Témoignage paru dans ce livre  dont l'auteur est René Streiff.

 Pages 119 à 131, l'auteur précise que les renseignements lui ont été fournis par Mme Laberthe dont vous pouvez lire son témoignage ici. Il y a quelques différences entre les deux témoignages.

Du 9 au 19 juillet la ligne de feu s'est stabilisée sur l'Orne, séparant la ville en deux. La rive droite, pilonnée sans arrêt par l'artillerie, bombardée par les avions, ravagée par les S.S., traverse alors de terribles épreuves,

La vie se concentre autour de deux centres d'accueil de Sainte Thérèse et des Petites Sœurs des Pauvres.

Le poste sanitaire de Sainte Thérèse est installé dans un grand immeuble en construction situé à l'angle de l'avenue Charlotte Corday et de la rue de Formigny. II comprend un secteur de Défense Passive commandé par le capitaine Delaville, le poste sanitaire de Madame Chapel et un groupe de sapeurs-pompiers. Le Bon-Sauveur y a détaché deux ambulancières chargées du transport des blessés. M. Chapel en assure la direction générale.

Dès le 6 juin les gens affluent dans les abris.

Pendant de longues semaines il faudra en héberger un nombre sans cesse croissant.

Les blessés graves sont acheminés sur le Bon-Sauveur jusqu'au 9 juillet. L'accès de la passerelle est interdit aux ambulances. Les blessés doivent être transportés sur des brancards de l'automobile de Sainte-Thérèse à celle du Bon-Sauveur qui stationne sur l'autre rive.          

A partir du 9 juillet ils sont évacués à l'hôpital de Giel.

L'hôpital de campagne de Giel installé dans l’orphelinat Don Bosco.


Du 6 juin au 15 août, 85 morts sont amenés à la Morgue de Sainte-Thérèse et, dans, la même période, 1.455 pansements y sont faits.

Les morts sont inhumés au cimetière de Vaucelles puis, quand ce secteur devient par trop dangereux, on les enterre le long de l'avenue Charlotte-Corday.

Mme Chapel fait preuve d'un admirable dévouement. Toute son équipe se montre à la hauteur des circonstances. L'infirmière major, Mme Fauveau, se prodigue sans compter et fait oublier à ses malades qu'elle a 72 ans bien sonnés. Les médecins, les docteurs Friley, Guesdon et Fontaine méritent également des félicitations. Je citerai également tous les jeunes qui accomplirent chaque jour des actes d'héroïsme et de dévouement comme Michel Pernot, Prudhomme et Duprat, sans oublier leurs courageux aînés Hazet et Mutel.

Une mention spéciale doit être décernée au plus brave de tous, à l'abbé Morin. toujours en éveil, l'intrépide desservant de Cormelles est volontaire pour toutes les missions périlleuses. Il va ramasser les blessés sous les rafales d'obus, il assure les liaisons les plus dangereuses ou les corvées de ravitaillement les plus délicates comme celle d'aller chercher du bétail au loin dans la campagne. Le 19 juillet, il revient avec un groupe de neuf Allemands qui s'étaient rendus à lui, vaincus par des arguments irrésistibles! En récompense de tous ces hauts faits, le capitaine Gille devait lui remettre le soir même le premier insigne de la Libération.

Parmi les exploits accomplis par les hommes du Poste sanitaire il convient d'en citer un plus particulièrement. Le 7 juin ils réussirent à soustraire cinq parachutistes alliés à leurs gardes nazis. Ils les soignent et les font transporter en secret au Bon-Sauveur. Quelques jours plus tard après une suite de péripéties mystérieuses, ces cinq hommes devaient se retrouver ... à Bayeux. (MLQ: plus de détails dans le témoignage d'André Heintz)

Les membres de la Défense Passive ne restent pas en arrière. L'un d'eux, M. Coudère, assure, grâce à son courage, l'alimentation en eau de la rive droite jusqu'au 11 juillet. A cette date les Allemands font sauter les réservoirs de Moulines. Les hommes de la D. P. doivent aller chercher l'eau avec un tonneau jusqu'à Mondeville, car il n'y avait pas un puits sur le plateau ...

