduisait sa fille Jacqueline Ferté. Elle rendra de très grands services.

 

            L'abbé Couasnon, vicaire de la paroisse, nous rejoignit dès le 7 juin ainsi que le Père Laberthe de la Délivrande. La chapelle fut souvent trop petite pour contenir ceux qui venaient participer à la messe célébrée presque chaque jour. Tous ceux là et bien d'autres encore qu'il n'est pas possible de nommer firent de leur mieux pendant ces rudes semaines. L'esprit d'équipe permit le plus souvent de faire face aux urgences qui surgissaient chaque jour.

 

            Au cours de la nuit du 6 au 7 juin vers 3 heures, CAEN subit l'intense bombardement qui détruisit tout le centre et une partie de Vaucelles. La ville est en feu et les jours qui suivirent les incendies vont s'étendre. Je revois encore l'arrivée de deux pompiers épuisés d'avoir couru sous les bombes, répétant sans cesse hallucinés « ils sont tous morts, la caserne est écrasée ».

"Collection particulière, avec l'aimable autorisation de François Robinard" La caserne des pompiers.

La caserne des Pompiers, rue Daniel Huet,  est anéantie avec son commandant (Capitaine Jules Foucher) et 17 Sapeurs-Pompiers.

 

Au petit jour, nous découvrons l'ampleur du désastre, c'est le chaos. En 24 heures, la population d'une ville entière est plongée dans la guerre, en pleine bataille.

 

Dès ce moment et bien que subsistent la passerelle et le pont des Abattoirs (Note de MLQ: confusion c'est le pont de la Mutualité ou pont du Tortillard), la rive droite est isolée.

 

A gauche, la passerelle et à droite le double pont de la Mutalité

 

    La vie caennaise va se concentrer principalement autour de Saint-Etienne et du Bon-Sauveur. Nous en sommes séparés non seulement par le fleuve mais par cet amoncellement de ruines que les bombardements, les obus de marine, les tirs d'artillerie accumuleront sans cesse. Les ambulanciers et les équipiers d'urgence devront s'exposer à beaucoup de risques lorsqu'il s'agira notamment de conduire les blessés graves à l'hôpital du Bon-Sauveur.

 

mercredi 7 juin

 

            Depuis la veille et au cours de la nuit, les réfugiés affluent au Centre d'Accueil. Au matin ils sont environ 500, des familles entières avec de jeunes enfants, des isolés, des personnes âgées dont certaines sont malades.

 

            On les installe dans les grandes salles du rez-de-chaussée. Ils couchent sur des matelas, la tête sous les fenêtres, protégés par les longues tables des réfectoires. On les nourrit grâce aux réserves des religieuses. Sœur Saint-Dominique ne quitte pas ses immenses fourneaux.

 

            Prévu uniquement comme Centre d'Accueil, éventuellement comme hôpital en cas de destruction des ponts, le Centre N°1 n'est pas équipé en poste sanitaire. Pour la rive droite, le poste sanitaire est installé à Sainte-Thérése.

 

 

 Mais dans la nuit et au matin, des blessés sont amenés spontanément aux Petites Sœurs des Pauvres. Les moyens nous manquent. II n'y a pas d'infirmière, M. Dupont et moi soignons les blessés légers. Nous les installons dans les dortoirs du 1er étage.

 

            Pas d'ambulance, seulement quelques brancards. Un équipier d'urgence utilise même la brouette pour aller recueillir une vieille dame à demi paralysée, sortie des décombres avec sa fille, et qui reste là sur le trottoir. La pauvre vieille dame ainsi transportée, réclamait à grands cris un taxi ! On la comprend, mais les équipiers n'en font pas moins des prodiges pour secourir les sinistrés dans tous les points du quartier.

 

            Le poste sanitaire de Sainte-Thérése nous enverra deux ambulances et des brancards sur roue. Le transfert des blessés graves se fera vers l'hôpital du Bon-Sauveur.

 

            Les morts hélas seront aussi rassemblés au Centre et provisoirement inhumés au cimetière de Vaucelles. L'abbé Couasnon les accompagnera et bien souvent sous les obus.

