Témoignage
de Jeanne-Marie Besnier (Mme
Cazin)
la fille de
Mme Germaine Besnier
et
du Colonel
Maurice Besnier
..
ajout de MLQ
Sur le plan du scoutisme, la commissaire de région me demandait de plus en plus et désirait que je m'occupe du district, c'est à dire du département. Cela me prenait beaucoup de temps, m'empêchait de trouver un emploi rémunéré et me dérangeait d'être à la charge des parents. Il fut décidé alors que j'aurais un salaire correspondant à un quart de temps. Cela n'allait pas très loin, bien sûr. Faire du scoutisme pendant l'occupation n'était pas tellement évident, car ce n'était pas tout à fait autorisé; cela me stimulait peut être davantage, en renforçait nos sentiments patriotiques et nous rendait fières. C'est pourquoi, dans les camps, nous étions heureuses, de hisser les couleurs et de chanter des chants patriotiques.
Si ma vie à Caen fut marquée par le scoutisme. c'est bien évidemment surtout l'année 1944 qui fut le point dominant comme pour tous les caennais, à cause de ce débarquement du 6 juin et la vie difficile qui en suivit en attendant la reconstruction. J'ai la chance d'avoir retrouvé mon petit agenda de 1944.
Mercredi 19
avril 1944 - Jean
, mon
frère part à Rouen
avec les
Equipes
Nationales
pour combattre les incendies consécutifs aux très gros bombardements.
Jeudi 11 mai 1944 - Réunion de compagnie avec un grand jeu en vue d'un rallye chez Fernande Bouet, ma marraine, 106 rue Basse - Lever des couleurs‑
Vendredi 12 mai 1944 - Je vais avec Chantal Nobécourt ( Rivière) et une autre cheftaine, à la Sainte Famille, rue des Carmes, chercher de vieilles frusques pour nous déguiser lors de notre rallye. C'est Sœur Saint Anaclet, religieuse de la Miséricorde, qui nous les donne.
Dimanche 14 mai 1944 - ( fête de Jeanne d'Arc ) Messe à 8h; rassemblement 3 rue du Carel à 9h;
Le 3 rue du Carel.
rallye; 16h, promesse des "Jeannettes" (8
à 11 ans), rue des Jardins.- Boulevard
Bertrand, Chantal se fait arrêter par la
police et est conduite au commissariat. car notre attitude.
à
Chantal et à moi
,
paraissait louche; mus étions déguisées en vieilles bonnes femmes,
ramassant du bois mort- Notre projet était de nous faire interpeller par les
guides auxquelles nous devions donner un mot de passe !
Mardi 30 mai 1944 - 14h,
sortie de chefs à
Fleury
sur Orne, au château, très grosse chaleur, défense de dire
"j'ai chaud" ou "j'ai
soif "; thème: l'Amitié.
Orage. Certaines guides, Nicolette Morette
et
Lucienne Lamy
seront tuées, huit jours plus tard (Lucienne
Lamy le 7 juillet)
Source. Le château de Sainte Croix à Fleury
Samedi
3 juin 1944 -
9h. départ de Jean
pour Rouen avec les pompiers. Rouen
ayant essuyé un nouveau bombardement. C'est sur un toit de l'immeuble en
feu que
Jean, qui n'avait pas 17 ans, se fait donner un conseil par un capitaine pompier
de
Paris... Jean le rabroua en lui disant : "Je
connais le métier!"
Dimanche 4 juin 1944 - Madame Nobécourt prend le goûter au Carel. A 17h, retour de Jean et Jacques Nobécourt, visages noircis et boursouflés par le feu !
Lundi 5 juin 1944 - "Nuit agitée - Un débarquement!" C'est ce que j'ai écrit sur mon agenda! )
Mardi 6 juin
1944 -
Effectivement, vers 4h ou 5h, de très grosses pétarades.
Par
la fenêtre de ma chambre ouverte, je vois
le ciel entièrement éclairé par le sillage des
balles traçantes. J'ai l'impression que cela va
entrer dans la chambre qui est face au
petit bois.
Je descends de mon lit, en me laissant rouler par terre. J'ai même regardé
après, si dans le mur au dessus de mon lit. il y avait des traces de balles! Je
vais vite voir papa qui me dit :
"Ce doit être un débarquement".
Nous descendons au rez-de-chaussée;
papa, maman
,
Jean
et
moi
nous nous concertons; il faut s'habiller pour être
prêts ... mais à
quoi?
Il faut préparer quelques affaires. Le lundi, il y avait
fermeture des boulangeries; dès que possible. 7h30, 8h? le 6 juin
étant un mardi. je vais chercher du pain,
notre ration. On fait la queue, des gens
ont
appris que c'est bien un
débarquement; on dit même "les
Anglais
sont
déjà à Bayeux!'
Durant ce temps, maman se rend à l'église Saint
Etienne pour assister à la messe. Il y
a très peu de monde
et l'émotion
est
grande, le prêtre curé de cette paroisse,
Monseigneur des Hameaux
,
prévoyant un très grand danger, ne veut pas laisser
d'hosties consacrées dans son église ... et
vide son ciboire en distribuant les
reste
de
ses hosties aux
quatre personnes présentes.
6 juin 13h30 -
Bombardement de centre ville, rue Jean Romain, rue des Jacobins,
rue des Chanoines, rue Saint Jean... Papa
avait été affecté, lors d'un plan organisé par
la Défense passive, comme directeur d'un centre d'accueil éventuel. au Bon
Sauveur,
93 rue Caponière, devenu hôpital général de Caen, car
l'hôpital, rue Clemenceau,
avait été réquisitionné par les Allemands.
L’hôpital civil de la route de Ouistreham, était au début de la bataille un Kriegslazarett réservé aux Allemands, excepté un service de contagieux au Pavillon N°6 une quarantaine de lits, l'Ecole d'Infirmières (directrice Mme Saule) et la Communauté des Sœurs Augustines. Depuis 1940, lors de l'invasion allemande, l'hôpital de Caen, route d’Ouistreham, fut occupé. Les services étaient éclatés au Bon Sauveur, à la Miséricorde, à la clinique Saint Martin et à l’hospice Saint Louis.