L'installation d'un centre d'accueil aux Petites Sœurs des Pauvres est projetée depuis avril 1944. Un hôpital complémentaire devait y être adjoint, le transport des blessés au Bon-Sauveur pouvant présenter de sérieuses difficultés ou même devenir impossible eu cas, de rupture des ponts de l'Orne. Mais ce projet n'est pas réalisé.

              Le 6 juin

Le centre d’accueil que M.Dupont aidé de M. et Mme Laberthe, avait pris en charge se trouve prêt à fonctionner. Les sinistrés du quartier de Vaucelles y trouvent un refuge. Situé à la sortie de Caen au point de départ de l'itinéraire d'évacuation, le centre des Petites Sœurs accueille des milliers de réfugiés, fuyant la bataille, qui y font halte avant de prendre la dure route de l'exode. Les vieillards, les malades, les impotents qui ne peuvent évacuer par leurs propres moyens, y séjournent avant d'être transportés en ambulance ou en chariot vers des lieux plus calmes.

Une permanence du Secours National y est installée pour répartir aux sinistrés le peu qui avait été épargné par le feu. Un autre bureau paye la prime d'évacuation à chaque réfugié pendant que les vivres pour la route leur sont distribués. Certains jours il est payé 600.000 francs à raison de 750 francs par réfugié.

Le centre sert de poste de triage pour les blessés : les blessés légers sont soignés sur place, les plus gravement atteints transportés au Bon-Sauveur. Un peu, plus tard, et surtout après la rupture des ponts, l'hôpital s'organise avec des moyens de fortune, sous la direction du docteur Mabille, qui opère et soigne les blessés, avec tout son dévouement et son habileté professionnelle, dans des conditions plus que précaires.

L' équipe du centre des Petites Sœurs, les membres de la D. P. survivant au terrible bombardement du 6 au 7 juin, ainsi que des habitants de Vaucelles, qui se mettent à la disposition du centre, se dépensent sans compter. La charité et la bonté des religieuses de la communauté est sans limite. La Bonne Mère Marie Bernard en est l'âme délicate. L'abbé Couasnon, vicaire de Vaucelles, se dévoue sans mesure auprès des blessés et des mourants.

Quant aux jeunes de l'équipe , Bourgin, Guignon, Ferté et Quedeville, réunis et entraînés, par Gilbert Détolle (Note de MLQ: le fils aîné du maire de Caen). Ils sont, comme partout, admirables de cran et de courage. Rien ne les arrête, qu'il s'agisse de brancarder les blessés, d'enterrer les morts, d'accompagner les ambulances ou un convoi de réfugiés jusqu'au premier relai, de faire une corvée de ravitaillement ; de jour et de nuit, ils sont prêts à tous les services.

Pendant toute la bataille de Caen, le transport des blessés au Bon Sauveur est une tâche difficile et périlleuse (voir ici le parcours). Dès le 6 juin, seuls restent utilisables la passerelle et le pont du chemin de fer de Caen à la mer.

A gauche, la passerelle et à droite le double pont de la Mutalité au premier plan le pont ferroviaire.

La passerelle présente les inconvénients que j'ai exposés plus haut. Le 6 juillet elle est anéantie.

Dessin page 122 du livre, la passerelle dans l'Orne vue du Grand Cours

"Photo PAC, le 12 août" en arrière plan la passerelle dans la rivière Orne, vue de la rive droite et à 180° du dessin.

 Il faut emprunter le pont de fer de Caen à la mer et pour cela suivre un itinéraire long et périlleux et à peine praticable. Il faut passer par le boulevard Leroy redescendre vers la gare traverser le pont, suivre les quais, puis emprunter le boulevard des Alliés,le boulevard Bertrand et enfin arriver au Bon-Sauveur. Le long des quais surtout, le chemin tient davantage de la piste de montagne, que d'une route. (Note de MLQ: voir ce circuit, en rouge, plus à l'Est le long du bassin Saint Pierre par le quai Vendeuvre)

Pendant l'évacuation du gros des réfugiés vers les centres de l'Orne Jacqueline Ferté fait chaque soir le voyage jusqu'à Trun à la recherche des blessés ou malades restés en chemin. Le 23 juin, son ambulance est mitraillée à la hauteur de Conteville. La voiture est sérieusement touchée. Jacqueline Ferté et Mme Laberthe sont légèrement blessées.     

