HISTORIQUE DU CENTRE D’ACCUEIL DU BON SAUVEUR
6 juin – 15 octobre 1944
Par son directeur, le Colonel Maurice BESNIER
(Sans doute rédigé en 1964 d’après ses notes)
Le
colonel Maurice Besnier est le mari de
Mme Germaine Besnier
et le père de Jeanne-Marie Besnier (Mme
Cazin)
En prévision de bombardements aériens analogues à ceux qui avaient
ravagé certains quartiers de Paris, Nantes, Rouen, etc., la municipalité de Caen
– dans les premiers mois de 1944 – prit des mesures pour être à même de faire
face aux circonstances, le cas échéant, et en particulier de pouvoir abriter et
nourrir les sinistrés. Des prévisions avaient déjà été faites dans ce sens, mais
il y avait surtout à coordonner deux actions, celle de la
Défense Passive
et celle de la
Croix Rouge
. C’est
ainsi que furent prévus et mis sur pied cinq centres d’accueil dont
celui du Bon Sauveur. Ayant eu la direction de ce centre, j’ai pensé qu’un
bref historique pourrait être utile à l’histoire locale.
En mars, on m’avait demandé d’adhérer aux
Equipes
d’Urgence
de la Croix Rouge et à la Défense Passive pour prendre, en cas de bombardement,
la direction de la morgue qui serait établie au Lycée Malherbe. J’avais accepté
; mais, au début de mai, le maire André Detolle
me demanda de prendre la direction de l’un des centres d’accueil
qui allaient être créés. Je
passais très volontiers du service des morts à celui des vivants.
Les cinq centres d’accueil étaient :
1° aux Petites Sœurs des Pauvres (7 rue Porte Millet) : C.A. n° 1
2° à la salle Mauger (11 rue Mélingue) : C.A. n° 2
3° à l’Institut Lemonnier (22 grande place St Gilles) : C.A. n° 3
4° au Lycée Malherbe : C.A. n° 4
5° au Bon Sauveur (95 rue Caponnière) : C.A. n° 5
L’organisation de ces centres d’accueil fut étudiée et mise au point
dans toute la mesure du possible au cours de séances à la mairie, présidées par
Joseph Poirier
,
3 ème adjoint au maire et chef de la Défense Passive urbaine (10, 13, 20, 27
mai, 3 juin). Assistaient à ces réunions, indépendamment de représentants de la
municipalité et de la D.P., des représentants de la Croix Rouge
, des
prisonniers de guerre libérés, du
Secours
National
,
des Equipes
Nationales
,
du Secours Municipal Ouvrier, les chefs de centre et leurs adjoints.
Le personnel masculin et féminin appelé à faire fonctionner les centres d’accueil devait provenir des Equipes d’Urgence de la Croix Rouge, des Equipes Nationales et des prisonniers libérés. Une réunion se rapportant à l’affectation de ce personnel eut lieu le 13 mai à la Goutte de Lait (à l'angle de la Rue Paul Doumer et de la rue Jean Eudes).
Tout ce qui se rapportait à l’organisation matérielle proprement dite des centres fut prévu et étudié avec ordre et méthode. Les affectations de personnel furent faites d’une façon beaucoup moins satisfaisante. Il est juste de reconnaître que l’on bâtissait un peu sur l’inconnu. En cas de bombardement de la ville tant soit peu sérieux, tous les centres pourraient-ils fonctionner ? N’y aurait-il pas du personnel affecté parmi les premières victimes ? Il convient aussi de signaler que ces centres d’accueil correspondaient à des éventualités telles que celles déjà passées (Paris, Nantes, Rouen), c'est-à-dire à des bombardements sans plus et non à des bombardements consécutifs à une action de guerre comme il devait arriver à Caen le 6 juin.
Et de fait, trois centres d’accueil seulement sur cinq purent fonctionner ce jour-là (C.A. nos 1, 4 et 5). Au centre d’accueil du Bon Sauveur, la majorité du personnel qui lui avait été affecté ne se présenta pas pour des raisons ou pour d’autres.
Le centre d’accueil n° 5 était établi au Bon Sauveur qui, en 1944, n’avait conservé qu’un très faible nombre d’aliénés mais donnait asile à plusieurs services de l’hôpital auprès desquels viendrait encore fonctionner en cas de bombardement le service hospitalier de la Défense Passive.