Les "agités" du B.S avaient été évacués sur
Albi. J'étais
affectée également au B.S. comme équipière
aux
Equipes d'Urgence
de la Croix-Rouge.
Je pars avec papa au B.S, en rasant le mur de la rue du Carel; papa
me dit : "Ne
crains
rien avec moi, j'ai eu toujours la baraka",
et
plus tard,
il
me dira
"Tant qu'on entend
le bruit
des bombes
ou
des obus. c'est ... que ce n'est pas pour nous!".
Avec ses bons
camarades Jean Claude Sautot, Jacques Piel et Gilbert Detolle,
Jean
rejoint, de son
côté, les équipes nationales
.
La famille de La Hougue, de très bons amis, qui viennent
d'avoir leur maison détruite, rue de l'Oratoire, viennent se
réfugier chez nous 3 rue du
Carel. C'est à dire Pierre, Cécile sa femme, madame Primois,
mère de Cécile, les
enfants, Claude
âgée
de 11 ans, Catherine 8 ans et Laurence 3 mois. Maman
désire
aller à son "Goûter des mères", rue Mélingue. Dans la rue et place Guillouard,
elle voit des gens hébétés, poussiéreux, blessés qu'elle emmènent au Carel, pour
les nettoyer et leur conseiller d'aller au B.S.
6 juin 16h - Bombardement rue de Caumont, de l'autre côté de la place, donc tout près de chez nous.
Repérages: rue du Carel, place Guillouard et rue de Caumont.
Au B.S. où j'étais allée, le docteur Lebailly,
directeur de la "Goutte
de lait", me fait demander pour retourner
à
Ia "Goutte de
lait",
car il y a encore des
biberons à distribuer.
Quand je
retourne le lendemain au
B.S.
les
équipes
ayant été
mises en place, je n'ai pas personnellement d'affectation
particulière, je dis à mon père
qu'au
lycée, il y a beaucoup plus de réfugiés arrivés et que j'aurai sûrement plus
de
travail à y faire. Papa
n'est pas satisfait que je prenne l'initiative de changer de cap.
"Quand
on est affecté
à un
poste, on ne doit pas changer sa destinée." Ce n'était pas
pour me
dérober, au contraire, et je savais de plus, que je retrouverai toute
l'équipe
de guides aînées ou cheftaines qu'avait en
main Chantal Nobécourt.
Dans la nuit du 6 au 7 juin 1944. Nous entendons les bruits énormes des bombardements et apercevons les lueurs qui éclairent l'ensemble du ciel. C'est cette nuit là qu'a lieu en effet, entre autres, le bombardement incendiaire au phosphore de la rue des Carmes, où les parents de Pierre de La Hougue avec quatre autres personnes de leur famille furent tués, dans leur belle demeure de l'hôtel de l'Intendance.
Montage de 3 photos L'hôtel de l'Intendance. Source: Collection privée, page 167 de ce livre. Source: page 84 de ce livre; le portail, rue des Carmes, de l'Hôtel de l'Intendance.
La
clinique de la rue des Carmes, fut
pilonnée et infirmières et
malades.
une centaine de personnes, y furent tués, ainsi que notre
aumônier Guides de
France, qui y habitait, un père oblat de Marie, le père Bocquené
. Ayant
appris le désastre de la rue des Carmes, Pierre de La Hougue va le lendemain
reconnaître les corps ou le peu qui
restait ..., quelques os, calcinés des six personnes. Il les mit dans
une boîte carrée métallique à
biscuits qui fut placée dans le cimetière provisoire près du lycée, à
l'emplacement actuel d'un parking de la mairie face à la bibliothèque
municipale où seront enterrés, pendant le débarquement, le corps de ceux
que l'on pourra
dégager des décombres. Cette boîte à biscuits
"cercueil"
reçut un
jour, début
juillet, un obus allemand et on ne retrouva plus
aucune trace... Elle fut
volatilisée !
Source film British Movietone News. Des tombes dans les jardins du Lycée Malherbe.
Nous apprîmes plus tard que Nanette avait été se réfugier là avec des amis, dans le lavoir de la Miséricorde, après avoir vu dans l'après-midi sa maison 14 rue Jean Romain. s'effondrer. Elle l'avait quittée comme une folle! il y avait de quoi! en confiant un petit sac contenant ses bijoux entre autres choses: la tabatière en or, son gros diamant, une broche de diamants, sa chevalière, sa bague saphir et son argent .... à son voisin d'en face qui n'avait pas encore sa maison démolie, le docteur Postina. qui avait une cave et qui, plus tard. fut très gêné de n'avoir pas pu retrouver ce petit sac.
Papa restait dormir au B.S. le
soir, tandis que Jean
allait avec les équipes
nationales
,
au
lycée Malherbe.
Captures d'écran de ce film, la façade du Lycée Malherbe avec deux "Croix Rouges"
Maman
et moi
et les de La Hougue dormions sur des matelas dans
le salon du Carel. Nous implorions le Seigneur ou la
Vierge Marie, en chantant "SaIve
Regina".
"Vierge notre Espérance . sauve, sauve la France, ne l'abandonne
pas",
disions
le chapelet. Pour répondre aux gros coups et pour détendre tout le monde,
je
leur apprenais ce que Max m'avait chanté une
fois. "Mais les obus de la Ma-ri-ine uni
si pointus ... etc..."
En effet, dans la nuit du 7 au 8 juin
non du 8 au 9, des
énormes obus tirés de la
mer, à partir de cuirassés, tomberont sur Caen, la place
Saint Sauveur et détruisirent la
flèche de l'église Saint Pierre.
Le 9 juin à 02h00, un obus de 406 mm (16 pouces) du HMS Rodney emporte la flèche du clocher de l’église Saint Pierre qui s’abat dans la nef.
Mercredi 7 juin 1944 -
Déjà les réfugiés sont nombreux
et en fin d'après-midi avait lieu le Salut de Saint Sacrement. Monseigneur des Hameaux
donnait l'absolution
générale à tous. Cela créait vraiment une grande émotion
dans
cette grande
église, le
nombre de personnes venant se mettre à I'abri augmente.
