Journal de Mme Marcelle TRÉSARRIEU-BESINCQ
sage-femme à
BLAINVILLE sur ORNE de 1942 à 1945, membre de la Défense Passive et femme de
gendarme.
jeudi 22 juin 1944
Mr PIÉPLU le maire du village, me
demande de partir à CAEN, pour rechercher le fils du sous-préfet de
BAYEUX nommé
par le général DE GAULLE
,
Mr
TRIBOULET
et ramener des médicaments. Madame TRIBOULET
lire
son témoignage arrive sur ces entrefaites. Elle
n’a aucune nouvelle de son fils de 11ans FRANÇOIS pensionnaire à CAEN depuis le
débarquement. Madame BEAUDOUIN, dont le mari est chef de la gendarmerie veut
également aller chercher son fils. Moi, je suis sans nouvelles de ma famille,
mes deux sœurs et plusieurs cousins.
Monsieur BEAUDOUIN s’oppose au départ de sa femme et lui cache ses chaussures.
Mon mari
étant en congé, je sais mon fils en sécurité. Le départ est fixé à 14h. Madame
Triboulet a déjeuné chez le Maire ; je passe prendre ma compagne. Le Maire me
signe une demande de sérum anti-tétanique, nos provisions s’épuisant. Ce papier
et mon brassard de la Croix Rouge
sont nos laissez-passer et doivent nous aider dans notre aller-retour.
A 2 km de BLAINVILLE, nous sommes arrêtées par deux soldats allemands qui
regardent nos papiers et hochent la tête sans rien dire. Nous remontons sur nos
bicyclettes. Nous sommes arrêtées à nouveau devant l’hôpital de CAEN. Ces
soldats nous disent de repartir avant 16h, car les ordres sont sévères pour les
civils et les
SS
sont en route pour les remplacer dans la soirée. Nous ne sommes pas
rassurées, nous repartons vers le centre en promettant de repasser les lignes
avant 16h.
Nous arrivons Place Saint Gilles, c’est une vision d’horreur, nous ne voyons que
ruines et cadavres.
Place Saint Pierre il n’y a plus rien debout. Nous marchons
comme nous pouvons avec nos bicyclettes sous le bras sans nous soucier des obus
qui tombent.
Entrée dans Caen par la RN 814A Caen-Bénouville, localisation: l'hôpital Clemenceau, place Saint Gilles et place Saint Pierre
Madame Triboulet qui a hâte de revoir son fils, me demande de l’accompagner rue Arcisse de Caumont où son fils avait sa correspondante.
Les habitants sont dans les abris. Dans ce quartier, nous apprenons que beaucoup de personnes sont rue de Bretagne à la pension du Sacré Cœur. Je vais au service de santé sous réserve au Bon Sauveur chercher mon sérum, madame TRIBOULET va au Sacré Cœur rue de Bretagne selon Mme Triboulet et y retrouve son fils. Rue de Bayeux, chez une cousine, j’apprends que mes deux sœurs sont parties le 2ème jour du débarquement. Elles habitaient une maison rue de Bernières, l’une au rez-de-chaussée, l’autre au 1er. Ce quartier a été un des premiers bombardé, dès le 6 juin et il y a eu de nombreuses victimes. Elles n’ont absolument plus rien. Ma cousine est très affligée, sa meilleure amie a été tuée la veille.
Localisation: place Saint Pierre, rue Arcisse de Caumont, rue de Bretagne et rue de Bayeux.
Au service de santé, ils me remettent 10 ampoules de sérum, c’est une fortune. A 16h je suis prête et je me trouve Place Saint Pierre. Des obus de marine arrivent de la côte, l’église, ou se trouvent beaucoup de sinistrés, semble être prise pour cible. Madame Triboulet ne peut venir me retrouver devant ce déluge de fer. Ce n’est qu’à 18h30, qu’accompagnée de l’enfant et de 2 messieurs inconnus qui veulent se rendre à RIVA, station balnéaire d'Ouistreham que nous reprenons le chemin de BLAINVILLE.