Dans le Bon Sauveur même, le C .A. 5 devait disposer des dortoirs Saint Vincent et Saint Charles, de petites chambres ainsi que d’un certain nombre de locaux : réfectoire, bureau des entrées, etc...
En jaune: 12 Saint Vincent et 13 Saint Charles
Il pourrait disposer en outre, en dehors du Bon Sauveur, mais à proximité :
a) d’un certain nombre de chambres mises par des particuliers à la disposition de la municipalité
b) du patronage de Saint Ouen
c) de chambres pour enfants à l’école Desbonnet (rue Caponnière)
d) d’une classe de l’école située au n° 2 de la rue Saint Ouen et de l’église Saint Ouen, comme réserve.
Tous les sinistrés, réfugiés au centre d’accueil, quel que soit le lieu où ils seraient logés, seraient nourris par l’administration du Bon Sauveur avec laquelle un contrat avait été passé à raison de tant par jour et par personne. La direction du centre se trouvait donc débarrassée, en grande partie du moins, du souci de l’alimentation.
Les prévisions avaient été établies pour un nombre de sinistrés de l’ordre de trois cents cinquante environ (logement et nourriture).
Le personnel du centre, tel qu’il avait été arrêté avant le 6 juin,
comprenait, indépendamment du chef de centre :
- 1 chef adjoint : Commandant FRAIGNEAU ;
- 4 religieuses du Bon Sauveur ;
- 18 dames ou jeunes filles (dont 2 assistantes sociales et 2 jeunes filles employées comme cyclistes) ;
- 16 hommes ou jeunes gens, provenant comme les dames et les jeunes filles des Equipes d’Urgence ou des Equipes Nationales ;
- 1 secrétaire administratif provenant du personnel de la mairie.
En outre, le groupement des prisonniers libérés auquel il incombait la mission, - au titre de la Défense Passive -, de recueillir en outre les sinistrés et de les diriger vers les différents centres d’accueil, avait affecté un certain nombre de ses membres à chaque centre – leur chef de groupe pour le C.A. du Bon Sauveur était M. STAUB.
Une reconnaissance des locaux attribués au centre eut lieu le 16 mai. La majorité du personnel y prit part.
D’après les derniers ordres reçus, à tout bombardement, quelle qu’en soit l’importance, tout le personnel devait rallier les centres. A deux ou trois reprises, pour des bombardements n’intéressant pas Caen même, mais Carpiquet par exemple, certains membres du personnel observèrent rigoureusement cette consigne. Il en fut de même, dans la matinée du 6 juin, à la suite du bombardement particulièrement intense entendu durant la nuit et de ceux qui eurent lieu dans la matinée à proximité immédiate de Caen.
Le centre d’accueil du Bon Sauveur ouvrit ses portes dans l’après-midi du 6 juin, quelques instants après le bombardement de la ville même survenu vers 13h45 et détruisant une partie du centre de la cité. L’arrivée des sinistrés commença un peu plus tard, mais celle du personnel antérieurement affecté donna de sérieux mécomptes. En dehors du chef de centre et de son adjoint, il n’y eut à rejoindre que :
- 3 dames ou jeunes filles sur 18
- 7 hommes ou jeunes gens sur 16.
Les autres ne parurent ni ce jour-là ni les jours suivants. Il n’y a là aucun reproche sous-entendu à l’adresse des manquants, mais la simple constatation d’un fait, provenant d’aléas divers, peut-être aussi et surtout sans doute au peu de soins avec lequel avaient été faites et tenues à jour les affectations par le service responsable. Les bonnes volontés et de nombreux dévouements ne manquèrent pas pour combler le déficit.
Dans le courant de l’après-midi, les sinistrés, pilotés par des prisonniers libérés, commencèrent à arriver. Par la suite, dans la nuit et le lendemain, ils affluèrent même. Cortège lamentable de gens qui avaient échappé à la mort, souvent perdu l’un ou plusieurs de leurs proches et abandonné tout leur avoir sous les ruines de leur maison.
Le centre d’accueil ne devait recevoir, en principe, que des gens valides, ou du moins dont l’état ne nécessitait pas l’hospitalisation. Nombreux étaient, parmi les arrivants, les blessés légers ayant ou non déjà reçu un premier pansement. Non moins nombreux ceux qui se présentèrent avec des vêtements en lambeaux ou même dans une tenue des plus sommaires ; couverts de poussière et de plâtras ; beaucoup dans un état d’hébètement plus ou moins complet. On dut faire face comme l’on put à ces arrivées massives avec un personnel insuffisant au début, mais qui fut complété peu à peu grâce au concours des prisonniers libérés, intégrés au centre une fois leur tâche d’accompagnement achevée, grâce aussi à de nombreuses bonnes volontés qui s’offrirent spontanément parmi les sinistrés eux-mêmes.
