Témoignage paru dans ce livre .

 

A CAEN, SOUS LES BOMBES ...

 

Un membre de la Défense Passive (D.P.) de Caen, m'a dit :

Mon casque de 14-18, peint en blanc , m'a resservi, pendant la bataille! qui nous eût dit, jadis, qu'il y aurait une bataille de Caen un jour!

• Dans une maison une poutre brûlait, auprès de laquelle deux membres de la D.P. veillèrent pendant des heures, afin d'éviter que le feu brûlât toute la rue, et ce avec un seau, dont nous renouvelions l'eau au fur et à mesure, car elle était rare, dans ce quartier, les conduites étant crevées, et il fallait aller la chercher assez loin ...

• Le Q.G. allemand se trouvait dans un blockhaus de la route de Creully. (Note de MLQ: le PC opérationnel de la 716.ID se trouvait à La Folie Couvrechef à l'emplacement actuel du Mémorial de Caen)

• Des déserteurs allemands de la Wehrmacht cherchaient des vêtements civils, et certains même emportaient des robes de femmes ! Fanatiques, les S.S., passaient devant nous, en tenue camouflée sans paraître nous voir, la mitraillette en bandoulière - guerriers sauvages qui, souvent, n'étaient que des adolescents et qui pillaient beaucoup... On vit à Caen les Divisions Adolf Hitler, H. Goering, etc. (Note de MLQ: dans Caen la 12.SS Panzer-Division Hitlerjugend et peut être des incursions de la 1.SS Panzer Division Leibstandarte Adolf Hitler) Ils avaient leur gendarmerie à eux. J'eus personne!lement affaire, un jour, à un de leurs officiers, qui réquisionnait ma machine à écrire. Ne voulant pas obtempérer, je la serrais contre mon cœur, jusqu'au moment où je sentis son revolver pas très loin dudit cœur ...

• Aux environs de Caen, je vis, un jour, une soixantaine de chars alliés cloués au sol par deux Panthères (Note de MLQ: le Panther), qui avaient tiré jusqu'à leur dernier obus ...

• A un des bombardements de la rue de Bayeux, une femme avait un pied sous un énorme tas de gravats et un chirurgien ne pouvait même pas lui couper ce pied. Elle mourut là, épuisée.

• Un vieux couple se trouvait, lui, au rez-de-chaussée, elle au premier. L'homme se releva indemne, faisant signe que sa femme était là-haut, sous le toit effondré. On la retrouva morte, sous une armoire. Un cri du vieux, quand la D.P. l'emmena : "le magot! elle a le magot! ", Puis il se précipita sur elle. lui retroussa les jupes et récupéra le magot !. ..

• Quand les bons puits furent à sec, on en rouvrit d'anciens, dont beaucoup servaient de fosses d'aisances !. ..

Ce Caennais poursuit :

• On m'a affirmé, que des Allemands avaient pris sur eux de faire évacuer les civils d'une certaine rue, pour piller les maisons, mais que - le Q.G. allemand ayant été averti - deux d'entr'eux furent fusillés sur le trottoir même de cette rue.

• Je découvris, un jour, un café aménagé dans une cave, et y rencontrai un officier polonais récemment débarqué qui, après le bombardement d'unités polonaises par l'aviation alliée, avait déserté: ...

• Rue de Bayeux, le bulldozer (Note de MLQ: un bulldozer canadien rue de Bayeux) qui bouchait un trou y poussait deux cadavres de civils, un piano écrasé et un coffre-fort intact. La D.P. intervint.

• D'autres Caennais m'ont dit :

• Une religieuse de la Miséricorde est restée accrochée à une poutre pendant plusieurs heures, le 6 juin. Plusieurs dizaines de sœurs infirmières ou malades furent tuées là ...

 

La communauté de La Miséricorde

• Dans une clinique, une jeune fille vient d'être opérée de l'appendicite; son père, sa mère et ses 2 sœurs viennent la voir et disparaissent tous, sauf la mère, dans le premier bombardement. Plus tard, on retrouvera leurs restes qui tiendront dans une petite boîte.

.• Vingt personnes, bloquées dans une cave, sous les ruines d'une maison, sont toutes mortes une à une. On inscrivait, chaque fois, sur le mur, le nom de celle qui mourait et la date de son décès. On retrouva dix-neuf noms; seul manquait évidemment celui de la dernière ...