Hélas, devant l’hôpital,plus personne et 2 km plus loin, au carrefour de LÉBISEY,
ce sont des SS qui prennent nos papiers et nous engagent à prendre le chemin de
CAEN. Les obus tombent de partout. Dire mon désespoir est impossible, je ne veux
pas rebrousser chemin. Comment mon mari
va-t-il concilier son rôle de militaire
et la garde de notre fils ? Nous avons également mon neveu de 8 ans qui était
venu passer quelques jours de vacances à la maison.
Localisation de Blainville, Lébisey et Caen.
Madame Triboulet , plus raisonnable me dit que ces
soldats aux abois sont capables de tout et qu’il est préférable de s’éloigner.
Nous trouvons refuge au Sacré Cœur, nous couchons au 2ème étage, sur des matelas
posés sur le sol. Nous essayons de nous reposer un peu, le bombardement est
intense et nous ne dormons pas. Madame Triboulet a laissé à BAYEUX, son mari
et plusieurs enfants. Chacune est enfermée
dans son angoisse, nous sommes certaines de ne pas revoir nos familles à moins
d’un miracle.
vendredi 23 juin
Lever 6h, après le petit déjeuner, Mme Triboulet , qui connaissait bien la route de
BAYEUX, décide de sortir par
CARPIQUET. Nous passons
La MALADRERIE et faisons un
détour par
l’Abbaye d’Ardenne ou la bataille fait rage. Un fermier nous indique
un chemin détourné qui devrait nous permettre d’éviter les sentinelles
allemandes. Nous pédalons sur la route et arrivons à CARPIQUET. Un poste
allemand est installé au bord de la route. Nous nous expliquons avec un soldat
qui nous donne la permission de passer. A ce moment un officier sort d’une
guérite, nous donne l’ordre de retourner a CAEN, sans daigner regarder nos
papiers. Il devient menaçant et nous décidons de repartir vers CAEN.
Localisation: Caen, l'Abbaye d'Ardenne et Carpiquet.
samedi 24 juin
Je fais plusieurs démarches auprès du Directeur des services de santé
Dr Cayla, pour
profiter d’une ambulance qui traverserait les lignes. Je n’obtiens aucune
promesse. Hier, une ambulance est allée à
TROARN, les Allemands ont gardé la
voiture et renvoyé le chauffeur et le brancardier à pied. Je rends visite à ma
cousine Berthe OLIVE, elle me dit que mes deux sœurs sont à
DIVES.
La Sœur du Sacré Cœur a pitié de nous, elle nous change de chambre, avec un lit
et un matelas par terre. Nous partageons le lit, J’y dors jusqu’à minuit, madame
Triboulet ensuite. A 3h, Melle JUILLARD, qui est au 2ème étage descend car elle a très
peur des bombardements. Pas pour longtemps, les avions, très nombreux
s’acharnent sur ce quartier. Le bombardement sur CARPIQUET est intense. Les
Sœurs nous font descendre, nous profitons de l’aubaine car c’est un
véritablement cauchemar.
dimanche 25 juin
Nous assistons a la messe. Je cherche mes tantes et cousines. Les familles sont
séparées, certains sont partis vers
PARIS, d’autres vers
la MAYENNE, ceux qui
restent, sont à la belle étoile dans les décombres de leurs maisons.
Dans la matinée, je rencontre Mr LEMARDELET, un épicier de BLAINVILLE, bloqué
également. Il me prête 500 francs et me promet un peu de ravitaillement.
lundi 26 juin
Triste journée, les bombardements nous ont empêché de dormir, tout le monde est
abruti. A 10h30, un obus tombe rue de Bretagne, le toit des
écoles
sous réserve l'Ecole paroissiale des filles : « Sainte Bernadette », située au
45 rue de Bretagne
direction assurée par les Soeurs du Christ Roi est défoncé,
les carreaux cassés mais pas de victimes. Madame Triboulet part rue de Bayeux chez le
docteur HUBANT. Je reste avec les Religieuses,
le canon tonne toute la journée. La prise de CAEN est proche, mais comme le
temps semble long.
mardi 27 juin
Je tente seule de traverser les lignes mais les Allemands sont toujours très
menaçants, je renonce à nouveau.. On me conseille de chercher le Docteur C…..,
collaborateur notoire, susceptible de nous faire traverser les lignes. Il a
quitté CAEN depuis 48 h en direction de PARIS. L’après-midi, je tente à nouveau
de traverser les lignes. Les Allemands sont toujours à LÉBISEY, aussi
intransigeants, il n’y a que des officiers. Je renonce à nouveau.