Le 9 juillet les ponts sautent. Le centre des Petites Sœurs des Pauvres coupé du Bon-Sauveur doit conduire ses blessés à l'ambulance chirurgicale de Giel à 70 km de là.

Le pont du chemin de fer Paris-Cherbourg saute le dernier.

Le viaduc ferroviaire saboté par les Allemands.

Vers 2 heures, deux équipiers d'urgence , Gilbert Détolle et Guérin partent pour le franchir, emportant une lettre du docteur Mabille réclamant de nouveau du secours. Depuis le matin des blessés de Fleury, Ifs, Cormelles, May-sur-Orne, Mondeville, arrivent sans arrêt.

Localisation des communes citées

 L'éther diminue. Les instruments de chirurgie font défaut, Détolle et Guérin ne rentrent que tard dans la soirée. ils avaient réussi à franchir l'Orne sur une poutrelle du pont qui subsistait et suivaient la rive gauche, lorsqu'à la hanteur, de la passerelle, Détolle et son camarade furent interpellés, et mis en joue par des S.S. qui les ramenèrent en barque sur la rive droite.

Après vérification de leurs papiers d'Identité et de l'ordre de mission donné par le docteur, ils les gardèrent prisonniers jusqu'au soir, Ils portent sur la tête de magnifiques feuilles de rhubarbe. Car les S.S. avaient tenu à ce qu'ils camouflent leur casque blanc.         

Ce même soir du 9 juillet, les S.S. s'installent aux Petites Sœurs des Pauvres, réquisitionnant les hommes valides du quartier pour creuser des tranchées en face du centre, sur la route d'Harcourt et dans le jardin même. Ils sabrent tous les arbres fruitiers et placent leurs mitrailleuses, le canon braqué sur les bâtiments. Ils mettent la main sur deux jeunes équipiers d'urgence et les obligent à travailler avec eux malgré les énergique protestations de M. Dupont. Les S.S. n'ont qu'un argument pour répondre : ils exhibent leur revolver ou la mitraillette.  

Vers, 9 heures, un tir d'artillerie se déclenche. Les obus pleuvent sur l'aile où est installée la salle d'opération. On compte plusieurs morts et de nombreux blessés parmi les hommes requis. Le doctenr Mabille opère sans arrêt. On monte de nouveaux lits.

Lundi 10 juillet.

Une dure semaine d'isolement commence.

Que se passe-t-il dans Caen? De notre grenier, à la jumelle, nous interrogeons anxieusement l'horizon. Nous regardons avidement les croix rouges du Lycée et du Bon-Sauveur.

Captures d'écran de ce film, la façade du Lycée Malherbe avec deux "Croix Rouges"


Eux sont libérés ! Pendant toute la semaine les S.S. organisent l’évacuation méthodique du quartier. Sous la menace de la mitraillette, ils visitent les caves. Quelques hommes réussissent à leur échapper. Certains restent terrés dans la cave avec un malade incapable de faire la route, Les gens valides partent à pied. Nous gardons les malades avec promesse de les évacuer dès que possible. Les séparations sont déchirantes.

Notre présence gêne les S.S. Le lundi après-midi ils nous amènent un blessé. Une heure après, deux S. S., dont un capitaine à l'allure de brute, reviennent et exigent que le centre soit immédiatement vidé des réfugiés et des blessés.

Le chef du centre et le docteur Mabille leur opposent un refus catégorique. Heureusement, depuis hier, nous avons parmi nous un garçon courageux, Châtelain. Il rentre d'une mission au Mans en compagnie de M. Jean Renard, chef de cabinet de M. Cacaud , bloqué par la rupture des ponts, il s'est joint à notre équipe. Il parle admirativement allemand et va plus d'une fois nous tirer d'affaire.