 

            Dans la matinée du 7 juin, 4 parachutistes anglais nous sont amenés. Blessés, ils ont été recueillis près de TROARN par l'ambulance de la Croix Rouge que conduisait Bernard Glasson. Soignés pendant quelques jours aux Petites Sœurs des Pauvres, leur transfert au Bon-Sauveur est décidé (MLQ: date différente du témoignage d'André Heintz qui situe leur arrivée au BS le 7 juin). Ils espéraient échapper plus facilement aux Allemands sur la rive gauche. Leur stature est plutôt athlétique et les « bleus de jardinier » des petits vieux de la maison les camouflent assez mal. L'ambulance les conduit cependant sans encombre au Bon-Sauveur. Mais un peu plus tard nous apprendrons avec tristesse qu'ils ont été découverts et faits prisonniers.

 

La vie au Centre d'Accueil

 

            Peu à peu la vie s'organise sous les bombardements, les tirs d'obus de marine et d'artillerie se succèdent.

 

            Beaucoup de réfugiés ne font que passer, restent un jour ou deux puis reprennent la route d'évacuation vers le sud. Ceux qui ne veulent pas s'éloigner gagnent les carrières. Certains retrouvent au Centre d'Accueil une impression de sécurité, jusqu'à ce qu'un nouveau bombardement les décide à fuir. Toute décision est angoissante lorsqu'il s'agit de mettre ses enfants à l'abri ou de partir avec des parents âgés plus ou moins valides. Plusieurs personnes âgées resteront là ; attendant que leurs enfants viennent les rechercher. Dans les jours sombres cet abandon fut assez fréquent.

 

            Les provisions des religieuses sont rapidement épuisées. Elles ont sur leur domaine une petite ferme, tenue par Sœur Pacifique, une solide paysanne. Cette ferme répond aux besoins en temps normal, lorsque la maison est habitée par les personnes âgées. Mais 300 repas en moyenne sont servis midi et soir.

 

II faut organiser le ravitaillement

 

            Le centre, possède un cachet de la ville et M. Dupont fait procéder à des réquisitions avec des bons réguliers. Il constitue aidé de J. Laberthe des équipes de récupération. M. Grégoire met à disposition plateaux et chevaux. Dans la plaine on récupère alors bovins et légumes.

 

            Dans Vaucelles et notamment à l'économat de la gare les stocks sont très importants. Les équipiers d'urgence récupèrent là aussi des approvisionnements. Ils doivent, non sans risques, gagner de vitesse l'incendie parfois et souvent les Allemands qui de leur côté font main basse sur le ravitaillement.

 

            Le pain manque. Le stock de blé de la coopérative de la Maison du Paysan, Boulevard Lyautey (N°88), va permettre de moudre de la farine grâce à M. Marie son directeur. M. Marie sera tué à Saint-Julien au cours du bombardement du 7 juillet .

 

            Le pain sera toujours une denrée rare, tandis que nous aurons du beurre en abondance, tant était importante la réserve entreposée dans les frigos de la rive droite. Certains jours les réfugiés se plaindront des tartines trop bien beurrées, sur des tranches de pain trop minces...

 

            Le Centre d'Accueil enfin mettra en place tous les organismes nécessaires à la vie d'une collectivité. Un bureau des entrées et des sorties. Une police de sécurité dirigée par M. Ferté qui surveillera le quartier environnant.

 

            II y aura un bureau de poste. Chaque voiture partant vers le sud emporte le courrier tamponné avec un cachet « Petites Sœurs des Pauvres » et rapporte au retour un paquet de lettres. Un certain jour un obus éclata sur la boîte aux lettres apposée contre le mur rue Porte-Millet et laissera des traces sur le courrier qui sera cependant acheminé.

 

            Le service d'allocations aux réfugiés fonctionnera au maximum pendant bien des jours et principalement au moment où furent promulgués les ordres d'évacuation aux réfugiés. Le centre se trouvait être « tête de pont » de la route d'évacuation vers le Sud et beaucoup de réfugiés passèrent là. Chaque personne avait droit à une indemnité de 750 F de l'époque et à une provision de vivres pour deux jours de route. Certains jours le service de paiement que dirigeait M. Pouchin aidé de M. Gérard versera 750.000 F d'indemnité. Ceci donne une idée de l'afflux des réfugiés.

 

Les ordres d'évacuation

 

            L'ordre d'évacuation du 8 juin est réitéré le 14 juin sur la pression des Allemands.