Les obus étant tombés sans arrêt depuis 4h, la Supérieure du Sacré Cœur, demande
aux personnes qui peuvent se loger en ville d’évacuer le plus possible. Je
demande asile à ma cousine rue de Bayeux. Ce qui me déplaît le plus, c’est
l’installation dans la cave, je voulais rester dehors. J’ai affreusement peur
dans la cave et je pense que nous serions tous ensevelis si une bombe tombait
dessus sans que personne ne puisse nous aider.
mercredi 28 juin
Journée d’ennui chez ma cousine qui a accueilli beaucoup de réfugiés. Chacun se
débrouille mais les caractères s’accordent peu et je ne connais personne. Sa
fille infirmière, me propose de l’accompagner au
Lycée Malherbe. Ne voulant pas
m’imposer car je ne suis caennaise que par accident, j’accepte pour changer
d’ambiance.
Captures d'écran de ce film, la façade du Lycée Malherbe avec deux "Croix rouges"
jeudi 29 juin
l’ordre d’évacuation du 29 juin, ainsi rédigé :
« Le général commandant la place de Caen nous a transmis un avis d’évacuation totale de la ville de Caen, pour éviter à la population les graves dangers que comportent les opérations militaires.
Les habitants de La Maladrerie et des quartiers situés au nord des rues de Bayeux, de Saint-Martin, des Fossés Saint-Julien, de Geôle… sont invités à quitter Caen aujourd’hui même. Au cours de la journée de demain, tous les habitants de la ville devront évacuer.
Les habitants devront se diriger sur les carrières de Fleury pour de là gagner la zone d’évacuation prévue, par Bourguébus, Saint-Sylvain, Barou-en-Auge et Trun. »
D’autre part, les consignes suivantes sont données aux chefs des Centres d’Accueil le 1 juillet :
« Doivent quitter le Centre d’Accueil :
les fonctionnaires ainsi que leurs familles qui ne sont pas déclarés strictement indispensables par leur Chef de service.
Les personnes sinistrées qui ne sont pas retenues à Caen par une mission de service.
Les personnes qui ont leur domicile principal ou une résidence secondaire en dehors de la ville.
Les personnes étrangères à la ville de Caen.
Toutes les personnes ci-dessus désignées doivent évacuer conformément aux avis déjà donnés.
La situation des stocks alimentaires ne permet plus aux centres d’Accueil de les héberger et elles ne doivent plus compter sur l’aide du Ravitaillement Général.
Il est précisé que l’itinéraire d’évacuation par Bourguébus, Saint-Sylvain, Vendeuvre, Jort, Barou-en-Auge et Trun, assure aux évacués dans les circonstances actuelles le maximum de sécurité.
Sur cet itinéraire des centres d’accueil ont été organisés et permettent aux évacués de trouver sur place le ravitaillement qui leur est nécessaire. Un service de transport est organisé entre Caen et Saint-Sylvain.
Pour tous renseignements concernant l’évacuation et l’acheminement vers le lieu de refuge, s’adresser au Service des réfugiés (couloir des classes au Lycée Malherbe)
Signatures : M. Cacaud, Préfet du Calvados M. Detolle, Maire de Caen «
vendredi 30 juin
La nuit a été terrible, l’orage que nous attendions pour chasser les avions n’a
pas éclaté. Lever 7h30, ma décision est prise, départ pour
HÉROUVILLE. Je
traverse la ville en ruine. Des cadavres partout, l’odeur est intenable et mon
mouchoir égaré dans la cave me manque beaucoup.
Je trouve le poste allemand au premier carrefour à hauteur de
Bétharram hameau
d'Hérouville
le long du canal. D’après
le bruit du canon, les boches ont reculé ce qui me réjouit. Pas longtemps, deux
soldats sortent d’un trou et me prie de regagner CAEN ajoutant qu’ils avaient
ordre de tirer sur toute personne qui cherchait à passer les lignes. Pour me
convaincre ils pointent leurs fusils sur moi. Croyant ma dernière heure arrivée,
je montre avec un peu de courage mes papiers de la Croix Rouge
. Je fais
demi-tour aidée par une poigne de fer qui devait laisser une trace sur mon
épaule plusieurs jours.