En compagnie de MM. Dupont et Grégoire , il s'en va à la recherche de l’officier qui commande le détachement de S.S.. Après force discussion, il consent à accorder un délai de 24 heures pour l'évacuation.

Le lendemain, les Allemands reviennent à la charge. Le chef de Centre se refusant à faire exécuter leur ordre d'évacuation, le capitaine S.S. menace de le fusiller et se charge de donner lui-même cet ordre aux réfugiés. Il exige que la liste des personnes utiles à l'hôpital lui soit remise dans un quart d'heure. Nous, espérons gagner du temps. La nuit se passe.  Au matin il revient s'assurer de l'exécution de son ordre..

Mardi 11 juillet.

Evacuation totale du centre d'accueil. Seul l'hôpital reste. Les bonnes Petites Sœurs, quelques petits vieux qui restaient encore là, et tous les réfugiés qui espéraient attendre la libération, prennent la route.

Dessin page 124 du livre, le départ des réfugiés.

A midi, nous restons à quinze au milieu de nos blessés. La Mère Supérieure et quatre de nos religieuses sont là avec nous. Nos blessés sont courageux et patients, Une pauvre femme amputée jusqu'à la hanche déclare: « Il faut tenir jusqu'au bout, on les aura ».  Le moral est bon. Hélas ! de nombreux blessés meurent. Il faut leur donner une sépulture. Les S.S. laissent sortir jusqu'au cimetière de Vaucelles, fréquemment arrosé d'obus, la voiture à bras, emportant les pauvres corps empaquetés de papier huilé. Les hommes de notre équipe les enterrent eux-mêmes.

L'après-midi, Mlle Heniger part sur Giel avec quelques blessés. Elle va demander du secours, car tout nous manque pour soigner nos grands invalides.

Photo présentée page 182 du livre: Ambulancières en Normandie, Cherbourg-Caen:1944 de Cécile Armagnac, Editions du Moulin Vieux, 1994.  Remarquez à droite le bâtiment du PS n°3.

L'artillerie anglaise arrose incessamment les batteries allemandes disséminées autour du cimetière et plus loin dans la plaine d'Ifs.

Nous installons, dans un cellier en sous-sol, quelques blessés plus agités. Dans une autre cave nous avons organisé une maternité où une dizaine de femmes sur le point d'accoucher attendent le départ.

Le soir le fougueux capitaine S.S. nous oblige à décrocher la cloche de la communauté que les Petites Sœurs font tinter pour appeler l'une ou l'autre d'entre elles. Il prétend que nous nous en servons pour communiquer avec les Canadiens.

II nous est même interdit de circuler sur la galerie ou dans le jardin, à la nuit tombante.

Le soir l'ambulance partie sur Giel ne rentre pas. Est-elle en panne, a-t-elle été mitraillée ? Nous sommes inquiets.

Mercredi 12 juillet

  Dans la matinée, Mlle Heniger, rentre suivie d'une ambulance de Giel Nous évacuons les blessés demandant les soins les plus urgents. Les S.S.font sauter, la route d'Harcourt face au portail, La canalisation saute avec. L'eau ne nous avait pas manqué jusqu'ici. Maintenant il faut la recueillir à l'aide de seaux, toute boueuse, dans la tranchée où elle bouillonne.

Au carrefour du Cygne de Croix s'élève une barricade. Les ambulances doivent sortir par la rue Porte-Millet.

Source. Calvaire du Cygne de Croix au carrefour rue de Falaise et Bd Leroy; de nos jours.

Dans l'après-midi deux S.S. amènent un des leurs, blessé par une mine qu'il était en train de poser rue Porte-Millet. Nous en voyons passer en débandade. Ils cherchent des vélos et des autos. L'un de ceux qui sont installés aux Petites Sœurs, vient demander à l'interprète notre deuxième ambulance, une petite 202, soi-disant pour aller relever l’un des leurs. Le docteur Mabille et M. Dupont refusent et lui font expliquer par Châtelain qu'ils n'ont pas le droit de s'emparer de notre ambulance. Le S.S. est furieux et va chercher l'officier qui, contre toute attente, semble donner raison au docteur. Pour plus de sûreté nous camouflons l'ambulance. Le lendemain plus de S.S.. Ils sont partis avec notre ambulance dans la nuit.