• L'ingénieur Fredy sauva du feu une partie de Caen, en faisant sauter à la dynamite certains immeubles en flammes.

 

M. Fredy, ingénieur du Service des Mines

• Les Britanniques détruisirent à la bombe et au canon le quartier du Château, mais, dans le Château visé, il n'y avait pour ainsi dire aucun Allemand.

"Photo Archives Municipales de Caen" En bas à droite le clocher de Saint-Jean, au centre l'église Saint-Pierre, au centre en haut le château avec les casernes.

• Une femme admirable fut rencontrée un jour, transportant dans une camionnette, une quantité de cadavres en décomposition qu'elle venait de tirer des ruines ...

• Au Lycée (Note de MLQ: le lycée Malherbe lire 3.7), dans des classes transformées en chambres mortuaires, on compta jusqu'à cent morts à la fois. On opérait sur les tables du réfectoire.

• L'incendie du dépôt des cars des Courriers Normands et de celui des cercueils (500), dès le début, ont eu des conséquences incalculables.

• On enterre les morts quand on le peut, dans les jardins, (Note de MLQ: lire 10)des papiers bitumés faisant office de cercueils. Mais bientôt ces papiers eux-mêmes et les sacs manqueront...

Source film British Movietone News. Des tombes dans les jardins du Lycée Malherbe.

• Un vieillard qui semble avoir perdu la tête erre, transportant dans une brouette, les corps déchiquetés des siens ...

• Un prêtre va ravitailler deux soldats canadiens, cachés dans un caveau de cimetière. La D.P. ravitaille, (Note de MLQ: lire 6) dans les caves, toux ceux qui ne veulent pas quitter leurs ruines.

• Les blessés sont souvent transportés sur des portes, faute de civières.

.• Les Equipes d'Urgence (Note de MLQ: lire 4-1) et les Equipes Nationales (Note de MLQ: lire 5) sauvent des tonnes de ravitaillement des maisons en ruines, et souvent à la barbe des Allemands!

• De nombreux blessés leur doivent la vie. Elles vont, la nuit, dans la campagne, traire celles des vaches qui n'ont pas été tuées.

• Des équipes spéciales récupèrent les médicaments dans les ruines des pharmacies.

• Au Bon Sauveur (qui reçut plus de 200 obus) (Note de MLQ: lire 3-6), dont le Dr. Cayla avait organisé le centre chirurgical (Note de MLQ: lire 2), 2.300 opérations furent pratiquées. Il y avait 250 donneurs de sang. Il fallait travailler, sans électricité, et souvent sans eau. Les mots manquent pour décrire cette "atmosphère d'apocalypse", comme l'a écrit un de ces héroïques médecins. Héroïques religieuses, infirmières, brancardiers, qui ont sauvé tant de malheureux! perpétuelle odeur de sang et de mort, fosses communes, en même temps que naissances dans les caves!

• Un de ces médecins, le Dr. Le Rasle, trouve sa mère et l'une de ses filles tuées, son fils aveugle et ses quatre autre filles blessées. Il les soigne et revient à son poste du B.S. !

• La ville fut bombardée, parfois par bombes incendiaires, et par des vagues de 1.000 avions (Note de MLQ: non, le maximun le 7 juillet au soir environ 460 bombardiers). Par ailleurs, les canons de Marine envoyèrent des milliers d'obus. A partir du 10 juillet, les Allemands bombardèrent la partie libérée, les Britanniques pilonnant la partie non-libérée (quartier de Vaucelles, etc ... ) Attaque du 18-19, avec 2.500 avions! (Note de MLQ: non c'est Operation Goodwood les bombardements sont à l'extérieur de la ville)

• Des Caennais, repliés à la campagne, débitaient la viande des bêtes tuées. Un abbé trayait les vaches pour les réfugiés de Cahagnes, Sept-Vents et les enfants de Colombelles, repliés eux aussi. Ils faisaient également du pain. Ils avaient sauvé le Saint-Sacrement d'une église bombardée et l'avait dans leur cave. Un major allemand faisait admettre les blessés civils dans des ambulances militaires, et nos Caennais poussèrent l'audace jusqu'à demander à des S.S. un side-car et des camions pour aller sauver des gens entre les lignes! ils acceptèrent et emmenèrent des blessés civils à 35 km, à l'arrière, sous la conduite de l'abbé !

