A CAEN, SOUS LES BOMBES ...

 

 

Source: Débarqués et témoins racontent (Normandie 1944-45) de Marc Elmer

 

ajout MLQ

 

 

Un membre de la Défense Passive de Caen, m'a dit : Mon casque de 14-18, peint en blanc , m'a resservi, pendant la bataille! qui nous eût dit, jadis, qu'il y aurait une bataille de Caen un jour!

Dans une maison une poutre brûlait, auprès de laquelle deux membres de la D.P. veillèrent pendant des heures, afin d'éviter que le feu brûlât toute la rue, et ce avec un seau, dont nous renouvelions l'eau au fur et à mesure, car elle était rare, dans ce quartier, les conduites étant crevées, et il fallait aller la chercher assez loin ...

« Archives départementales du Calvados » Des civils et des membres de la D.P. forment une chaîne humaine pour manipuler des seaux d’eau pour essayer d’éteindre les incendies rue de Bayeux.

Le Q.G. allemand se trouvait dans un blockhaus de la route de Creully. Le PC de combat de la 716.ID.

 Des déserteurs allemands de la Wehrmacht  cherchaient des vêtements civils, et certains même emportaient des robes de femmes ! Fanatiques, les S.S. , passaient devant nous, en tenue camouflée, sans paraître nous voir, la mitraillette en bandoulière - guerriers sauvages qui, souvent, n'étaient que des adolescents et qui pillaient beaucoup... On vit à Caen les Divisions Adolf Hitler , H. Goering n'a pas combattu en Normandie, etc... la 12. SS Pz.Div. "Hitlerjugend". Ils avaient leur Gendarmerie à eux. J'eus personnellement affaire, un jour, à un de leurs officiers, qui réquisitionnait ma machine à écrire. Ne voulant pas obtempérer, je la serrais contre mon cœur, jusqu'au moment où je sentis son revolver pas très loin dudit cœur ...

Aux environs de Caen, je vis, un jour, une soixantaine de chars alliés cloués au' sol par deux Panthères (Panther), qui avaient tiré jusqu'à leur dernier obus ...

A un des bombardements de la rue de Bayeux, une femme avait un pied sous un énorme tas de gravats et un chirurgien ne pouvait même pas lui couper ce pied. Elle mourut là, épuisée.

 Un vieux couple se trouvait, lui, au rez-de-chaussée, elle au premier. L'homme se releva indemne, faisant signe que sa femme était là-haut, sous le toit effondré. 0n la retrouva morte, sous une armoire. Un cri du vieux, quand la D.P. l'emmena ; «le magot! elle a le magot! ». Puis il se précipita sur elle. lui retroussa les jupes et récupéra le magot ! ...

Quand les bons puits furent à sec, on en rouvrit d'anciens, dont beaucoup servaient de fosses d'aisances ! ...

Ce Caennais poursuit :

On m'a affirmé, que des Allemands avaient pris sur eux de faire évacuer les civils d'une certaine rue, pour piller les maisons, mais que le Q.G. allemand ayant été averti, deux d'entre eux furent fusillés sur le trottoir même de cette rue.

 Je découvris, un jour, un café aménagé dans une cave, et y rencontrai un officier polonais récemment débarqué qui, après le bombardement d'unités polonaises par l'aviation alliée, avait déserté... Bombardements "amis" lors des Opérations Totalize et Tractable

Rue de Bayeux, le bulldozer .qui bouchait un trou y poussait deux cadavres de civils, un piano écrasé et un coffre-fort intact. La D.P. intervint.

D'autres Caennais m'ont dit :

Une religieuse de la Miséricorde est restée accrochée à une poutre pendant plusieurs heures, le 6 juin. Plusieurs dizaines de sœurs infirmières ou malades furent tuées là ...

A la Miséricorde, dont les bâtiments occupent un vaste terrain entre la rue des Carmes, la place Singer et la place d'Armes, la situation est plus tragique encore. Le dispensaire, place d'Armes, aménagé pour servir d'hôpital complémentaire, est rempli de blessés, amenés depuis le matin; Il y a là 76 à 80 victimes des précédents bombardements, 9 infirmières, 8 religieuses et un interne. Des bombes le frappent de plein fouet et il s'écroule ensevelissant les uns et les autres. La clinique principale, située place Singer, s'affaisse avec ses malades, mais la plupart d'entre eux sont dégagés vivants. L'autre clinique, rue des Carmes, s'effondre partiellement et prend feu aussitôt. De nombreux malades et 5 religieuses sont tués ou brûlés vifs ainsi que quelques infirmières qui se reposaient sous le porche, au rez-de-chaussée. Le bâtiment de la Communauté, atteint par des bombes incendiaires, flambe comme une torche; 121 victimes dont 72 morts (14 sœurs-infirmières, 7 infirmières, 1 interne et 50 hospitalisés). LIRE CE TEMOIGNAGE.

