La COLLABORATION
LA BANDE A HERVE
Sous ce surnom, se
cache un groupe de collaborateurs fanatiques qui va semer la terreur dans le
Calvados de la fin de l'année 1943 à l'été 1944. La bande à Hervé tire son nom
de son fondateur Raoul Hervé
,
collaborateur de
Saint-Aubin-sur-Mer.
En juillet 1943.
Julien Lenoir
,
responsable du groupe
Collaboration, souhaite fonder un service de renseignement pour aider les
Allemands à lutter contre les ennemis de
Vichy et du
Troisième Reich. Il
s’adresse aux Allemands qui lui recommandent de faire diriger ce service par une
personne peu connue : Raoul Hervé. A cette époque, Raoul Hervé est le
responsable du Centre d'information et de
renseignement (CIR). Cet organe est, à l'origine, chargé de diffuser la
propagande du régime de Vichy. Mais, très rapidement, il s’oriente vers une
coopération policière avec les Allemands. Raoul Hervé rassemble alors un
agglomérat monstrueux de brutes grossières, de partisans de la collaboration et
de nazis fanatiques. Il recrute ainsi
Serge Fortier
, 23 ans et adhérent au
PPF,
Joseph Martine et son père Félix Martine tous deux membres du PPF et trafiquants
notoires du marché noir, Louis Lancien, Bernard Desloges, herbager de 24 ans et Jean Laronche
, apôtre du Troisième Reich.
Raoul Hervé recrute aussi son fils adoptif, André Martin, ajusteur de 23 ans pour qu'il échappe aux
rigueurs du
STO, ou des brutes comme Gilbert Bertaux et Pierre Bernardin,
chef de chantier de
25 ans .
Parmi les
autres membres, on peut citer : l'ancien
résistant Daniel Collard
(20 ans) des groupes Nord et
Arc-en-Ciel, la maîtresse de Collard,
Paulette James (secrétaire
du groupe),
Henri Léon
le "Dépendu
",
23 ans, sans profession,
Emile Chapron (19 ans,ancien
travailleur volontaire en Allemagne, employé à la base aérienne de Carpiquet), Jacques Duchemin,
Jacques Brotot,
comptable et musicien amateur de 24 ans, Albert Baot,
Eugène Pelan,
cantonnier de 25 ans et
Lucien Brière tué par la Résistance le 3
mai 1944 .
Les membres du CIR sont encadrés par la Gestapo en la personne de Kart Zaumzeil, dit "Charles", qui n'apprécie pas beaucoup ces Français qu'il considère comme des traîtres. C'est pour cela qu'entre septembre 1943 et janvier 1944, l'action de la bande à Hervé se cantonne essentiellement au renseignement, utilisant la méthode de l'infiltration. Les auxiliaires français se font ainsi passer pour des résistants ou des réfractaires et transmettent les noms collectés à "Charles". Cette méthode se révèle dramatiquement efficace. Ils sont ainsi responsables de la rafle contre l'OCM et de l'arrestation des responsables départementaux du Front national et des FTP en décembre 1943.
En février 1944.
Harald Heyns
, dit "Bernard", prend la direction de l'antenne du Sipo-SO de Caen
après le départ de son chef Heinrich Meier et de « Charles ». Il décide alors
d'utiliser sans vergogne les services de Raoul Hervé et de ses sbires. Ils se
voient alors confier les missions d'arrêter et d'interroger les résistants. Ils
forment alors le groupe Action du CIR de Caen, épaulé par le groupe
Renseignement composé d'informateurs répartis dans tout le département. Au cours
des quatre derniers mois de l'occupation, Raoul Hervé et sa bande vont mener une
action dévastatrice contre les réfractaires au
STO mais surtout contre la Résistance, provoquant l'arrestation de centaines
de personnes. Ils infligent alors les pires tortures aux malheureux tombés entre
leurs mains afin de leur arracher des noms. Ils démantèlent ainsi le
réseau
Alliance à la fin du mois de mars 1944 ainsi que les réseaux Zéro-France et
Cohors-Asturies
au mois d'avril.
Au tout début du mois de juin, Hervé et son groupe participent au démantèlement du groupe de résistance du docteur Derrien à Argences, action qui se solde par dix-sept arrestations.
Quand le débarquement survient le 6 juin 1944, accompagné d'une partie de son groupe, dont son fils adoptif André Martin, Raoul Hervé s'enfuit dans l'Orne: la bande n'a pas oublié le butin volé lors des perquisitions et des arrestations. Avec son équipe, il séjourne chez Louis Bablin, dit « Bablinoche », membre du R.N.P. et collaborateur occasionnel de la Gestapo dans l'Orne. Raoul Hervé et ses compagnons s'y font passer pour des résistants, ce qui permet l'arrestation de dix- neuf personnes.