Les uns couchant
sur
des matelas
ou sur la paille, dans les bas-côtés, les chapelles latérales, ou même dans la
nef. Ils mangeaient, dormaient, s'épouillaient ... On a
même dit qu'un couple fut vu
faisant l'amour dans une chapelle!!!
Source. Des réfugiés dans une chapelle latérale de Saint Etienne. Source. Des réfugiés dans la nef centrale de Saint Etienne
Jeudi 8 juin 1944 - Bombardements cours Sadi Carnot. C'est ce jour que la gendarmerie et la caserne des pompiers, rue Daniel Huet, sont écrasées. Gros incendie. La majorité des pompiers: est tuée, la grosse partie du matériel détruite.
La caserne des Pompiers, rue Daniel
Huet, est anéantie avec son commandant (Capitaine Jules Foucher
) et 17 Sapeurs-pompiers. Le précieux matériel est perdu.
Localisation de la Gendarmerie et de la caserne des Pompiers.
"Collection particulière, avec l'aimable autorisation de François Robinard". La caserne des pompiers.
La Gendarmerie, montage de deux photos, rue Sadi Carnot.
Les "équipiers
nationaux" avec mon frère Jean
les remplaceront. Les canalisations d'eau étaient détruites et
les pompes restantes ne pouvaient être utilisées; aussi
leur rôle consistait surtout à faire "la part du feu". c'est à dire
démolir à la hache les charpentes. Ils se
dépensèrent également à dégager les corps des décombres. Les Equipes
Nationales ont
si bien travaillé que c'est grâce à eux que, plus tard. les pompiers de Caen
se virent décerner la "Fourragère tricolore"
, distinction de la
médaille de sauvetage. Personne
ne se rappelle le mérite de ces jeunes
E.N.
Par la suite, leur action ayant été occultée
parce que leur mouvement avait été créé sous
Vichy.
Quelle rancoeur pour eux tous!
Comme je l'ai dit plus haut, je n'ai rien noté sur mon agenda du 9
juin au 7 juillet, de même entre le 8 juillet
au 27 juillet. Grâce aux notes de maman
dans lesquelles elle a écrit ses
souvenirs de cette pénible époque, et parce que je me suis
personnellement rappelé, j'ai pu reconstituer notre vie et en citer les
points forts.
Mes parents
, Jean
et moi
avions nos diverses
activités au B.S, au lycée et Jean, à
partir de son
P.C. au lycée rue Pasteur.
Pendant ce temps. les de la Hougue étaient au Carel et essayaient d'assurer
l'intendance. Papa et Jean couchaient
sur
le lieu
de leur
travail. Maman rentrait le soir, moi aussi
les premiers jours, puis je couchais au lycée
avec
mes camarades, les équipes (guides de Chantal) et de
Gilles Rivière, à la tête d'une
Equipe
d'Urgence
formée d'étudiants en droit, avec les deux frères Girault André et
Jean-Marie
, Claude
Perret...
Nous dormions dans notre P.C. dans une grande pièce du premier étage jusqu'au jour où elle fut éventrée par l'arrivée d'un obus allemand; nous descendîmes alors au rez de chaussée dans les deux parties des douches.
Comment ce passait notre vie au Carel ? Il n'y avait bien sûr ni gaz, ni électricité, ni eau. Comme il y avait une pompe devant la cuisine, nous avons pu la remettre en état de marche. Nous avions ainsi beaucoup de chance ! Nous y mîmes du permanganate, pensant qu'elle risquait d'être polluée par la pourriture des chevaux des Pompes funèbres qui avaient été tués dans leurs écuries, un peu plus loin rue du Carel. Les odeurs nauséabondes dégagées et le vol des énormes mouches bleues qui en résultaient, étaient bien pénibles.
Le 10 juin 1944 - Nanette arriva à son tour se mettre à l'abri au Carel. Elle s'occupa surtout à faire dans la cuisine des rangements. Elle mélangea des petits fonds de paquets ensemble, par exemple, ... ce qui fut assez étonnant lorsque je voulu faire un gâteau pour l'anniversaire de Jean!
Le 13 juin 1944 - L'après-midi, je me trouvais au Carel et nous fûmes attirées dans le jardin par le bruit d'explosions. Nous vîmes le spectacle d'un combat aérien, un avion était en feu ..., heureusement, un parachute s'ouvrit. nous espérions que l'aviateur serait ainsi sauvé. Hélas! le parachute à son tour s'enflamma !
Un jour, deux Allemands de la
Wehrmacht
entrent dans le jardin, ayant vu le cerisier,
en cueillent les fruits, loin d'être encore mûrs, les mettent dans leurs casques
et aimablement en offrent à Claude et
Catherine de La Hougue, qui n'osent
pas accepter. Ce n'était pas encore trop
grave par rapport à se qui se produisit un peu plus
tard. Deux
SS
arrivèrent au Carel, voyant deux oies, voulurent les prendre. Maman
se rebiffa : "Elles sont
au propriétaire".
Ils sortirent leur revolver, les visèrent, les ratèrent et furieux sautèrent le
muret, les attrapèrent, réclamèrent un sac pour les emporter. Quelle frousse!
Le 5 juillet 1944 -
Alors que
j'étais venue faire un peu de toilette, maman
et moi
sommes surprises par le bruit violent d'une
vague d'avions et largage de bombes.
Nous nous réfugions sous l'escalier de pierre, au waters .... avec un
oreiller sur la tête ..., disant notre prière ... Le calme
revenu, nous sortons dans la cour et sommes
apeurées, on ne peut plus voir les flèches de Saint Etienne! Nous pensions
qu'elles avaient disparu ... Mais peu à peu, fumées et
poussières s'estompent et ouf !
les flèches réapparaissent. L'aviation
allemande
ne gaspillait pas ses appareils,
ni ses
projectiles. Lorsqu'elle voulait un objectif, elle descendait en piqué. Nous
avons vu
ainsi des
Messerschmitt, vu aussi, de la place
Guillouard, des bombardiers alliés au
dessus de ma tête. J'ai vu des
bombes sortir de ces appareils. Mais je pensais aussi
que ce n'était pas pour moi. Avec Chantal, rue des Carmes,
pour retrouver le corps de
notre aumônier. sur une table derrière un pan de mur ..., une femme ...,
violacée ... gonflée ..., raide ..., sur le semblant de chemin à travers les
cailloux ..., un bras .... sortant ...