Vers 9 heures une auto montée par des S.S. mitraillette au poing surgit dans l'allée du jardin. Châtelain va vers eux et parlemente un moment. Les Allemands veulent deux brancardiers et une ambulancière pour aller relever un blessé entre les lignes. La demande est bizarre mais, appuyée comme toujours par la menace du revolver. Châtelain, toujours plein de cran et de calme, est immédiatement volontaire.
« On ne sait ce que cela cache, dit-il, mais je me tirerai mieux qu'un autre, pouvant causer avec eux ».

L'ambulancière De Veyre et un brancardier, Fontaine, l'accompagnent. Pendant trois quarts d'heure nous attendons angoissés : ils reviennent enfin !

Le blessé était un S.S. très décoré, grièvement atteint et qui se trouvait au fond d'un trou de bombe tout près du pont de Vaucelles. L'infirmier allemand s'était rendu près de lui en rampant. Mais il fallait pour le sortit de là, marcher debout avec un brancard. Les mitrailleuses donnaient sur la rive gauche de l'Orne et les S,S. avaient jugé plus prudent de faire faire l'opération par des Français de l'hôpital.

Cette petite expédition avait permis à Châtelain de repérer les rails du tramway qui subsistaient, soutenus par une pile du Pont de Vaucelles restée intacte, et qui pouvaient permettre de passer sur l'autre rive. C'est Ià que le 15 juillet il traversa l'Orne avec Gilbert Détolle et Quedeville.

 

Le pont de Vaucelles avec les rails du tramway.     

13 Juillet.

L'évacuation des blessés continue avec l'aide du centre de Giel. Les civils ne parviennent plus jusqu'à nous. De temps à autre on nous apports un blessé que les S.S. laissent passer.  Notre petite ambulance va en chercher aux carrières de Fleury. Les S.S. font évacuer les Roches de Mondeville. Ils ordonnent également l’évacuation des carrières de Fleury. Le chemin des Côteaux est battu constamment par l'artillerie, ainsi que la route d'Ifs et les environs du cimetière.

Ils ordonnent de même le départ des réfugiés de Sainte-Thérèse. M. Chapel se défend avec énergie. M. Jacques Mercier lui sert d'interprète. Très souvent il est obligé de ruser pour se débarrasser de ses visiteurs indésirables. Un jour il ordonne à tous les réfugiés des abris, de se coucher pour simuler un hôpital. Quand les Allemands arrivent, ils ne voient que des centaines de personnes allongées sur la paille. Le commandant allemand, très ému, n'insiste pas.

Les Allemands reviennent cependant à la charge les jours suivants. Un officier impatienté menace M. Chapel .de son revolver, Celui-ci refuse, alléguant qu'il n'a pas les moyens matériels d'évacuer ses blessés. Toutefois les hommes de 17 à 35 ans, sont obligés de partir. La plupart se cachent dans les alentours, ils viennent la nuit se ravitailler au centre.

Le curé de Sainte-Thérèse, le chanoine Vautier, a placé son abri sous la protection de la Petite Sainte. Chaque jour, il l'invoque en disant sa messe dans la cave. Elle l'a certainement exaucé, car le 19 juillet, quand les Canadiens pénètrent dans le quartier, pas une personne n'avait été tuée ou blessée au centre de Sainte-Thérèse. D'autre part, les évacuations y avaient été bien moins considérables que partout ailleurs ...

A Vaucelles, les S.S. sont relevés. Cette fois l'officier est un colosse de 1 m 9O, muni d'un gourdin noueux. Il nous annonce son intention d’installer un lance-grenades dans le jardin de la communauté. Les S.S. vont défendre le coin, nous dit-il, ils creusent activement des tranchées et des abris souterrains, dans le jardin. Le colosse s'exprime à peu près en français. Il nous dit d'un ton assez menaçant: « Ici ce n'est pas bon pour votre santé », Nous n'insistons pas. Nous n'avons aucun désir de continuer la conversation. Le docteur lui rétorque simplement qu’il y a des blessés intransportables et que nous devons rester auprès d'eux. Les grands blessés sont pourtant évacués régulièrement sur Giel. Nous n'avons plus rien pour les soigner ici.