De là, Hervé
part à Paris,
où il rencontre un
certain Pierre Beudet
,
agent de l'Abwehr
de Lille. Sous les arcades du
jardin des
Tuileries, Hervé l'exécute, le 18 juillet 1944, d'une balle dans la nuque et s'empare de son argent.
Un Allemand lui propose de l'emmener dans le nord de
la
France jusqu'à Amiens. Quelque temps plus tard, des Allemands l'appréhendent dans
la
Somme, mais c'est seulement pour s'emparer
de sa voiture.
Hervé revient en région parisienne et s'installe
sous un faux nom à
Clichy-sous-Bois, où sa maîtresse
exploite un débit de boissons.
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Emile Chapron fut condamné à mort par la cour de justice de l'Orne et fusillé à la prison d'Alençon le 6 août 1945.
Gilbert Bertaux fut jugé en février 1946 par la cour de justice de l'Orne et exécuté le 17 mars 1946.
Le 11 janvier 1946, s'ouvre à Caen ce que la presse appelle le "procès des gestapaches".
Cinq accusés comparaissent devant la cour de justice :Daniel Collard, Bernard Desloges. Serge Fortier, Jacques Brotot et André Martin.
Raoul Hervé, Pierre Bernardin, Henri Léon, Jean Laronche et Joseph Martine sont jugés par contumace.
La cour ne sait pas que Jean Laronche et Joseph Martine ont été exécutés sommairement dans l'Orne par la Résistance en juin 1944. Quant à Henri Léon, il s'est évanoui dans la nature.
Les débats sont dirigés par le juge Sébire. Le chef d'accusation est des plus graves. La bande à Hervé est responsable de l'arrestation de près de 150 personnes qui ont été torturées, fusillées ou déportées.
Les prévenus minimisent leur responsabilité et la rejette sur les absents. Se succède alors, pendant deux jours, le défilé émouvant des témoins : déportés, familles, victimes de sévices. Les accusés n'affichent aucune émotion. Le journal Liberté de Normandie commente :
"
Ils ne paraissent pas fatigués par l'audience de la veille. Sur leurs visages, nulle trace d'insomnie. On demeure confondu devant 1e cynisme et l'insouciance de ces jeunes hommes qui ont l'air plutôt d'étudiants en goguette que d'authentiques criminels. Jacques Brotot affiche toujours le même détachement des choses de ce monde. Daniel Collard s'entretient fréquemment avec son avocat et semble trouver sa cause excellente. Desloges, plus lourdaud, à l'air gêné aux entournures et Fortier fait de plus en plus chef de bande. "
Liberté de Normandie du 10 mars 1946
Les plaidoiries des avocats comme les témoins à décharge ne peuvent infléchir l'opinion des jurés. Le 14 mars 1946, après une courte délibération, le verdict tombe.
Serge Fotier, Daniel Collard et Bernard Desloges sont condamnés à la peine capitale, à la grande joie de l'assistance.
André Martin et Jacques Brotot sont condamnés à vingt ans de travaux forcés.
La peine capitale est prononcée par contumace à l'encontre de Raoul Hervé. Jean Laronche. Pierre Bernardin. Henri Léon et Joseph Martine.
Le 9 mai 1946, Daniel Collard, Bernard Desloges et Serge Fortier sont fusillés à l'aube dans la cour de la prison.
Liberté de Normandie du 10 mai 1946
Pierre Bernardin qui s'était engagé à Pau dans un régiment blindé colonial, sera arrêté au Laos, où il servait dans la Légion étrangère et où il s'était fait remarquer par son courage et sa valeur morale. Après avoir été condamné à mort en mars 1946 par la cour de justice du Calvados, il est rejugé par celle de Paris en janvier 1950. Après avoir tenté de nier son appartenance au C.I.R., Bernardin reconnaît en avoir fait partie « bénévolement», mais en n'y jouant qu'un rôle secondaire! Lors de son interrogatoire, il reconnaît son anglophobie et son anticommunisme et sa participation à des contrôles, mais sans plus: « J'affirme n'avoir participé à aucune opération ou arrestation et n'avoir joué aucun rôle particulier dans le groupe dont Hervé était le chef.» Membre du P.P.F., il travaillait officiellement - à l'époque des faits qui lui sont reprochés - dans l'entreprise de B.T.P. Potigny et Viel, laquelle travaillait elle-même pour les Allemands et servait de couverture à certains agents de la Gestapo. Défendu par Jacques Isorni, il s'en « tire» avec vingt ans de travaux forcés, pour reprendre les mots d'un article d'Ouest-France du 26 janvier 1950: « Condamné à mort par la cour de justice du Calvados, Pierre Bernardin, pourvoyeur de la Gestapo caennaise, s'en tire avec vingt ans de travaux forcés devant les juges parisiens.» Les temps ayant changé, Bernardin obtiendra sa liberté conditionnelle dès le 9 août 1952.