C'est dans les premiers jours de juillet le 29 juin que l'Hospice Saint Louis fut évacué dans deux des Carrières de Fleury.
Entrée d'une carrière, à deux dates différentes, à gauche, un garçonnet; à droite, Photo PAC, le 1 août 1944. Noter la pancarte: Hospices civils de Caen, Out of bounds peut se traduire par accès interdit à la troupe.
On avait pu installer un groupe électrogène pour leur donner l'éclairage, mais dans ces deux carrières seulement. J'y fus envoyée pour aider à installer ces pauvres vieux, en apportant leurs lits de fer.
Source. Photos prises après la libération du 19 juillet. Des vieillards, des réfugiés et des religieuses.
Mais je n'y ai dormi qu'une nuit. Nous allions aussi avec des grandes marmites chercher la soupe préparée par les femmes au-dessus des carrières. Nous descendions, casque sur la tête, à l'Orne, laver leur vaisselle. C'est à cette occasion que se situe l'anecdote que j'ai souvent racontée. C'était la partie de pêche, faite à côté de nous, par les Allemands lançant des grenades dans l'Orne, pour attraper plus facilement les poissons. Dans les autres carrières champignonnières de Fleury, il y avait plusieurs milliers de réfugiés, sans lumière, couchant sur la paille et bien souvent n'osant en sortir, à cause des pétarades de l'extérieur.
Au Bon Sauveur, les gens
couchaient dehors. Les
religieuses de "la Charité" (leur couvent
avait été décimé quai Vendeuvre), avec leurs
"protégés", avaient très peau et
demandèrent un soir à papa
: "Mon colonel, il nous faut un homme pour coucher avec
nous!" -"Oh,
mes
Sœurs, c'est
vous qui
parlez ainsi!"
Et papa leur donna deux
personnes de confiance, deux messieurs, les frères de
Gouville.
Le monastère des Sœurs de la Charité, 12 quai Vendeuvre et rue de l'Engannerie, à droite en arrière-plan l'église de la Trinité
Un autre jour, papa vit arriver au B.S deux vieilles filles, affreusement laides, restées jusque là dans le quartier de Venoix, venant se réfugier au B.S. affolées et disant qu'elles avaient manqué être violées par des Allemands. -"Vous auriez eu de la chance, dommage!" et le président Leroy, père de notre ami Michel Leroy de la rue des Chanoines. de dire à papa : "Mon colonel, vous y allez fort!-
Que
faisaient les équipes d'urgence?
. Les
garçons allaient plus précisément sur les
lieux bombardés, retiraient les blessés, les brancardaient, allaient chercher le
ravitaillement avec des bons de réquisition
dans les magasins démolis, ou évacués ...,
allaient traire les vaches sous la
mitraille, ramenaient les animaux de boucherie qui
venaient d'être tués dans les prés. Les
filles faisaient des nuits de garde auprès des vieillards d'hospice,
réfugiés, au deuxième étage du lycée, ou des gardes à
l'église Saint Etienne. Nous servions des repas aux réfugiés, après avoir
inspecté leur tête. Nous allions laver le
linge des garçons dans le petit lavoir où la pompe avait été mise
ai marche.
Bon Sauveur, l'Odon avec la buanderie et la pompe. Source.
Au lycée, nous lavions à la chaîne les cheveux des équipiers, en utilisant l'eau d'une bassine pour laver le suivant. J'organisait aussi un service "d'hygiène pour femmes" et pour cela, je distribuai parcimonieusement l'eau en leur donnant la valeur de deux pots à confiture d'eau pour la toilette. C'est vrai que c'était minime; je connais une dame, bien âgée de nos jours, qui m'en veut encore et qui m'associe dans ses souvenirs à l'idée de saleté ! pauvre de moi!
La vie fut effectivement fort pénible pendant plusieurs semaines, plus de deux mois, pour toute cette population qui couchait, soit dans les grandes caves du lycée, soit dans le cloître, soit dans l'église. Le quotidien a ses contraintes. Des feuillées avaient été creusées dans une des cours du lycée. Il y avait les feuillées "hommes" et les feuillées "femmes". J'avoue que j'appréhendais ce passage et l'obligation de m'y rendre, tant l'odeur normale des excréments mêlée à celle du grésil, et l'afflux des grosses mouches bleues étaient dégoûtant. Certaines personnes repliées ainsi dans les caves faisaient leurs besoins dans des seaux et n'osaient même pas aller eux-mêmes les vider et c'étaient nous qui devions le faire!
Le 5 juillet 1944 - Hélène Delacour et
moi
,
fûmes
envoyées dans le
quartier de
Vaucelles peur chercher, parait-il, des
chaussures à semelles de bois
articulées, dans
je
ne sais plus quel dépôt. Il fallait
passer par la passerelle du Puits de Jacob,seul pont
qui restait pour traverser l'Orne.
Lorsque, étant à la hauteur de
la
Prairie, à l'entrée
environ du Grand
cours, une vague
d'avions bombardiers alliés nous
survole ... Que fallait-il faire? C'était
fort probablement ce seul pont restant qui était visé; et comme. bien
souvent ils rataient leurs objectifs, nous pouvions sans crainte franchir la
passerelle. Rétrospectivement, je
pense que nous étions assez
téméraires ... ou inconscientes. En tout cas, cette passerelle fut détruite le
lendemain 6 juillet.
Localisation de la Prairie et de la passerelle sur l'Orne
Le 6 juillet 1944
-Les de La Hougue ne
se sentant plus en sécurité au Carel, sans
cave,
s'en vont coucher dans celles du
lycée Pasteur, d'où ils devront fuir le soir
même,
pris également par les bombardements intenses de ce
quartier. C'est ce jour-là aussi que Jean
et Jacques Piel vont délivrer les
religieuses Bénédictines, rue Elle de
Beaumont; elles ont leur couvent détruit au-dessus d'elles et sont deux fois
plus cloîtrées de la sorte maintenant. A ce
moment là, une bombe retombe pas très loin de
Jean; la déflagration perfore son tympan.