Au calvaire, rue G. Clemenceau, je m’arrête décidée à ne plus aller plus loin. J’étais fatiguée, j’avais faim, j’avais peur de traverser la ville et ses ruines en sens inverse. J’étais dans mes réflexions quand quelqu’un me salue par mon nom. Je reconnais une jeune femme, madame CATHERINE, elle habite tout près. Son père est de BLAINVILLE et je lui ai fait quelques soins les années passées. Ces braves gens m’accueillent chez eux mais, horreur, nous couchons dans la cave. Je ne dors pas, je compte 60 obus dans la nuit, par contre, il n’y a pas de bombardements aériens.
samedi 1er juillet
Dimanche 2 juillet
Mr LEMARDELET, envoyé par ma cousine inquiète, arrive accompagné d’un ami. Elle
veut que je quitte ce coin dangereux. J’accepte car je suis une charge pour ces
braves gens qui ont tout juste ce qu’il faut pour eux. Ils vont sans doute être
chassés de chez eux car les Allemands sont à leur porte et deviennent de plus en
plus agressifs.
Chez ma cousine, je refuse de descendre dans la cave, ce qui arrange une
nouvelle venue.
lundi 3 juillet
Je prends mes repas au Sacré Cœur, la Supérieure m’invite à déjeuner. Le repas
consiste surtout en conversations, chacun est heureux d’apprendre que les Alliés
gagnent du terrain. Malgré tout, je ne cesse de penser à ma famille.
mardi 4 juillet
A 9h, je marche jusqu’à La MALADRERIE. Un monsieur à plat ventre dans un jardin
me supplie de partir. Les SS occupent sa maison et celles d’alentour. Ils
gardent les habitants prisonniers, hommes et femmes. Il est affolé, faisant
partie de la Résistance, il a un poste clandestin chez lui, les Anglais sont à
VENOIX
information erronée et une bataille se prépare.
mercredi 5 juillet
Nous recevons 100 gr de nourriture.
jeudi 6 juillet
La nuit a été terrible. Un tir de barrage a ébranlé l’air toute la journée.
Chacun est à bout, des personnes amies arrivent sans arrêt rue de Bayeux ou les
maison sont debout. Le soir, je descends avec tout le monde à la cave. A minuit,
je remonte dans mon perchoir, je ne veux pas mourir sous les décombres. J’en
profite pour me laver.
Vendredi 7 juillet
Après une nuit sans sommeil, la journée est terrible, les obus tombent sans
arrêt, des éclats volent dans tous les sens. Tout est détruit. Le soir des
centaines d’avions arrivent sur CAEN et bombardent sans arrêt. C’est terrible,
tout tremble, tout est en feu, nous sommes
en enfer.
Caen subit son pire bombardement le 7 juillet à 22H00
Je descend à la cave jusqu’à 2h. J’essaie d’encourager mon entourage, des
personnes perdent la raison, elles tremblent, elles veulent sortir, elles
reviennent. D’autres, dont je fais partie, sont calmes et attendent et espèrent
envers et contre tout.
samedi 8 juillet
A 4 h, je mets le nez dehors après une nuit de cauchemar. Un voisin qui fait
partie de la Défense Passive, dit que l’église Saint Gilles, la Préfecture,
l’Université ont sont en feux. Les morts se chiffrent par centaine.
A 7h, il fait beau, je décide de faire un peu de lessive, tout sera vite sec. Je
descends à la cave pour raconter ce que je viens d’entendre et invite tout le
monde à monter. Les gens décident de se reposer jusqu’à 10h. Mes cousins OLIVE
remontent pour déjeuner car Denise, leur fille doit partir prendre son poste à
la Défense passive en fait elle était
Équipières
d'Urgence
. Tout est calme, mes cousins qui ont un peu de
ravitaillement, descendent à la cave porter à manger à leurs invités. Je fais ma
lessive et Denise ses derniers préparatifs.