Dans la soirée, une avalanche d'obus s'abat sur la rue de Falaise. Le feu prend tout près de la maison. Plusieurs bâtiments de la communauté sont atteints. .

14 Juillet.

Les S.S. incendient plusieurs maisons autour de nous. Les obus sifflent sur nos têtes venant de part et d'autre. Nous suivons angoissés le tir d'artillerie allemand qui arrose le quartier Saint-Etienne. Nous distinguons les points de chute sur le Bon-Sauveur et le Lycée. Le clocher de Saint-Etienne est touché par un obus. Nous pensons aux blessés et à tous ceux qui vivent là.           

Vers 7 heures des marmites (Note de MLQ: en argot militaire un obus de gros calibre) s'abattent sur le quartier et l'aile gauche de la maison, un 75 démolit le mur du cellier où est installée la maternité. C'est l'heure du repas : personne n'est blessé. C'est un miracle ! Des moellons énormes sont tombés sur les lits. L'endroit où Mme Laberthe a déposé son plateau et la soupe n'est plus qu'un amas de décombres. Nous l'avons échappé belle encore une fois.

Dessin page 128 du livre, la maternité dans une cave.

Décidément cette aile est plus exposée. Les blessés qui sont dans le cellier voisin s'affolent. Nous entreprenons de les transporter dans la cave aux tonneaux située sous le corps principal du bâtiment. Il y a bien peu de place. Nous alignons les civières le long des énormes foudres et y transportons tant bien que mal nos quelques malades.

Vers 9 heures, on apporte 4 blessés de Fleury. Les S.S. ont tenté de vider une carrière. Leurs pièces sont en position devant l'entrée. L'artillerie anglaise les arrose sans arrêt. Des bombes tombent sur le quartier.

Châte1ain, Gilbert Détolle et toute l'équipe, nous faisons une petite cérémonie en l'honneur du 14 juillet. Elle se déroule dans la salle d'opération. Au garde à vous, nous chantons la Marseillaise devant le drapeau tricolore.

La nuit est dure. L'artillerie donne des deux côtés. Nous distinguons les feux nourris des tirs du côté de Louvigny.

15 Juillet.

Il n'y a plus de S.S. dans le quartier ! Que s'est-il passé cette nuit ? Allons-nous voir surgir les Anglais ?

Détolle part pour Saint-Sylvain et revient en disant qu'il n'y a plus une seule pièce d'artillerie dans la plaine d'Ifs. Hier, il y en avait en position tous les cent mètres. Une tournée dans Vaucelles, permet de constater que le quartier est désert. On ne rencontre pas âme qui vive. Les habitants sont presque totalement évacués. Des casques et des fusils sont abandonnés. Les S.S se sont-ils repliés. ?

Châtelain, Détolle et Queudeville partent vers 2 heures pour traverser l'Orne sur le rail de tramway qui subsiste.

Ils avancent dans les ruines de la rive gauche et rencontrent le premier poste canadien rue Saint-Louis, à la Banque de France. Ils sont conduits au siège de la M. P. de l'Intelligence Security et des Civil Affairs qui les remettent à la Préfecture, où ils donnent de précieux renseignements.

Rue Saint Louis (aujourd'hui l'avenue de Verdun), à gauche la Banque de France, l'église Saint Jean.

Le même jour, Mlle Boitard qui était restée depuis le 9 juillet au P.C. de la Résistance, à la Fusion, rue d'Auge, (Note de MLQ: une petite entreprise industrielle de soudure électrique et autogène "La Fusion"  appartenant à M. Le Gagnoux. Le porche d'entrée était à côté de la boutique d'un photographe. Ce porche était à mi-distance entre le carrefour de la rue de Falaise et de la descente de la venelle Canchy, de nos jours) d'où elle avait été chassée par les S.S., traversait l'Orne sans encombre, accompagnée de R. Château. Le lendemain, deux autres F.F.I. de Sainte-Thérèse, les frères Vico, prennent le même chemin.