 

            Après les départs spontanés du début certains s'accrochaient, au Centre d'Accueil ou dans leur maison, vivant difficilement, souvent terrés dans la cave et venant au Centre pour chercher du ravitaillement. Tous ceux-là supportaient le risque des bombardements espérant une libération plus rapide, redoutant aussi l'inconnu de la route et de ses mitraillages.

 

            A partir du 14 juin commence une nouvelle vague de départs. Une route d'évacuation est organisée avec des relais d'accueils. Elle conduit à TRUN, et au-delà par BOURGUEBUS, SAINT-SYLVAIN, VENDEUVRE, JORT et BAROU-EN-AUGE.

 

 

            Afin de vérifier la mise en place de cette organisation et son fonctionnement, l'ambulance conduite par Jacqueline Ferté emmenait vers le 20 juin, le Directeur du service des réfugiés, le Directeur du ravitaillement Pierre Callé, accompagnés de MM. Marie, Grégoire et Laberthe. La tournée prit la journée entière et c'est au retour à CONTEVILLE qu'un avion volant au ras des arbres mitraille l'ambulance. La partie gauche du véhicule est très abîmée. Une seule balle atteint J. Laberthe à la jambe et l'ambulancière est blessée au pied par un éclat. Par la suite le « guetteur d'aile » accompagnera toujours l'ambulance.

 

            La bataille se prolonge et nous redoutons la destruction des ponts de l'Orne qui nous couperait complètement de CAEN et surtout de l'hôpital du Bon-Sauveur.

 

            Vers le 23 juin, le Docteur Georges Mabille nous rejoint et met en service la salle d'opération prévue par le service de santé en cas, précisément de destruction des ponts. Une jeune infirmière, Yvonne Ruben est détachée aux Petites Sœurs des Pauvres. M. Queudeville père met en marche le groupe électrogène et en cas d'urgence le Docteur Mabille s'improvise chirurgien pratiquant de petites interventions. Les cas graves sont toujours dirigés vers le Bon-Sauveur.

 

            Précédemment un stock important de pharmacie avait été récupéré au comptoir national de pharmacie rue de Falaise (N°92), puis classé. Il sera fort utile.

 

Ordre d'évacuation du 29 juin

 

            A cette date un ordre impératif d'évacuation totale est promulgué. Les Centres d'Accueil sont également visés et seuls, doivent rester sur place ceux qui sont indispensables au service. Nous ne bougeons pas.

 

            A quelque temps de là, un officier S.S. à barbiche rousse, grand, sec arrive au Centre. Il exige l'évacuation immédiate. M. Dupont et J. Laberthe lui expliquent l'impossibilité de mettre sur route les réfugiés avec enfants et vieillards sans compter les blessés. II se dirige alors lui-même vers les salles de réfugiés, révolver en main et d'un ton glacial et sans réplique ordonne : il faut partir.

 

            Le Docteur Mabille et moi rejoignons M. Dupont et J. Laberthe et après discussion, l'officier accepte une liste nominative de vingt personnes y compris les cinq religieuses. Ces vingt personnes peuvent rester tant qu'elles sont indispensables au service notamment auprès des blessés.

 

            Commence alors l'évacuation progressive du centre. J. Laberthe sollicite les agriculteurs qui prêtent chariots et chevaux pour transporter les personnes âgées, les invalides, les blessés légers au moins jusqu'à SAINT-SYLVAIN. Louis Grégoire est de tous les voyages avec son plateau et son cheval. En fin de semaine il ne restait plus que quelques réfugiés invalides et des blessés.

 

Jeudi 6 juillet

            Destruction de la passerelle de la rue de l'Arquette.

 

 

C'était le pont qu'empruntaient les ambulances, il reste le pont de la Gare (Note de ML: confusion c'est le pont de la Mutualité ou pont du Tortillard), le trajet s'allonge pour gagner le Bon-Sauveur.

 

Vendredi 7 juillet

 

            Vers 16 heures, j'arrive au Centre de la maternité, je suis évacuée du Préventorium de FLEURY avec Mademoiselle Mériel sage-femme. C'est une décision du «service de santé».