Soudain un bruit de tonnerre, tout tombe autour de moi. Denise tombe à mes
pieds, l’escalier vole en éclat, du bois se plante dans mon œil gauche. Ma
cousine m’enlève le morceau gros et long comme une allumette qui m’a fait très
mal. Mais qu’est ceci à coté de ce qui se passe autour de nous ? Escaladant les
ruines, nous sommes à l’entrée de la cave, d’énormes pierres retiennent les gens
prisonniers. Nous passons des tuyaux d’arrosage par les interstices pour envoyer
un peu d’air. 20 personnes sont prisonnières, nous entendons les cris et les
lamentations. Nous mettons une échelle qui permet à Denise qui connaît tout à la
Défense passive, d’aller chercher du secours.
Je parle aux personnes prisonnières, mon cousin qui était près de l’entrée
parvient à sortir. Ma cousine bloquée dans l’escalier peut nous parler, elle
sera la première à sortir ensanglantée. Les autres personnes, restées allongées
sont tuées ou ont les jambes paralysées par les pierres. Les secours arrivent,
pelles, pioches. Ces jeunes gens qui ont passés la nuit à secourir les caennais
sont admirable de courage et de gentillesse. Je pars au
Lycée Malherbe chercher
des ballons d’oxygène.
Je ne comprend pas pourquoi mais je suis pieds nus. Je chercherai mes chaussures
au retour. J’ai beaucoup de mal à marcher et je me retrouve devant un énorme
entonnoir. La rue n’existe plus, des débris humains partout, les voisins
commerçants sont dans les décombres de leur boucherie. C’est une vision
d’horreur.
Ce plan est coloré en fonction des destructions. Les ruines du bombardement du 8 juillet s'étendent du côté pair de la rue de Bayeux aux bâtiments à l'Est du Quartier Lorge (ou Caserne de la Remonte).
A mon retour, je trouve mes cousins blessés mais vivants. Madame JEANNE qui
était avec son mari et sa fille est morte
, la poitrine écrasée. Marie-Louise
HEBERT, jeune fille de 20 ans est morte
tuée sur le coup, sa mère est grièvement
blessée, respire à peine. La dame âgée qui s’inquiétait la veille pour son
armoire normande, est sortie sans vie ainsi qu’un monsieur ami de mes cousins.
C’est un moment affreux, tout le monde est transporté au Lycée, Denise et moi
suivons le cortège. Les morts restent exposés jusqu’à nouvel ordre. Les blessés
reçoivent les premiers soins avant d'être dirigés sur BAYEUX.
Madame TRIBOULET et son fils son heureux de me retrouver. Sortant de leurs
décombres où il y a également morts et blessés et voyant les ruines d’en face,
ils me croyaient disparue à jamais. Apparaît madame COLLEVILLE, institutrice qui
était dans sa famille, rue de Bayeux. Elle y était parvenue après avoir tout
perdu. Cette fois elle est seule, sa famille est anéantie.
Nous cherchons notre vie car n’étant pas inscrits dans les abris, rien n’est
prévu pour nous. Le soir arrive, nous nous allongeons sur des planches près des
blessés ? Je suis en possession d’un sac contenant des bijoux, sa propriétaire
repose un peu. Sa mère a été tuée à coté d’elle. Cette jeune femme est très
agitée. Denise et moi ne pouvons dormir car ses parents réclament des soins,
surtout sa mère qui a du mal à respirer.
Le
bombardement du bas de la rue de Bayeux.
Dimanche 9 juillet
A 6h je fais une toilette sommaire, à 10h, un peu de café est donné aux blessés.
Cousine partage avec moi. Les rares Allemands qui restent demandent aux civils
de ne pas bouger car une bataille de rue est possible. Conseil superflu,
personne ne songe à prendre l’air. Une sage-femme a passé les lignes
pour
prévenir les Alliés que Saint Etienne et le Lycée sont pleins à craquer de
civils, blessés pour la plupart et que pas un soldat ne se trouve dans les
abris.
Des bruits contradictoires circulent, les Anglais sont à CAEN ? A La MALADRERIE
? A midi rien n’a changé. Denise qui est avec les infirmières pour son service,
m’envoie un peu de fromage. Au début de l’après-midi, des coups de feu éclatent.
Ce sont les résistants qui délogent les derniers allemands.