Dans une clinique, une jeune fille vient d'être opérée de l'appendicite; son père, sa mère et ses 2 sœurs viennent la voir et disparaissent tous, sauf la mère, dans le premier bombardement. Plus tard, on retrouvera leurs restes qui tiendront dans une petite boîte.

Vingt personnes, bloquées dans une cave, sous les ruines d'une maison, sont toutes mortes une à une. On inscrivait, chaque fois, sur le mur, le nom de celle qui mourait et la date de son décès. On retrouva dix-neuf noms; seul manquait évidemment celui de la dernière ...

L'ingénieur Fredy sauva du feu une partie de Caen, en faisant sauter à la dynamite certains immeubles en flammes.

Devant l'ampleur des incendies le maire signe un arrêté autorisant le dynamitage pour combattre l'extension du feu dans le quartier Saint-Jean.  1 200 kg de dynamite provenant des carrières de May à Saint-Martin-de-Fontenay sont utilisés, la  mise en œuvre étant sous la responsabilité de M. Fredy, ingénieur du Service des Mines

Les Britanniques détruisirent à la bombe et au canon le quartier du Château, mais, dans le Château visé, il n'y avait pour ainsi dire aucun Allemand.

 Une femme admirable fut rencontrée un jour, transportant dans une camionnette, une quantité de cadavres en décomposition qu'elle venait de tirer des ruines ...

Au Lycée, dans des classes transformées en chambres mortuaires, on compta jusqu'à cent morts à la fois. On opérait sur les tables du réfectoire.

L'incendie du dépôt des cars des Courriers Normands et de celui des cercueils (500), dès le début, ont eu des conséquences incalculables.

le 6 juin à 13H30, le dépôt des pompes funèbres rue du Blanc et sa réserve de 500 cercueils flambe

    

Le dépôt des « Courriers Normands » place des Granges se trouve sous les toits blancs au centre de la photo. Agrandissement. A droite, photo Fonds Robinard, l'intérieur du dépôt.

On enterre les morts quand on le peut, dans les jardins, des papiers bitumés faisant office de cercueils. Mais bientôt ces papiers eux-mêmes et les sacs manqueront...

 Un vieillard qui semble avoir perdu la tête erre, transportant dans une brouette, les corps déchiquetés des siens ...

Un prêtre va ravitailler deux soldats canadiens, cachés dans un caveau de cimetière. La D.P. ravitaille, dans les caves, toux ceux qui ne veulent pas quitter leurs ruinés.

Les blessés sont souvent transportés sur des portes, faute de civières.

 Les Equipes d'Urgence  et les Equipes Nationales  sauvent des tonnes de ravitaillement des maisons en ruines, et souvent à la barbe des Allemands! De nombreux blessés leur doivent la vie. Elles vont, la nuit, dans la campagne, traire celles des vaches qui n'ont pas été tuées.

Des équipes spéciales récupèrent les médicaments dans les ruines des pharmacies.

Au Bon Sauveur (qui reçut plus de 200 obus), dont le Dr. Cayla lire son témoignage avait organisé le centre chirurgical, 2.300 opérations furent pratiquées. Il y avait 250 donneurs de sang. Il fallait travailler, sans électricité, et souvent sans eau. Les mots manquent pour décrire cette "atmosphère d'apocalypse", comme l'a écrit un de ces héroïques médecins. Héroïques religieuses, infirmières,brancardiers, qui ont sauvé tant de malheureux! perpétuelle odeur de sang et de mort, fosses communes, en même temps que naissances dans les caves!

Un de ces médecins, le Dr. Le Rasle, trouve sa mère et l'une de ses filles tuées, son fils aveugle et ses quatre autre filles blessées. Il les soigne et revient à son poste du B.S. !

Dr Le Rasle : 4 blessés à la tête chez les enfants. Ils étaient dans une cave près de chez  eux. Une verrière a éclaté par une bombe. Le fils aîné, 15 ans, est resté aveugle, une petite tuée, une autre petite de 7 ans affreusement mutilée à la tête est aveugle aussi. Sa grande sœur blessée plus légèrement. La grand-mère fut tuée  dans cette cave.