 

            Nous procédons à un grand ménage avant d'installer les futures mamans dans un cellier en sous-sol, mieux protégé des obus, pensons-nous, que les grandes salles du 1er étage dont les fenêtres très hautes se font vis-à-vis et sont constamment secouées. Une dizaine de femmes accoucheront aux Petites Sœurs des Pauvres. Le soir même l'une d'elle mettra au monde une petite fille. Elle naîtra dans le fracas du bombardement du 7 juillet qui précéda l'entrée des Alliés à CAEN.

 

Dimanche 9 juillet

 

            Dans la matinée, destruction du pont des Abattoirs (Note de MLQ: confusion le pont du Tortillard). Toute la soirée et le lendemain de nombreux blessés arrivent de MONDEVILLE, de COLOMBELLES, des Carrières de FLEURY. Parmi eux trente deux blessés graves, plusieurs sont moribonds.

 

            Le Docteur Mabille se dépense sans compter. Longtemps assistant de chirurgien (et pendant la guerre de 14-18) il pratique, devant l'urgence, des opérations de plus en plus graves. Nous l'aidons de notre mieux, les derniers jours le Docteur Guesdon de CABOURG vient du poste de Sainte-Thérése en renfort. Malgré l'importante réserve, les médicaments et l'éther diminuent.

 

            Ce dimanche 9 juillet CAEN est libéré. Nous allons dans le grenier pour regarder Saint-Etienne et tout ce que nous pouvons apercevoir de la ville.

 

            Les Allemands refoulés sur la rive droite s'installent. Leur premier poste sanitaire est loin derrière nous. Les batteries d'artillerie sont disposées dans la plaine d'Ifs et nous sommes constamment entre les départs et les arrivées. Les obus « déchirent dans la soie » au-dessus de nos têtes quand ils n'éclatent pas autour de nous. A certaines heures les chutes d'obus atteignent une grande densité.

 

            Ce 9 juillet, arrive au Centre d'Accueil, Chatelain, Officier de la Résistance, qui revient d'une mission au MANS. Ne pouvant franchir l'Orne il restera quelques jours avec nous et très vite nous comprendrons de quelle trempe il était.

 

            Tout au long de la semaine des blessés sont amenés au Centre. Les salles du 1er étage, auprès de la salle d'opération sont entièrement occupées. Nous installons deux autres celliers au sous-sol, les blessés sur des matelas. Les religieuses sortent tous leurs draps, elles lavent le linge comme elles peuvent avec l'eau des citernes.

 

            Une estafette va demander du secours à l'hôpital chirurgical de GIEL, dans l'Orne, qui viendra évacuer les blessés dans un va et vient quotidien d'ambulances. Cela va durer toute la semaine.

 

            Nous possédions, nous l'avons dit deux ambulances. Dans la nuit du 11 juillet des Allemands s'enfuient avec la plus grande.

 

            Dès le 9 juillet, les S.S. s'accrochent aux Petites Sœurs des Pauvres. Ils installent des mitrailleuses derrière le mur du Boulevard Lyautey qu'ils percent de meurtrières. Ils réquisitionnent les hommes qu'ils trouvent dans le quartier pour creuser des tranchées dans le jardin. Plusieurs seront blessés par les incessants éclatements d'obus. Certains s'échapperont et les S. S. furieux obligeront quelques vieillards à creuser toute la journée. Le sergent S.S. les surveillera, un gourdin à la main, un révolver dans l'autre et la bouteille de rhum sous le bras. Toute la semaine nous aurons à faire avec le « S.S. au gourdin ».

 

Lundi 10 juillet

 

            Vers midi, un obus arrive dans le mur de la maternité, le démolissant en partie. Les lits occupés par les femmes récemment accouchées et par une opérée de l'appendicite sont couverts de pierres et de gravas. Pas de blessés.

 

            Les S.S. continuent leurs tranchées, font couper les arbres fruitiers qui gêneraient leurs tirs et bouchent les soupiraux des grandes caves avec des sacs de sable.

 

            Pendant tout ce temps, la cloche de la communauté continuait à appeler les religieuses. La cloche irrite les S.S. qui pensent qu'elle sert de signal. Ils exigent qu'on la décroche.

 

            Ce jour-là et au cours de la semaine, plusieurs S.S. blessés viennent au Centre pour recevoir les premiers soins du Docteur Mabille. L'un d'eux, moribond, avait sauté sur une de leurs mines, rue Porte-Millet.