Mais les religieuses délivrées sautent au cou de leurs deux libérateurs
et les embrassent.
Collection R. Tesnière. Le couvent des Bénédictines l'ensemble est écrasé sous les bombes et seuls des vestiges de la chapelle demeurent aujourd'hui dans la cour de la clinique de la Miséricorde.
Le 7 juillet 1944 -
Nous recevons un mot de Odette,
apporté par un équipier d'urgence
venant de
Paris. Elle nous apprend que Max est sorti de
la prison de
Fresnes. C'est heureux ! nous ne savions pas qu'il avait été arrêté !
Le 7 juillet de 21h50 à 22h40 - Bombardements; rue Malfilâtre, carrières Saint Julien et autres lieux.
Localisation rue Malfilâtre, rue des Carrières Saint Julien
"Carte postale Delassalle" Les carrières Saint Julien, voir le front de taille en haut à droite.
Notre équipe se rend là-bas. C'est assez impressionnant,car les lueurs d'incendie, le grondement des bombes sont très angoissants. Hélène Delacour fut projetée dans un trou de bombe. A notre retour, n'étant pas mentionnée "rentrée" sur le carnet de bord une équipe partit à sa recherche. Franck Duncombe, interne en médecine au B.S. vint avec nous cette nuit là et s'exprima : "Cette nuit fut une des plus terribles: les forteresses volantes attaquaient la DCA allemande se déchaînait avec une violence inaccoutumée. C'est ce jour là que fut détruite l'université rue Pasteur, le couvent des Bénédictines rue Elie de Beaumont, l'église Saint Julien. Etc ... Nous allâmes, en file indienne par la rue Saint Manvieu, la place Saint Martin, la rue Desmoueux,la rue Bosnières, encore en flammes et enfin rue Haldot. On ne pouvait reconnaître les lieux, il n'y avait que des cratères qu'il fallait contourner."
Localisation du trajet du lycée Malherbe à la rue Haldot.
J'avoue qu'on avait la "trouille"; des obus retombaient; on se mit à plat ventre et des gravats étaient projetés sui notre dos. Il fallait ramener au lycée les gens qui s'étaient réfugiés dans les carrières, ou se trouvaient sous les ruines. Un monsieur, serrant son chien dans ses bras, derrière un pan de mur, refusa de nous suivre. On dormait de 4 à 6h du matin dans les douches du lycée.
Le 7 ou 8 juillet 1944 - On amène un soldat allemand dans le réfectoire du lycée qui servait jusque là depuis le 6 juin de poste de secours et qui était alors évacué. Il a un gros trou dans la gorge. J'assiste à son dernier soupir.
Le 8 juillet 1944 - Qu'est-ce que je fais seule place Saint Martin? Je suis abordée pu un motocycliste allemand, l'air affolé, qui me demande le chemin de "Hubert Folie": moi qui n'ai jamais entendu parler de ce nom ..., trouve qu'il est bien courageux de retourner vers les lignes anglaises ..., et je lui montre le direction de "La Folie", c'est à dire l'avenue du Canada. J'appris après que "Hubert Folie" était au sud de Caen et qu'il cherchait sans doute à rattraper ses confrères ... en déroute, ou repliés plus au Sud pour continuer le combat.
Localisation du hameau de La Folie au Nord de Caen et de la commune de Hubert Folie au Sud de Caen
C'est à partir du 8 juillet, je crois, que
j'ai convaincu papa
de laisser
maman
, Nanette, la mère Monnier, à aller dormir au
lycée, car l'artillerie allemande devenait de plus en
plus active. Alors, il fallut ruser en
quittant le Carel, faire semblant ... pour ne
pas laisser supposer que la maison restait
sans personne à !'intérieur et risquant d'être pillée.
Le 9 juillet 1944 - Arrivée des Canadiens par La Maladrerie. Avec émotion et surtout un grand étonnement, je vois, rue Guillaume Le Conquérant, ce Canadien écossais, marchant en tête et jouant de son Bagpipe ( cornemuse ), pour stimuler la section de soldats canadiens marchant en file indienne le long des murs. L'entrée des Canadiens.
Un jour ? après ce 9 juillet 1944 - Au petit matin, tandis que nous étions quelques-uns de notre équipe au lycée, dans la pièce qui servait de pharmacie, deux soldats anglais apportent, sur un brancard, un des leurs. Monsieur Danjou, je crois, pharmacien, constate le décès. Alors, les deux anglais, flegmatiquement, allument une cigarette ...
Dans la nuit du 12 au 13 juillet 1944 - Hélène Delacour et moi sommes envoyées de garde dans l'église Saint Etienne. Nous emportons une petite bouteille de calva, qui peut servir, qui sait, à réconforter l'un ou l'autre et nous la posons au pied de la chaire. Une canonnade retentit contre les murs sud de l'église, ou contre les flèches. Les gens ont peur. la veille, deux jeunes filles ont été tuées dans l'église. L'abbé Le Normand, vicaire de la paroisse, sort de la sacristie où il dormait et réconforte les gens en disant : "Soyez tranquilles. n'ayez pas peur, elle est solide la baraque !" C'était l'artillerie allemande qui cognait dur. Une jeune fille vient me trouver pour que je fasse une piqûre à sa grand mère, solucamphre, je crois: mes aiguilles ne sont pas stérilisées! et je m'agenouille dans la paille... pour faire l'injection! Quand nous avons quitté l'église, Hélène et moi n'avons pas retrouvé la bouteille de calva! Ce fut d'ailleurs la dernière nuit ans l'église pour tous ces gens réfugiés, car ils furent évacués sur Bayeux le lendemain matin. Fin juillet, il ne reste que 7000 personnes à Caen sur les 61000 du recensement de 1936.
Le 15 juillet 1944 -
Au lycée,
devant l'entrée d'un abri.
Denise
Olive, une
équipière
est tuée par un obus
,
une
rue lui rend hommage. Egalement le même jour, dans un autre coin d'une cour
du lycée, un homme qui aidait à éplucher des
choux, est tué.