La ville fut bombardée, parfois par bombes incendiaires, et par des vagues de 1.000 avions exagération. Par ailleurs, les canons de Marine la Royal Navy envoyèrent des milliers d'obus. A partir du 10 juillet, les Allemands bombardèrent la partie libérée, les Britanniques pilonnant la partie non libérée (quartier de Vaucelles, etc...) Attaque du 18-19, avec 2.500 avions !

18-19 juillet c'est l'Opération Goodwood mais Caen n'est pas concerné par les bombardements aériens

Des Caennais, repliés à la campagne, débitaient la viande des bêtes tuées. Un abbé trayait les vaches pour les réfugiés de Cahagnes, Sept-Vents deux communes contiguës au Sud de Caumont L'Eventé à 40 km au Sud-ouest de Caen et les enfants de Colombelles, repliés eux aussi. Ils faisaient également du pain. Ils avaient sauvé le Saint-Sacrement d'une église bombardée et l'avait dans leur cave. Un major allemand faisait admettre les blessés civils dans des ambulances militaires, et nos Caennais poussèrent l'audace jusqu'à demander à des S.S. un side-car et des camions pour aller sauver des gens entre les lignes! ils acceptèrent et emmenèrent des blessés civils à 35 km, à l'arrière, sous la conduite de l'abbé!

 

Revenus à Caen, à cinq, ils sortent plusieurs dizaines de personnes asphyxiées d'un abri sous le Sépulcre non pas sous mais en bas du Sépulcre, dont le curé d'une église le chanoine Ruel curé de Saint-Pierre .

 

 

Une grosse bombe est tombée sur l’abri au 50 rue du Vaugueux (PC de la DP du quartier) ensevelissant 67 réfugiés (38 morts).

 

Spectacle horrible. Dans la rue du Vaugueux, obstruée par les immeubles écroulés, ils voient, descendant des lignes, des Allemands commotionnés, comme fous, dont beaucoup presque nus, du fait du souffle des bombardements !

 

 L'un de ces Caennais, combattant de la Résistance, me raconte qu'il vit, un jour, des S.S. défiler, nu-tête, en chantant, rue Caponière. Ils allaient contre-attaquer à Carpiquet!

 

 Il convient de noter qu'au début, faute d'aérodromes, dans la zone du Débarquement, les avions britanniques devaient retourner chaque soir en Angleterre. C'est pourquoi celui de Carpiquet était farouchement défendu par les Allemands.

 

 Rots fut pris et repris 7 fois. Quant à l'Abbaye d'Ardenne, elle était un des P.C. des Allemands celui du SS-Pz.-Gren.-Rgt. 25 du SS-Standartenführer Kurt Meyer , d'où ils lançaient des attaques contre les unités canadiennes, lesquelles perdirent, un jour, 28 chars, en une seule fois.

 Des patrouilles canadiennes ont été vues aux environs de Caen, le 7 juin (à Authie par exemple). Le 7 et le 8, les Allemands les attaquent à l'arme blanche. D'autres témoins ont vu des Britanniques à la Folie, le 7 juin.

Du 7 juin au 7 juillet, me dit le Résistant cité ci-dessus, un bataillon de la 12 S.S. occupe l'Abbaye d'Ardenne. Le Commandant donne ses ordres, par porte- voix, du haut de l'Abbaye. Il en descend par une corde lisse. Ils abattent plusieurs prisonniers canadiens. En rentrant à l'Abbaye, les habitants se trouvèrent devant de nombreux cadavres de combattants, dont certains avaient été tués aux fenêtres, et plus tard, ils découvriront, dans une armoire écrasée, sous les ruines, les cadavre d'un S.S. de la Division Das Reich  n'était pas à Caen et un autre, avec un ours en peluche dans les bras l..,

   Ce témoin, me dit aussi que, dans la bataille de Falaise, 400 hommes restaient, d'une division S.S., presque anéantie par l'aviation : ils se formèrent en carré et enfoncèrent les lignes canadiennes à l'arme blanche. Seules des automitrailleuses purent les stopper. Le Général fut fait prisonnier. portant un uniforme de simple soldat !...

 Certains des premiers chars anglo-canadiens emprunteront la rue d'Hastings (l'histoire a de ces retours !).

Voyant des Anglais (ou Canadiens) piller une maison voisine, restée intacte jusqu'ici, une dame court demander l'intervention d'un M.P., rue de Bayeux: "C'est la guerre, Madame! ".. Puis il la rappelle :« Dites à eux apporter à moi aussi! ».