 

Mercredi 12 juillet

 

            Dans la soirée, une voiture allemande à toit ouvert, remonte la grande allée jusqu'au perron. Un officier est debout dans la voiture, l'arme au poing. II descend et demande une ambulance avec deux ambulanciers pour aller relever un grand blessé entre les lignes. Chatelain parlemente avec l'officier, il possède très bien l'allemand. II est volontaire ainsi que l'ambulancière de Veye et le brancardier Fontaine. Ils seront assez longtemps à revenir.

 

            Le blessé, un S.S. très décoré, était au fond d'un trou de bombe près du pont de Vaucelles. Chaque fois que les Allemands tentaient d'aller le ramasser, les soldats leur tiraient dessus de la rive d'en face.

 

            Nos ambulanciers, debout avec un brancard, casque blanc sur la tête, allèrent le chercher sans essuyer de tir et le conduisirent au premier poste sanitaire allemand à 4 ou 5 kilomètres derrière les lignes.

 

            L'officier S.S. les remercia chaleureusement. Chatelain en profita pour lui demander que les S.S. ne nous volent pas notre dernière ambulance et nous laissent tranquilles remplir notre service. Surtout il avait pu constater ce qu'il voulait savoir, la rue de Vaucelles et la rive de l'Orne étaient vides de tout soldat allemand.

 

Localisation: pont et rue de Vaucelles

 

Jour après jour, les blessés sont évacués vers GIEL. La vie est difficile dans cette immense bâtisse. Les S.S. sont toujours là, souvent ivres, et de temps en temps, balancent des grenades n'importe où. Nous les voyons incendier plusieurs maisons dans le quartier.

 

Vendredi 14 juillet

 

            Le soir, Gilbert Detolle et les équipiers d'urgence ont décoré leur salle de drapeaux. Ils chantent la Marseillaise. C'est un 14 juillet que nous n'oublierons pas.

 

Samedi 15

 

            Apparemment, il n'y a plus de S.S., ni dans Vaucelles, ni aux Petites Sœurs des Pauvres. Chatelain, Detolle et Queudeville, franchissent l'Orne sur une poutrelle qui subsistait après la destruction du pont de chemin de fer. Ils passent sur la rive gauche.

 

A gauche: les rails du tramway sur les ruines du pont de Vaucelles; à droite les deux tabliers du pont de la Mutualité dans l'Orne,

 

            Chatelain sera tué le 17 juillet en guidant sur la rive droite un commando canadien. Ceux, qui le connaissaient, ressentirent une grande peine.(Note de MLQ: le 18  voir la plaque en son honneur à l'angle du quai Eugène Meslin et du  pont de Vaucelles, le long des quais de l'Orne, inauguration en juillet 1967)

 

            Une dernière ambulance de GIEL vient chercher les derniers blessés. Le médecin part avec eux. Les religieuses prennent la route avec la voiture à cheval, conduite par leur vieux cocher. II n'y a plus de réfugiés. Nous restons là, à une dizaine.

 

Dimanche 16

 

            Au matin, les S.S. reviennent menaçants. Sans blessés, sans réfugiés, notre présence ne se justifie plus. Nous partons à bicyclette. La rive droite sera libérée deux jours après, nous ne vivrons pas cela. Comme les autres réfugiés nous prendrons la route d'évacuation, passerons à TRUN et par ARGENTAN nous gagnerons SAINTE-SUZANNE en Mayenne, où nous serons libérés par la colonne Patton.

 

            Après quelques rudes émotions, nous regagnerons CAEN, cette fois dans le camion de M. Ferté, par SAINT-LO et BAYEUX.

 

            Nous croiserons les colonnes américaines, qui déferlent vers le Sud dans un élan spectaculaire et serons de retour aux Petites Sœurs des Pauvres le 15 août.

 

            Des canons allemands tirent encore sur CAEN, de TROARN.

 

NB Merci à Philippe Corvé pour la photo de la plaque de Raymond Chatelain

 

 

Ce document écrit par Mme Laberthe est également paru dans:

Ville de Caen

TEMOIGNAGES

Récits de la vie caennaise 6 juin-19 juillet 1944

Brochure réalisée par l’Atelier offset de la Mairie de Caen Dépôt légal : 2e trimestre 1984

 Lire ici le témognage de René Streiff qui s'appuie sur des informations fournies par Mme Laberthe, il ya queques différences entre les deux témoignages.

 

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