Le mélange des conditions sociales était l’un des aspects les plus typiques de cette assemblée de malheureux. D’après les instructions reçues, on devait s’efforcer de grouper les gens par « catégories ». Il en avait été prévu quatre. Les bombes, elles, avaient frappé sans distinction et, comme il était facile de le prévoir, ce groupement par « catégories » qui, en fin de compte, aurait eu quelque chose de choquant en pareille circonstance, s’avéra dans la pratique impossible à réaliser. Les uns et les autres se coudoyèrent, mangèrent à la même table, couchèrent côte à côte.
Les arrivants se présentaient soit isolément, soit par groupes, groupes familiaux ou habitants d’un même quartier, plus tard même habitants de hameaux ou de villages voisins de Caen. Des communautés religieuses ou des collectivités du même ordre se présentèrent, elles aussi : la Charité (quai Vendeuvre), au nombre de 340 environ ; la Sainte Famille (rue des Jacobins) et l’Ouvroir Notre Dame (35 rue Arcisse de Caumont) au nombre de 72 et 65 respectivement.
Source Cadomus. Entrée de l'Ouvroir Notre Dame, 35 rue Arcisse de Caumont. En ruines.
Les conditions d’installation matérielle étaient forcément inégales : de très bonnes literies ou des literies convenables dans certains dortoirs, ailleurs de la paille seulement (par exemple au patronage Saint Ouen ; à l’école de la rue Saint Ouen) et dans certains locaux du Bon Sauveur dont l’occupation n’était pas primitivement envisagée . En raison de l’affluence des sinistrés le centre d’accueil dut, en effet, déborder largement de ses premières limites et c’est ainsi qu’il utilisa pour loger ses hôtes un grand nombre de « cabanons », - ceux de la « Cour aux Lions » par exemple -, ainsi qu’un grand bâtiment à plusieurs étages, - mais inachevé, sans portes ni fenêtres -, le « Bâtiment neuf ». Le bivouac lui-même suppléa le cantonnement. C’est ainsi que la Sainte Famille s’installa sous le cloître ou sous les arbres de la cour d’honneur.
Le cloître du Bon Sauveur.
Quant à la nourriture servie par le Bon Sauveur, elle était… suffisante. Sans plus ! Il y eut des hauts et des bas, comme il était fatal. Si la direction du centre n’avait pas à assurer cette nourriture, elle avait du moins à la surveiller en quantité et en qualité, à recevoir aussi les doléances de ses pensionnaires. Elles ne lui manquèrent pas. Il s’agissait alors pour elle d’obtenir mieux de l’établissement nourricier qui avait alors, il faut le reconnaître, à assurer la subsistance d’un nombre considérable d’individus.
Si le centre, lui-même, n’avait pas à assurer les vivres et leur préparation, il avait du moins à assurer leur distribution et le service des repas. Un seul réfectoire pouvant au plus contenir une centaine de personnes ; un matériel (assiettes, couverts, verres, etc.) tout à fait insuffisant ; d’où plusieurs services entre lesquels un nettoyage sommaire des ustensiles ; le tout durant plusieurs heures matin et soir. On faisait donc queue à plusieurs reprises dans la cour sur laquelle ouvrait le réfectoire (cour Saint Vincent) et l’attente du repas était parfois troublée par l’éclatement de bombes ou d’obus plus ou moins proches. Afin d’alléger ce service du réfectoire les sinistrés logés chez l’habitant avaient la faculté de venir chercher et emporter leurs rations.
Combien de sinistrés vinrent-ils se réfugier au C.A. n° 5 ? Le premier jour, 6 juin : 300 ; le lendemain, 7 : 400 environ. Les entrées continuèrent à la cadence de 150 à 200 durant les jours suivants pour atteindre au total 1737 le 15 juin matin, 2 131 le 30, 2 714 le 9 juillet, jour de l’entrée des Canadiens dans Caen, et 2 908 le 13 juillet. Dans ces nombres, il n’y a pas que des Caennais, car de nombreux sinistrés ou habitants expulsés par les Allemands des communes voisines (Verson, Venoix, Saint Contest, La Folie, etc.) refluèrent sur Caen.