 

     Un gendarme français et moi-même, me dit un D.P., avons empêché un civil de tuer un Allemand qui se rendait, épuisé et sans arme. Ce civil avait une mitraillette ...

 

    Les Canadiens creusent, un jour, des tranchées vers la rue de Bayeux : « Nous, Monsieur, rembarquer! » ... Ils creusaient ces tranchées pour protéger une retraite éventuelle... Plusieurs témoins, à cette époque, ont entendu des Anglo-canadiens exprimer la même crainte ...

 

Un officier anglais se présenta, un jour, chez moi, me raconte ce Caennais à qui un S.S. avait pris sa machine à écrire; il avait entendu parler de cet incident et enquêtait... sur les crimes de guerre!! ...

Quelques dates : la ville, selon les plans alliés, devait être prise le 6 juin après-midi, A partir du 7, les Allemands, recevant des renforts (on dit qu'il n'y avait que 2 ou 300 allemands à Caen, le 6 juin), repoussent les Britanniques, déjà parvenus aux environs de la ville, on l'a vu. Evacuation de nombreux habitants. 14 juin, 12.000 nouveaux Caen nais partent, sur la demande des Allemands. 1er au 7 juillet : les vieillards sont transportés aux carrières de Fleury. 8 juillet : les Allemands décrochent. 9 juillet : Caen salue les Canadiens « sans folle exagération, nous avons trop souffert! -, a-t-on écrit. 10 juillet : les Canadiens sont arrêtés sur l'Orne. 11-12 : Evacuation de nombreux civils et blessés sur Bayeux. 18-19 : la rive droite libérée. 8 août : décrochage des Allemands vers Falaise.

Si le quartier Saint Etienne et l'Abbaye aux Hommes (fondée par Guillaume le Conquérant) ont été épargnés par l'aviation (pas par la Marine) - 20.000 personnes, dont beaucoup de blessés, étaient réfugiées dans l'Abbaye et ses dépendances -, on le doit à l'action du Préfet Cacaud  et de M. Lecornu, entre autres. Traversant les lignes allemandes en voiture, avec Mlle Brouzet, ambulancière, sous prétexte d'aller chercher un blessé, M. Lecornu parvient à contacter les Britanniques, qui promettent d'épargner le quartier Saint Etienne.

Action également de MM.Detolle , maire, Poirier , maire adjoint, et Gille , chef de la Résistance, qui adressèrent, eux aussi, ou firent passer un message semblable aux Britanniques. Ce message lui sera porté par Mme Himbert, qui, à bicyclette, traverse les lignes et remplit sa mission, le 12 juin ... . LIRE La protection de l'Ilot Sanitaire

 

« La ville de Caen a été violemment bombardée les 6 et 7 juin, alors que la population tout entière était présente. Privée de ses postes de radio depuis deux mois, elle ne pouvait avoir suivi les conseils de repliement. Actuellement, les 2 tiers de la Ville, et notamment toute la partie centrale, sont détruits. Des milliers de nos morts sont ensevelis sous les décombres. Plus de mille blessés sont soignés dans les hôpitaux.

30.000 personnes habitent maintenant la partie non sinistrée de la ville (Faculté - Palais de Justice - Lycée Malherbe jusqu'à la sortie ouest de la ville). Il est impossible de songer à leur évacuation, faute de voies sûres, de moyens de locomotion et d'itinéraires garantissant leur sécurité.

La Ville de Caen demande donc que soit épargnée cette partie de la Ville, ainsi que les îlots sanitaires signalés par la Croix Rouge. Une évacuation lente et difficile est organisée par les parties Sud de la Ville, direction Bourguébus - Saint-Sylvain, Des colonnes de réfugiés suivent cet itinéraire et la Ville demande que ce repli puisse s'effectuer en toute sécurité. LIRE.

En tout état de cause, et en cas d'impossibilité militaire, la Ville de Caen demande que les centres de blessés du Lycée Malherbe et du Bon Sauveur soient particulièrement respectés. »

Honneur à tous ceux qui sauvèrent des milliers de Caen nais, au péril de leur vie, pendant cette Bataille de Caen de plus de 65 jours, suivie avec émotion par le monde entier!

" M. Eden  - et je crois, Churchill - ont dit leur admiration pour les Caennais restés jusqu'au bout. Sortant d'un Q.G. allié, où j'avais été appelé en qualité d'interprète, je montrais à un Général l'incendie qui rougissait le ciel de Caen, et lui posai la question que tout le monde s'est posée : ces milliers de morts civils, ces ruines, toutes ces souffrances, était-ce indispensable ? ..

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               M.E.

 

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