Quant à Raoul Hervé, sa piste n'est retrouvée qu'en 1950, à Clichy-sous-Bois, sous le pseudonyme de Merver avec son amie, adhérant au parti communiste ou se liant avec les gendarmes locaux. Grâce à l'abnégation d'un enquêteur, Eugène Roy, Hervé est enfin interpellé et incarcéré à la prison de Fresnes. Entre 1950 et 1956, niant d'abord tout en bloc, il change de tactique et se fait passer pour un grand malade. Il obtient le report de son procès à neuf reprises pour n'être jugé que six ans plus tard. Il est cependant appelé plusieurs fois à témoigner, par exemple en juillet 1952 devant le tribunal militaire de Paris où étaient jugés six agents allemands de l'antenne de la Gestapo de Caen.
Son procès s'ouvre le 13
février 1956. Parmi les résistants revenus
de déportation, Peschet et Fournier viennent déposer au procès; ils précisent
qu'il dirigeait en personne les interrogatoires et commandait les sévices quand
il ne les faisait pas subir lui-même: « J'ai plus souffert avec lui qu'avec les
Allemands.
Il était plus sinistre et plus démoralisant qu'eux.
» L'abbé Léon Dupont conte comment il fut
frappé à plusieurs reprises à coups de nerf de bœuf par Hervé
et Fortier
.
Jouant la sénilité, mettant en avant son passé de 1914-1918, il
parvient à échapper à la peine de mort. Il est condamné à la réclusion
criminelle à perpétuité. Mais Raoul Hervé
n'avait
plus
que deux
années
de prison à effectuer:
bénéficiant de remises de peine et de la grâce
du président de la République,
il sortait de la prison de
Périgueux
le
24 mars 1958. Pour échapper à une éventuelle
expédition
punitive, il se
cacha habilement
et, en
1960, il
arrivait
en Corse.
Il
s'installait
à Lucciana, village
proche de
Bastia,
et réussissait,
en mystifiant
tout le monde,
à épouser la sœur du maire du village,
Charles Galetti,
également conseiller général, une des
figures de la Résistance corse. Hervé
s'était
fait passer pour
un écrivain
connu sous deux
pseudonymes:
t'Serstevens,
écrivain belge de langue française (1886-1974),
et Denys
Amiel,
auteur dramatique français (1884-1977).
Le
couple s'installait à Bastia, dans une maison à trois étages
située
près du théâtre municipal.
Raoul
Hervé mourut
en mai
1963, sans doute entouré
de la respectueuse
considération de ses voisins; son
faire-part,
publié
dans Le
Courrier de
la Corse
le 4 mai, indiquait
qu'il
avait été
« capitaine de
vaisseau,
homme de lettres,
commandeur de
la Légion d'honneur
». Il était précisé
que la
famille ne recevait pas. Malgré un passé
qu'elle ignorait vraisemblablement à cette
époque, la famille Galetti
ne l'a
pas rejeté:
il est inhumé dans la sépulture familiale du
cimetière de Bastia
depuis
1985. En
juin 1963,
l'article
d'Ouest-France
annonçant le décès
de Raoul Hervé
concluait ainsi: «Finalement,
l'affaire
vient d'éclater
au grand jour:
l'homme
qu'on vient
de porter
en terre avec tant d'égards
n'était
autre que l'ancien
chef
de la
Gestapo de Caen qui a,
décidément,
eu beaucoup de chance.
»
Jusqu'au
bout, Raoul Hervé aura mystifié
sa famille corse,
comme il
avait
trompé les
médecins entre 1950 et 1956, puis
les
juges du tribunal
permanent des forces
armées
de Rennes en 1956. «
Traître,
tortionnaire,
imposteur
» qualifient
sa vie.
C'est le souvenir que garderont
à jamais de lui
celles et ceux qui sont
passés au siège
du C.I.R.
ou au
44, rue des Jacobins.
Sources:
Liberté de Normandie, 10 mars et 10 mai 1948.
Cédric Neveu