Localisation des lieux cités.
Un certain nombre de sorties venait bien empêcher l’effectif des présents de grossir outre mesure. Des gens trouvaient, en effet, parfois asile chez des amis, à Caen ou ailleurs ; puis les évacuations « conseillées » ou « prescrites » par les autorités préfectorale et municipale, dont il sera question plus loin, vinrent faire sentir leurs effets.
Sans attacher aux chiffres une valeur rigoureuse, c’est le nombre des repas servis journellement qui peut donner l’idée la plus exacte du nombre des présents et des conditions dans lesquelles ce nombre a varié :
6 juin soir 250 repas servis
7 « 638 « « (moyenne)
10 « 700 « «
13 « 1 050 « «
14 « 1 200 « «
16 « 1 250 « «
17 « 1 050 « «
puis dans les derniers jours de juin, de 950 à 1 000. D’après le nombre de repas servis, l’effectif des présents n’est plus que de 578 au début de juillet ; mais les Allemands expulsent pas mal d’habitants de la périphérie et aussi, et surtout, parce que la ville subit un bombardement très violent dans la soirée du 7 juillet. Le combat s’est, en outre, rapproché. Le nombre des présents augmente ainsi au cours de la première quinzaine de juillet, pour diminuer ensuite, comme le montre le nombre des repas servis du 3 au 17 :
3 juillet 660 matin et soir (moyenne)
4 « 738
5 « 715
6 « 700
7 « 850
8 « 970
9 « 1 225
10 « 1 225
11 « 1 170
12 « 1 150
13 « 1 066
14 « 932
15 « 472
16 « 230
17 « 120
Durant cette
période, les bombardements aériens ne sont pas les seuls à craindre ; les coups
de l’artillerie, anglaise d’abord, allemande ensuite, font sentir leurs effets.
Or, les croix rouges
qui s’étalent sur les toits du Bon Sauveur font espérer à beaucoup de gens
l’immunité.
Citation de Joseph Poirier
(document daté du 8 décembre 1944)
"Le 10 juin, On peint sur le Lycée Malherbe, sur les bâtiments du Bon Sauveur, sur le Lycée de filles, d'immenses croix rouges. Avec des tôles peintes au minium, avec des chiffons écarlates, avec des cartes de géographie découpées, on en fait d'autres au sol."
Source film British Movietone News. Dans les jardins du Lycée Malherbe.
Le centre d’accueil ne voit pas arriver que des sinistrés, mais aussi beaucoup de personnes qui ne se sentent pas en sécurité chez elles. Il devient un lieu d’asile. Tel n’était pas son rôle en principe. Pratiquement, il était souvent difficile de ne pas accueillir, quel que soit le motif. Et c’est ce qui explique que le nombre des présents aille croissant du 3 au 9 juillet.
Du 10 au 14, le nombre des présents décroît. Les Allemands sont partis ; les Canadiens sont dans Caen. La confiance revient et provoque des sorties, parmi ceux tout au moins qui n’avaient besoin que d’un refuge momentané ; mais, les 15, 16 et 17 virent des différences en moins des plus sensibles. Que s’est-il passé ?
Il s’est passé que le Bon sauveur a reçu de nombreux obus au cours des nuits du 13 au 14, du 14 au 15 et du 15 au 16 juillet. Le centre d’accueil lui-même en a eu largement sa part et, au cours de la deuxième de ces nuits, des obus ont mis le feu à l’un de ses bâtiments, le « Bâtiment neuf ». Alors, la confiance dans la valeur protectrice des croix rouges diminue.
le
13 juillet à 08H30
Les tirs se poursuivent, 200 obus à présent ont atteint le Bon Sauveur, 57 sur
le Lycée Malherbe, faisant 21 tués, et 30 blessés.
Dans la nuit du 13 au 14, un obus transperce le pavillon du Sacré-Cœur, plusieurs victimes parmi le corps médical dont le radiologue Marcel Charon.
le 14 juillet
à 06H00
Dans un fracas épouvantable, un gros
obus traverse la toiture et
percute dans le sommet de la nef de Saint Etienne (3 morts). Il y a 15 points de
chute sur l’Hôpital du Bon Sauveur et des dizaines rue Caponnière, rue de
Bayeux, place de l’Ancienne Boucherie, rue Guillaume (82 personnes sont tuées ou
blessées).