• Revenus à Caen, à cinq, ils sortent plusieurs dizaines de personnes asphyxiées d'un abri sous le Sépulcre (Note de MLQ: non pas le Sépulcre mais l'abri dans la cave du

 patronage des filles de la paroisse Saint-Julien, 50, rue du Vaugueux), dont le curé d'une église (Note de MLQ: le chanoine Ruel ). (Note de MLQ: il s'agit de résistants lire ici) Spectacle horrible. Dans la rue du Vaugueux, obstruée par les immeubles écroulés, ils voient, descendant des lignes, des Allemands commotionnés, comme fous, dont beaucoup presque nus, du fait du souffle des bombardements !

• L'un de ces Caennais, combattant de la Résistance, me raconte qu'il vit, un jour, des S.S. défiler, nu-tête, en chantant, rue Caponière. Ils allaient contre-attaquer à Carpiquet!

• Il convient de noter qu'au début, faute d'aérodromes, dans la zone du Débarquement, les avions britanniques devaient retourner chaque soir en Angleterre. C'est pourquoi celui de Carpiquet était farouchement défendu par les Allemands.

Rots fut pris et repris 7 fois. Quant à l'Abbaye d'Ardenne, elle était un des P.C. des Allemands, d'où ils lançaient des attaques contre les unités canadiennes, lesquelles perdirent, un jour, 28 chars, en une seule fois.

• Des patrouilles canadiennes ont été vues aux environs de Caen, le 7 juin (à Authie par exemple). Le 7 et le 8, les Allemands les attaquent à l'arme blanche. D'autres témoins ont vu des Britanniques à la Folie, le 7 juin.

• Du 7 juin au 7 juillet, me dit le Résistant cité ci-dessus, un bataillon de la 12e S.S. occupe l'Abbaye d'Ardenne (Note de MLQ: oui il s'agit du SS-Panzergrenadier-Regiment 25). Le Commandant (Note de MLQ: le SS-Standartenführer Kurt Meyer ) donne ses ordres, par porte-voix, du haut de l'Abbaye. Il en descend par une corde lisse. Ils abattent plusieurs prisonniers canadiens. En rentrant à l'Abbaye, les habitants se trouvèrent devant de nombreux cadavres de combattants, dont certains avaient été tués aux fenêtres, et plus tard, ils découvriront, dans une armoire écrasée, sous les ruines, les cadavre d'un S.S. de la Division Das Reich et un autre, avec un ours en peluche dans les bras ! (Note de MLQ: l'Abbaye d'Ardenne était la proprièté d'une famille de résistants les Vico).

• Ce témoin, me dit aussi que, dans la bataille de Falaise, 400 hommes restaient, d'une division S.S., presque anéantie par l'aviation : ils se formèrent en carré et enfoncèrent les lignes canadiennes à l'arme blanche. Seules des auto-mitrailleuses purent les stopper. Le Général fut fait prisonnier, portant un uniforme de simple soldat !... (Note de MLQ: ce sont des bobards)

• Certains des premiers chars anglo-canadiens emprunteront la rue d'Hastings (l'histoire a de ces retours !). (Note de MLQ: la rue d'Hastings entrée Nord de Falaise par la N158 venant de Caen)

• Voyant des Anglais (ou Canadiens) piller une maison voisine, restée intacte jusqu'ici, une dame court demander l'intervention d'un M.P., rue de Bayeux: "C'est la guerre, Madame! " .. Puis il Ia rappelle : « Dites à eux apporter à moi aussi! ».

• Un gendarme français et moi-même, me dit un D.P., avons empêché un civil de tuer un Allemand qui se rendait, épuisé et sans arme. Ce civil avait une mitraillette ...

• Les Canadiens creusent, un jour, des tranchées vers la rue de Bayeux : « Nous, Monsieur, rembarquer! » ... Ils creusaient ces tranchées pour protéger une retraite éventuelle... Plusieurs témoins, à cette époque, ont entendu des Anglo-Canadiens exprimer la même crainte ...