Vers le 18 juillet 1944 - L’heure du couvre-feu étant légèrement dépassée, j'avais depuis quelques jours réintégré mon domicile, au 3 rue du Carel, pour y dormir (le propriétaire était M. Luc WAVELET, pâtissier traiteur), étant en retard, j'accélère le pas et sors rapidement de la cour d’honneur en franchissant la grille. Arrivée au tournant de la rue du Carel j'entends une forte déflagration derrière moi. Le lendemain matin, je constatais que la grosse boule en pierre surmontant le pilastre gauche de la grille avait été projetée à terre par un obus allemand, juste à l’endroit où j'étais passée la veille au soir ! ! !
Repérage de la boule.
Quelques jours après cette boule fut roulée jusqu’au 3 rue du Carel par un membre de la famille WAVELET et mise en valeur sur un socle au milieu du jardin. Monsieur LOISON, qui succéda à M. WAVELET, transporta cette fameuse boule à Ouistreham, sans doute en 1978, lorsque les bâtiments de la rue du Carel furent abattus pour laisser la place au Conservatoire régional de musique.
Depuis elle a trouvé sa place au pied de la « Maison » Loison à l’entrée de Ouistreham.
Cette pierre est historique et demande à être conservée.
Traiteur Loison, 76 rue Emile Herbline à Ouistreham.
C'est ce jour-là, le 19 juillet, seulement, que les Alliés libéraient le quartier de Vaucelles. De toute cette période intense que nous avons vécue, nous avons, les uns et les autres, pris deux mauvaises habitudes. Celle de fumer: nous avions à notre disposition les "cigarettes de troupes", destinées aux prisonniers de guerre, dont l'envoi n'était plus possible. Et celle de dire facilement "Merde", que nous avons essayé de transformer en "Busbomb", nom de projectiles lancés par les Allemands en Angleterre.
Le 27 juillet 1944 -
On offrit aux équipiers d'urgence
, un camp de repos à
Villiers le Sec, dans la propriété Dupuy. Nous couchions, tous à
nouveau
les uns à côté des autres dans un grand grenier. Le matin,
dans la cour d'entrée de la propriété, nous
hissions les "couleurs", ce qui nous faisait plaisir à
tous. On me mit en "boîte", on me
chantait un refrain grivois:"un
caporal. c'est une légume ". Je
fus surnommée "caporal"
car je secouais tout le monde le matin, pour aller monter les couleurs. Ce
n'était pas parce qu'on n'était au repos que
cette cérémonie devait avoir lieu à midi ! Ils
roupillaient, tous mes camarades, un peu trop
à mon goût. On mit aussi en "Boîte" le
pauvre Michel Desprairies, parce qu'il avait peur de l'eau. On fabriqua une
"douche surprise" avec un casque rempli d'eau qui
se
déversa sur sa tête.
Le malheureux, si on
avait su, nous ne l'aurions pas chahuté ainsi, mourut quelques semaines après,
de la
typhoïde, à
Bayeux. Nous allions nous baigner dans
la Seulles. Nous envoyions
des garçons en éclaireurs, car des soldats
anglais, en stationnement pas très loin, allaient aussi se baigner, mais à poil!
Il fallait attendre qu'ils soient rhabillés pour que nous,
les filles ... Avec les Anglais, nous
essayions de troquer notre beurre salé rance. contre de la farine. Cela
ne marchait pas. Nous avons organisé un match de foot avec les
Anglais,
durant lequel notre amie Claude Harmel eut
sa lèvre inférieure
traversée par son incisive supérieure!
Le 10 août 1944 - Je redors enfin au Carel, dans des draps ... et en chemise de nuit!
Le 11 août 1944 -
Départ de Jean
pour un camp
de
repos des équipes nationales à
Reviers. Déménagement de
notre PC pour le 85 rue Caponière.
au
P.C.
des ambulancières de la Croix-Rouge.
Le 12 août 1944 - Avec Chantal Nobécourt et maman, nous allons au cimetière de Vàucelles, par le pont Bailey, posé sur l'Orne par les Anglais les Canadiens.
Nous entendons encore au loin le bruit du canon. Le quartier de Vaucelles n'avait été libéré que 10 jours après la rive gauche.
Le 13 août 1944 - Départ à 9h avec mademoiselle Morice, assistante sociale de la Croix-Rouge, pour Littry. où on avait demandé à Chantal et moi d'aller tenir un dispensaire. On y sera du 14 au 26 août. Nous sommes hébergées chez Madame et monsieur Dillée, marchand de vin, frère de monsieur Dillée de Caen. Nous dormions toutes les deux dans un même lit avec de beaux draps ... On nous apporte le petit déjeuner au lit avec une cafetière en argent. Nous fumons au lit et nous faisons un trou dans le drap ... J'avais mon petit nécessaire de couture, je fais une reprise et mets le drap, la tète aux pieds.
Le 25 août 1944 -
Maman qui avait besoin de repos vient nous retrouver pour quarante huit heures.
Alors que maman, dans la cour, disait au revoir à madame
Dillée, j'étais accostée par un américain
sortant d'une Jeep, l'air méchant et ivre, me
demandant : "Télêphon?", avec un revolver à
la main, redisant : "Télépon?" ... Il rapprochait bien trop près
de moi et en voyant mon brassard
: "Oh!
red cross". Je n'étais pas rassurée et maman, témoin, était fort inquiète.
Le 26 août 1944 - Nous rentrons sur Caen en stop avec un énorme camion américain, conduit par un noir, qui, pour nous faire peur, conduit en zigzag sur la route. Lors de nos semblables déplacements, entre Bayeux et Littry, nous avons pris un matin, une Jeep américaine qui fonçait à une telle allure, que nous mourions de frousse. Nous avions eu l'imprudence de dire que nous avions peur d'être en retard.
Le 29 août 1944 -
Voilà quatre jours que Paris est
libérée et une occasion se présente à moi; une voiture des équipes d'urgence allant à Paris,
peut m'y emmener. Papa ne veut pas,
la guerre n'est pas finie, il peut y avoir encore des embuscades.
Après avoir beaucoup insisté, je me fais
dire "qu'après tout, je suis majeure et que je
peux faire ce que je veux."
Argument qui me fait plier,
sans
doute, devant la sagesse
de
papa
; je ne partis donc pas cette fois-là.