Les obus allemands continuent de s’abattre, un toutes les 5 minutes, sur la rive
gauche, apparemment sans véritable objectif d’intérêt militaire (plusieurs
n’explosent pas)
18H00
Place Foch, devant le Monument aux morts, le discours du Préfet est interrompu
par une volée d’obus, puis le tir s’allonge vers l’îlot sanitaire. Plusieurs
obus traversent les toits et les étages du Bon Sauveur, heureusement sans
exploser ! D’autres 15 cm éclatent attirés par les immenses emblèmes de la
Croix-Rouge et
font des victimes supplémentaires. Dans la cour intérieure du Lycée un homme qui
épluchait des choux est tué, M. Le Hir
est
blessé et un obus à l'intérieur de la cuisine blesse le chef M. Faucon.
Dans la soirée et toute la nuit, nombreux tirs d’artillerie sur le Bon Sauveur
15 juillet
Cette
nuit, une centaine d’obus allemands sont tombés sur la rive gauche, l’un d’eux,
au phosphore, incendie le pavillon d’orthopédie du Bon Sauveur qui n’est plus
utilisable. 82 impacts sont relevés sur les bâtiments de l’hôpital et dans les
cours intérieures.
16 juillet
Au Bon Sauveur le 288ème impact d’obus allemand est compté, depuis le début de la semaine, 70 obus dans la nuit du 16 au 17.
19 juillet
Dans la nuit, une bombe tombe rue Caponière et détruit la porte d'entrée du Bon Sauveur
Les évacuations « conseillées » et que l’on ne pouvait obtenir jusqu’alors ont lieu en grand nombre. Dès lors, la période active du C.A. 5 est close. Il vivra encore trois mois cependant, mais on ralenti.
Le centre d’accueil du Bon Sauveur devait fermer ses portes le 1er octobre et passer les réfugiés peu nombreux qui lui restaient, - une centaine -, au C.A. 4 (Lycée Malherbe). Ce dernier n’étant pas en mesure de les recevoir alors, son existence fut prolongée jusqu’au 15 du même mois. A cette date du 15 octobre le nombre des sinistrés et des réfugiés qui y avaient trouvé asile s’établit comme suit :
- nombre des entrées régulièrement inscrites 3 210
- nombre approximatif des entrées non inscrites 90
- hôtes de passage le 12 juin (enfants de l’orphelinat d’Épron) 150
- nombre approximatif de personnes ayant reçu asile pour la nuit seulement 500
Nombre de repas servis : en juin 44 392
juillet 30 881
août 7 927
septembre 7 278
octobre 1 983
----------
Total 92 461
Il a été question précédemment des évacuations « conseillées » ou « prescrites ». A vrai dire, elles ne concernaient pas seulement les centres d’accueil, mais elles visaient toute la population caennaise, ou du moins ce qu’il en restait. Dès les premières bombes, beaucoup d’habitants avaient quitté la ville et pris différentes directions. Un grand nombre, - plusieurs milliers -, s’était réfugié dans les carrières de Fleury.
A partir d’une certaine date la Préfecture et la municipalité envisagèrent, sous la pression des Allemands, l’évacuation partielle, puis totale, de la ville, en raison des dangers d’ordre militaire, en raison aussi des difficultés du ravitaillement. Une prime de 750 f, dite d’évacuation, et deux jours de vivres, assez sommaires d’ailleurs, étaient attribués à toute personne quittant Caen.
Ceci se passe dans la deuxième quinzaine de juin. L’ordre d’évacuation totale est du 29. Une direction générale d’évacuation était fixée : Bourguébus, Saintt Sylvain, Morteaux-Coulibœuf, Trun, avec gîtes d’étape en plusieurs points. Les évacués devaient être répartis dans le département de l’Orne. Pour l'évacuation de Caen voir ici.
Il faut reconnaître que les Caennais encore présents acceptaient mal la perspective de se mettre en route. Cela se conçoit. On ne quitte pas son chez soi de gaîté de cœur, car on sait ce qu’il advient trop souvent d’une maison abandonnée. Si on la retrouve debout plus tard, neuf fois sur dix elle aura était pillée ! En outre, à cette époque, les habitants qui étaient encore là avaient plus ou moins senti la mort passer non loin d’eux dans les jours précédents. De nouveaux dangers les effrayaient moins, surtout tant que ces dangers ne se manifestaient qu’à une certaine distance.