Le 17 juillet

 Gilbert Détolle rentre à Vaucelles. Il conduit une patrouille F.F.I. placée sous les ordres du lieutenant Guibé. Elle a pour mission de retrouver les archives de la Résistance, restées au P.C. de Vaucelles. Détolle mène la patrouille jusqu'à la rue Georges-Gaillard. Au retour, les Allemands surgissent. Détolle se replie sur Sainte-Thérèse et ses camarades regagnent la rive gauche sans encombre.

Le même jour Châtelain, qui a guidé dans Vaucelles une patrouille canadienne, regagne la rive gauche. Il devait y trouver une mort glorieuse. .

Lorsque Gilbert Détolle descend vers l'Orne le 19 juillet au matin, à la tête d'un groupe de jeunes de Sainte-Thérèse, il est interpellé par les Canadiens. Ceux-ci les mènent près du pont de la gare. Un cadavre est là, étendu sur les pierres, Gilbert Détolle à la douleur de reconnaître son camarade Raymond Châtelain. Il a été frappé dans la nuit par un éclat d'obus, alors qu'il allait pénétrer dans Vaucelles en vainqueur ... (Note de MLQ:  Raymond Châtelain est tué le 18 sur le pont de Vaucelles , sur le quai de la rive de Vaucelles une plaque lui rend honneur)

 

18 Juillet.

A l'aube des centaines de bombardiers, par petits groupes de douze, volant à basse altitude, lâchent leurs explosifs sur Colombelles, Mondeville, Sannerville et Saint-André-sur-Orne. (Note de MLQ: Operation Goodwood). Des nuages épais de fumée noire montent au-dessus de ces localités. Le communiqué nous apprend que 2.500 avions ont participé à ce raid et qu'ils ont déversé 8.OOO tonnes de bombes sur les objectifs ennemis. C'est le plus grand bombardement de l'histoire. Les Alliés attaquent sur tout le front Sud-est de Caen et veulent en provoquer la rupture. Les blindés du général Dempsey partis de la tête de pont de Ranville, foncent dans la plaine. Vaucelles reçoit une véritable avalanche d'obus. Toute la journée le pilonnage est intense Les marmites s'abattent partout. Quand le général Crerar   entrera à Sainte-Thérèse, il nous apprendra que les canons canadiens avaient tiré au cours de la journée du 18 juillet, 24.000 obus sur Vaucelles. Dans la soirée une accalmie se produit. La Résistance en profite pour déloger les quelques Allemands qui restent encore dans Vaucelles.              

19 juillet.

A l'aube, les Canadiens, venant  de Mondeville pénètrent dans le quartier Sainte-Thérèse. Durant la nuit, leurs patrouilles guidées par les F.F.I. caennais, auxquels  se sont joints Maurice Schumann et Jean Marin , avaient franchi l'Orne et occupé le quartier des Petites Sœurs des Pauvres. Toute la rive droite est rapidement conquise. Les chars légers pénètrent dans Vaucelles à 7 heures du matin, transportés par radeaux.

Des Canadiens sautent sur des mines aux alentours de l'église Saint-Michel. Le génie commence la construction des premiers ponts sur l'Orne. Dans la matinée nos Alliés progressent jusqu'à Cormelles sans rencontrer de résistance.

Le soir le capitaine Gille vient visiter le quartier. Il prend contact avec le groupe de Résistance de la rive droite.

Les carrières de Fleury-sur-Orne sont également libérées. Le FFI caennais sous les ordres des capitaines Gille et Duchez arrivent les premiers à Fleury, devançant les corps francs canadiens, malgré un violent barrage d’artillerie.

 

 jeudi 20 juillet

La cérémonie de la Libération de Caen, se déroule à Vaucelles.

Le drapeau tricolore est hissé au calvaire du Cygne de Croix, en présence des autorités de la ville.  

Dessin page 131 du livre, cérémonie au calvaire du Cygne de Croix.

La bataille de Caen est terminée ...

NB Merci à Philippe Corvé pour la photo de la plaque de Raymond Chatelain.

 RETOUR LISTE DES TEMOIGNAGES