Caen avait été libérée le 9 juillet, rive gauche, le 19 juillet, rive droite. Lisieux le 23 août, Rouen le 31 août. Dieppe le 1er septembre et Le Havre les 5 et 6 septembre.
A Dieppe - Devant des forces alliées, les Allemands avaient fuit la ville après avoir fait sauter des ponts stratégiques importants, en particulier dans le port. La libération de Dieppe fut faite par les Canadiens. Les habitants devaient héberger certains officiers ou sous-officiers. C'est ainsi que les Legros logèrent deux motocyclistes anglais de la "Royal Army Service Corps". qui accompagnaient des convois chargés de ravitailler les troupes en marche, à partir des ports de débarquement. Le 3 septembre, ils couchèrent à Caude-Côte, et retournant sur Arromanches, emportèrent une lettre de Madeleine, pour nous à Caen.
Insigne du Royal Army Service Corps
Mardi 5 septembre 1944 - 20h30. Le sergent Georgc Robinson apporte ainsi, 3 rue du Carel, les nouvelles des Legros. Il parle anglais et nous dit que le lendemain il viendrait prendre une lettre de nous, pour l'apporter à Dieppe chez les Legros. Papa, maman, Jean et moi étions dans la salle au Carel; je prépare une phrase en anglais et lui demande s'il pouvait m'emmener, à la place de la lettre. Je devance ainsi mon frère Jean qui avait la même idée, et me traite de "Salope". pour avoir été plus rapide que lui. L'anglais sans doute préfère emmener la "demoiselle".
Mercredi 6 septembre 1944 - J'attends toute la journée. en faisant de la couture. 19h30, il vient me prendre; je suis un peu inquiète, car il prend la rue du Carel sur la gauche et la direction de Venoix. C'est là, en effet, que le convoi, après avoir fait le plein à attend chargé, et passe la nuit dans le campement à Venoix. On me fait coucher dans un "lorry". Tous les soldats donnent à la "demoiselle" une couverture pour faire une pile de couvertures en guise de matelas. Je passe la nuit dans le camion, tandis que les chauffeurs anglais, eux, couchent plus loin dans le pré, dans des "trous individuels", leur servant d'abri, au cas où ... Je n'ai jamais très bien su si les parents se sont inquiétés de mon sort. Il est vrai qu'ils ne pouvaient imaginer que je passerai cette nuit-là dans un camp militaire!
Jeudi 7 septembre 1944 - Au petit matin, on m'apporte un quart de thé ( gobelet cylindrique en émail ), avec des tranches de pain de mie bien blanc, couvertes de margarine et de la gelée de groseille. Et à cinq heures du matin, le convoi démarre, une file d'une vingtaine de camions, phares camouflés, avec juste une bande claire au milieu. Je vécus là vraiment une aventure de guerre. Mon motocycliste George Robinson va sans cesse d'un bout à l'autre du convoi et de temps en temps me demande si cela va bien. Les "lorries" étaient très hauts sur pattes! J'étais à côté d'un chauffeur pas causant. Nous étions très discrets tous les deux. Il est vrai que, pour faire en anglais une conversation aimable, ce n'est pas facile quand on n'est pas très douée. Direction Dieppe. "We go through Lisieux, Elbeuf, Rouen". Mon Dieu, que la campagne normande est belle dans cette région du Vexin, avec les petites chaumières et leurs pommiers !
Je ne sais plus vers quel endroit avant Elbeuf. entre Brionne et Bourgtheroulde vers Sainte Opportune du Bosc? Le convoi se dirige vers un pré et George Robinson me dit "Tous les soldats vont faire ici leur toilette, alors je vais vous emmener dans une habitation pour que vaut puissiez faire la vôtre". Et hop! sur sa moto ... après 300 ou 400 mètres, je frappe à la porte d'une chaumière et j'explique ce qui se passe. Je n'ai demandé la permission que pour faire un petit besoin; je n'avais pas de toilette à faire, sachant que peu après j'arriverai chez les Legros. Mon motocycliste revient ne chercher. Je le remercie chaleureusement et il me dit : "C'est normal, j'ai une soeur, et j'aurais fait la même chose pour elle." C'était vraiment courtois. Chapeau, messieurs les Anglais ...pour une fois!
Nous traversons Rouen. En plein centre, le convoi est assailli par la population heureuse, fraîchement libérée. Je voyageais en "robe de camp", bleu marine, avec quatre poches et un ceinturon; on pouvait me prendre pour une soldate anglaise! J'essaie de me camoufler, car je suis gênée de dire que je ne suis pas Anglaise. Enfin 17h, arrivée à Dieppe. Où suis-je déposée? sans doute à Claude-Côte (de nos jours Caude-Côte un quartier de Dieppe). Evidemment, les Legros sont très surpris de me voir. Bernard avait deux ans et Catherine un an. Je reste à Dieppe jusqu'au 15 septembre. Depuis quarante huit heures, j'essaie de trouver, pour mon retour, un moyen de locomotion qui pourrait me ramener, au moins à Rouen; niais aucune possibilité se présente.
Le
vendredi 15 septembre
1944 -
Alors, il me faut faire du stop! Félix me
conduit à la sortie de Dieppe, sur la
route de Rouen. J'essaie de faire du stop. Cela
n'est pas facile. Enfin, à 8h45, cela marche.
J'arrive à Rouen à 12h. Je vais au
Secours National ; j'aide à servir les repas,
j'y déjeune, j essaie de faire du stop pour
Notre Dame
de
Franqueville
où je pourrais être
hébergée
chez la commissaire guide
Carrière. Je n'y arrive pas. Je vais alors frapper chez une
cheftaine guide, Odette Julien que j'avais
connue à mon camp de formation. 198
avenue du Mont Riboudet
à Rouen. C'est là que
je couche.
Samedi 16 septembre 1944 -
6h30. Nous allons ensemble
à
la
messe et je vais me
remettre
en position sur la route. Je note sur mon
agenda "Départ stop vers quick",
Je suis prise
par un Dodge anglais d'un M.P ( Military Police ) -"Are you going in Caen?"
dis-je.