Les évacuations ne furent d’abord que « conseillées » à l’ensemble de la population, mais il était une partie de cette population sur laquelle les autorités avaient plus d’action, celle du centre d’accueil. Aussi, dès le 16 juin, les chefs des différents centres d’accueil reçurent-ils l’ordre de diriger immédiatement leurs sinistrés sur Trun. Cet ordre ne fut que très imparfaitement exécuté. De la part des intéressés, toutes les raisons étaient bonnes pour se cramponner. Il faut reconnaître d’ailleurs que tout n’était pas fait pour en faciliter l’exécution. Les invalides, les impotents devaient être transportés : les moyens de transport manquaient. En raison de leurs emplois, certains sinistrés étaient maintenus sur place : leurs familles en profitaient pour rester. Certaines formalités devaient être remplies au préalable, la perception de l’indemnité par exemple : le bureau payeur était fermé, - comme en temps de paix -, si l’on s’y présentait après une certaine heure et le départ était tout au moins reculé de vingt quatre heures, etc., etc.
Par ailleurs, les bruits les plus pessimistes étaient répandus sur le sort de évacués qui étaient, disait-on, privés de tout dans différents gîtes d’étape, mitraillés sur les routes, etc., etc. Le premier point était complètement faux car les municipalités des différentes localités de la ligne d’évacuation faisaient tout pour accueillir de leur mieux les évacués. Le second point était plus exact ; encore fut-il fortement exagéré.
On pourrait aisément se rendre compte de ce que donnèrent, au Bon Sauveur tout au moins, les conseils ou les ordres d’évacuation, en se reportant au nombre des repas servis dans les jours qui suivent le 16 juin, puis le 29 du même mois. Très peu de départs, même après l’ordre d’évacuation totale. Il n’y en aura de massifs qu’après le 14 et le 15 juillet, parce que le centre d’accueil a été copieusement bombardé comme on l’a vu plus tard ; parce qu’un incendie s’y est déclaré ; parce qu’aussi, cette fois des camions sont venus prendre les personnes à évacuer, impotents ou valides. La direction d’évacuation n’est plus la même ; il faut également le mentionner. Primitivement, avant l’entrée des Canadiens dans Caen, direction : le sud, Trun et au-delà, où la guerre va sans doute faire rage dans quelques jours. Donc, perspective de nouvelles évacuations ! Un exode continu ! Désormais, direction : Bayeux, Amblie, Villiers-le-Sec, la côte. On s’éloigne des Allemands qui reculent enfin. L’évacuation se présente maintenant sous un jour différent. Le retour au foyer, si délabré qu’il soit, apparaît beaucoup plus certain et plus proche. Et ceci explique que du 13 au 17 juillet le nombre des présents au centre d’accueil de Bon Sauveur soit passé de 1 066 à 120 !
BATAILLE DE CAEN CENTRE D'ACCUEIL N°5 : LE BON SAUVEUR PERSONNEL DU C.A. N°5 par le colonel Maurice BESNIER
|
NOMS | FONCTIONS | PROVENANCE (1) | SITUATIONS ACTUELLES [en 1964] ET ADRESSES | OBSERVATIONS |
Messieurs | ||||
Colonel BESNIER Maurice | chef de centre | DP | 3 rue du Carel à Caen | blessé au BS le 15/7 |
Commandant FRAIGNEAU | adjoint | DP * | 62 rue Bicoquet à Caen | |
Dr AUMONT | service médical | * | 191 rue Caponière à Caen | |
interne TARTAR | d° | |||
Mesdames | ||||
BESNIER Germaine | infirmière chef | EU * | 3 rue du Carel à Caen | |
DUSSOIR | infirmière | décédée après 1944 | ||
MARTINET | d° | * | assistante sociale, 36 rue Fred Scamaroni à Caen | |
PASSARD | d° | EU | ||
RUFFIN | d° | EN * | conciergerie école rue de la Seine à Caen | |