Des brancards sont apportés avec des blessés. Grande est notre joie, ce sont des
soldats anglais. Plus tard deux Allemands. Plus de doute, CAEN va être libérée. La
nuit arrive bien vite, cette fois, les civils bien portants doivent laisser la
place aux blessés de plus en plus nombreux car les militaires ont priorité. De
la paille a été posée de place en place, j’abandonne mes blessés avec regret. Je
m’allonge dans un couloir avec un peu de paille comme oreiller. Je suis très
fatiguée mais je ne dors pas. J’aide une maman avec ses jumeaux qui a bien du
tracas . Les tétées sont données régulièrement, c’est Denise qui fait la
distribution mais il n’y a pas de linge. Avec nos mouchoirs sales, nous essayons
de maintenir les fesses de ces bébés de 6 mois, à l’abri de l’humidité.
Dans l’après–midi, je rends visite à ma famille, les blessés sont
stationnaires, je passe un moment avec mes cousins et Denise, qui est venue
tenir compagnie a ses parents, me conseille de chercher de la paille, pour poser
ma tête cette nuit, car elle devient rare et il faut faire sa demande avant 16h.
Je me dispose à sortir, qu’est-ce que j’aperçois, sur les marches du perron ?
Mon mari
, je crois
rêver, ce n’est pas possible, personne ne peut passer !
Jamais je ne décrirai cette minute comme elle le mérite, il faut avoir vécu des
instants d’émotion semblables pour comprendre. Je suis dans ses bras sans
parler. Il m’explique, que prévenu par une dame de BLAINVILLE qui m’avait
reconnue, il avait passé les lignes grâce à son uniforme. Sinon les Anglais
l’auraient arrêté, les risques étaient trop grands. Mes cousins font sa
connaissance. Nous devons repartir très vite car CAEN va être prise d’un moment
à l’autre et les routes vont être coupées et encombrées par les troupes et le
matériel qui débarquent sans arrêt.
Mes premières paroles sont pour mon bébé, comment est-il ? Où est-il ? Pour moi
pas de doute, j’ai assisté plusieurs femmes de gendarmes à la naissance de leurs
enfants, il est à la gendarmerie. Je pose sans arrêt la même question et je
m’énerve de plus en plus. Il me calme et se prépare à partir car il est en
promenade irrégulière et il a promis aux Anglais de rentrer avec sa femme avant
la nuit.
Je vois madame Triboulet et lui demande de revenir avec nous mais elle adopte une
solution sage, elle attend son mari
qui viendra de BAYEUX, aussi facilement que
le mien. Je l’embrasse ainsi que son fils et nous formons des vœux de nous
revoir dans de meilleures conditions. Je dis au revoir à mes cousins, faisant
promettre à Denise de me prévenir quand ses parents seront dirigés sur BAYEUX,
me promettant d’y aller. Denise nous accompagne sur le perron, je la remercie de
sa gentillesse, je ne devais pas la revoir.
Pierre BEAUDOUIN, qui est venu manger chez ma cousine quand la maison était
encore debout, se trouve dans la cour du Lycée. Il a préféré attendre pour
regagner BLAINVILLE, car aux dires des personnes qui sont ici, les Anglais ne
laissent passer que les ambulances. Les obus tombent sans arrêt, la dernière
vision que j’ai du Lycée, c’est un petit garçon qui a le ventre ouvert et sa
petite sœur tuée par les éclats d’obus qui arrivent de la route de FALAISE où
les Allemands se replient.
Arrivés à l’hôpital de CAEN, je présente mon laissez-passer de Croix Rouge, mon
mari
me présente monsieur VERHAGUE, un dunkerquois qui nous accompagne et en
route pour BLAINVILLE. Nous allons directement chez madame TRUAND, une gentille
dame qui, sachant que j’étais partie, avait demandé à mon mari de lui confier
mon petit poussin. A la gendarmerie, personne n’avait voulu s’en charger, il y
avait trop de risques du fait des bombardements. Je n’était pas trop déçue. Il
était préférable qu’il en soit ainsi. Ce brave ménage d’ouvriers avait quatre
filles qui avaient choyé mon petit qui était superbe. La famille est retournée à
DUNKERQUE, c’est une grande joie pour moi d’avoir de leurs nouvelles le 1er
janvier.
Le Maire , monsieur PIÉPLU, vient me voir et s’excuse de m’avoir envoyée à CAEN.