• Un officier anglais se présenta, un jour, chez moi, me raconte ce Caennais à qui un S.S. avait pris sa machine à écrire; il avait entendu parler de cet incident et enquêtait... sur les crimes de guerre!! ...

• Quelques dates: la ville, selon les plans alliés, devait être prise le 6 juin après-midi. A partir du 7, les Allemands, recevant des renforts (on dit qu'il n'y avait que 2 ou 300 allemands à Caen, le 6 juin), repoussent les Britanniques, déjà parvenus aux environs de la ville, on l'a vu. Evacuation de nombreux habitants. 14 juin, 12.000 nouveaux Caennais partent sur la demande des Allemands. 1er au 7 juillet : les vieillards sont transportés aux carrières de Fleury. 8 juillet : les Allemands décrochent. 9 juillet : Caen salue les Canadiens « sans folle exagération, nous avons trop souffert!", a-t-on écrit. 10 juillet : les Canadiens sont arrêtés sur l'Orne. 11-12 : Evacuation de nombreux civils et blessés sur Bayeux. 18-19 : la rive droite libérée. 8 août : décrochage des Allemands vers Falaise. (Note de MLQ: pour l'évacuation des caennais lire ici en 9; pour le décrochage allemand lire ici)

• Si le quartier St-Etienne et l'Abbaye aux Hommes (fondée par Guillaume-le-Conquérant) ont été épargnés par l'aviation (pas par la marine) - 20.000 personnes, dont beaucoup de blessés, étaient réfugiées dans l'Abbaye et ses dépendances (Note le MLQ lire les points 2.3 à2.6)-, on le doit à l'action du Préfet Cacaud et de M. Lecornu, entr'autres. Traversant les lignes allemandes en voiture, avec Mlle Brouzet, ambulancière, sous prétexte d'aller chercher un blessé, M. Lecornu parvient à contacter les Britanniques, qui promettent d'épargner le quartier St-Etienne.

• Action également de MM. Detolle , maire, Poirier , maire-adjoint, et Gille , chef de la Résistance, qui adressèrent, eux aussi, ou firent passer un message semblable aux Britanniques. Ce message lui sera porté par Mme Himbert, qui, à bicyclette, traverse les lignes et. remplit sa mission, le 12 juin .... (Note de MLQ: lire ici)

 "La ville de Caen a été violemment bombardée les 6 et 7 juin, alors que la population tout entière était présente. Privée de ses postes de radio depuis deux mois, elle ne pouvait avoir suivi les conseils de repliement. Actuellement, les 2 tiers de la Ville, et notamment toute la partie centrale, sont détruits. Des milliers de nos morts sont ensevelis sous les décombres. Plus de mille blessés sont soignés dans les hôpitaux.

30.000 personnes habitent maintenant la partie non sinistrée de la ville (Faculté-palais de Justice-lycée Malherbe-jusqu'à la sortie ouest de la ville). Il est impossible de songer à leur évacuation, faute de voies sûres, de moyens de locomotion et d'itinéralrss garantissant leur sécurité.

La Ville de Caen demande donc que soit épargnée cette partie de la Ville, ainsi que les îlots sanitaires signalés par la Croix Rouge. Une évacuation lente et difficile est organisée par les parties Sud de la Ville, direction Bourguébus-St-Sylvain, Des colonnes de réfugiés suivent cet itinéraire et la Ville demande que ce repli puisse s'effectuer en toute sécurité.

En tout état de cause, et en cas d'impossibilité militaire, la Ville de Caen demande que les centres de blessés du lycée Malherbe et du Bon Sauveur soient particulièrement respectés. "

DETOLLE

• Honneur à tous ceux qui sauvèrent des milliers de Caen nais, au péril de leur vie, pendant cette Bataille de Caen de plus de 65 jours, suivie avec émotion par le monde entier!

• M. Eden - et je crois, Churchill - ont dit leur admiration pour les Caennais restés jusqu'au bout. Sortant d'un Q.G. allié, où j'avais été appelé en qualité d'interprète, je montrais à un Général l'incendie qui rougissait le ciel de Caen, et lui posai la question que tout le monde s'est posée : ces milliers de morts civils, ces ruines, toutes ces souffrances, était-ce indispensable ? ...

M.E.

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