Mesdemoiselles | ||||
ANDRE | EU | |||
BESNIER Jeanne-Marie | EU | Mme Jean CAZIN, 23 quai Eugène Meslin à Caen | ||
BOSCHER Odette | EN * | Mme TREMBLAY, 27 rue de Branville à Caen | blessée au BS le 15/7 | |
BOSCHER Jeanine | * | Mme MARIE, secteur postal 69612 | ||
BRIOUT | EU | |||
CATOIRE | S | Mme ? | décédée à Falaise après 1944 | |
FRAIGNEAU Marie-Thérèse | * | Mme MUSSAWIR à Gavray (50) | ||
FRAIGNEAU Marcienne | * | Mme PANNIER, 62 rue Bicoquet à Caen | ||
GENVRIN | S * | Mme VIARNAUD, 8 rue des Recollets à Paris (10e) | ||
de GOUVILLE | S * | 30 avenue du 6 juin à Caen | ||
LAGOUTTE Yvette | EN * | Mme DUBOIS, 44 rue Bicoquet | ||
LE BACHELET | ||||
LE BARON | * | 30 rue St Nicolas à Caen | ||
LEROY | EU | 35 rue de Bellechasse à Paris | ||
MARIE | SN | |||
PASQUIER | M | |||
PIMOND | S | décédée à Caen après 1944 | ||
REAU | SN * | assistante sociale, 15 rue R. Friant à Paris (14e) | ||
SALMON Denise | SN * | Chambre de Commerce de Caen, 87 rue d'Hérouville à Caen | ||
SALMON Raymonde | M * | Mme BRUIN, 166 rue Bois Robert au Hâvre (76) | ||
VILLIERS-MORIAME | S | |||
Messieurs | ||||
ALIBERT | volontaire | |||
ARSENE | PG * | (CM………marine ?), 12 rue Damozanne à Caen | ||
BEGUINOT | S | |||
BELLAMY ? | SN * | Fondation Barthelon, boulevard Solicier, à Toulon (83) | ||
BESANCON | PG | |||
CAVALIER | ||||
CHRETIEN | S | |||
DALLEINE René | S * | à Hérouville St Clair | ||
DROUAN | ||||
DUBOURG | S | à Epron | ||
DURAND | DP | |||
FIEFFE Robert | EU * | chef de chantier Pieux Franki, à Cheux (14) | ||
FREYBET | M | |||
GEOFFROY | S | capitaine d'armement à la Société Navale Caennaise (SNC) | tué au Bon Sauveur ** | |
GENVRIN Jacques | S * | professeur au conservatoire de musique, à Metz (57) | ||
GENVRIN Pierre | S * | éducateur, route de Ste Honorine à Evrecy (14) | ||
GOST | PG | |||
de GOUVILLE | S | décédé en 1963 | ||
Cdt de GOUVILLE | S | décédé après 1944 | ||
GREBAUVAL | PG * | imprimeur, 14 rue Damozanne | ||
HARCOURT | S * | principal clerc de notaire, 8 rue Haute à Caen | ||
HEINTZ André | EU | professeur d'anglais, 20 rue Jean Romain à Caen | ||
JAMES | PG | |||
LAPORTE | S | décédé à Caen après 1944 | ||
LECCIA | PG | parti à Marseille | ||
LECHARTIER | EU | SMN, 78 rue Caponière à Caen | ||
LECONTE | EU * | chef de bataillon infanterie de marine, 6 place de la Résistance à Caen | ||
LECOUTURIER | PG | Société Navale Caennaise | ||
LENEVEU | PG * | représentant de commerce, 35 rue de Jersey | ||
LEROY | S * | retraité des PTT, 90 rue St Pierre à Caen | ||
LETOT | PG * | 73 rue Boileau à Paris (16e) | ||
LODEHO | PG * | retraité des PTT, 39 rue de Jersey à Caen | ||
LOISON | S | |||
LORFEUVRE | PG * | |||
MARGUERITE | EU | |||
MARION | S | |||
MARTINET | * | 36 rue Fred Scamaroni à Caen | blessé au BS le 15/7 | |
MINARD | M | |||
MUNIER | chef du personnel | PG * | génie rural, à Chambéry | |
PASSARD | EU | |||
PERAULT | EU * | assureur, 12 rue Neuve Bourg l'Abbé à Caen | ||
PUYRAVEAU | S | |||
ROGER | S | |||
THOMAS | EU | |||
VIGOT François | EU * | docteur en médecine, à Brécey (50) | ||
* figurent sur la liste commémorative du 22-5-1964
DP = Défense passive
EN = Equipes nationales
EU = Equipes d'urgence de la Croix Rouge
M = Secrétaires provenant de la mairie
PG = Prisonniers de guerre libérés
S = Sinistrés
SN = Secours national
(1) Dans cette colonne sont indiqués les groupements d'où provenaient les membres du personnel ou si ces membres ont été recrutés parmi des sinistrés réfugiés au centre d'accueil.