Monsieur Triboulet
est venu plusieurs fois voir si j’étais rentrée. Le Maire le fait
prévenir que sa femme et son fils l’attendent à CAEN au Lycée Malherbe. Madame
TRUAND a fait une bonne soupe, je mange de bon appétit, mon petit sur les
genoux, je suis heureuse.
Mon mari
et moi
regagnons notre logis, le petit reste chez sa nourrice jusqu’à
demain. Sage précaution car nous sommes soumis à un tel bombardement que nous
n’avons pas une minute de repos. Six éclats d’obus se logent dans le berceau de
notre fils.
Lundi 10 juillet
Je ne fais pas grand chose, je suis encore meurtrie de mon séjour à CAEN
Samedi
22 juillet
Le chef de la gendarmerie, Mr BEAUDOUIN, va à CAEN avec sa femme, je les charge
d’embrasser ma famille que je crois toujours au Lycée. A leur retour, Mme
BEAUDOUIN me dit que ma cousine Denise a été tuée le 14 dans l’après-midi
décès enregistré le 15
, ses
parents avaient été transportés à BAYEUX.
Source page 124 de ce livre
Denise tuée ! Mon chagrin est immense. Mon fils essuie mes larmes avec sa petite main, il se demande pourquoi sa maman a du chagrin alors que nous étions si heureux depuis quelques jours. Je n’ai qu’une idée, retourner à CAEN, revoir ses parents, par dessus elle, ses 20 ans, il reste ses parents, déjà affligés par la mort d’une fille de 18 ans. Ils n’ont plus d’enfant.
Mardi
25 juillet
Violents bombardements vers
FRANCEVILLE, nous avons espoir que
CABOURG et DIVES
soient libérés prochainement. Nous partons en voiture pour CAEN. Nous trouvons
nos cousins rue de Bayeux. Ils fouillent les ruines, ils voudraient retrouver
des photos.
Captures d'écran du film colorisé 6 juin, A la Lumière de l'Aube. Les immeubles détruits au bas de la rue de Bayeux.
Nous restons un long moment sans parler. Mon mari
et moi
, cherchons
aussi, sachant à l’avance que nous ne trouverons rien. Ma cousine m’explique
enfin qu’ils sont réinstallés au Lycée. Ils sont plus proches de leur fille
enterrée dans la cour.
Elle me parle des projets de sa fille, de son œuvre, elle avait un service très
chargé dans le Lycée, préparation et distribution des biberons pendant les
tragiques évènements. Partis à midi pour BAYEUX, leur fille a été tuée l’après-midi.
La mort a été foudroyante, un éclat d’obus dans la tête, son enterrement
mouvementé, les obus tombaient de toutes parts. Ils n’ont pas pu assister à
l’enterrement, les routes étaient trop encombrées et ils n’ont pas eu
l’autorisation. C’est en service commandé qu’elle est tombée. Tu sais, me
précise sa mère « c’est un éclat d’obus allemand qui l’a tuée ».
Le Chanoine LENAULD prononça une allocution lors du service de Denise, en voici
quelques passages:
« En quelques années, cette jeune fille avait connu une carrière qui eut
grandement honoré une maturité. C’était un épi mûr et Dieu l’a moissonné .
Heureuse est-elle : plaignons ceux qui demeurent.
Denise OLIVE , a mérité la Croix de Guerre à un poste obscur et solitaire, à une
heure au danger certain, or, marcher ainsi, seule, sans autres témoins que sa
conscience et son Dieu, au devoir modeste, parce qu’il est ce devoir,
l’expression présente de la volonté du Maître auquel s‘est donné le moyen de
servir ses frères (dans la circonstance, les bébés de la pouponnière qui ,
malgré les bombardements devaient avoir leur biberon) c’est atteindre le
perfection de la Charité. »
Oui,
il avait raison le Chanoine LENAULD, la courte vie de ma cousine a été un acte
de charité, pour les Résistants dont elle faisait partie, pour moi qui était
venue me greffer sur sa mince ration, pour les occupations de ses derniers
jours. Cette pauvre petite est morte à 20 ans, comme elle le désirait, en
soldat. »
Source: Bataille de Normandie: journal de Marcelle TRÉSARRIEU-BESINCQ