-"No,
Losso" Je ne
comprends pas mais, tant pis, c'est la direction qui me convient. Je monte dans
la voiture. Nous traversons Lisieux en ruines. J'appris plus tard que c'était
la prononciation anglaise de Lisieux!! Comment pouvais-je comprendre! Le Dodge
ne s'arrête pas à Lisieux et c'est
la direction
de Caen qu'il prend. J'ai de la chance.
Partie
à
9h25 de Rouen, me voici à Caen
à 12h45. Je
vais voir
Chantal
Nobécourt et
madame Brédiger, de la Croix Rouge
,
Dimanche 17 septembre 1944 - J'ai marqué sur mon carnet : "Je fais une crème". Je vais voir au B.S. Antoinette Perret. Messe à I lh30 à Saint Étienne. 13h30, arrivée de Madeleine venue, nous surprendre avec un convoi militaire d'aviateurs. J'écris: "Ensemble we go through les ruines". et "We are making chiques".
Le 18 septembre 1944 - 10h45. Madeleine part; Claude Harmel dort à la maison.
Le 19 septembre 1944 -
6h30 . Je vais avec Claude Harmel à Paris avec une voiture Croix-Rouge.
Elle rejoignait sa famille, rue Ampère. 13hl5, arrivées 6 rue Berri, siège de la
Croix-Rouge à Paris. Je vais chez les Blin, rue Desaix, où je
retrouve mon frère Jean
, venu de son côté avec une autre occasion
de voiture dès la
libération de Paris le 25 août 1944, des éléments de l'armée se regroupaient à
l'Ecole
militaire, pour former ce que
ton a appelé la "Première Année Française du général de
Lattre de Tassigny"
- Max rejoignait ainsi deux bataillons de chasseurs
reconstitués du
premier corps commandé par le
général Béthouart
. Ils
atteindront le Rhin en mars
1945 et feront cette "Campagne d'Allemagne", qui mena à
l'armistice et à la victoire du
8 mai, dont nous fêtons le cinquantenaire en
1995. J'emmène mes neveux Odile et
François les promener au
Champ de Mars. Je vais voir tante
Manette, 14 rue de
Tilsitt,
partie, réfugiée chez
les
Ballières et les amis Gadala. Je reste à Paris chez Odette qui
attend Patrick. Je l'aide donc, soit pour faire des courses, soit
pour des démarches ou
pour promener Odile et François. J'en profite pour revoir des amies. J'ai même
noté
sur mon agenda que je suis allée à bicyclette voir mes amis Laflèche, 122
avenue
de
Wagram. Je ne me rappelle vraiment pas avoir fait de la bicyclette à
Paris!! mais puisque je l'ai écrit!
Le 7
octobre 1944 -
Je vais au mariage de Claude Harmel et à la petite
réception
dans sa famille. 37
rue Ampère. Je
continue à revoir des amies et des guides, Cécile et
Marie-Anne Morette. 7
boulevard de Grenelle. Leur soeur Nicolette
avait été tuée
19 rue
des
Chanoines (à Caen) avec leur mère
et leur grand-mère
. Une envie de faire de la
sculpture
m'avait prise avec. Chantal. Je
vais voir un sculpteur et j'achète une gouge et un burin.
Lorsque la vie reprit à Caen. Chantal et moi, nous nous inscrivons aux
Beaux-arts avec l'espoir qu'un cours de sculpture s'organise. Premier contact,
première leçon chez
Garrido lui-même dans son salon rue Damozanne. Il
nous fait faire le dessin d'un plâtre d'un
soldat romain, je crois. Nous le faisons de mauvaise grâce ... et zut
! - nos projets de sculpture s'arrêtent là. Nous aurions voulu directement
taper dans la pierre ou entamer une pièce de bois.
Toujours, le 7 octobre à Pars, beaucoup plus utile et pressé, je me démène pour trouver ce que l'on pourrait poser en guise de carreaux au Carel, toutes les vitres ont en effet été cassées. Rue Vieille du Temple chez Rhône Poulenc, je découvre du rhodoïd transparent, le plastique n'existant pas encore. Cela cet formidable. J'emporte un grand rouleau d'un grand métrage.
Le 23 octobre 1944 - Je fais des chiques pour fêter l'anniversaire de Odette et pour les enfants Je coule le caramel bouillant sur le marbre de la cheminée du salon.
Le 29 octobre 1944 - 4h du matin, Odette part à Bon Secours. 6h3O, naissance de Patrick.
Le 4 novembre 1944 - 7h3O. rendez-vous rue de la Fédération, au siège social des Courriers Normands, pour mon retour sur Caen. 9h50. départ dans un camion des Courriers Normands à gazogène, je ferai le voyage assise sur le sac, réserve de bois pour le gazogène. 21 h 15, arrivée à Caen. Je ne sais vraiment pas pourquoi ce trajet a été si long!
Novembre et Décembre 1944 - Diverses activités guides et surtout divers services religieux à la mémoire de bien des victimes tuées sous les bombes.
Le 22 décembre 1944 - Départ avec les parents et Jean pour nos vacances de Noël à Dieppe. 7h, rendez-vous rue de Strasbourg. 11h30, départ en camionnette. Pont-L'Évêque, Honfleur, Rouen. 19h30. essai de stop, dîner et coucher à l'Hôtel du Havre, près de la gare. Nous apprîmes après que c'était un bordel! 7h, départ gare de Rouen, transbordement à Malaunay; le viaduc était détruit, donc un à deux kilomètres à pied avec nos bagages. Arrivée à Petit Appeville. La ligne ( le tunnel ) étant détruite jusqu'à Dieppe. C'est le jardinier des Legros, monsieur Prier qui vient nous chercher avec la remorque de bicyclette de Félix, pour poser nos bagages, et nous continuons à pied avec les Legros, Un officier anglais, le Capitaine Solesby ( de Bristol ) qui avait fait connaissance des Legos, vient nous chercher le 25 décembre après-midi. pour aller fêter Noël avec les Anglais.
Conclusion à tirer de cette année 1944 - Hormis le drame des vies humaines et de toutes les destructions, nous avons vécu durant plusieurs mois une grande solidarité et avons gardé des souvenirs chaleureux et puis ..., si Caen n'avait pas été détruit, je n'aurais pas connu Jean Cazin son futur mari.
Remerciements à Vincent Cazin pour la communication des documents de sa mère.