** Le Mémorial des victimes civiles en Basse-Normandie ne recense qu'un seul Geoffroy tué le 5 août 1944 sans aucune autre précision, voir ci-dessous:
CENTRE D'ACCUEIL DU BON SAUVEUR (C.A. 5) et 3 rue du Carel (domicile de l'auteur)
Par le Colonel Maurice BESNIER
, son directeur, d'après son
agenda
DATE | OBSERVATIONS | |
juin 1944 | nuit du 5 au 6 | débarquement |
6 | bombardement de Caen | |
nuit du 6 au 7 | d° | |
nuit du 12 au 13 | très violent bombardement | |
14 | la population est invitée à évacuer la ville immédiatement sur le sud-est du département. Indemnité de 750f. + vivres | |
16 | "il faut partir" : ordres de CACAUD [préfet] et DETOLLE [maire] | |
19 | je couche à St Joseph | |
24 | à partir du 24, les personnes qui le peuvent doivent régler le prix de leurs repas (15 f. par jour) | |
26 | obus sur le centre de triage | |
29 | ordre d'évacuation totale de la ville | |
30 | ordre d'évacuer les impotents sur les carrières de Fleury | |
juillet 1944 | 2 | vers 23 h : obus dans le grenier au-dessus du porche St Joseph |
7 | nombreuses vagues d'avions le soir | |
incendie de la Faculté | ||
nuit du 8 au 9 | calme; repli des Allemands | |
9 | entrée des Anglais à Caen | |
la Charité est évacuée du centre sur l'initiative du Préfet | ||
12 | 20 h 30 : obus sur le Lycée (cuisines) et sur le Bon Sauveur | |
13 | officiers E.R. convoqués à la gendarmerie | |
nuit du 13 au 14 | violent bombardement sur le Bon Sauveur | |
nuit du 14 au 15 | vers 4 h : obus sur le Bon Sauveur (blessé à la poitrine) | |
15 | à la maison : obus devant la cuisine pendant le dîner (du 105 environ) | |
nuit du 15 au 16 | nuit très agitée | |
obus sur le bureau des entrées : 2 blessés (M. MARTINET et Mlle Odette BOSCHER) | ||
blessé à la tête | ||
couché dans le couloir | ||
16 | couché au cabanon 9 | |
18 | 5 h 45 : très grosse préparation d'artillerie | |
gros bombardement de l'aviation vers Colombelles et Fleury | ||
23 h 30 : bombes dans le Bon Sauveur | ||
19 | compagnie canadienne, dans le jardin, du Rgt North (Saskatchewan?) | |
24 | institution de tickets vendus par le service des réfugiés pour régler le prix des repas | |
?? | appel du Préfet DAURE dans le but d'évacuer au maximum les C.A. | |
25 | 2 h : bombardement par avions allemands sur le Palais de Justice | |
26 | vers 0 h : bombardement par avions allemands | |
petites bombes dans le jardin | ||
nuit du 26 au 27 | bombardement par avions allemands (assez éloigné) | |
27 | départ du détachement Bomb Disposal installé chez WAVELET | |
28 | arrivée du détachement du Royal Army Service Corps (R.A.S.C.) | |
29 | obus cour WAVELET (2 Anglais tués) | |
août 1944 | 1 | très forte préparation [d'artillerie] vers 2 h |
4 | 1 h : bombardement par avions allemands | |
bombes sur toit chambre à donner | ||
Germaine couche au B.S. | ||
8 | 14 h : la R.A.F. bombarde les Canadiens et sans doute aussi les Polonais | |
10 | [je] couche à la maison | |
15 | 0 h 30 : bombardement par avions allemands | |
2 bombes avenue Albert Sorel | ||
nous recouchons au B.S. | ||
19 | couché à la maison | |
23 | appris libération de Paris (du 22) | |
septembre | 2 | musique du "Royal Marine" place Saint Sauveur |
22 | ordre de fermeture du C.A. 5 à la date du 30 septembre : faute de place au C.A. 4 (Lycée) fut reportée au 15 octobre |
Bomb Disposal = service de déminage
Rgt North (Saskatchewan?) A cette date à Caen il y avait deux régiments North:
1-The North Shore Regiment, (Nouveau Brunswick) 8th Brigade, 3rd Cdn ID
2- The North Nova Scotia Highlanders, (Nouvelle-Ecosse) 9th Brigade, 2rd Cdn ID
Remerciements à Vincent Cazin pour la communication des documents de son grand-père.